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23 septembre 2008 2 23 /09 /septembre /2008 03:46

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La burqa, masque et prison :
à la fois au-dessus et au-dessous de la loi

Une récente décision officielle, confirmée par le Conseil d'Etat, a refusé la nationalité française à une Marocaine portant la tenue dite "islamique intégrale" prônée par certaines sectes intégristes - également appelée burqa - qui, masquant entièrement le corps et le visage, ne laisse entrevoir que les yeux.
Au-delà de la question de l'intégration, peut-on tolérer le port public d'un masque intégral inamovible ? Que doit faire un employé de banque devant un spectre noir non identifiable qui pénètre dans son agence ? Et ne serait-il pas imprudent, de la part d'un directeur de crèche, de confier un bébé à une personne masquée prétendant être sa mère ?

Notons d'abord, dans l'affaire citée, que le refus de la nationalité repose sur des déclarations de la personne remettant explicitement en cause l'égalité entre hommes et femmes et non sur le port d'un vêtement : cette personne est à cet égard dans la même situation qu'un certain imam de Vénissieux, qui fut condamné pour la même raison.

Mais venons-en au sujet, à cette fameuse burqa. J'ai amplement expliqué ma position sur le port du voile islamique dans ce blog[1]. Cette position est une conséquence de la théorie de la laïcité que j'ai exposée dans le livre Qu'est-ce que la laïcité ? et repose sur la distinction entre trois espaces : l'espace relevant de l'autorité publique (constitution, déclaration, maintien et protection des droits), l'espace de la société civile et l'espace privé proprement dit. Voilà pourquoi j'ai toujours dit et écrit que le port du voile islamique doit être proscrit dans le premier espace (école obligatoire, bureaux de vote, fonction publique, etc.) et qu'il serait antilaïque de l'interdire - tant qu'il n'est lié à aucune déclaration contraire aux lois (notamment d'inégalité entre hommes et femmes) - dans les deux autres espaces. Cela ne veut pas dire que je suis favorable au port du voile, mais seulement que je ne vois aucun motif juridique pour l'interdire dans la société civile : il y a d'ailleurs, outre le port du voile, beaucoup de choses non interdites qui ne me plaisent pas et qui me choquent profondément... !
Certains en ont hâtivement conclu que ma position serait la même s'agissant de la burqa (ah! ces intellos, toujours prêts à se coucher, n'est-ce pas ?).

Que non ! Je pense au contraire que cette fameuse "tenue intégrale" devrait être interdite dans l'espace civil, c'est-à-dire dans tous les lieux accessibles au public. Et cela pour une raison très simple : non seulement elle empêche l'identification physique de facto (en cela elle est comparable à un passe-montagne ou à un pansement couvrant le visage), mais elle est faite pour cela et portée à cet effet. C'est bien plus qu'un passe-montagne, qu'on enlève dès que la température le permet ou dès que quelqu'un veut voir votre visage : c'est un masque porté pour cacher le corps, la silhouette et le visage, un masque délibérément inamovible, un masque intégral fait pour se cacher tout le temps parce qu'on ne veut pas ou qu'on n'a pas le droit de se montrer. Se masquer ainsi, c'est affirmer une volonté d'échapper à toute identification - que cette volonté soit celle de la personne ou celle d'autrui ne change rien à la question. C'est donc plus qu'une intention et plus qu'un recel occasionnel. La preuve ? Demandez donc à une personne portant burqa de se démasquer, histoire de voir sa tronche...

Je dis "une personne" car, à bien y penser, rien n'indique son sexe : même Sébastien Chabal serait méconnaissable ainsi accoutré ! Vous allez me dire : mais justement c'est fait pour ça, pour qu'on ne voie rien du sexe. Je juge que c'est une femme parce qu'on m'a dit qu'une certaine coutume dans certaines sectes contraint les femmes à se cacher ainsi. Je fais l'hypothèse que c'est une femme un peu comme Descartes, regardant par sa fenêtre et ne voyant dans la rue "que des chapeaux et des manteaux", juge qu'il voit ses semblables[2] en vertu d'une "inspection de l'esprit", laquelle est ici instruite par une forme d'expérience. Dans le même passage, Descartes évoque une autre hypothèse digne d'un film d'épouvante : cela pourrait recouvrir des spectres. Descartes n'avait pas vu nos films d'horreur, mais, spectateur des tragédies sanglantes "tristes et lamentables" qui précédèrent la tragédie classique, il pensait peut-être à ce genre de scénario[3]... Eh bien, justement, nous y sommes : en pleine scène lugubre peuplée d'épouvantails en forme d'oiseaux de malheur qui s'abattent sur la liberté des femmes en faisant peur à tous.

Un directeur d'école maternelle peut-il, à l'heure de la sortie, confier un enfant à une personne entièrement masquée qui prétend être sa mère et qui refuse de se montrer ? Non : il aura raison de garder l'enfant et d'appeler la police pour tentative de rapt. Un employé de banque peut-il ouvrir la porte de son agence à un individu masqué, portant par exemple une cagoule, ou un casque et de larges lunettes noires ? Non : si une personne en burqa parvenait à pénétrer dans la banque, il aurait raison de donner l'alarme. De même pour un commerçant : sa méfiance et sa peur seraient légitimes. Toute personne portant la burqa est dans la situation d'un malfaiteur s'apprêtant à commettre un hold-up, le visage couvert d'une cagoule. La différence à l'égard de ce masque est que le malfaiteur s'en débarrasse ensuite : il désire rentrer dans l'ordinaire de la société pour jouir de son forfait. La burqa ne sert pas à couvrir un forfait[4], elle est en elle-même un malfait autrement large : elle fait mal et peur à ceux qui la voient, elle fait mal à celle qui la porte. Où l'on retrouve, objectivement, la thèse de l'intégrisme islamiste pour lequel le corps de la femme est un mal absolu, une honte. La burqa fait honte à celle qui la porte, elle fait honte à ceux qui la tolèrent. C'est un hold-up permanent qui s'en prend violemment à la liberté des femmes.

Fadela Amara a déclaré que la burqa est une prison. Et cela est déductible de ce que je viens de dire. Indépendamment de toute interprétation idéologique, c'est une prison d'abord parce que c'est un masque : celui qui refuse l'identification se soustrait aux lois ordinaires et se trouve donc en situation de réclusion. La personne portant burqa est chargée d'une carapace impénétrable qui la rend intouchable, à la fois au-dessus et au-dessous des lois. Prétendant se "protéger" puisqu'elle promène les murs de sa maison - maison dont elle ne peut jamais sortir - autour d'elle, elle est en même temps inaccessible et exclue. Son existence civile est suspendue : autant rester enfermée sans espoir de sortir jamais... Rester indéfiniment à l'intérieur de murs - fussent-ils en toile - dont on ne peut pas sortir, cela s'appelle de la réclusion. Et quand la réclusion n'est pas prononcée par la loi, quand elle se fonde sur l'être (ici : être de sexe féminin) et non sur les actes criminels d'une personne, régulièrement jugés et condamnés en vertu d'une loi préalable, elle est arbitraire et illégitime : interdire la burqa serait donc un acte de libération.

© Catherine Kintzler, 2008

Notes

[1] Voir notamment l'article La laïcité face au communautarisme et à l'ultra-laïcisme ([charger le lien]) et les nombreux commentaires qui le suivent.

[2] Descartes, Méditations métaphysiques (méditation seconde).

[3] Tragédies sanglantes de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle (Poullet, Heudon, Virey du Gravier, Laudun d'Aygaliers, Durval, Billard de Courgenay). On en voit la réminiscence par exemple dans quelques scènes de L'Illusion comique de Corneille de 1636 (voir l'article sur L'Illusion comique [charger le lien]).

[4] Du moins et à ma connaissance n'a-t-on pas d'exemple de cet usage en France. Mais rien n'empêche qu'elle puisse aussi servir à cela, car elle offre bien des avantages en rendant la personne à la fois méconnaissable et "intouchable".

Catherine Kintzler www.mezetulle.net
Auteur de "Qu’est-ce que la laïcité ?", publié chez Vrin, 2007.

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