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29 juin 2010 2 29 /06 /juin /2010 03:45

http://goudouly.over-blog.com/article-la-mort-annoncee-de-l-euro-une-bonne-nouvelle-pour-la-russie--52720747.html

 

 

Entretien avec Jacques Sapir : la mort annoncée de l’euro, une bonne nouvelle pour la Russie ?

Source : Le Courrier de Russie 11 juin 2010 par Comité Valmy

 

Aujourd’hui directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales où il dirige le Centre d’Études des Modes d’Industrialisation (CEMI-EHESS), Jacques Sapir est un économiste de renommée mondiale. Il est intervenu à ce titre à de nombreuses reprises sur la question de l’avenir de la zone euro et de l’union monétaire européenne et s’est attaché à mettre au jour les causes profondes de l’impuissance des gouvernements européens à gérer efficacement une crise « grecque » qu’on a supposée à tort locale. Mais il est avant tout un spécialiste reconnu depuis plus de 20 ans de l’économie russe, qu’il s’agisse de celle de l’URSS ou de celle de la transition à l’économie de marché. Il a enseigné en Russie à la Haute Ecole d’Economie de 1993 à 2000, et enseigne aujourd’hui à l’Ecole d’Economie de Moscou. Il a été l’un des rares à prédire le krach de 1998, ce qui lui a notamment valu d’être appelé à intervenir en tant qu’expert auprès de la Banque centrale de Russie, dans le cadre d’un Groupe de travail sur la sécurité financière.

Bref, nul ne paraissait mieux placé que lui pour répondre à une question qui ne semble pas empêcher outre mesure les économistes russes de dormir : en quoi la Russie est-elle concernée concrètement par la crise européenne ?


Le Courrier de Russie : Pouvez-vous revenir en quelques mots sur l’analyse que vous faites de la crise qui touche actuellement la zone euro ?

Jacques Sapir : La crise actuelle de la zone euro a deux dimensions. Elle est conjoncturelle, avec la crise de la dette en Grèce, en Italie et en Belgique, ainsi que les inquiétudes qui existent sur la rapidité de la croissance de la dette en Espagne et au Portugal. Mais elle est aussi structurelle, avec la divergence entre les principales économies de la zone depuis 2000-2002.

Le choix d’un euro « monnaie unique » en lieu et place des monnaies nationales, et non simplement monnaie commune, a rendu sensible l’existence de fortes disparités entre les dynamiques économiques des pays membres de la zone euro, et en particulier entre les niveaux d’inflation nécessaires à la croissance. Cet effet n’a pas été compensé, comme aux Etats-Unis, par un important budget fédéral capable d’assurer des transferts et des investissements dans les Etats qui en ont le plus besoin. On voit bien ici que faire la monnaie unique sans se doter d’un budget comparable a été une erreur grave, et sans doute mortelle.

La monnaie unique a freiné la croissance dans certains cas, obligeant alors à des politiques macroéconomiques et budgétaires expansives. Le résultat a été pour certains pays une dérive de l’endettement public, à hauteur de 126% du PIB dans le cas de la Grèce, et pour d’autres un endettement privé excessif. La crise financière a obligé ces États à transférer la dette privée vers la dette publique. La situation a été aggravée par l’attitude rigide de la Banque centrale européenne. La surévaluation de l’euro de 2003 au début 2010, avec un cours largement au-dessus de 1,30 dollar, n’a pas arrangé les choses non plus.

La crise de la dette publique découle donc de la crise structurelle. Mais, dans la mesure où une partie de la dette a été vendue sur les marchés financiers, cette crise conjoncturelle prend aujourd’hui une dimension autonome.

LCDR : Que peut-on attendre du plan de sauvetage arrêté début mai par les ministres des Finances européens ?

J. S. : Le plan de soutien décidé le dimanche 9 mai est très imparfait. Tout d’abord, en dépit des sommes engagées, il reste en deçà des besoins. Le coût minimum du rétablissement des finances de la Grèce, d’après les estimations actuelles, est de 910 milliards d’Euros, et il est certain qu’il sera dépassé. Il subsiste donc un trou d’au moins 160 milliards. Le doute quant à l’efficacité de ce plan se double d’un doute sur sa réalisation. Ici sont en cause à la fois les mesures d’austérité prévues par le plan et le conflit entre les pays qui en sont à l’origine, France et Allemagne principalement. Angela Merkel exige des mesures d’austérité qui sont insupportables et Axel Weber, le président de la Bundesbank, conteste désormais publiquement la seule mesure intelligente de ce plan : l’autorisation donnée à la Banque centrale européenne de racheter la dette publique sur le marché secondaire auprès des banques détentrices de titres. Les marchés financiers ne « croient » plus en ce plan, et malheureusement, ils ont raison. Par ailleurs, il ne règle rien des désordres structurels de l’euro et, ceci aussi, les marchés le savent.

LCDR : Quels vont être les effets de cette nouvelle crise systémique sur la Russie, et quelles mesures le gouvernement russe devrait-il prendre ?

J. S. : Les effets de cette crise sur la Russie seront de deux ordres. D’une part, la baisse de l’euro, qui se poursuivra dans le second semestre, va favoriser les importations en Russie, ce qui est une mauvaise nouvelle pour l’industrie russe. D’autre part, cette baisse aura un effet bénéfique sur les quelques entreprises qui se sont endettées en euros.

Plus généralement, il est clair aujourd’hui que la zone euro sera en stagnation, et probablement en récession si les plans de rigueur sont appliqués. Il est donc urgent pour la Russie de développer son marché intérieur, quitte à en accroître la protection, pour compenser une demande européenne stagnante pour les métaux, et d’accélérer le basculement de ses exportations énergétiques vers la zone Asie-Pacifique pour se donner de nouveaux débouchés, en particulier pour le gaz.

LCDR : Plus précisément, quelles sont les conséquences de la chute de l’euro sur le rouble, et partant sur l’économie russe dans son ensemble ?

J. S. : Cette crise pose de manière particulièrement aiguë pour la Russie la question de son taux de change. Or celui-ci reste la variable clef de l’économie russe, et sur deux plans : il détermine à la fois la compétitivité des producteurs sur le marché intérieur et l’ampleur de la charge des remboursements en principal et intérêts pour les entreprises qui se sont endettées en devises étrangères.

Le rouble a connu, depuis la crise et la dévaluation brutale de 1998, une tendance à la réévaluation. Celle-ci n’a affecté le taux de change nominal qu’à partir de 2006. Mais elle a affecté dès 1998 le taux de change réel, dont le calcul prend en compte la différence entre les taux d’inflation respectifs de la Russie et des pays tiers. Si l’on prend en outre en considération les différences entre les gains de productivité respectifs de la Russie et de ces pays dans le secteur manufacturier, on s’aperçoit qu’il résulte de cette tendance que le coût salarial unitaire, qui mesure le rapport du coût du travail à la productivité, s’est rapidement accru à partir de 2006 en Russie. Autrement dit, la compétitivité des producteurs installés en Russie, qu’ils soient russes ou étrangers, s’est détériorée.

La hausse du rouble est due à l’excédent commercial lié aux matières premières, mais aussi à l’entrée des capitaux spéculatifs à partir de l’été 2007. La déclaration malencontreuse de février 2008 du ministre des Finances Koudrin, selon qui la Russie était un « havre de stabilité », a aggravé les choses. Puis la Banque centrale de Russie a annoncé son ralliement à une politique centrée sur le lien entre le taux d’intérêt et le taux d’inflation, ce qui impliquait qu’elle laisse flotter complètement le taux de change. Or, l’endettement des entreprises et des banques russes à l’étranger avait littéralement explosé, passant de 310 milliards de dollars au 31 décembre 2006 à 540 au 30 septembre 2008. D’une part, les taux sur les emprunts en devises étaient plus faibles que sur les emprunts en roubles et de l’autre, comme le rouble se réévaluait en termes nominaux, la charge des remboursements baissait. On a donc eu une contradiction entre les besoins des entreprises sur le marché intérieur, qui impliquent un taux de change bas, et les modalités de financement de certaines entreprises russes, essentiellement les producteurs de matières premières, qui ont intérêt à une réévaluation du taux de change.

LCDR : Vous dites que la baisse du cours du rouble entraînée par la fuite des capitaux survenue sous l’effet de la crise de 2008 a été bénéfique pour l’économie russe, tout en mettant en difficulté les entreprises endettées en devises. Aujourd’hui, les capitaux spéculatifs se portent sur le marché des CDS (credit default swap), en lien avec la dette grecque, mais la tendance s’est inversée. Comment la Russie doit-elle s’y prendre pour maîtriser cette hausse relative du cours du rouble induite par la crise de l’euro ?

J. S. : Avec le début de la crise des liquidités internationales, les capitaux à court terme se sont retirés de Russie. Ceci a provoqué une chute du rouble, qui a compromis la capacité des entreprises endettées à rembourser. La Banque centrale a dû intervenir en augmentant brutalement son taux directeur. L’efficacité a été faible, mais en revanche cela à provoqué un « credit crunch » en Russie. Les taux d’intérêt pour les entreprises et les ménages ont brutalement augmenté, et fortement. L’impact sur la consommation intérieure a été dramatique.

La réticence de la Banque centrale de Russie à recourir au contrôle sur les capitaux à court terme est incompréhensible. Le FMI reconnaît depuis 2008 la légitimité de telles mesures. Le caractère déstabilisant des flux de capitaux à court terme a été démontré, alors que l’on sait aujourd’hui que leur impact sur la croissance économique est nul. La décision de n’utiliser que l’arme des taux d’intérêt a été une grave erreur, qui est responsable d’au moins la moitié de l’impact de la crise en Russie.

Il est urgent que la Banque centrale révise sa position. Le contrôle des capitaux est nécessaire pour empêcher les capitaux spéculatifs d’entrer, mais aussi de ressortir brutalement. Au-delà, il est plus que temps qu’elle se préoccupe du système bancaire. La dépendance des grandes entreprises russes par rapport aux marchés internationaux est anormale. Il est nécessaire de réinjecter une partie des excédents de la balance commerciale dans l’économie, sous la forme d’investissements directs ou indirects.

LCDR : La crise de l’euro redonne un avenir aux rêves de multipolarité monétaire portés depuis la fi n 2008 par la Chine et la Russie. Vous expliquez qu’il faudra désormais coopérer avec ces deux pays, et prendre au sérieux les propositions de réforme du système monétaire international qu’ils ont avancées. Par où la Russie doit-elle commencer ?

J.S. : Aujourd’hui, le gouvernement russe continue de vouloir faire du rouble une monnaie de réserve régionale. Dans sa forme d’origine, qui implique la transformation de la place de Moscou en un grand centre financier, ce projet n’est absolument pas réaliste. Mais la crise de la zone euro et les tensions persistantes sur le dollar peuvent favoriser un système régional de stabilité. Ceci n’est d’ailleurs pas contradictoire avec une politique de contrôle des capitaux, qui n’implique que des accords entre Banques centrales.

La solution consisterait en des accords de prêts « swap » croisés, de Banque centrale à Banque centrale, entre la Russie et les pays qui seraient prêts à entrer dans ce système pour garantir la valeur de leurs monnaies respectives. Ces prêts auraient pour effet de stabiliser cette valeur autour de celle du rouble et garantiraient que ce soit l’ensemble du système qui fluctue par rapport au dollar, au yen ou à l’euro, mais non pas chaque monnaie prise individuellement. On peut envisager aujourd’hui la participation de l’Ukraine et des pays d’Asie Centrale. Il faut noter que le contrôle sur les capitaux à court terme aurait avantage à être étendu sur la zone pour se prémunir contre des attaques spéculatives. Ceci me semble la plus sage mesure pour créer un embryon de zone monétaire autour de la Russie sans tomber dans les erreurs de la zone euro.

À terme, cette zone de stabilité monétaire pourrait se combiner avec un recours aux DTS [droits de tirage spéciaux, ndlr] comme unité de réserve. Ceci aurait l’avantage de réduire la part du dollar ou de l’euro dans les réserves de la Banque centrale. L’initiative chinoise visant à ressusciter une innovation portée à l’origine par Keynes, le BANCOR, soit une monnaie synthétique fondée sur les capacités de production de biens manufacturés et de matières premières des différents pays partie prenante, présente aussi un intérêt évident de ce point de vue.

LCDR : Depuis l’éclatement de la crise grecque, certains imaginent un scénario qui verrait la Grèce sortir de la zone euro, puis de l’Union européenne, pour rejoindre la zone d’influence russe. Qu’en pensez-vous ?

J.S. : Les conditions qui ont été mises au sauvetage de la Grèce risquent de rendre la réalisation du plan européen impossible. Si la Grèce devait sortir de la zone euro, cela fournirait une occasion à la Russie de se déployer dans le sud de l’Europe. Une fois sortie, en effet, la Grèce fera immanquablement défaut et les sommes supplémentaires à débourser pour son sauvetage seront faibles, de 20 à 30 milliards de dollars. Mais l’Europe ne consentira plus à l’aider. La Russie pourrait alors tirer profit de cette situation paradoxale.

Propos recueillis par Simon Roblin

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