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15 mai 2008 4 15 /05 /mai /2008 03:24

I.Johsua : «le neo-libéralisme exhume le spectre de 1929»

Selon cet économiste marxiste, les crises à répétition sont l'un des symptômes de l'économie néolibérale, responsable de l'instabilité d'un système désormais abstrait et bien loin des réalités humaines.

Les bourses mondialisées, créatrices de bulles spéculatives. (© Cathy Lehnebach)

Isaac Johsua est économiste, membre du conseil scientifique d'Attac. Longtemps dirigeant de l'extrême gauche, il se réclame toujours du marxisme dans ses analyses. Il fut l'auteur d'une analyse remarquée de la crise de 1929 (1).

Marianne: La crise des subprimes est désormais déclarée «plus grande crise financière depuis 1945». Cela veut donc dire depuis celle de 1929. La comparaison est-elle éclairante ?
Isaac Johsua : En tous cas, elle vaut d'être tentée. Car il y a bien des points communs entre ce que nous vivons aujourd'hui et ce qui s'est passé aux Etats-Unis et en Europe à partir de 1929. Par exemple, les deux crises ont pour origine une bulle spéculative. Elle était boursière en 1929, elle est immobilière en 2007-2008. Autre point commun : le surendettement des ménages américains, qui renforce la spirale dépressive de la crise. De même l'effondrement de la livre sterling en 1931 avait aggravé la situation, comme la chute du dollar en ce moment. Bien sûr ce n'est pas une répétition, puisque entretemps, nous nous sommes dotés d'instruments stabilisateurs de l'activité, que ce soient des allocations (avant guerre, il faut se souvenir que les chômeurs dépendaient de la simple charité privée !), ou des budgets nationaux. L'histoire ne repasse pas les plats, du moins pas aussi simplement.

Mais il y a aussi l'ampleur…
I. J. : Certes, et c'est pour cela que l'hypothèse d'une crise majeure est à redouter. Depuis 1929, le capitalisme s'est transformé, et la mondialisation a étendu l'hégémonie du salariat à l'ensemble de la planète. On peut dire qu'aujourd'hui, il a éliminé toute la petite production, majoritairement agricole, qui représentait, jusqu'à la seconde Guerre mondiale, voire au-delà, une sorte d'amortisseur des crises. Avec la mondialisation, l'espace disponible pour les perturbations s'est dilaté à l'ensemble de la planète, l'interconnexion des marchés est complète et diffuse toujours plus rapidement les mouvements de flux et de reflux. Les crises se succèdent de plus en plus rapidement et s'élargissent : la crise mexicaine en 1995, celle du sud-est en 1997, de la nouvelle économie en 2001 centrée sur les Etats-Unis et enfin celle d'aujourd'hui qui concerne le monde entier. C'est un démenti aux thèses néolibérales.

En quoi ?
I. J. : En ce que le néolibéralisme à l'oeuvre depuis les années 1990 a détruit le compromis fordiste, mis en place justement pour sortir de la crise de 1929. Le fordisme, est un modèle pragmatique, auquel Keynes a donné une assise théorique. Il consistait à mettre en place un nouveau rapport salarial qui stabilise l'emploi, ou au moins le revenu, et donc stabilise la consommation. Dans un monde peuplé à 95% de salariés, sensible aux chocs dépressifs, il faut éviter l'effondrement de la consommation. Or, depuis 1990, l'épisode néo-libéral a consisté à démanteler ce compromis fordiste, et à placer comme moteur de la consommation, non plus la croissance des rémunérations, mais celle de l'endettement des ménages. Ainsi, dans les dernières années, celui des Américains a cru de 30%, jusqu'à devenir nettement négatif. C'est dément ! Ce faisant la mondialisation néolibérale a fait la démonstration que le système est instable, s'il n'est pas adossé à des institutions comme l'Etat, les conventions collectives et des systèmes redistributifs de protection sociale.

C'est donc cet endettement des ménages qui est à l'origine de la crise.
I. J. : Oui, parce que Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale américaine, a mis en place sciemment une machine infernale. Les baisses des taux qu'il a pratiquées ont eu pour effet d'augmenter toujours plus l'endettement des ménages. Aujourd'hui ce n'est plus possible. On peut continuer à baisser les taux d'intérêts, les ménages, qui voient le prix de leurs maisons baisser, n'emprunteront pas davantage. Du coup, emprunteurs et créanciers sont pris au piège. Et l'on s'aperçoit alors que la crise est une crise de rentabilité du capital. Je m'explique : les marchés financiers ont eu l'ambition démesurée d'exiger des taux de rendements qui n'ont aucune commune mesure avec la rentabilité de l'économie réelle. C'est cela qui a été le moteur de l'inventivité des marchés, de l'innovation financière comme la titrisation des crédits. Il s'agissait de s'affranchir de la sphère de la production afin d'atteindre la fameuse règle des 15% de rentabilité du capital. On sort enfin de ce grand rêve éveillé. Et on peut dire que la crise est une protestation véhémente contre ces exigences insensées des détenteurs du capital. On va revenir à davantage de mesure. Mais il faudra se souvenir que ce rêve des profits illimités est partie intégrante du système capitalisme. Rappelons nous la bulle Internet était née de perspectives de profits extraordinaire que promettait la «nouvelle économie».

Quelles solutions pour s'en sortir ?
I. J. : Il va falloir couvrir les pertes qui paralysent le système. C'est d'abord aux capitalistes de le faire. Ensuite se pose une question politique : faudra-t-il nationaliser les banques. C'est ce que prône, de fait, Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI. On a commencé en Grande-Bretagne avec la Northern Rock. Mais que va-t-on nationaliser : les banques qui font du profit ou celles qui sont percluses de pertes et sont non-viables ? Cela s'appelle privatiser les profits et socialiser les pertes.
Il faudra bien en arriver au vrai débat. Comment en finir avec la révolution néoconservatrice qui n'a qu'une seule idée : empêcher les salaires d'augmenter et pousser au surendettement. Il faut retrouver un partage négocié de la valeur ajoutée entre salariés et employeurs. Cela fait intervenir la politique. Il faut limiter la capacité de nuisance de la finance. Dans notre pétition, nous demandons la suppression de l'article du traité de Lisbonne qui sanctuarise la libre-circulation des capitaux. Pas parce que nous sommes anti-européens, mais par ce que la libre circulation des capitaux est un des moteurs puissants des bulles spéculatives. Renoncer à contrôler ces flux, c'est admettre que d'autres crises plus dévastatrices succéderont à celle que nous connaissons. Et à titre personnel, je pense que si nous n'obtenons pas de réponse de l'Europe, il faudra poser cette question au niveau national. Si nous le voulons, nous le pouvons et l'impuissance de l'Europe ne peut demeurer un prétexte à l'inaction.

Certes, mais n'est-ce pas là des solutions qui tendent à revenir à un capitalisme plus stable. On aurait pu penser que cette crise exemplaire du capitalisme ramène au devant de la scène des solutions alternative au système, et osons le mot : socialiste. Or ce n'est pas le cas.
I. J. : Il y a deux réponses à cette question. La première est que l'on compte aujourd'hui les chercheurs marxistes sur le doigt des deux mains. Et ils ont tous, comme moi, des cheveux bien blancs. La seconde c'est que la chute du mur de Berlin a tué pour longtemps l'idée d'une économie entièrement planifiée. Je faisais partie de ceux qui ne nourrissaient aucune illusion sur ce qu'était le socialisme pratiqué en URSS. Mais la disparition du communisme a ancré pour longtemps dans la tête des gens que cette voie-là a abouti à une impasse.

(1) La crise de 1929 et l'émergence américaine, PUF, 1999 ; Une trajectoire du capital : De la crise de 1929 à celle de la nouvelle économie, Syllepse, 2006.

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