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20 avril 2010 2 20 /04 /avril /2010 03:21
carte postale de Lionel Bascoulard

Lionel BASCOULARD
L'insondable

 

Sur cARTed Network

 

Écologie sociale et économique : demain est déjà aujourd'hui

 

http://goudouly.over-blog.com/article--ecologie-sociale-et-economique-demain-est-deja-aujourd-hui-48518013.html

 

Par Dominique Mourlane

 

Nous vivons un monde complexe, sinon complexifié, où le pôle économique a si bien su capter les moyens démocratiques que nous avons l'illusion de ne plus pouvoir rien faire sans risquer la catastrophe.


Les dernières péripéties en termes d'écologie et d'économie en sont de parfaits exemples.


De la complexité d'une chose, on peut aussi tirer des choses simples, ou encore envisager que plus une chose est complexe moins elle existe.


Les trois grands pôles de réflexions concernant notre avenir à travers le trépied « écologie, social, économie » sont l'énergie, la nourriture et les brevets.


D'aucun diront que c'est partiel, voire partial, mais on pourra se rendre compte que cela recoupe énormément de choses, voire que le monde économique nous enferme dans ce triptyque.


Pour cela il faut dans un premier temps démystifier les questions de climat et donner une réalité appuyée scientifiquement et éprouvée.


Le climat


Dans la crise écologique qui est la notre (pollution chimique, dégradation des conditions de vie, baisse de la qualité de l'alimentation, appauvrissement des ressources, pollution de l'air et de l'eau, dérèglement climatique, etc. ), la question du climat est devenue centrale ces dernières années car elle incarne de manière emblématique le danger de dégradation des conditions de vie sur la totalité du globe et le fait que la crise écologique ne connaisse aucune frontière ! La problématique écologique du climat est devenue centrale, tant et si bien qu'elle en est devenue une affaire d'États et que des camps opposés se sont constitués.


Plutôt que de faire un état des lieux de ces oppositions, il convient de faire un bilan de ce qui est vrai ou faux.


La température de la planète


Compte tenu de la difficulté d'obtenir des données fiables avant 1950, tout le travail de la recherche s'est concentré sur des moyennes d'observations fiables permettant de remonter suffisamment dans le temps.

Cet énorme travail a permis de collecter un nombre représentatif de données qui peuvent affirmer à ce jour qu'aucune température en moyenne n'a jamais été relevé au cours du dernier millénaire comme étant plus chaude que la période que nous traversons (même la période entre 800 et 1300 « optimum médiéval » était moins chaude).

En un siècle et demi la planète a augmenté de 0,8°C avec une accélération depuis 50 ans.

 

http://www.manicore.com/documentation/serre/commence_graph1.gif

Évolution des températures moyennes de l'air au niveau du sol depuis 1850, et tendances. L'axe vertical de gauche représente l'écart à la moyenne pour la température planétaire durant la période 1961-1990 (il s'agit en fait d'une double moyenne, géographique sur la totalité de la surface planétaire, et temporelle, sur 30 ans), et l'axe de droite représente la valeur absolue de la température planétaire (qui est donc de 14,5 °C environ actuellement).

Les points noirs donnent les valeurs annuelles (ou plus exactement la meilleure estimation de la valeur annuelle), ce qui signifie par exemple que l'année 1860 a probablement été plus froide d'environ 0,35 °C que la moyenne 1961-1990, cet écart valant 0,55 °C pour 1861, etc.

La courbe bleue au centre donne la moyenne glissante de ces valeurs sur 10 ans, afin de visualiser plus facilement l'évolution, et la zone grisée qui entoure cette courbe donne la barre d'erreur (intervalle de confiance à 95%).

Enfin les droites de couleur donnent la tendance - linéaire - sur les durées indiquées, avec l'augmentation moyenne par décennie qui figure dans la légende. On notera que cette augmentation moyenne par décennie accélère nettement avec le temps.

La baisse et la hausse très modérée qui ont suivi 1945 sont peut-être dues à la pollution locale intense - cette dernière est un facteur de refroidissement - qui a pris place pendant les "Trente Glorieuses", période d'intense activité industrielle.

Sur : http://www.manicore.com/documentation/serre/commence.html


La fonte des glaces


L'avancée ou le retrait des glaces est un indicateur des plus concret, lié au point précédent, à savoir la température de la planète.

Pour cela les scientifiques ont deux siècles de données pour étudier les mesures faites en ce qui concerne la montagne avec un recul de 50 mètres par décennie pour les glaciers depuis 150 ans et une accélération de l'ordre de 30% depuis les années 90

Une trentaine d'années pour la glace des banquises et des calottes polaires d'études est disponible avec l'avènement de l'ère satellitaire, qui malgré tout a révélé en trois décennies une perte de 7,4 % entre 1980 et 2006 avec une réévaluation à 11 % en 2009, avec une épaisseur de plus en plus fine (3,64 m en 1980, à 1,89 m en 2008 en moyenne).

Le suivi des calottes glacières du Groenland et de l'Antarctique bien que plus difficiles à maitriser donnent des estimations de fonte de l'ordre de 30 % au Groenland et des pertes de plus en plus nombreuses de glaces en Antarctique à priori sans diminution de la masse compte tenu du froid.

 

Évolution de la surface de la banquise de fin d'été (en million de km2) entre 1979 et 2007

La tendance globale (flèche bleu et rouge) montre une diminution moyenne de 1.500.000 km2 (3 fois la surface de la France) en 30 ans.

Sur : The Cryosphere Today (University of Illinois)

 

Le vivant


Les changements en ce qui concerne le vivant sont incontestables et les exemples disparates, avec des études avant tout récoltées sur le continent européen.

Des espèces apparaissent dans des lieux où elles étaient inconnues, comme d'autres disparaissent. Cela peut être due à l'action de l'homme, mais il apparaît aussi des adaptations ou des défauts d'adaptation liés au changement de climat. Dans les différentes études apportées le réchauffement du climat rentre à 90% dans les mouvements des espèces.

Les dates de germination, de floraison ou d'éclosion sont de plus en plus précoces avec des modifications dans les périodes de vendanges, récoltes ou moissons.

phenologique

Évolution des dates de floraison du poirier Williams sur 3 sites : Bergerac, Angers, Saint-Epain (Tours). Sources : J.M. Bore, INRA Angers ; C. Lavoisier, la Morinière ; M. Peschescot, domaine de Castang.

Sur http://www.meteo-bordeaux.fr/rech/rcf/pheno1.jpg

 

 

Les événements météorologiques


La difficulté de tirer des tendances statistiques d'événements ponctuels et restreint rend l'étude peu significative. Toutefois quelques tendances apparaissent, avec l'accroissement des périodes caniculaires, l'intensification du cycle hydrologique, pas de mouvements significatif sur les tempêtes de haute latitude alors que l'on peut noter les tempêtes tropicales et les cyclones avec un nombre en stagnation, mais une intensification et une durée plus longue.

Ce qui est sûr en ce qui concerne ces évènements extrêmes : le nombre de victimes augmente régulièrement depuis un siècle. L'augmentation de la population est une partie de l'explication, mais le nombre de victimes de catastrophes météorologique croit plus vite que celui des catastrophes géophysiques, ce qui accrédite la thèse du changement climatique.

 

L'évolution du AMO (L'Oscillation Multidécennale de l'Atlantique) sur une moyenne mobile de 10 ans reconstituée à partir de cernes d'arbres d'Amérique du Nord de l'Est, de l'Europe de l'Ouest, et de Scandinavie de 1572 à 1980 suivant les données de la NOAA puis est mis à jours chaque années suivant les autres données de la NOAA de ci-dessus.

Sur http://la.climatologie.free.fr/amo/amo-cyclone.gif



Le niveau des mers


Il faut rapprocher ce chapitre de l'élévation des températures et de la fonte des glaces qui induisent une augmentation du niveau des mers.

Toutefois nous nous trouvons dans une période interglaciaire qui fait dire à quelques scientifiques que la poursuite de la production industrielle sera compensée par cette période naturelle de refroidissement.

Pour cela tous les artifices sont utilisés.

La mesure du niveau des eaux est un paramètre que les scientifiques savent le mieux traduire en données, avec des relevés pouvant aller jusqu'à moins 18 000 ans au regard de notre période.

L'élévation limitée des eaux depuis – 6 000 ans (de 0,1 à 0,2 mm) est passée depuis la fin du XIXème siècle à presque 1 mm par an, avant d'afficher une moyenne supérieure à 3,3 mm par an courant XXème siècle.

 

 

 

Évolution temporelle du niveau de la mer dans le passé, dans le présent et projection dans le futur.

© Source IPCC, 2007

http://www.insu.cnrs.fr/ib2600,volution-temporelle-niveau-mer-passe-present-projection-futur.jpg


La part de l'homme


La corrélation entre l'augmentation du taux de CO2 et l'ère industrielle et la politique de la consommation est devenue d'une telle évidence que peu de monde conteste ce point aujourd'hui, même si l'activité du soleil peut aussi être mis en avant pour fournir quelques explications.

 

Évolution de la concentration du CO2 atmosphérique depuis 10 000 ans et depuis 1750

Évolution de la concentration atmosphérique moyenne du dioxyde de carbone depuis 10 000 ans. Les mesures proviennent des analyses des carottes de glace (points colorés, chaque couleur correspondant à une étude) ou de prélèvements d'air atmosphérique (ligne rouge).

© IPCC, février 2007

http://www.ipsl.fr/var/plain_site/storage/images/mediatheque/images/dossier-scientifique/cycle-du-carbone/evolution-du-co2-atmospherique-recente/14172-1-fre-FR/Evolution-du-CO2-atmospherique-recente.gif

 

 

Forts de ces quelques constations, que d'autres éléments scientifiques peuvent renforcer encore dans le sens d'un réchauffement climatique, et cela en raison des choix opérés en ce qui concerne l'activité humaine, il faut maintenant voir les conséquences que cela a sur notre quotidien


Comme indiqué en introduction nous allons nous attarder sur l'énergie, la nourriture et les brevets, pour comprendre pourquoi dans le schéma industriel actuel, ces trois éléments sont primordiaux pour comprendre l'avenir et la volonté du monde de la finance de contrôler notre quotidien afin de nous soumettre.


Cela a bien sûr des conséquences (ou bien en est la cause, suivant les points de vue), sur la division du travail, sur la concentration du pouvoir et son organisation, sur les outils financiers mis en place, sur la captation de la démocratie.


Il apparaitra alors que de contrôler l'énergie et le vivant peut radicalement changer la vie au quotidien.



L'énergie

Le siècle dernier a fait de l'énergie une valeur incontournable.


L'énergie est le secteur d'activité qui a attiré le plus de moyens financiers durant le XXème siècle et qui a induit beaucoup des directives imposées directement sur notre quotidien.


Par exemple le choix des transports individuels en lieu et place des transports collectifs à la sortie de la seconde guerre mondiale ressort de cette main mise sur le pétrole en particulier.

Les choix énergétique de tel ou tel pays sont des choix hautement stratégiques, ayant des orientations économiques toujours importantes.


La crise écologique que nous vivons demande la réflexion sur l'ensemble des ressources énergétiques en notre connaissance, en commençant par la source d'énergie la moins couteuse : l'économie d'énergie.

Il paraît important de commencer par ce point là en ce qui concerne en particulier les pays du Nord, où la consommation est exponentielle.

Par ailleurs une juste répartition des richesses devrait permettre de transférer cette économie vers les pays du Sud pour permettre leur développement.


Une fois cette opération menée à grande échelle, en revoyant nos modes de consommations, de productions, d'habitat, de déplacements, de travail, etc...nous nous rendrons compte que nous reprendrons alors notre démocratie en charge et que le niveau de consommation d'énergie sera bien moindre. Si nous considérons en France les émissions de CO2 émis par le tertiaire elles ne représentent que 23,3 % du total annuel. Dans ce schéma là on se rend compte que la socialisation des forces de productions dans une optique de localisation, de contrôle démocratique et de satisfaction des besoins premiers (en évacuant le superflue) ferait déjà diminuer de manière importante les consommations d'énergie.


Si, car il faut toujours des si, cette orientation devait se prendre, les concentrations financières se dilueraient et permettraient une meilleure répartition des richesses.


Elles permettraient ainsi une réflexion aboutie sur l'ensemble des sources d'énergies pour une sécurité maximale, une pollution moindre et une utilisation frugale.


Dans ce cadre là la division du travail serait reconsidérée, la répartition de ce travail serait revalorisée, la circulation de l'information serait libre et le social reviendrait un enjeu majeur.


L'économie en serait entièrement modifiée, réorientée vers l'humain.


Et le consumérisme, n'aurait plus de raison d'exister.


La nourriture

Le XXIème siècle donnera au vivant une valeur incontournable.


De la même manière que l'énergie a été prépondérante (et le reste) au XXème siècle, le vivant est déjà l'enjeu majeur du XXIème siècle.

Pour cela il est primordial pour les grandes compagnies financières de détenir l'eau, l'air et la nourriture.

Ces trois éléments en plus de l'énergie et des orientations de consommations données, permettra un contrôle des populations total.


Pour l'eau les compagnies françaises sont à la pointe de la manipulation pour mettre en place les moyens de sa mise en œuvre et de la redevance attachée.


Pour l'air, les échecs successifs des discussions sur le carbone, et des réserves de puits à carbone en cours de constructions, donneront dans un avenir proche, si on n'y prends pas garde, à des États, sinon à des compagnies, le poids suffisant pour que des redevances soient enfin réclamées pour le droit de respirer. La bourse au carbone n'est qu'une étape qui permet d'habituer les consciences sur le fait que l'air est un produit marchand, tout en permettant quelques bénéfices au passage.


Le vivant, la nourriture, est aussi une étape bien engagée à travers des technologies tel les hybrides, les OGM, la répartition des productions par les avantages comparatifs, par la politique agricole commune, par la concentration des terres et des moyens de productions.

Et pourtant l'agriculture est le lieu le plus pourvoyeur de main d'œuvre et de travail à travers le monde. Bien qu'il faille incontestablement améliorer les conditions de travail des agriculteurs en particulier au Sud, la relocalisation des productions agricoles viendra contrecarrer les appétits marchands développés au niveau global...et ce toujours en reconsidérant la démocratie.

Le local, c'est la démocratie, le global, c'est la finance.


Reprendre la main sur nos productions locales tout en fournissant, par la maitrise du foncier, une main d'œuvre locale en possession des outils de productions satisfera bien plus les besoins alimentaires d'une population en croissance forte sur la Terre, plutôt que de croire dans des lunes technologiques concentrées en quelques mains.



Les brevets

Le brevet donne aux valeurs incontournables une valeur marchande qui exclue des biens communs de l'humanité.


Le brevet est l'outil utilisé par le monde de l'énergie et du vivant pour soustraire à la connaissance universelle la circulation de l'information, pour accaparer les connaissances et pour faire des bénéfices dessus.

Le brevet est un outil égoïste.


Dans ces conditions tous les moyens sont utiles, la brevetabilité du vivant, par des séquençages courts ou longs, la brevetabilité des techniques, pour accaparer les moyens d'extraction ou de production, la brevetabilité des moyens de transmission, sinon l'interdiction à l'accès des moyens d'appropriations individuels et universels.


Toutes les études scientifiques (peu nombreuses) qui ont porté sur le sujet, ont démontré que le brevet depuis sa généralisation courant XXème et début XXIème siècle a appauvri les débouchés de la recherche scientifique.

De la même manière et de manière corolaire la confusion opérée entre recherche fondamentale et recherche appliquée, dans un soucis de rentabilité immédiate ne permet plus à ce jour d'avoir des résultats qui soient dans une optique d'avantage social.


L'opacité opérée sur la recherche, organisée à travers les brevets, tend à rendre distant tous les sujets qui touchent notre quotidien.


Le brevet a permis indirectement un détournement de la démocratie, en donnant à certains experts la prépondérance sur les autres en se mettant au service du pouvoir, chose que le secteur financier a su utiliser a son profit en menant d'une part des actions de lobbying du côté des pouvoirs et en finançant les laboratoires sujets à influencer le pouvoir.

La fin du service public est passé par là aussi.

Le tort des responsables politiques dans ce schéma est d'avoir abandonné aux experts et scientifiques la part de responsabilité qui leur revient du fait du suffrage universel et qui leur confère des responsabilités qu'ils transfèrent à l'expertise.


Le brevet est un véritable outil qui envahi tous les domaines de notre existence pour nous rendre captatif financièrement de toutes nos décisions ou actes du quotidien.


L'échange des connaissances doit être libre et une possession de tout le monde, l'application des connaissances est un autre domaine rattaché à l'économie qui peut être redéfini suivant l'utilité sociale.

Cela demande une réappropriation de la démocratie.


 

Et le reste ? ....


Les causes ou les conséquences ?

Le reste est un "nouveau moi, axé sur le court terme, focalisé sur le potentiel, abandonnant l'expérience passée" comme l'a défini le sociologue américain Richard Sennet. Le néolibéralisme, le libéralisme, le capitalisme, quelque soit le nom qu'on lui donne et suivant les circonstances, nous raconte des fables et construit des chimères auxquelles il nous invite de croire pour une uniformisation des individus plus facile à circonvenir et à gaver de produits standardisés en production contrôlée avec pour seul objectif l'accumulation financière.


En fait peu importe les causes ou les conséquences puisque le but est désigné : faire de l'argent et que peu importe le chemin.


Une certitude se détache clairement : le système capitaliste compromet notre avenir.


Le dire ne doit pas être une simple incantation, c'est aussi rechercher les moyens de formation et d'action qui permettront à l'humain de se dégager des carcans mis en place par le capital pour assurer son avenir. L'émancipation de l'humain est un chemin qui doit pouvoir passer par une prise de contrôle de l'énergie et des moyens de subsistances afin d'en faire des biens communs de l'humanité.


Dominique Mourlane

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19 avril 2010 1 19 /04 /avril /2010 03:02
carte postale de Christian Paraschiv

CHRISTIAN PARASCHIV
TRANSPARENT CORPS 2008 / 29X17X9CM
OBJET UNIQUE / INFOGRAPHIE RÉSINE PEAU RÉALISÉE À PARTIR DES CELULES PRÉLEVÉE SUR L'ARTISTE BOÎTE PLASTIQUE

  TRANS             PARENT
CORPS

 

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Sculpture Amicale - Friendly Sculpture
cARTed Series n.249 - octobre 2009 - Esquay-sur-Seulles

 

La crise grecque : Première « bataille » d'une « guerre » pour l'Europe

 

http://goudouly.over-blog.com/article-la-crise-grecque-premiere-bataille-d-une-guerre-pour-l-europe-48517787.html

 

Par Dimitris Konstantakopoulos   

konstantakopoulosd@yahoo.gr Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir - konstantakopoulos.blogspot.com

 

sur Utopie Critique

 

« Nous ne mourrons pas pour Dantzig », disaient les Français il y a soixante-dix ans. « Nous ne paierons pas pour les Grecs », disent aujourd’hui les Allemands. Et si, entre temps, la force de l’argent a remplacé, en Europe, celle des armes, cela ne l’a pas rendue moins mortelle (ni même, en fin de compte, moins autodestructive).

L’attaque dont la Grèce fait l’objet de la part de forces « géo- économiques » puissantes, à savoir celles du capital financier totalement libéré de tout contrôle, d’un Empire de l’Argent en gestation, a une importance énorme au niveau mondial qui dépasse de loin la dimension de ce petit pays. C’est la première d’une série de batailles, qui vont déterminer l’avenir des États et des pays européens, celui de l’idée d’une Europe unie, indépendante, sociale, celle de notre démocratie et de notre civilisation.

La question à laquelle on essaie de répondre, en Grèce, est de savoir qui va payer la dette cumulée de l’économie mondiale, y compris celle due au sauvetage des grandes banques, en 2008. Est- ce que ce sera la population des pays développés, au prix de la suppression des droits sociaux et démocratiques acquis durant trois siècles de lutte, autrement dit, de la civilisation européenne ? Ou bien les pays tiers ? Va-t-on la payer par la destruction de l’environnement ? Les banques vont-elles l’emporter sur les États, ou bien ces derniers l’emporteront-ils sur les banques ?

L’Europe pourra-t-elle dominer de nouveau le monstre que constitue le capital financier totalement deregle, en rétablissant une réglementation des flux de capitaux, dans le cadre d’un protectionnisme raisonnable et d’ une politique de croissance, en contribuant à la construction d’un monde multipolaire, donnant ainsi un exemple d’ordre mondial ? Ou bien va-t-elle périr dans des conflits internes sans merci, en consolidant le rôle dominant, quoique vacillant aujourd’hui, des USA et demain peut-être, celui d’autres puissances, voire même de totalitarismes, au niveau mondial ou regional ?


La crise grecque


Les gouvernements européens et leur Union, qui ont dépensé des sommes colossales pour le sauvetage des banques, imposent à la Grèce de prendre de mesures qui constituent la plus grande régression dans l’histoire du pays, exceptée la période de l’ occupation allemande de 1941-1944, tout en la poussant dans la plus importante récession qu’elle ait connue depuis des décennies, la privant de toute perspective de croissance pendant un temps indéterminé. Ce qui, d’ailleurs, risque de rendre impossible le remboursement de sa dette, c’est-à-dire risque de faire de la Grèce une Lehman Brothers dans la nouvelle phase de la crise mondiale commencée en 2008.

Nous sommes arrivés à un point où la Banque Centrale Européenne prête aux banques à un taux de 1%, afin que celles-ci prêtent à l’État grec au taux de 6% ou 7%. Au meme temps, les gouvernements europeens refusent de consentir à l’édition des euro-obligations par ex., pouvant servir à la normalisation des taux payes par l’ Etat grec.


L’Allemagne contre l’Europe


Il y a vingt ans, l’Allemagne, nouvellement réunifiée, atteignant sa pleine « majorité stratégique », « acheva », par sa première action, la Yugoslavie multinationale et fédérale, en imposant à ses partenaires la reconnaissance des différentes Républiques. Le résultat en a été tout d’abord une série de guerres qui ont semé la ruine et la mort dans les Balkans, sans résoudre pour autant aucun de leurs problèmes, puis la mort dans l’œuf de la politique étrangère et de défense de l’UE et, enfin, le retour solennel des USA dans leur rôle de maître absolu du Sud-est européen.

Tout cela pourtant fera figure de simple délit, devant ce qui risque de se passer maintnenant, comme conséquence de la courte vue de Berlin et de la manière dogmatique, extrêmement égoïste dont elle défend les règles de Maastricht, disposée, semble-t-il, à sacrifier un ou plusieurs de ses partenaires, appartenant même au « noyau dur » de l’UE, la zone euro, en les faisant plonger dans le désastre économique et social

Aujourd’hui, l’enjeu de la crise « grecque », de la crise « espagnole », « portugaise » ou d’une autre demain, n’est pas seulement la politique européenne commune ni le sort des Balkans. C’est bien l’idée même de l’Europe unie qui risque de mourir, et sa monnaie commune avec elle, comme l’ont déjà noté les hommes politiques et les analystes économiques les plus pénétrants en Europe et au niveau international. Si en 1990-91, la politique allemande avait établi le… rôle des USA en Europe du Sud-est, la politique allemande actuelle conduit à la consolidation de leur rôle hégémonique aujourd’hui ébranlé dans les affaires européennes, sinon mondiales. Tout en privant l’Europe de la possibilité de jouer, en s’appuyant sur ses idées et sa civilisation, un rôle d’avant-garde dans la refonte si necessaire du système mondial.

Des erreurs historiques si colossales ne sont pas sans précédent dans l’histoire allemande : aujourd’hui, Berlin surestime sa puissance économique, comme il avait surestimé sa puissance militaire dans les années 1910 et 1930, contribuant ainsi à la destruction de l’Europe et de l’Allemagne elle-même, lors des deux Guerres Mondiales.

L’établissement de la monnaie unique et le mode de fonctionnement de l’UE, ont profité surtout à l’Allemagne qui refuse pourtant d’ « ouvrir sa bourse » à ses partenaires en difficulté. Elle ne défend pas l’Europe ni à l’extérieur, contre les attaques des banques internationales dominées par les Anglo-américains ni contre celles du capital financier, nommés par euphémisme « les marchés ». Elle ne la défend pas non plus à l’intérieur, non seulement parce qu’elle refuse d’assister un soi-disant partenaire, en l’occurrence la Grèce, mais aussi en l’insultant, par une campagne sadique et raciste des media allemands, au moment où elle affronte des difficultés vitales !


L’Allemagne et le Maastricht


L’Allemagne a raison lorsqu’elle soutient que, en agissant de la sorte, elle défend les règles de Maastricht, qui interdisent toute sorte de solidarité et d’entraide entre les membres de l’UE et imposent, jusqu’à la fin des temps, une politique monétaire qui n’existe nulle part ailleurs au monde. Ces règles correspondent aux intérêts allemands, du moins tels que les conçoivent les milieux dominants de Berlin, et, surtout, à ceux des banques et plus généralement des grands détenteurs du capital financier. C’ est leurs profits que garantissent les règles de Maastricht, en association avec le régime de libéralisation totale des échanges de capitaux et de marchandises, qui interdisent explicitement ou implicitement aux Européens d’exercer une politique inflationniste, keynésienne, anticyclique, quand il le faut, mais aussi de se défendre contre l’antagonisme économique extérieur, de la part des USA ou de la Chine.

En soutenant cependant, à juste titre, que sa politique actuelle est dictée par le traité de Maastricht, qui doit être respecté comme l’Évangile, Berlin dévoile, malgré lui, le caractère monstrueux de l’actuel édifice européen. On n’a nullement besoin d’être économiste, le sens commun suffit, pour comprendre qu’ aucune Union d’aucune sorte de personnes, de peuples, d’États, ni de quoi que ce soit, ne peut avoir une vie bien longue, si elle est fondée sur… l’interdiction de solidarité entre ses composantes ! Les peuples de l’Europe n’ont pas consenti à l’idée de l’ unification européenne pour … se ruiner ; ils y ont consenti pour acquérir davantage de sécurité et de prospérité.

En disant à ses partenaires … d’aller se faire voir ailleurs, à la première difficulté, les dirigeants allemands délégitiment eux- mêmes, dans une grande mesure, aussi bien l’idée de l’Europe unie que celle de la monnaie unique, ainsi que leur propre ambition d’ être à la tête de l’Europe. A quoi sert une Union qui a mobilisé tous ses moyens pour sauver les banques qui avaient provoqué la crise de 2008, et qui refuse de sauver un peuple européen menacé par ces mêmes banques renflouées au moyen de l’argent public ? La seule raison pour laquelle les membres de la zone euro, qui sont touchés par la crise, y demeurent encore, est leur crainte des conséquences d’un retrait (et divers intérêts de leurs milieux dirigeants). Mais pour combien de temps encore cette raison sera- t-elle suffisante, surtout dans le cas d’une éventuelle aggravation de la crise économique, qui transformera de vastes zones européennes en une sorte d’Amérique Latine ? De même qu’au XXe siècle, l’Allemagne paiera de nouveau, elle aussi, le prix de son égoïsme, politiquement, en minant son propre rôle et économiquement, en étouffant les acheteurs de ses produits. Mais elle risque de s’en rendre compte quand il sera trop tard pour réparer la situation.


La crise grecque comme crise de l’eurozone


Il est presque évident que la crise grecque n’a pas à voir uniquement ni même essentiellement avec les problèmes intérieurs assez importants du pays, la faiblesse de son etat et son système politique existant, source d’une vaste corruption. Ces problèmes, ainsi que le fait que la Grèce depense des sommes colossales pour se defendre d’une Turquie revisioniste, sont cependant des facteurs qui déterminent la forme, le moment d’apparition de cette crise et la capacité du pays à y faire face. Mais ils n’en constituent pas la cause, comme le prouve la crise en Espagne, au Portugal et ailleurs également. En Grèce, elle peut prendre l’ aspect d’une crise de la dette publique, en Espagne de l’ endettement privé, elle est cependant présente partout. Elle reflète l’incapacité de long terme des pays les plus faibles de l’Union à faire face, d’une part à une politique monétaire modelée sur les intérêts de l’Allemagne et des banques internationales, et d’autre part à la suppression de toute barrière de protection extérieure de la zone euro.

Le fonctionnement « intérieur » de la monnaie unique, faute de mécanismes compensatoires, conduit à un transfert permanant de plus-values du sud de l’Europe vers le nord. Le fonctionnement « extérieur » d’une zone euro qui s’est volontairement interdit toute protection contre la concurrence américaine et chinoise, toute politique industrielle et sociale, toute harmonisation fiscale conduit à la dégradation de la capacité européenne de production dans l’ ensemble de l’Europe, en commençant par les plus faibles. L’industrie grecque par exemple se délocalise de la Grèce du Nord vers les Balkans, les touristes désertent le pays d’une monnaie chère, l’euro, préférant le littoral turc. (4). Le problème va s’aggraver avec la fin, bientôt, des politiques de cohésion. Le problème structurel grec a certes accentué la situation et a amené la Grèce en plein milieu de la crise européenne, mais ce n’est pas lui qui l’a créé.

L’Europe du Sud n’est pas la seule à faire face à ces problèmes. La France, un pays plus central et métropolitain, coeur politique de l’Europe, si l’Allemagne en constitute le coeur industriel, les a également recensés et doit les affronter. Ils sont à l’origine du rejet de la constitution européenne par le peuple français en 2005. Depuis lors, d’importants intellectuels français ont mis en évidence l’impasse vers laquelle se dirige la zone euro. Par exemple Emmanuel Todd, Jacques Sapir, Bernard Cassen et l’ATTAC, Maurice Allais pour ne citer que quelques uns, soulignent qu’il est impossible qu’une Europe productive et sociale puisse survivre sans quelque forme de protectionnisme. L’obstination dans les règles de la zone euro telles qu’elles se présentent actuellement mène au totalitarisme, dit Todd. L’Europe se dirige vers la catastrophe avec le système ultralibéral d’échanges et la suppression de la préférence communautaire par les autorités de Bruxelles.

Jusqu’à présent, les idées de réforme de la zone euro ne pouvaient pas être appliquées, faute de volonté politique. Ce serait une tragédie pour le peuple grec si, a cause, entre autres, de la façon dont le système politique grec et une elite politique en pleine degenerescence gère le pays, il était appelé payer au prix de sa catastrophe l’énergie nécessaire à une réforme de l’euro, qui serait mise en place, si elle l’est un jour, trop tard pour que la Grece puisse en profiter.


Economie et Geopolitique


Pour ce qui est cependant de la dimension géopolitique du problème, les dirigeants allemands ne semblent pas avoir tiré les enseignements de leur propre histoire, c’-est-a-dire se rappeler leur incapacité, durant les décennies qui avaient précédé la Première Guerre Mondiale, d’encaisser les profits attendus de leurs progrès scientifiques et technologiques. Le Capitalisme- casino, engendré par le dérèglement de ces dernières décennies et auquel ils ont consenti de façon intéressée, caractérisée par l’ absence totale de perspicacité stratégique, est un enfant anglo- américain. Aucun joueur, si bon et si fort qu’il soit, ne l’a jamais emporté sur le propriétaire du casino !

On est en droit de se demander si quelque plan stratégique ne se cache derrière la crise déclenchée actuellement non seulement par raport a la dette grecque, mais aussi contre l’euro, au moment même où ce dernier s’apprêtait à devenir une devise mondiale. D’ autant plus que, maintenant nous le savons, Goldman Sachs se trouvait derrière l’attaque contre la Grèce et l’euro.

En se barricadant derrière le traité de Maastricht, dans une Europe-« dictature des banques », les Allemands ont certes profité de leur suprématie économique, mais ont en même temps permis que soit tendu un énorme piège potentiel, qui vient d’être activé, contre l’Europe unie. Il fallait, d’ailleurs, s’attendre à ce que les choses évoluent dans ce sens, quand on voit par exemple l’ architecte de la politique monétaire européenne n’étant autre que l’homme de Goldman Sachs, Otmar Issing. Un, du reste, dans un vaste reseaux d’influence de cette banque en Europe.

On voit donc peut-être aujourd’hui se développer le plan stratégique qui intègre la géopolitique et la géoéconomie dans l’ architecture du traité de Maastricht. La crise était inscrite dans le traité-meme avec deux aboutissements possibles : soit la transformation de l’Europe en une structure totalitaire assujettie, soit sa dissolution en ses composantes, ou en tout cas son maintien dans un état de déchirement dû à ses problèmes internes, qui l’empêche de gagner son autonomie vis-à-vis des USA et d’imposer des règles au capital financier mondial.

La politique de Berlin semble être fondée sur l’espoir de tirer meilleur profit dans le cadre de la mondialisation que s’il revendiquait pour le compte d’une Europe réformée d’être sur un pied d’égalité avec les USA, dans le cadre d’un monde multipolaire aux flux des capitaux et des marchandises règlementés. Justement parce qu’il a sans doute encore le souvenir de ses défaites, quand il avait recherché l’hégémonie europeene et mondiale. Mais, ceci faisant, il semble oublier que la mondialisation est dominée par le secteur financier et du credit, et point par l’industrie qui constitue le point fort de l’Allemagne. Qui risque, en fin de compte, de se retrouver dans la même situation qu’elle avait connue vers la fin du « grand » siècle libéral, à la veille de la Première Guerre Mondiale.

Les dirigeants allemands pensent peut-être qu’un « renvoi » ou un retrait forcé de la Grèce de la zone euro serait une solution qui, d’une part « servirait d’exemple » pour les autres membres de l’ Union et aurait augmenté, d’autre part, l’homogénéité d’un noyau dur européen qui s’est trop « ramolli ». L’idée d’une « Europe de plusieurs vitesses » et de cercles homocentriques, telle que l’ avait formulée Karl Lammers, reste très populaire en Allemagne. Seulement, les cercles risquent finalement de s’avérer hétérocentriques.

Il est évident que pour la Grèce, mais aussi pour d’autres membres de la zone euro, le problème se posera de lui-même et, à ce qui parait, plus tôt et non plus tard qu’on ne l’imagine. Rester dans la zone euro n’a un sens pour la Grèce et pour d’autres pays que si celle-ci est réformée très vite et en profondeur. Mais il n’est pas du tout certain qu’un ou plusieurs retraits aient pour l’ Allemagne les avantages auxquels elle s’attendrait.

En persévérant dans cette politique, Berlin risque de plonger la zone euro et l’UE dans une crise très grave. Il mènera, en même temps, à une défaite stratégique majeure de l’Europe dans l’Est méditerranéen, contribuant ainsi à la réalisation de l’objectif stratégique central des USA dans la région, à savoir la constitution d’une zone d’influence américano-turque depuis la mer Adriatique jusqu’au Caucase et Chypre.

Une telle zone, dans l’optique de « l’occupation du centre » de « l’échiquier stratégique » selon Brzesinski, s’interposerait entre l’Europe et les hydrocarbures du Moyen Orient, entre la Russie et les « mers chaudes ». Elle participerait en plus à l’Union Européenne. Elle serait, en d’autres termes, un des centres d’une Eurasie dominée par les USA, un outil qui servirait à la «paralysie stratégique » de l’Europe et une base de « containement » contre la Russie. On devrait savoir, en Europe, mais il est douteux que l’on veuille le savoir, depuis les fameux rapports de Wolfovitch et de Jeremia qui ont crystallise la strategie post- guerre froide des Etats-Unis, que l’objectif stratégique de Washington est le non avènement de forces antagonistes, et pour y parvenir elle applique des politiques propres à empêcher dès maintenant une telle éventualité, en « programmant » si possible de crises ou en mettant des obstacles à des collaborations et des alliances entre divers pôles du système international. Dans un cas, l’Allemagne l’ a bien compris, quand elle a decide de construire le geazoduc NordStream, la liant directement avec la Russie, mais en general elle continue d’ etre strategiquement aveugle.


Athènes, 20 Mars 2010


Notes

La classe ouvrière allemande suit maintenant ses dirigeants avec une discipline exemplaire, exactement comme elle l’a fait au XXe siècle, en acceptant la baisse de ses revenus en contrepartie d’ une stabilisation du chômage. Il nous faudrait un nouveau Heggel pour décrire comment la discipline, incarnation suprême de la Raison et le plus grand atout de l’Allemagne, semble se transformer en sa plus grande faiblesse. Mais il est assez utopique d’espérer que les acquis des Allemands vont être préservés, dans une Europe qui tourne en ruine sociale. Brecht a très bien décrit ce processus: Au début, tout le monde avait observé passivement ce qui se passait concernant les communistes. Puis on a observe tout aussi passivement ce qui se passait avec les Juifs. Finalement, il n’ y eu personne pour défendre qui que ce soit.

Il nous faudrait peut-être recourir à la psychanalyse pour comprendre le mécanisme suivant lequel un écrasement, tel que celui subi par les Allemands en 1945, semble les empêcher toujours de digérer leur propre histoire, surtout l’histoire des tragédies qu’ils ont subies et infligées. En tout cas, la campagne des media allemands contre la Grèce relève d’un caractère ouvertement sadique et raciste et nous apprend plus sur l’Allemagne que sur les Grecs. Je suppose que l’humanité se souviendra plus longtemps de la Vénus de Milo, telle que l’a présentée le magazine allemand Focus pour insulter le peuple grec, que du centre commercial de Sony, que l’Allemagne a choisi de bâtir à la place du Mur, symbole d’un Rien égoïste et absolu qui menace de mort la civilisation européenne. Quant aux media allemands, ils ne sont pas très prolixes sur les déficits commerciaux continus de la Grèce envers l’Allemagne, du fait que celle-ci a profité des Travaux Publiques grecs et a acheté les meilleures firmes grecques à des prix avantageux, en faisant payer par la compagnie Ziemens les politiciens grecs socialistes ou conservateurs, ni sur le fait que l’Allemagne n’ a pas encore versé à la Grèce des dédommagements pour les ravages massifs qu’elle a provoqués au pays pendant la Seconde Guerre Mondiale. Berlin n’a même pas restitué les réserves d’or de la Banque de Grèce, volées par les troupes allemandes nazi à l’époque! 

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18 avril 2010 7 18 /04 /avril /2010 03:15
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Gagnants et perdants de l’impasse israélo-palestinienne
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Commentaire n° 278, 1er avril 2010 /

Immanuel Wallerstein / Sociologue au Centre Fernand Braudel à l’Université de Birmigham, , chercheur au département de sociologie de l’université de Yale
 distribué par Agence Global

 

Quiconque s’imagine que le statu quo puisse prochainement changer de façon significative en Israël-Palestine est victime de multiples illusions. Le gouvernement israélien est radicalement opposé à la création d’un Etat palestinien, fût-il faible, et a avec lui le soutien d’une très grande majorité des Juifs israéliens. Les dirigeants palestiniens se montrent plus divisés. Mais même les plus accommodants ne sont pas prêts à envisager quelque chose qui serait en-deçà d’un Etat basé sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale. Le reste du monde n’arrive à faire bouger aucune des deux parties. C’est ce qu’on appelle une impasse.

La question est de savoir qui en profite et qui y perd. L’élite politique israélienne semble convaincue qu’elle en profitera. Un groupe très important et résolu est à ce point irrédentiste qu’il considérerait un accord de paix comme une véritable catastrophe. Les Israéliens ont toujours pensé que s’ils se butaient, le reste du monde (jusques et y compris les Palestiniens arabes) finirait par céder face à ce qu’ils appellent les « réalités sur le terrain ».

Cette politique fonctionne maintenant depuis longtemps. Pourquoi faudrait-il la changer ? Il n’en reste pas moins qu’un nombre de plus en plus important de soutiens amicaux d’Israël l’avertisse en chœur que le climat politique mondial a changé, et pas à l’avantage des Israéliens. Ils soulignent que l’alternative à la solution à deux Etats, c’est la solution à un Etat, et que dans un Etat unique, les Juifs deviendraient très rapidement minoritaires dans la population. Auquel cas, si la règle du suffrage universel était respectée, cet Etat ne pourrait plus rester longtemps un « Etat juif ». Et si le droit de vote était refusé aux non-Juifs, cet Etat ne pourrait être considéré comme même vaguement démocratique.

Encore le mois dernier, un soutien très connu et très bien intentionné, Thomas L. Friedman, a écrit une tribune pour le New York Times, « Conduire bourré à Jérusalem », qui a fait grand bruit. Il y réprimande le Vice-président américain Joseph Biden pour ne pas avoir immédiatement quitté Israël quand son arrivée fut saluée par l’annonce insultante de la construction programmée de nouveaux logements juifs dans Jérusalem-Est. Pour Friedman, Biden aurait dû dire aux Israéliens : « De vrais amis ne laissent pas des amis soûls prendre le volant. Or, en ce moment, vous conduisez bourrés ».

Un deuxième vieil ami et soutien d’Israël, Leslie H. Gelb, a publié un billet sur son blog intitulé « Israël joue avec le feu ». Il y prédit que « les dirigeants israéliens ne vont pas aimer les conséquences de leur petite gifle [infligée à Biden] ».

Pourquoi Biden n’a-t-il pas fait ce que Friedman suggère ? Il y a deux types de réponses possibles. La première est celle d’Uri Avnery, l’un des rares Israéliens à critiquer avec constance les positions de son gouvernement sur ces questions. Pour lui, le gouvernement israélien a une fois encore craché à la figure des Etats-Unis. Il termine son article par ce vieux dicton : « Quand un faible se fait cracher à la figure, il dit qu’il pleut. Cela s’applique-il au président du pays le plus puissant de la planète ? ».

La seconde est de parler des réalités de la politique américaine. Obama, comme les autres présidents des Etats-Unis avant lui, n’a encore rien fait de sérieux, sauf de réitérer un soutien éternel à Israël, même si beaucoup d’Israéliens estiment que les quelques rares ouvertures qu’il fait en direction des Arabes (comme son discours du Caire) vont déjà trop loin. Encore récemment, le beau-frère du Premier ministre israélien a accusé Obama sur la radio de l’armée israélienne d’être un antisémite pour avoir prononcé ce discours.

Le gouvernement américain ne fait pas grand chose, ne l’a jamais fait, parce que le soutien à l’intransigeance d’Israël est quelque chose de très répandu aux Etats-Unis. Cela ne tient pas simplement à la puissance de cet instrument important et agressif du lobbying pro-israélien qu’est l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). Cela ne tient pas seulement au fait que la droite chrétienne a adopté une position ultra-sioniste. Cela tient au fait que d’importants dirigeants du Parti démocrate sont profondément engagés dans un tel soutien et Obama a assez de problèmes comme cela avec nombre de responsables démocrates pour ne pas s’ajouter des soucis supplémentaires en leur livrant bataille sur un nouveau front.

Le gouvernement américain continuera-t-il cette politique ? Oppressifs, inflexibles et insensibles au sort des Arabes palestiniens, à Gaza surtout mais pas uniquement, les Israéliens ont sérieusement perdu en soutien en Europe occidentale au cours de la dernière décennie. Le soutien aux positions israéliennes les plus dures s’est également affaibli dans des segments importants de la population juive des Etats-Unis. Mais il semble qu’il puisse y avoir désormais une nouvelle source de critiques.

Dans un article de Foreign Policy, Marc Perry a révélé que le 16 janvier, un groupe d’officiers de haut rang du Commandement central des Etats-Unis, le Centcom (responsable pour le Moyen-Orient) avait informé le président du Comité des chefs d’états-majors interarmées (Joint Chiefs of Staff), l’amiral Michael Mullen, des soucis que causait au général David Petraeus, chef du Centcom, l’impasse israélo-palestinienne. Petraeus et ses officiers reçoivent de tous les dirigeants arabes qu’ils rencontrent des messages tous critiques sans exception. Petraeus aurait apparemment ainsi conclu : « L’Amérique a été non seulement considérée comme faible mais sa position sur le plan militaire dans la région s’est érodée ». En bref, cette impasse a porté atteinte aux efforts de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan.

La conclusion de Perry : qu’il existe plusieurs lobbies très puissants à Washington : la National Rifle Association pour les armes à feu, l’American Medical Association, les avocats, et l’AIPAC bien sûr. « Mais aucun lobby n’est aussi important ou puissant que l’armée américaine ». Petraeus avertissait donc Mullen : « Les relations de l’Amérique avec Israël sont importantes mais pas autant que les vies des soldats américains ». Etant donné que Petraeus a été nommé à son poste par George W. Bush et que la droite américaine voit en lui un pur et dur sur la question du rôle militaire des Etats-Unis au Moyen-Orient, elle peut difficilement l’accuser aujourd’hui d’être un vendu.

L’intransigeance israélienne a payé à court terme. Elle est suicidaire à moyen terme, ce que Friedman et Gelb signalaient implicitement, ce que Petraeus soulignait. Les jusqu’au-boutistes israéliens se sont montrés prêts à dénoncer quiconque ne les soutient pas à 101%. Mais s’ils pensent qu’ils peuvent gagner en qualifiant désormais Friedman et Gelb de « Juifs qui ont la haine d’eux-mêmes », des « self-hating Jews », et Petraeus d’ « antisémite », ils sont encore plus dans leur monde que je ne le pensais. Gelb termine le billet sur son blog par un avertissement : « Ce n’est pas le moment pour les dirigeants israéliens de tester la profondeur et la stabilité du soutien de l’Amérique à leur à pays ».

Nétanyahou s’est rendu à Washington pour voir s’il pouvait apaiser un Obama furieux. Il ne semble pas y être arrivé.

Le monde avance inexorablement vers la solution à un Etat unique (comme en Afrique du Sud), que ce soit ou non judicieux, que le gouvernement américain soit disposé ou non à adopter une ligne vraiment dure vis-à-vis des Israéliens, que les dirigeants israéliens trouvent cela tout juste acceptable ou non.

Immanuel Wallerstein

 

[Copyright Immanuel Wallerstein, distribué par Agence Global. Pour tous droits et autorisations, y compris de traduction et mise en ligne sur des sites non commerciaux, contacter : rights@agenceglobal.com, 1.336.686.9002 or 1.336.286.6606. Le téléchargement ou l’envoi électronique ou par courriel à des tiers est autorisé, pourvu que le texte reste intact et que la note relative au copyright soit conservée. Pour contacter l’auteur, écrire à : immanuel.wallerstein@yale.edu.
Ces commentaires, édités deux fois le mois, sont censés être des réflexions sur le monde contemporain, à partir non des manchettes du jour mais de la longue durée.

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17 avril 2010 6 17 /04 /avril /2010 03:08

 

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GIGACIRCUS
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Le libre-échangisme, machine de guerre contre les systèmes de protection sociale

http://goudouly.over-blog.com/article-le-libre-echangisme-machine-de-guerre-contre-les-systemes-de-protection-sociale-d-48517852.html

 Bernard Cassen / Secrétaire général de Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac

Il y a toujours un temps de retard entre le vote des traités ou des lois, leur mise en œuvre et la perception qu’en ont ensuite les citoyens. C’est la loi du genre, mais cela peut aussi être une tactique délibérée pour avancer masqué dans des domaines sensibles. 

C’est effectivement ce qui s’est passé avec la plupart des décisions européennes de libéralisation tous azimuts, dont on n’a mesuré les effets désastreux que bien longtemps après leur adoption. La quasi totalité des responsables politiques se réclamant de la gauche de gouvernement le savent parfaitement, mais rares sont ceux disposés à l’admettre publiquement. Cela reviendrait en effet pour eux à abjurer ce qu’ils ont encensé, à faire leur autocritique publique et à sortir du « politiquement correct européen » hors duquel on nous serine que toute ambition présidentielle est par avance vouée à l’échec en France.


Heureusement, les libéraux n’ont pas de ces pudeurs. Eux, au moins, n’hésitent pas à afficher la couleur. Pour celles et ceux qui ont voté le traité de Maastricht en 1992, je vais citer les propos, tenus en 1999, d’une personnalité éminente qui, au début des années 1990, avait imposé ses vues aux négociateurs dudit traité. En particulier à la France de François Mitterrand, de Michel Rocard et de Pierre Bérégovoy. Il s’agit de M. Hans Tietmeyer, alors président de la Bundesbank, dont la Banque centrale européenne n’est que la transposition, en plus « indépendant » encore, au niveau européen.

Répondant, à la fin août 1999, à la veille de son départ à la retraite, à une question qui lui était posée sur les conséquences sociales de la récente mise en place de l’euro, le patron de la « Buba » s’exprimait ainsi  : « L’homme de la rue n’en est pas conscient. Tout le monde ne comprend pas encore de quoi il s’agit ». Pour la gouverne de l’« homme de la rue », ce modèle de banquier central auquel Jean-Claude Trichet s’évertue de ressembler, mettait ensuite carrément les pieds dans le plat. Que l’on en juge : « La concurrence entre les systèmes de protection sociale sera plus forte, pas seulement vis à vis du monde non européen, mais aussi à l’intérieur de l’Europe… Il faut de la concurrence entre les systèmes fiscaux, tout comme entre les systèmes de protection sociale nationaux… Il n’y aura pas de retour en arrière, c’est définitif » [1].


L’un des mérites de cette déclaration-vérité est de rappeler que la mise en concurrence des systèmes de protection sociale et de fiscalité - ce qui, en clair, signifie leur alignement vers le bas - est d’abord intra-européenne avant d’être planétaire. Nulle surprise à cela. L’Union européenne (UE), et cela dès le traité de Rome de 1957, lorsqu’elle s’appelait CEE, a toujours aspiré à se diluer dans un marché unique mondial, malgré les gigantesques écarts de développement entre nations et continents.

Les libertés dites « fondamentales » de l’UE, telles qu’elles sont rappelées dans, entre autres - et c’est un comble - le préambule de la Charte des droits sociaux fondamentaux annexée au traité de Lisbonne (libertés de circulation des capitaux, des biens et des services, auxquelles il faut ajouter celle des personnes) n’ont rien de spécifiquement européen. Elles ont valeur universelle. On les retrouve dans les chartes des deux principales organisations internationales de ce que j’appellerai volontiers l’Internationale libérale : le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).


Une parenthèse à ce sujet : en d’autres temps, en France, se trouver à la tête de ces deux institutions, honnies des mouvements sociaux du monde entier, aurait été jugé incompatible avec l’appartenance à quelque formation politique progressiste que ce soit. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On voit le grand bond en arrière effectué en trois décennies. Il est pour le moins insolite de condamner l’ « ouverture » de Nicolas Sarkozy à des personnalités prétendument « de gauche » et, dans le même temps, de se féliciter d’en voir d’autres, tout autant « de gauche », si l’on ose également utiliser cette expression dans leur cas, occuper les postes de commande qui leur ont été concédés par les gouvernements piliers de la mondialisation libérale, en premier lieu par celui des Etats-unis.


Les Dominique Strauss-Kahn et Pascal Lamy sont au système capitaliste globalisé ce que les Bernard Kouchner et Eric Besson sont, mais cent crans au-dessous, au système sarkozyste national. Je réclame donc l’indulgence pour ces ministres qui, eux au moins, ont la décence de ne plus être titulaires de la carte d’un parti de gauche.

Il ne faut pas être Prix Nobel d’économie pour comprendre qu’il existe une radicale contradiction entre, d’un côté, l’ouverture internationale en matière financière et commerciale - le libre-échangisme, pris au sens générique -, et, d’un autre côté, la pérennité des systèmes de protection sociale nationaux.


Le premier article du Code français de la Sécurité sociale affirme que « l’organisation de la Sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale ». Cette solidarité s’exprime par le devoir de s’acquitter de prélèvements dits obligatoires, en l’occurrence de cotisations et d’impôts. La logique du système libre-échangiste est de laminer ces sources de financement, et donc de saper les fondements de la solidarité.


Les mécanismes sont connus de tous. Les cotisations sociales sont dépendantes à la fois du nombre de personnes employées à un moment donné et du niveau des salaires. Or le libre-échange détruit les emplois aussi bien au Sud qu’au Nord. Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’organisation-sœur du FMI, la Banque mondiale elle-même. Dans un rapport publié en 2003 [2] et qui est cité dans un document de l’ONG War on Want au titre explicite (Trading Away Our Jobs, c’est-à-dire « Comment le commerce emporte nos emplois »), l’auteur écrit : « Pendant les périodes de libéralisation du commerce, on peut s’attendre à ce que le rythme de destruction des emplois soit plus rapide que celui de création des emplois. La globalisation pourrait donc être associée à une augmentation du taux de chômage ».


Même la Commission européenne est obligée de reconnaître cette évidence, malheureusement corroborée par l’expérience quotidienne des fermetures d’entreprises et des délocalisations. Dans son rapport de 2006 sur la création d’un Fonds européen d’ajustement à la globalisation – d’un montant dérisoire de 3,5 milliards d’euros sur 7 ans –, elle écrit que la libéralisation commerciale « entraîne des licenciements à grande échelle » et la « détérioration des conditions d’emploi » dans l’Union européenne.

J’ai préféré citer des sources d’une orthodoxie irréprochable pour rappeler la corrélation libre-échange/ chômage que des auteurs comme Jean-Luc Gréau, Hakim El Karoui, Emmanuel Todd et Jacques Sapir avaient de toute manière brillamment démontrée ces dernières années.


Donc, davantage de chômeurs, mais aussi stagnation, voire baisse des revenus salariaux dans les secteurs exposés à la concurrence internationale. Je ne reviens pas ici sur l’articulation libre-échange/ déflation salariale établie, entre autres, par les travaux de Jacques Sapir. Le résultat est sans appel : les rentrées fournies par les cotisations salariales ne peuvent qu’être tendanciellement orientées à la baisse.

Restent les impôts. Mais, là aussi, la libéralisation totale des mouvements de capitaux et les paradis fiscaux sont de puissants outils pour la recherche du « moins-disant fiscal », que ce soit pour les entreprises ou pour les particuliers. Je ne crois pas qu’il se trouve beaucoup de personnes prenant au sérieux la prétendue lutte de l’OCDE ou du G-20 contre ces centres « off-shore » qui sont autant de refuges de la délinquance, voire de la criminalité financière organisée.


L’UE n’est pas crédible dans ce domaine. Non seulement certains de ses membres à part entière sont eux-mêmes des paradis fiscaux spécialisés dans des niches particulières ( Autriche, Chypre, Irlande, Luxembourg notamment, mais les territoires ou micro-Etats sur lesquels ils exercent leur juridiction en dernier ressort (îles anglo-normandes, Andorre, Monaco, San Marin, etc.) ne vivent que du non-droit fiscal.


Même sans l’existence de ses paradis fiscaux, l’UE offrirait de belles possibilités aux réfractaires au fisc en raison des disparités d’imposition entre pays membres. C’est l’argument utilisé par Nicolas Sarkozy pour justifier le bouclier fiscal.

Hans Tietmeyer nous avait prévenus : la concurrence entre les systèmes fiscaux et donc, par ce biais, entre les systèmes de protection sociale n’est pas une exception, mais bien la règle dans l’UE. C’est pourquoi tout discours sur l’avenir des retraites, pour prendre un exemple d’actualité, relève du tour de passe-passe s’il ne prend pas en compte les logiques européennes qui, toutes, ont pour conséquence l’assèchement des ressources fiscales et salariales destinées à la protection sociale.


Rétrospectivement, on mesure la faute historique majeure commise par François Mitterrand en 1988 lorsqu’il avait renoncé à exiger une directive sur l’harmonisation de la fiscalité de l’épargne comme condition de l’adoption de la directive sur la libéralisation des mouvements de capitaux. Mitterrand préférait une Europe libérale à pas d’Europe du tout. Trente ans après, nous avons effectivement le libéralisme au pouvoir partout, et presque pas d’Europe, sauf pour libéraliser encore davantage. Le cas de la Grèce est édifiant à cet égard.


Résumons-nous : le libre-échangisme est une machine de guerre contre la protection sociale, et les politiques européennes en constituent un rouage redoutable. Maintenant une question : quel parti ou syndicat aura l’honnêteté et le courage de le dire tout haut ? Qui prendra le risque de se faire taxer de « protectionniste » ou d’ « anti-européen » par des médias entre les mains des grands intérêts financiers et industriels, voire par des responsables politiques répétant comme des perroquets une vulgate apprise à Sciences-Po ou à HEC ?


Pour ces timorés en mal de références alternatives, mais indiscutables, on suggèrera de prendre appui sur un texte étonnant et peu connu : la Déclaration de Philadelphie, première Déclaration internationale des droits à vocation universelle, proclamée le 10 mai 1944, quelques semaines avant les accords de Bretton Woods et quatre ans avant la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce texte, auquel Alain Supiot consacre un livre à lire absolument [3], se présentait comme une Déclaration concernant les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail (OIT).


Près de 70 ans après, ce texte est d’une actualité aussi brûlante que celui du programme du Conseil national de la Résistance en France, adopté le 15 mars 1944, et dont le Medef réclame la mise à l’Index. Altermondialiste avant la lettre, la Déclaration affirme que « le travail n’est pas une marchandise » ; elle pose la nécessité de la « sécurité économique » et indique que la justice sociale est « le but central de toute politique nationale et internationale ». C’est-à-dire exactement l’inverse des principes du néolibéralisme. Voilà un texte à brandir aujourd’hui et à confronter aux prétendues « libertés » des traités européens qui constituent le carcan dans lequel doivent s’inscrire les politiques nationales.


Se poser la « question européenne » devrait être un préalable à toute réflexion sur la protection sociale. On n’en prend pas actuellement le chemin. Mais cette omerta ne pourra durer indéfiniment. Arrivera bien un jour le moment où les citoyens se rendront compte qu’on les a enfermés comme des mouches dans un bocal de verre européen sur les parois duquel ils butent en permanence. Et grande sera alors la tentation de briser le bocal. Le rôle des responsables politiques devrait être de délivrer les citoyens de ce bocal plutôt que d’avoir à en ramasser après-coup les fragments épars.

 

(Communication au colloque « Convergences pour dépasser le libre-échange » organisé le 10 avril à Paris par l’association Un monde d’avance. La gauche décomplexée.)

 

[1]  International Herald Tribune, 23 août 1999.

[2]  M. Rama, Globalization and Workers in Developing Countries, World Bank, Washington DC, 2003.

[3]  Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie, Seuil, Paris, 2010.

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16 avril 2010 5 16 /04 /avril /2010 03:56

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Développer !

 http://goudouly.over-blog.com/article-developper--48518564.html

 

Je cherchais dernièrement des explications sur le travail.

Oui, car je me pose des questions sur mon travail, et du coup sur le travail en général.

Je suis ainsi faite que mes gosses ne s’en étonnent même plus.

 

En fouillant un peu je me suis rendue compte que la notion de travail renvoie à des valeurs morales où je ne me retrouve pas toujours. Il y a quelques temps encore le travail était valorisé comme facteur de production, pour devenir ensuite essence de l’homme (oui la femme n’existait pas encore !) aujourd’hui il est le système de distribution des revenus, des droits et des protections, avec une tendance à la subjectivité de la valeur travail.

Cette subjectivité est mise en place pour invalider la notion économique de la valeur travail défendue par Marx : «  le profit réalisé aux dépens de celui qui vend son travail ».

C’est énorme comme le glissement sémantique peut opérer dans les esprits et les sociétés.

 

Car il ne faut jamais oublier que la production est l’effort fourni par les travailleurs sur la valeur qui détermine alors le « juste prix ». La valeur d’un bien correspond au coût du travail nécessaire pour le produire.

 

Tout le reste est littérature et à pour objectif d’amoindrir la force de travail dans la valeur d’un produit.

 

Bon je ne vais pas m’étendre d’avantage sur le travail, j’en ai assez toute la semaine, pour en arriver à la production et donc à la nécessité du développement.

 

Je ne vais pas vous faire languir plus longtemps, et vous expliquer le sens de ma chronique de cette semaine : je remets en cause la question du développement.

Pourquoi dites vous ?

Qu’est-ce qui lui prend ?

Elle s’est allumée avec son patron ?

 

Mais non, il n’est pas question des mes états d’âme au quotidien.

 

Ben parce que de développement il n’en est question que pour l’avantage des pays du Nord...et le sommet de Copenhague en a été encore un exemple frappant.

Et quand je dis pays du Nord, c’est un euphémisme, il ne s’agit que de quelques uns à travers le Nord.

Parce que du fait d’avoir dissocié la valeur du produit de la valeur travail, il n’y a plus que le commerce et la libre circulation des marchandises qui importe.

 

A ce stade je reprendre sans vergogne le mot d’un auteur, Serge Latouche, qui dit : « le développement n’est pas le remède à la mondialisation, c’est le problème ! »

 

Le développement tout le monde le souhaite, personne n’est en mesure humainement de s’opposer au développement.

Sauf que...

 

Sauf que : que comporte le mot développement ?

Suivant que l’on se trouve au Nord ou au Sud cela n’a pas le même sens.

 

Développer les pays du Sud nous y consentons tous, mais avec quels moyens et pour quel développement ?

Un développement pour l’autonomie, la démocratie, et un environnement sain...il en est peu question, alors qu’un développement au service des entreprises multinationales afin de satisfaire les modes de consommation du Nord là on voit bien de quoi il est question.

En fait nous sommes d’accord pour accorder peu de moyens à ce développement et à laisser faire les entreprises pour leurs plus grands profits et certainement pas au bénéfice des autochtones.

 

Si on parle de développement du Nord de quoi est-il question ?

Là aussi il s’agit de l’outil industriel et de la consommation, mais de bien être des populations que nenni.

Il n’y a qu’à constater le travail incessant que nos gouvernements du Nord développent à empêcher le développement des couvertures sociales du plus grand nombre, le travail de sape qui est fait sur nos revenus, nos retraites, notre santé, notre école...en contrepartie de boucliers fiscaux toujours plus avantageux pour un nombre toujours plus restreint.

 

On ne peut pas contenter des populations entières en instituant des principes généraux de bien être et offrir des accroissements de richesse de plus de 15 % l’an aux grandes fortunes.

 

Que se soit au Nord comme Sud si on réfléchissait à un revenu de vie, de la naissance à la mort je suis sûr que le développement se réorienterait différemment et que cela aurait un impact sur la manière de penser.

 

Mais je rêve là et avant la réalisation de cette utopie je vais chercher mes faux besoins pour sinon les éliminer au moins en avoir conscience ...en attendant de m’en séparer.

Eliminer mes faux besoins développera certainement moins quelques gros pleins de soupe.

Ca leur fera du bien.

 

Avant de conclure par la phrase traditionnelle j’avais envie de vous offrir cette citation de Confucius : « Choisissez un travail que vous aimez et vous n'aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. »

 

Cela ne m’empêchera pas de réfléchir à quel travail et pour quel développement.

Nous devrions nous occuper de notre avenir.

Aurore

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15 avril 2010 4 15 /04 /avril /2010 03:09

Boycotter sans confondre !
Ou l’honneur du boycott contre l’Etat d’Israel.

 

Sur Al-Oufok

 

Dialogue entre SERGE GROSSVAK  et JEAN-PIERRE DUBOIS, Président de la Ligue des droits de l’homme (LDH)



Il est de l’honneur d’un mouvement tel que le notre, engagé contre une barbare injustice, que d’être traversé de réflexions telles que celle du Président de la Ligue des droits de l’homme. Légitimement offusqués, blessés dans notre âme, nous pouvons être happés par la colère. Nous pouvons être gagnés par une rage faisant pendant de la sauvagerie guerrière de l’État d’Israël et nous pervertir dans des valeurs aussi veules que celles des conquérants et oppresseurs. Il est de notre honneur que t’écouter ces questionnements, et y porter réflexion.

Mais je ne crois pas fondées les réticences présentées. Le boycott contre Israël assimilerait ce pays à ses colonies ? Il faudrait limiter notre action aux produits des colonies ? Mais qui est coupable de coloniser la Cisjordanie, ghettoïser Gaza, nier l’existence de la Palestine ? Sinon l’État d’Israël. C’est donc sur lui, coupable de crimes, que nous voulons agir et sanctionner. Nous condamnons la politique (actuelle) d’un État, non l’État lui-même dans son existence. Nous sommes clairs, et agissons pour la paix construite sur le droit, sur les résolutions de l’ONU. Une égalité de droits et de respect pour les deux nations. Ce sont « ces principes que nous avons en partage » et que nous mettons en œuvre dans nos actions BDS.

« Parler ne suffit pas. » Je souscrits pleinement ! Mais qu’est-ce qu’agir ? S’en remettre à des organisations agissant en notre nom ne m’est pas satisfaisant. La force de notre initiative BDS est de permettre à chacun, individuellement ou collectivement, de mener l’action, de s’engager, d’adjoindre sa modeste force à d’autres pour peser jusqu’au point décisif. C’est cela l’engagement populaire, la voix des modestes. Notre nombre… Cela ressemble aux grèves.

Je parle des grèves, comme miroir de notre BDS. Ce n’est pas un hasard. Une même forme de pensée s’y oppose. Les grévistes prennent en otage les « usagers », « le pays »… Boycotter Israël serait prendre en otage tous les habitants, y compris les courageux pacifistes. Voila, en étant du peuple nous sommes toujours dans la galère. Mais ici c’est pour notre dignité. Nous prenons, nous soutenons.

Et puis, il y a cette question de la responsabilité collective et individuelle. Les israéliens sont ils responsables de leur gouvernements ? Et j’ajouterai, en tant que juif, les juifs sont ils coupables de leur soutien aveugle et inconditionnel de la politique israélienne. Je réponds oui. Sans hésiter oui ! Chaque peuple a ses moments glorieux, et d’autres que l’on voudrait ne pas voir exister. Là, nous sommes dans le crime. J’aurais préféré ne pas avoir cela dans mon identité. Aussi puissantes que soient les forces de haines, de conquête, ce sont les peuples qui fixent les limites de leurs gouvernants. Ce n’est pas « assimiler les peuples et leurs gouvernants » que de dévoiler la responsabilité de chacun. Je fais une grande différence : j’attends les tribunaux pour les gouvernants auteurs des massacres, mais la prise de conscience pour ceux qui les ont soutenus. Grande différence ! Mais absolution pour personne.

Le droit commun de l’humanité au-dessus de la loi du plus fort est mon rêve, mon exigence. Il ne peut devenir réalité que chacun mis devant ses responsabilités. Nul ne peut collaborer à une oppression, lâchement laisser faire, sans en porter une part de responsabilité. Être un citoyen, c’est assumer ses actes, même petits, même trompé par une propagande. Des hommes souffrent de tromperies !

Je boycotte, avec conviction et pour le liberté de tous.

Serge Grossvak


***


Les dangers d’un boycott contre Israël
Par JEAN-PIERRE DUBOIS Président de la Ligue des droits de l’homme (LDH)


Sur Liberation.fr


Aujourd’hui comme hier, le conflit israélo-palestinien projette sur la société française un halo de passions, de solidarités et de colères. Toutes ne servent pas la solution juste de ce conflit et certaines mettent parfois en danger les principes que nous avons en partage. On a vu une ministre de la République, « ministre du droit » qui plus est, critiquer devant le Crif une campagne de boycott, et parler de « produits casher » pour désigner les « produits des colonies illégales d’Israël ». De tels propos nourrissent la confusion entre religieux et politique et, de fait, légitiment une ethnicisation du politique. Comment sortir de la confusion, assurer la victoire du droit sur le fait sans ajouter la rage à la rage et l’injustice à l’injustice ?

D’abord en refusant d’assimiler les peuples et leurs gouvernants. Les Israéliens ne se confondent pas plus avec Nétanyahou ou Lieberman que les Palestiniens avec les dirigeants du Hamas. Ensuite en soutenant celles et ceux qui, au sein de la société israélienne, continuent à se battre courageusement pour que le nom d’Israël ne devienne pas synonyme d’oppression. Enfin, en sanctionnant ceux qui violent le droit international. Il nous faut rappeler, fermement, que tous les territoires occupés depuis plus de quarante ans le sont illégalement ; que Jérusalem n’est pas plus la « capitale éternelle et indivisible d’Israël » que le Koweït n’était la dix-neuvième province de l’Irak de 1990 ; que chaque colonie devra être évacuée, que chaque territoire devra être restitué, que chaque morceau du mur déclaré illégal par la Cour internationale de justice devra être détruit.

Parler, même fermement, ne suffit pas. Il faut des actes qui sanctionnent la colonisation, particulièrement au plan économique. Boycotter, donc, les produits des entreprises coloniales ? Difficile, car le gouvernement israélien en dissimule systématiquement l’origine. Boycotter alors tous les produits israéliens, puisque ce serait « cela ou rien » ? Ce serait confondre Israël et ses colonies, c’est-à-dire faire exactement le jeu des partisans du « Grand Israël ». Confondre le combat contre les gouvernants avec le boycott de toute une société, ce serait faciliter l’amalgame insupportable entre boycott des produits israéliens et « boycott des juifs ». L’effroyable lapsus de la ministre française de la Justice, venant après les accusations aussi injustes qu’insultantes d’« incitation à la discrimination raciale » dirigées contre des militants et notamment contre une adhérente de la Ligue des droits de l’homme, témoigne déjà d’une légitimation par les plus hautes autorités de l’Etat de cette dérive vers une « importation ethnicisante » du conflit israélo-palestinien. Nous devons nous en garder comme de la peste.

La LDH n’a, dans cette affaire comme en toute autre, qu’un seul camp : le camp du droit. C’est pourquoi elle appelle tous les citoyens à exiger des autorités françaises qu’elles le fassent respecter. Qu’elles refusent le « traitement préférentiel » - accordé aux produits israéliens par l’Union européenne - à toute importation de produits « coloniaux » ou même de produits dont il n’est pas indiscutablement établi qu’ils ne sont pas les fruits de l’oppression coloniale. C’est non seulement possible, c’est légal : la Cour de justice de l’Union européenne vient, dans un arrêt du 25 février 2010, de donner raison aux autorités du port de Hambourg qui ont pris cette décision.

Il n’est pas d’avenir humain à Jérusalem hors de la coexistence de deux Etats viables pour deux peuples égaux en droits. La LDH, fidèle au refus de l’injustice qui l’a fait naître, place le droit commun de l’humanité au-dessus de la loi du plus fort. Elle appelle à exiger l’application de l’article 2 de l’accord d’association entre l’Union et Israël sur le respect des droits de l’homme, et la sanction de tous les crimes de guerre dont le rapport Goldstone a établi l’existence au nom de l’ONU, qu’ils aient été commis par l’armée israélienne ou par le Hamas. L’injustice ne durera que tant que nous la tolérerons


Pétition
Non au terrorisme de l’Etat d’Israël
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14 avril 2010 3 14 /04 /avril /2010 03:09
carte postale de Martine Mougin

"Restes"

Photographie de Martine Mougin
Série / Nourritures 2005
Mois de l'Image, Dieppe F

Sur The cARTed Picture Show
Sculpture Amicale - Friendly Sculpture

En finir avec le chantage de la dette publique

http://goudouly.over-blog.com/article--en-finir-avec-le-chantage-de-la-dette-publique-48395041.html


par Damien Millet et Sophie Perchellet et Eric Toussaint

Sur mondialisation.ca

 

Dans les pays les plus industrialisés, épicentre de la crise mondiale déclenchée en 2007-2008, le contraste est saisissant : les peuples font face à une détérioration de leurs conditions de vie, alors que les gouvernements et leurs amis à la tête des grandes banques se félicitent du sauvetage du secteur financier et de la timide reprise conjoncturelle. En plus des plans de relance de l’économie pour plus de 1000 milliards de dollars, les grands établissements financiers ont reçu des aides gouvernementales sous forme de garanties, de prêts ou encore de prises de participation, mais sans que l’Etat ne prenne ensuite part à la gestion de l’entreprise et n’en profite pour réorienter de manière radicale les décisions prises.


La voie choisie par les gouvernements pour sortir de la crise financière privée provoquée par les banquiers a fait exploser la dette publique. Pendant de longues années, ce brutal accroissement de la dette publique va être utilisé par les gouvernants comme un moyen de chantage pour imposer des reculs sociaux et pour prélever sur les revenus de « ceux d’en bas » les sommes nécessaires au remboursement de la dette publique détenue par les marchés financiers. Comment ? Les impôts directs sur les hauts revenus et sur les sociétés baissent, les impôts indirects comme la TVA augmentent. Or la TVA est surtout supportée par les foyers modestes, ce qui en fait un impôt très injuste : dans le cas d’une TVA à 20%, un foyer pauvre qui consacre tout son revenu à la consommation pour sa survie paie l’équivalent d’un impôt de 20% sur son revenu, alors qu’un foyer aisé, qui place 90% de son revenu et n’en consomme que 10%, paie l’équivalent d’un impôt de 2% sur son revenu.


De la sorte, les plus riches sont doublement gagnants : ils contribuent moins à l’impôt, et avec les sommes ainsi économisées, ils achètent des titres de la dette publique et font davantage de profits avec les intérêts que paie l’Etat. Inversement, les salariés et les retraités sont doublement pénalisés : leurs impôts augmentent pendant que les services publics et leurs protections sociales se dégradent. Le remboursement de la dette publique constitue donc un mécanisme de transfert des revenus de « ceux d’en bas » vers « ceux d’en haut » ainsi qu’un efficace moyen de chantage pour poursuivre de plus belle les politiques néolibérales qui profitent à « ceux d’en haut ».


Ce n’est pas tout : d’ores et déjà, les profits et les distributions de bonus (pour 2009, 1,75 milliards d’euros de primes pour les traders des banques françaises, 20,3 milliards de dollars par les sociétés de Wall Street – en augmentation de 17% par rapport à 2008 !) ont repris leur course folle pendant que les populations sont appelées à se serrer la ceinture. De surcroît, avec l’argent facile que leur prêtent les banques centrales, banquiers et autres investisseurs institutionnels se sont lancés dans de nouvelles opérations spéculatives hautement dangereuses pour le reste de la société, comme on l’a vu avec la dette grecque par exemple, sans parler du cours des matières premières et du dollar. Silence radio du côté du Fonds monétaire international (FMI) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et refus du G20 de prendre des mesures sur les bonus et la spéculation. Tous sont d’accord pour amplifier la course au profit sous prétexte que cela finira par relancer l’emploi.


L’objectif mondial des grands argentiers est le retour à la croissance, même si elle se révèle très inégalitaire et destructrice de l’environnement. De leur part, aucune remise en question d’un système qui a fait la preuve de son échec. Si l’on ne réagit pas, le démantèlement de l’Etat sera poussé à son terme et le coût de la crise sera supporté en totalité par les populations qui en sont les victimes, alors que les responsables en sortiront plus puissants que jamais. Aujourd’hui, banques et fonds spéculatifs ont été sauvés avec de l’argent public sans la moindre contrepartie réelle.


En fait, le discours devrait être le suivant : « Vous, grands créanciers, avez grassement profité de la dette publique, mais les droits humains fondamentaux sont gravement menacés et les inégalités s’accroissent de manière vertigineuse. Notre priorité est maintenant de garantir ces droits fondamentaux et c’est vous, grands créanciers, qui allez payer pour cela. On va vous taxer à hauteur du montant qu'on vous doit, l'argent n'a pas à sortir de votre poche, mais la créance disparaît. Et estimez-vous heureux qu’on ne vous réclame pas les intérêts qu’on vous a déjà versés au mépris de l’intérêt des citoyens ! ». Voilà pourquoi nous soutenons l’idée de taxer les grands créanciers (banques, assurances, fonds spéculatifs… mais aussi particuliers fortunés) à hauteur des créances qu’ils détiennent. Cela permettrait aux pouvoirs publics d’augmenter les dépenses sociales et de créer des emplois socialement utiles et écologiquement soutenables. Cela remettrait les compteurs financiers à zéro pour les dettes publiques au Nord, sans mettre à contribution les populations victimes de cette crise, tout en faisant porter l’intégralité de l’effort sur ceux qui ont causé ou aggravé la crise, et qui ont déjà grassement profité de cette dette.


Il s’agirait en fait d’un virage radical vers une politique de redistribution de la richesse en faveur de ceux qui la produisent et non pas de ceux qui spéculent dessus. Accompagnée de l’abolition de la dette extérieure publique des pays en développement et d’une série de réformes (notamment une réforme fiscale de grande ampleur, une réduction radicale du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, le transfert du secteur du crédit au domaine public avec contrôle citoyen…), cette mesure pourrait permettre une véritable sortie de la crise dans la justice sociale et dans l’intérêt des peuples. Une telle revendication, étrangement peu médiatisée, mérite d’être ardemment défendue.



Les auteurs :  Respectivement porte-parole, vice-présidente du CADTM France et président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org). Damien Millet et Eric Toussaint sont coauteurs de La Crise. Quelles crises ?, CADTM-Aden-CETIM, 2001

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13 avril 2010 2 13 /04 /avril /2010 03:30
carte postale de François Mourotte

François MOUROTTE
"Talus" triptyque mars 2006
24x20cm - collage de gravures.

Sur The cARTed Picture Show
Sculpture Amicale - Friendly Sculpture

Pas de pitié pour les sans papiers !
De la charité, du don et de la domination 

http://goudouly.over-blog.com/article-pas-de-pitie-pour-les-sans-papiers-de-la-charite-du-don-et-de-la-domination--48280977.html

Sur la Revue du Mauss permanente (http://www.journaldumauss.net)

 

C’est bien connu, « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Désormais célèbre et largement galvaudée, cette formule lancée par Michel Rocard en 1989 est régulièrement brandie comme un argument irréfutable à l’appui d’une politique migratoire restrictive...

« On oublie seulement une chose c’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation depuis des siècles de l’Afrique, pas uniquement, mais beaucoup, vient de l’exploitation de l’Afrique. Alors il faut avoir un petit peu de bon sens. Je ne dis pas de générosité ; de bon sens ; de justice, pour rendre aux africains, je dirais... ce qu’on leur a pris. D’autant que c’est nécessaire si l’on veut éviter les pires convulsions ou difficultés avec les conséquences politiques que ça comporte dans le proche avenir. »
Jacques Chirac, mai 2008

« Nous n’aurons aucune pitié pour les anciens gouverneurs, pour les anciens missionnaires. Pour nous, celui qui adore les nègres est aussi malade que celui qui les exècre ».
Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs

« Un nain a beau se tenir sur une montagne, il n’en est pas plus grand pour cela. »
Sénèque, Lettres à Lucilius

C’est bien connu, « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Désormais célèbre et largement galvaudée, cette formule lancée par Michel Rocard en 1989 est régulièrement brandie comme un argument irréfutable à l’appui d’une politique migratoire restrictive. Au nom du réalisme économique (et social), la société française ne pourrait se permettre de recevoir sur son territoire un nombre illimité d’émigrés. Malgré toute sa munificence. Une politique « responsable » se doit de maîtriser les afflux de migrants et de contrôler scrupuleusement les délivrances de cartes de séjour.
Tel est le credo du gouvernement actuel qui n’entend plus « subir » mais « choisir » ses immigrés. Afin de limiter l’immigration « familiale » au profit d’une immigration dite « économique », s’imposent, depuis le gouvernement de Villepin, des objectifs chiffrés de « reconduites à la frontière » en même temps que se voient réduites les possibilités de regroupement familial et réhabilitée la carte de séjour temporaire mention « salarié » permettant d’adapter la main d’oeuvre étrangère à certains secteurs professionnels et géographiques. Ainsi, par exemple, la loi du 20 novembre 2007 et sa circulaire d’application du 7 janvier 2008, prévoient-elles une « admission exceptionnelle au séjour » sur « engagement ferme » de l’employeur, soit sur une proposition de contrat de travail à durée indéterminée (CDI) ou d’un an minimum [1].
En référence à cette loi, plusieurs milliers de personnes sans papiers se sont mis en grève depuis le 12 octobre 2009 dans différentes entreprises franciliennes de sécurité, de nettoyage, de restauration, de bâtiment, afin d’obtenir leur régularisation. Soutenus par plusieurs organisations syndicales (CGT, Solidaires, CNT notamment) et associatives, ils demandent au gouvernement une nouvelle circulaire définissant des « critères améliorés, simplifiés et appliqués dans l’ensemble du territoire national ». Nommée « Acte II », cette série d’occupations vise à tirer les leçons des deux « vagues » de grèves, initiées le 15 avril 2008, dont l’issue fut largement marquée par l’arbitraire préfectoral. La nouvelle circulaire, publiée le 24 novembre 2009, qualifiée de « remarquablement vide et floue » par les organisations de soutien, semble laisser « une très large marge d’interprétation aux préfectures ». Rappelant voire renforçant les critères cumulatifs d’accès au séjour, elle vient entériner la politique de régularisation au cas par cas. Par voie de conséquence, l’ensemble de ces durcissements successifs semble faire de l’obtention d’un titre de séjour une faveur.
Certes, Michel Rocard, s’est toujours défendu de prôner une telle orientation et n’a cessé de déplorer que sa déclaration serve de cache-sexe à la droite. Il explique à cet effet que le « destin imprévisible » de sa phrase, complètement décontextualisée, en a fait oublier sa deuxième partie selon laquelle la France devait « prendre fidèlement sa part » de misère [2]. Pour autant, ce rectificatif - aussi déterminant se veut-il politiquement - ne change rien à la perception d’une France philanthropique qui, dans sa grande mansuétude, viendrait faire l’aumône à des étrangers indigents. Au point où le débat opposant la droite et une certaine gauche en matière d’immigration, en vient à tourner autour du degré d’humanisme et de générosité dont devrait faire preuve le gouvernement. Or, en utilisant la grève comme moyen d’action, les travailleurs sans papiers semblent moins quémander, main tendue, un bout de papier qu’imposer un rapport de force afin de revendiquer leur droit de vivre et de rester ici.
 

Grandeur française et cache-misère

« Depuis quand les « Négros » ont besoin de votre aide ? »
Ekoué [3]

« Fermeté et humanité » ?

La manière dont Eric Besson, Ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, cherche à contrecarrer les détracteurs de ses mesures répressives, est tout à fait révélatrice. « La France est une terre accueillante, elle accueille 180 000 personnes chaque année au titre du long séjour. (…) elle est le pays en Europe le plus généreux en matière d’asile. Il n’y a pas pays plus généreux pour les réfugiés, pour les protections internationales » [
4], ne cesse-t-il d’asséner. Cet argument n’est pas aussi anodin qu’il y paraît. Faisant écho à l’harmonisation européenne, régulièrement mise en avant pour légitimer sa politique migratoire [5], E. Besson appuie l’idée d’une exception française, qui aurait réussi tant bien que mal à passer entre les fourches caudines de l’Europe. De plus, il nous invite à un raisonnement qui fonctionne en circuit fermé dont l’adage « Fermeté et Humanité » - qui ne cesse d’être scandé tel un slogan publicitaire pour une lessive 2 en 1, - serait la synthèse. Néanmoins, au-delà de cette logique binaire qui entend évincer toute critique, le coeur de son argument ne consiste-t-il pas avant tout, par l’assimilation automatique entre générosité et droit d’asile, à ériger la France en donatrice ?
Certes, justifier une attitude politique par le don n’est pas nouveau. Que l’on songe ici au débat autour d’un éventuel rôle positif de la colonisation. Pourtant, même à supposer que certains bienfaits soient reconnus, en quoi l’entreprise coloniale apparaîtrait-elle plus légitime ? Or, comme le montre l’historien Eric Savarèse, c’est parce qu’elle se perçoit perchée en haut de l’échelle des civilisations que la France considère n’avoir « rien à prendre de ces sociétés (colonisées), mais comme ayant au contraire tout à leur donner » (cité in Rémy, 2008, p. 220). Plus radicalement encore, ne peut-on pas suggérer qu’elle se présente comme donatrice (donner) pour légitimer ce qui relève avant tout de la prédation (prendre). Par conséquent, il n’est pas illégitime de considérer qu’il peut y avoir domination avant même « l’établissement par les dominants d’une dette dont les dominés ne peuvent s’acquitter » (Rémy, 2008, p. 216). Au même titre que le racisme ne se manifeste pas nécessairement sous des formes d’hostilités (Fanon, 1952 ; Jounin, 2006), donner — ou du moins présenter un geste ou une politique sous ce registre — constitue un mode de soumission quand l’éventuel receveur est soumis au bon vouloir, au libre arbitre du donataire.

Arbitraire, stigmatisation, tolérance

Quiconque a déjà accompagné en préfecture une personne dans sa démarche de régularisation a pu faire l’expérience de l’incertitude quant à l’acceptation d’un dossier de demande de titre de séjour par un employé au guichet. Non que des critères nationaux n’existent pas, mais leur caractère, soit arbitraire, soit imprécis [
6], laisse de grandes marges d’interprétation aux fonctionnaires et favorise les différences de traitements, tant dans une même préfecture qu’entre les départements [7]. Notre observation des atermoiements de la Préfecture de Paris lors des négociations à la fin de la grève des intérimaires de Man BTP amène à penser que ces critères servent moins de gage de régularisation que de justification au refus. Les motifs de refus sont parfois si fantasques qu’un des grévistes comparait la régularisation à une loterie.
Cet arbitraire s’explique par la suspicion permanente de fraude dont font l’objet les personnes sans papiers. Quantité incommensurable de documents et de preuves ramassées dans un dossier en quatre sous-parties (Identité/Travail/ Logements/Preuves), nombre et nature des questions, choix des critères mis en avant, longueur des procédures, file d’attente avec ordre de passage, sont autant de facteurs traduisant une méfiance a priori et signifiant au migrant l’illégitimité de sa candidature au séjour. Il suffirait presque de faire l’inventaire des petites phrases assassines des élus politiques pour voir que l’image de l’immigré-profiteur ne se borne pas aux couloirs des administrations françaises mais qu’elle est relativement répandue dans la société. Un des derniers exemples en date, celui maire UMP de Goussainville ?, André Valentin, qui déclare à France 2 : « ils sont déjà 10 millions que l’on paye à rien à foutre ».
Cette présomption, selon laquelle une partie de la population jouirait de la « bonté française » de manière inconditionnelle, permet donc de justifier la politique du cas par cas et contribue à faire passer la régularisation comme un cadeau dépourvu de toute obligation ou comme un privilège qu’il faut mériter. « Y ’a une mesure d’humanisme et de tolérance qui doit être faite qui est uniquement sur une régularisation par le travail », déclare en ce sens Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat à l’emploi [8]. Ainsi, bien qu’elle soit largement conditionnée, la délivrance de carte de séjour n’aurait lieu seulement parce que la France daigne l’octroyer. Elle s’apparenterait donc à un don mais en aucun cas à un  [9]. C’est du moins ce que laisse entendre la définition du terme tolérance que donne le Petit Larousse : « liberté limitée accordée à quelqu’un en certaines circonstances : ce n’est pas un droit, c’est une tolérance ».
Cette notion d’indulgence ou de magnanimité impose au donataire de se sentir redevable voire d’exprimer sa gratitude : « de nombreux Français par naturalisation sont intervenus pour apporter leur témoignage et dire leur fierté d’être français et leur gratitude envers leur nouveau pays », peut-on lire par exemple dans le « bilan » du contestable et contesté « débat sur l’identité nationale ». Or la mise en mouvement des sans papiers, et de manière plus flagrante celle des travailleurs sans papiers, cherche à sortir de ce rapport de domination que constitue l’endettement réel et symbolique.

« On n’est pas des mendiants ! »

C’est pas si mal ici, on a la sécu et la démocratie... et nique ta race aussi ! J’attends plus rien de ce pays ni des présidentielles, j’irai direct à l’essentiel. Qui nous a foutu au régime spécial, au régime sans ciel ?
Le Bavar

Droits humanitaires ou droit du travail ?


La construction de l’organisation collective sous le syntagme « sans papiers » dans les années 1990 tend à se défaire de l’image criminalisante de la figure du clandestin pour expliquer que leur condition n’est entre autre qu’une conséquence des lois en vigueur. Un
sans papiers n’entre pas forcément clandestinement sur le territoire français [10]. Manière donc de mettre le gouvernement face à ses contradictions : plus l’arsenal législatif sera restrictif en matière de régularisation, plus les rangs de sans papiers grossiront. Mais bien plus que regretter une privation administrative (Siméant, 1998, p. 227), cette appellation est une façon d’affirmer leur inclusion dans la société (Cingolani, 2003, p.135). Elle trouble la frontière entre nationaux et non-nationaux en s’invitant dans le politique (Laarcher, 2009, p. 21). En effet, la poursuite de ce remodelage sémantique avec l’ajout du terme travailleur vient renforcer cette dynamique car il s’accompagne d’un changement du mode d’action, passant de la grève de la faim à celle du travail. Même si la première est loin de se résumer à un ethos de la misère (Cingolani, 2003), le recours à la grève du travail sous étiquette syndicale permet d’autant plus de sortir de revendications basées sur des droits humanitaires et d’abandonner les formes de soutien caritatif [11].
Pour rallier l’opinion à la cause, les tracts, les banderoles, les prises de parole témoignent de la situation de clandestin en usant parfois du ressort dramatique. Sociabilité réduite, angoisse et peur de l’arrestation, « paye de misère », « esclavage », « sans-droits » sont des descriptions régulièrement mises en avant. La rhétorique vise à démontrer qu’ils ne sont pas des profiteurs mais au contraire les premières victimes de cet état de fait, et par là même à prouver que la France n’est pas si « accueillante », si donatrice qu’elle le prétend [12]. Il ne s’agit donc pas de faire agiter les mouchoirs de la sensiblerie ou « d’implorer la pitié », comme l’explique Samuel Laarcher dans Mythologie du Sans-papiers (2009, p. 19), afin d’emporter le soutien de la population sur le mode compassionnel [13].
Pour preuve, un des grévistes intérimaires du mouvement de 2008 scande son refus d’être enfermé sous ce registre humiliant en ces termes :
« on a le droit de grève, on n’est pas des vandales, on n’est pas des mendiants, on a des droits, ce n’est qu’un p’tit bout de papiers qu’on a besoin, on veut être comme tout le monde et exister ».
Sous-entendu : des droits relatifs au Code du travail. Par le surplus de dignité que confère le travail dans une société qui en promeut la valeur, les immigrés sans papiers clament d’autant mieux leur égalité en s’inscrivant dans un répertoire de signification commune. Cette manifestation de l’appartenance à la communauté des salariés français aspire à rendre inacceptable, inadmissible les discriminations subies par une frange à part entière des travailleurs. En cela, le recentrage récent de la CGT dans les slogans de « l’Acte II » autour d’une régularisation des travailleurs sans papiers — au lieu de tous —, est tout à fait significatif. Ce mouvement, avec Raymond Chauveau et Emannuel Terray en tête, n’a de cesse de se définir comme un conflit de travail stricto sensu. La logique étant que régulariser les « sans droits » permet de lutter contre la concurrence entre les salariés, contre le nivellement par le bas de leurs exigences ; contre une sorte de loi d’airain des conditions de travail : « notre victoire sera une victoire pour tout le camp des travailleurs », explique en ce sens un tract des grévistes de Vitry [14].

Le travail comme faire-valoir de ses apports

Devant les médias, les grévistes arborent leurs fiches de paie voire épinglent sur des fils leurs feuilles d’impôts pour signifier que malgré leur non-statut, ils ont, pour beaucoup d’entre eux, un emploi déclaré. Intérimaires, en CDI ou en CDD, ils sont effectivement employés illégalement mais pas nécessairement clandestinement car leur irrégularité juridique est contournée par le recours à une fausse carte ou à l’identité d’un proche. Plus que travailleurs, les sans papiers se révèlent ainsi au grand public comme
salariés et par conséquent comme cotisants à l’ensemble des caisses de l’Etat : Trésor Public, sécurité sociale, assurance retraite, chômage… Prouver, feuilles de salaires à l’appui, ses apports à la France, constitue une réponse à l’inquisition préfectorale qui instaure de manière quasi-comptable des seuils quantitatifs et qui exige des documents tangibles de présence sur le territoire (facture, attestation d’alias...). Sur le mode « qu’à cela ne tienne », ils subvertissent et mettent à mal l’idée de don que laisse entendre l’octroi à titre exceptionnel d’une carte de séjour prévu par la loi de « régularisation par le travail » de Brice Hortefeux. Les grévistes n’ont ainsi de cesse de revendiquer les apports à l’économie du pays à l’image de la « journée sans immigrée-24h sans nous  », de mars 2010. Ou à l’image des grévistes de Man BTP : « on a une grande part dans votre résultat », scandaient-ils lors de la présentation des résultats financiers des majors du BTP . Ou encore du slogan invoquant le droit du sol : « on vit ici, on bosse ici, on cotise ici, on reste ici  ».
Si l’impôt est gage de citoyenneté, les grévistes rétorquent alors au gouvernement qu’avant d’être des croisés de la République, ils sont de chevronnés travailleurs, intégrés de fait dans le système de solidarité nationale. Aussi, devient-il difficile pour l’État de reprocher aux immigrés leur incompatibilité citoyenne à moins d’adopter une posture hypocrite ou de reconnaître officiellement une hiérarchie des ressortissants français [15]. De ce fait, cette lutte des sans papiers renouvelle la figure du travailleur immigré tombée en désuétude dans la conscience collective à la fin des années soixante-dix marquée par le « déclin » des conflits ouvriers. À cela a succédé l’émergence sur la scène publique de la « question des enfants d’immigrés » notamment dans les quartiers populaires mais qui est posée en termes d’intégration culturelle et détachée de la sphère du travail [16]. En revanche, les acteurs du mouvement entamé en 2008 raccrochent, par la matérialité de leur travail, la question post-coloniale à la question socio-économique sans puiser dans le passé. Deux questions qui sont, selon Julien Rémy, à l’origine de l’instauration par la France d’une double dette. Considérées comme redevables envers la France, les immigrés et leurs héritiers subissent une discrimination et une stigmatisation quasi-systématiques qui les condamnent à la situation inégalitaire de débiteurs permanents et les empêchent de faire circuler la dette.
La mise en avant des fruits de leur travail permet donc de revendiquer la réciprocité des donations et de faire admettre qu’une régularisation serait une reconnaissance de l’inégalité des échanges entre immigrés et nationaux. En bref, les grévistes réactivent l’idée qu’ils n’ont pas à se sentir redevables envers les Français [17] mais que cela pourrait bien être l’inverse. Effectivement : plus que s’affranchir d’une éventuelle dette envers la France après des années de « bons et loyaux services » suite à leur arrivée sur le territoire, les sans papiers (ré-)interrogent le rapport entre la France et ses ressortissants provenant de ses anciennes colonies. Voyons plutôt.

Qui a une dette envers qui ?

Le « racket » organisé des cotisations sociales ?

Si en apparence les grévistes sans papiers ont tout du salarié lambda, la déclaration de leur emploi ne fait qu’illusion car elle occulte de grands manquements à leurs attributs salariaux. Ils ont beau avoir des papiers utiles à l’embauche, ils n’en restent pas moins, aux yeux de l’Etat, sous interdiction de travailler. « Exclus à l’intérieur » du salariat, ils se retrouvent par conséquent avec une protection sociale au rabais voire aucune [18]. Car compte tenu de leur illégalité, ils ne touchent pas les prestations sociales relatives aux cotisations qui leur sont prélevées. Une situation qu’un gréviste de Man BTP dénonce en entretien :
« C’est du vol de la part de l’État. Parce que l’État sait que... un sans papiers est en situation irrégulière. La sécurité sociale a des numéros que le travailleur a acheté, qui est faux, et, le travailleur cotise dans ce numéro-là, alors que la sécurité il sait que c’est faux mais ils disent pas “arrête !“. Quand tu vas aux ASSEDIC pour le chômage, pour t’inscrire, on dit : “non ton numéro est faux, ton numéro de sécurité est faux“. Quand tu fais accident de travail : “non t’es pas connu officiellement“. (…) Le Trésor Public il te dit de payer des impôts, tu payes les impôts, y’a certains... 1200 même qui ont payé ».
Etant donné qu’elle perçoit sous son nom plusieurs salaires, la personne en règle qui prête ses papiers se retrouve à payer au Trésor Public « des tranches d’impositions dignes d’un cadre supérieur des grandes entreprises », pour reprendre les mots d’un tract du comité de travailleurs sans papiers de Vitry qui y occupe le centre d’impôt. À l’échelle nationale, l’Etat encaisserait 2 milliards d’euros par an sur le compte des sans papiers par l’intermédiaire de l’URSAFF et des ASSEDIC, selon l’estimation de plusieurs syndicats et associations, syndicat unitaire des impôts (SNUI), Droits Devant !! et collectifs de sans papiers en tête. Le 12 janvier 2009, ceux-ci et près de 300 personnes investissent le centre des impôts de Paris-Centre pour demander une « audience » au ministère des finances. Après plusieurs heures d’occupation, Bercy accepte finalement de recevoir une délégation le 4 février. Elle y dénoncera cette situation et les directives orales qui ordonneraient, selon le SNUI, la destruction des déclarations d’impôts de personnes soupçonnées d’être sans papiers. Cette réunion au ministère, assortie d’un appel à une grande manifestation, marque un des points d’acmé d’une campagne auto-désignée « Racket des cotisations sociales ». Depuis plus d’un an, cette dernière sensibilise l’opinion avec une tournée des consulats de pays d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb pour empêcher la délivrance des laisser-passer (nécessaires à l’expulsion d’immigrés sans papiers) puis avec des actions-occupation menées à la CNAV et à l’URSSAF.
Référence à l’extorsion de biens par usage de menace ou de violence, le terme de « racket » permet en l’occurrence de mettre l’Etat face à ces contradictions. Car d’un côté, ce dernier somme le salarié sans papiers de travailler pendant un certain temps s’il souhaite être régularisé et donc de cotiser — puisqu’il doit avoir été déclaré pour l’être (régularisé). De l’autre, il l’empêche de bénéficier des retombées de ces prélèvements sous peine d’être démasqué, arrêté puis expulsé.


De la colonisation à la Françafrique : reconnaître n’est pas se repentir


« Si Vendredi avait buté Robinson on se servirait du colon comme d’un paillasson »
Le Bavar [19]

Cette situation quasi kafkaïenne prend d’autant plus d’importance quand on admet que le migrant est un acteur majeur du co-développement international dans la mesure où il envoie régulièrement des fonds à sa famille restée dans son pays d’origine. Le manque à gagner du fait du non-versement de prestations sociales, comme par exemple l’assurance-chômage en cas de période de non-emploi, pèse alors sur les ressources du travailleur et par extension sur sa famille en Afrique. Ces transferts d’argent font eux-mêmes écho à « l’aide publique au développement » [20] que fournit la France à ces anciennes colonies (notamment africaines) et par là-même à la dette économique qu’auraient ces dernières envers elle. La position de créditrice qu’entretient la première (avec les autres pays occidentaux) envers le continent africain, se voit largement percutée par le fait qu’elle n’est que la conséquence des rapports inégalitaires Nord/Sud.
En tant qu’intermédiaire entre son pays d’origine et d’arrivée, le migrant est en effet une des figures représentatives de ces inégalités internationales. Si le phénomène d’immigration est d’abord celui d’une émigration [21] aux raisons multiples et complexes, non réductibles au travail, on ne peut le dissocier du marasme économique dans lequel est jeté l’Afrique. Marasme que l’on ne peut lui-même déconnecter de l’histoire entre ces deux régions du monde. C’est pourquoi l’argumentaire déployé lors des manifestations et des autres actions y fait largement référence, à l’instar du slogan : « «  Hier-Hier, Colo-nisés, Au-jour-d’hui, Ex-ploi-tés, Demain Demain, Ré-gula-risés ! ». L’évocation des violences et des pillages coloniaux, sur lesquels s’est en partie construite l’économie française, sert à montrer que la France n’a pas seulement une dette morale et humaine, due par exemple à la participation des Tirailleurs africains lors de la seconde guerre mondiale, mais également matérielle et économique. Qui plus est, le renversement de l’endettement n’a pas à se diluer dans le passé colonial vue la prégnance, toujours actuelle, de la mainmise de la France sur ses anciennes colonies d’Afrique [22] : ingérence politicienne, présence militaire [23], implantation d’entreprises françaises [24], gestion monétaire par le Trésor Public français du franc CFA depuis le pacte colonial et la convention de 1972, etc. Ces atteintes à la souveraineté et au développement socio-économique ont évidemment de lourdes conséquences sur les populations locales.
Aller au-delà du post-colonialisme dans le mouvement sans papiers en abordant un néocolonialisme plus diffus, sert donc de réplique à ceux pour qui le passage par l’histoire relèverait d’une repentance qu’il faudrait rejeter [25]. La lutte en question appelle moins à la contrition qu’à la reconnaissance pour sortir de l’idée de générosité véhiculée au plus haut sommet de l’Etat. Ainsi, toutes ces mises en cause des manoeuvres d’appareil n’interrogent plus ici le degré plus ou moins donateur de la France mais veut clairement lui faire admettre sa volonté de prendre, qui de surcroît s’applique violemment. Pour toutes ces raisons, les membres du mouvement estiment ne pas avoir à s’excuser de demander leur régularisation. Certaines voix s’élèvent ainsi contre l’orientation, initiée par la CGT, vers la régularisation à proprement dite des travailleurs sans papiers. Sans entrer dans les querelles intestines, il est en effet reproché à cette dernière de n’avoir pris en compte que les salariés les plus intégrés, déclarés CDI. L’occupation des locaux de la CGT à la bourse du travail en mai 2008 à l’appel de la CSP 75 cherchait à poser la question des travailleurs « au noir » — d’ailleurs présents dans l’Acte II, surtout avec les chinois travaillant dans la confection qui scandent parfois « on veut cotiser » — ou isolés dans leur entreprise [26]. C’est un moyen de montrer que sans papiers et travailleur confine plutôt au pléonasme qu’à l’exception car s’il peut avoir des moments sans travailler (dus à un problème médical ou parce qu’il rejoint un proche), un migrant ne viendrait pas jusqu’en France, avec tous les risques que cela comporte, pour « se tourner les pouces ».
On touche donc ici à une limite du mouvement de « régularisation par le travail » : est-il un moyen d’accéder plus rapidement à la « régularisation de tous les sans papiers » ou abonde-t-il dans le sens restrictif et utilitariste du gouvernement ? D’autant que les cartes délivrées sont d’un an renouvelable sur les mêmes critères, donc le nivellement par le bas des conditions n’est pas totalement résolu. Pour leur part, les grévistes de Vitry demandent la régularisation sans condition par une carte de dix ans.

Conclusion : impasse de la charité et issue de l’immigration

« Certains sont jugés parce que l’on mesure aussi le piédestal »
Sénèque

À la lueur de ces développements, notre propos n’est pas de savoir si régulariser un
sans papiers est en soi généreux mais de voir que le présenter comme tel, génère une relation nécessairement inégale car elle nie toute possibilité de réciprocité, contrairement à ce que préconise le tryptique maussien du Donner-Recevoir-Rendre. Le conflit des immigrés sans papiers tend au contraire à faire reconnaître leurs apports passés et présents. En cela, ils font plus que demander ce qui leur manque. Ils détournent le mode d’assujettissement que peut constituer le registre de la clémence, notion contenue dans la politique de régularisation au cas par cas.
Parce qu’elle postule que les inégalités internationales « tombent du ciel » et sont par exemple exogènes à l’histoire coloniale, cette vision évacue toute responsabilité française et biaise toute réflexion sur l’immigration. Tel un pompier-pyromane, il est aisé dans ces conditions d’apparaître charitable et de bâtir sur le terreau de la misère le piédestal sur lequel seront érigées les trois grâces du don chères à Sénèque. Sauf qu’ici le piédestal risque de ressembler à un catafalque où s’amoncelleront les corps défendant des victimes des politiques migratoires mortifères d’une Europe-forteresse. Alors qu’il est le réceptacle ultime d’une politique plus générale, l’immigré est abordé comme un « problème » qu’il faut nécessairement résoudre. Et cela, selon la logique simpliste et peu réaliste des vases communicants : chaque mesure prise dans le pays d’arrivée ouvrirait ou fermerait mécaniquement les vannes d’un supposé appel d’air.
Si la gauche campe sur ce terrain que lui impose la droite, elle se condamne d’avance, notamment en temps de crise, à perdre le combat politique sur ces questions-là car cette optique n’offre aucun autre choix qu’être « généreux » ou « responsable ». Eric Besson valide ainsi sa politique par le fait que le Parti Socialiste n’a rien d’autre à proposer. Cette gauche restera alors en proie aux sarcasmes infaillibles de ses adversaires, à l’instar de ceux que lançaient Charles Pasqua en 1998 à J-P Chevènement, alors ministre de l’intérieur, en réaction à sa loi : « la France n’a ni vocation ni intérêt à devenir l’hôpital du monde » [27]. Plus de dix ans après, le renouvellement de la lutte des sans papiers est l’occasion pour la gauche de déplacer la focale sur cette thématique, car, tout comme certains hôpitaux, ils semblent se moquer de la charité.


Bibliographie

 

Chauvin Sébastien, Jounin Nicolas, Tourette Lucie, « Retour du travailleur immigré », Mouvements, 2008. http://mouvements.info/Retour-du-travailleur-immigre.html
Cingolani Patrick, 2003, La république, les sociologues et la question politique, La Dispute.
Fanon Frantz (1952), Peau noire, masques blancs, Points Essais.
Jounin Nicolas (2008), Jounin Nicolas, Chantiers interdits au public, enquête parmi les travailleurs du bâtiment, La Découverte/Textes à l’appui.
Rémy Julien (2008), « Jeune issus de l’immigration ou la domination post-coloniale : la dette en trop », in Chanial Philippe (sous la dir.) La société vue du don, La Découverte, Bibliothèque du Mauss, pp. 215-228.
Laarcher Samuel (2009), Mythologie du Sans-papiers. Le cavalier Bleu/MythO !
Siméant Johanna (1998), La cause des sans-papiers, Presses de Sciences Po.

 

NOTES

[1] La loi est compliquée d’une autre circulaire, publiée en décembre 2007, qui conditionne la régularisation, pour tout demandeur provenant l’Union Européenne, à l’exercice d’un des 150 métiers répertoriés « en tension » - comprendre en difficulté de recrutement – et, pour ceux provenant de pays tiers, à celui d’un de 30 autres métiers hautement qualifiés. Or, ces postes sont rarement occupés par des personnes immigrées sans titre de séjour. Le 23 octobre 2009, le Conseil d’Etat, saisi par le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), a annulé la circulaire du 7 janvier 2008, qui reposait sur celle de décembre 2007, après avoir considéré que le gouvernement ne pouvait « restreindre les conditions de délivrance » de la carte de séjour « sans méconnaître la loi ».

[2] Michel Rocard le rappelle notamment dans une tribune : « La part de la France », Le Monde, 24 août 1996. Pour une réflexion et une petite histoire de cette célèbre phrase rocardienne, voir : Deltombe Thomas, « “Accueillir toute la misère du monde“ Michel Rocard, martyr ou mystificateur ? », Le Monde diplomatique, 30 septembre 2009. http://www.monde-diplomatique.fr/ca...

[3] « Bienvenu dans le game », album Nord Sud Est Ouest, 2ème épisode. Ekoué & Le Bavar. 2009.

[4] Propos tenus lors de l’émission Ce soir ou jamais animée par Frédéric Taddeï, France 3, le 05/11/09 en réplique à Michel Onfray qui dénonçait les expulsions en charter.

[5] Et que d’autres pays comme ceux d’Amérique du Nord. Autre justification avancée : la nécessité d’une telle politique dont il serait le seul garant dans l’échiquier des partis. Nous y reviendrons en conclusion.

[6] À l’image de ceux mentionnés dans la circulaire du 24 novembre 2009 et dans les documents associés : « durée significative d’au moins 5 ans de présence », « volonté d’intégration », « stabilité professionnelle : durée indéterminée ou égale ou supérieure à douze mois et rémunération mensuelle respectant les conventions collectives applicables au métier considéré », etc.

[7] Sur ces questions, voir l’excellente étude d’Alexis Spire, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets en préfecture, Raisons d’agir, 2008

[8] Face à Raymond Chauveau, secrétaire général de l’Union Départementale à l’origine des premières grèves, coordinateur de la lutte sans papiers pour la CGT et militant au sein du PCOF. Émission « Les questions du mercredi », France Inter, le 25/11/2009.

[9] On retrouve cette idée dans le discours de certains patrons lors des grèves étudiées. Ils se disaient prêts à « faire un effort », « à faire un geste », « à être solidaire » à propos de la signature des contrats nécessaires à la demande de titre de séjour.

[10] Nombre de grévistes sont arrivés en avion puis, après avoir vécu un temps légalement, sont devenus clandestins à la suite de l’expiration et/ou d’un non-renouvellement du visa ou du titre de séjour.

[11] La vision d’un militant dissident au sein de la CGT, à propos d’une association soutenant le mouvement n’est pas inintéressante : « la tradition du syndicalisme c’est qu’on n’est pas dans l’aide, c’est qu’on est dans la lutte, et que la lutte concerne ceux qui sont concernés par la lutte ».

[12] D’où les qualifications de « ministère de la honte » ou de « charters de la honte » — renvoyant des afghans en direction de Kaboul — lancées pour discréditer le discours d’une France chantre des Droits de l’Homme.

[13] Ceci ne ferait que conforter l’argument cynique aux accents misérabilistes qui reste hostile à l’immigration au motif du confort du migrant, tel que le laisse entendre la lettre de mission du 31 mars 2009 d’Eric Besson qui prévoit la mobilisation des forces de police « contre tous ceux qui exploitent la misère de manière indigne et encourageant l’essor d’une nouvelle forme d’esclavagisme ». Or émigrer d’un pays relève beaucoup plus d’un projet mûri que d’un acte désespéré.

[14] Là encore, les grèves poussent le gouvernement dans ses retranchements car, eu égard au droit du travail, tout travailleur, même irrégulier, doit être embauché seelon les mêmes dispositions juridiques. Ainsi, cette lutte pose, indirectement, la question suivante : « que propose le gouvernement pour éviter cette harmonisation au rabais et pour respecter le code du travail, sinon la régularisation ? » En effet, les contrôles et les expulsions des 400 000 sans papiers présents sur le territoire, selon l’estimation d’un rapport du Sénat en 2006, restent difficilement concevables. Toujours est-il que, régularisation massive ou non, on ne saurait se dispenser d’une amélioration des conditions de travail dans les secteurs concernés, compte tenu de la préférence patronale pour une main d’oeuvre plus malléable, car « moins exigeante », en raison justement de son statut précaire (voir Jounin, 2008). On l’a vu avec la loi du 11 mai 2007 ordonnant la vérification par la préfecture de l’identité de chaque étranger nouvellement engagé ou la sortie du ministre du travail évoquant une « fermeture administrative » des entreprises ayant recours aux personnes sans autorisation de travail : va-t-on fermer les 1800 entreprises dont font partie les 6000 grévistes franciliens actuels ?

[15] Message d’autant plus fort à l’heure où le gouvernement dit lutter contre les expatriés français pour évasion fiscale. Expatriés, dont l’État ne semble pourtant pas remettre en cause la conscience civique.

[16] Cf. un des premiers articles sur le mouvement, Chauvin Sébastien, Jounin Nicolas, Tourette Lucie, « Retour du travailleur immigré », Mouvements, 2008 (http://mouvements.info/Retour-du-tr...).

[17] Pour se convaincre de ce ressentiment français envers les immigrés, cf. les premières scènes du film de Marcel Trillat, Étranges Étrangers (documentaire couleur, 60 mn - CREPAC/Scopcolor, co-réalisé avec Frédéric Variot). On y voit les réactions de parisiens, interrogés par micro trottoir dans une gare, à l’arrivée en train d’un grand nombre de personnes africaines en provenance d’anciennes colonies.

[18] Certains ont obtenu une carte vitale et un vrai numéro de sécurité sociale mais la couverture des frais médicaux n’est pas automatique puisque la déclaration elle-même n’est pas évidente. La loi du 11 mai 2007 a conduit à privilégier (souvent sur encouragement de l’employeur) le recours à l’identité d’un proche. Location des papiers ou versement d’une partie du salaire, la personne en situation irrégulière reste à la merci de l’accord qu’il a avec le propriétaire des papiers, notamment en termes de paiement des impôts ou de protection sociale.

[19] « Le chant des casseurs », album Nord Sud Est Ouest, 2ème épisode.

[20] D’après le fond international du développement agricole (FIDA), « Les envois de fonds équivalent à trois fois le montant net de l’aide publique au développement accordée aux pays en développement ».

[21] Sayad Abdelmalek, « Les trois âges de l’émigration algérienne en France », in Actes de la recherche en sciences sociales, n°15, pp. 59-81, 1977.

[22] Le dossier que consacre la revue Manière de Voir en décembre 2009-janvier 2010 à l’exploitation des ressources énergétiques africaines a pour titre très significatif : « Indispensable Afrique ».

[23] Lire par exemple Raphaël Granvaud, Que fait l’armée française en Afrique ?, Edition Agone. 2009.

[24] L’industriel Vincent Bolloré en est la figure médiatique la plus représentative. Voir certains travaux du journaliste Thomas Deltombe.

[25] Nicolas Sarkozy justifie le 17 avril 2007 cette non-repentance en ces termes : « Ici, on n’aime pas la repentance, cette mode exécrable qui veut faire expier aux fils les fautes supposées de leurs pères. Ici on n’aime pas la repentance qui est un dénigrement systématique de la France et de son histoire ».

[26] Suite à l’expulsion en juin 2009 par le service d’ordre de la CGT, la majorité des occupants de la bourse a investi en juillet des locaux de la CNAM rue Baudelique dans le 18ème arrondissement de Paris. Un local renommé « Ministère de la régularisation ».

[27] Séance du 21 janvier et du 22 janvier 1998 à l’Assemblée nationale à propos de la carte de séjour des étrangers malades. Réaction au projet de loi Reseda actée en mai 1998 sur le droit des étrangers dans un contexte marqué par les occupations d’églises.

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12 avril 2010 1 12 /04 /avril /2010 03:23

 

Noam CHOMSKY

Noam Chomsky : intervention à l’Assemblée Générale des Nations Unies lors du débat sur la « Responsabilité de Protéger »

 

http://goudouly.over-blog.com/article-responsabilite-de-proteger-48280891.html

Sur le Grand Soir

 


Les débats sur la Responsabilité de Protéger (Responsability to Protect – R2P), ou sur son cousin « l’intervention humanitaire », sont régulièrement perturbées par la présence d’un cadavre dans le placard, la question taboue, à savoir l’histoire telle qu’elle s’est déroulée jusqu’à nos jours.

Dans l’histoire des relations internationales, il y a toujours eu quelques principes qui s’appliquent d’une manière générale. Un d’entre eux est la maxime de Thucydides, qui dit que les forts agissent comme ils l’entendent alors que les faibles sont condamnés à subir. Un corollaire à cela est ce qu’Ian Brownie appelle « l’approche hégémonique du droit » : c’est la volonté des puissants qui détermine la jurisprudence.


Un autre principe vient de l’analyse d’Adam Smith sur le fonctionnement de la politique en Angleterre : les « principaux architectes » de la politique - à son époque il s’agissait des « commerçants et industriels » - font en sorte de voir leurs propres intérêts « particulièrement bien défendus » quels qu’en soient les « effets négatifs » sur les autres, y compris le peuple anglais – mais plus encore sur les populations soumises à la « justice sauvage des Européens » - notamment celle de l’Inde colonisée à laquelle Adam Smith pensait en priorité.

Un troisième principe est celui-ci : en matière de politique internationale, pratiquement tous les recours à la force ont été justifiés par la « responsabilité de protéger », y compris par les pires monstres.


Afin d’illustrer mon propos, prenons Sean Murphy qui, dans son étude universitaire « l’intervention humanitaire », cite trois exemples entre le pacte Kellogg Briand et la Charte des Nations Unies : l’attaque du Japon sur la Mandchourie, l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini, l’occupation d’une portion de la Tchécoslovaquie par Hitler. Toutes ont été accompagnées par de pompeux discours sur le devoir sacré de protéger des populations opprimées et d’autres justifications du même genre. Ce principe s’applique encore de nos jours.

Lorsqu’on entend « la responsabilité de protéger », ou son cousin, décrits comme la « norme émergeante » en matière de relations internationales, il convient de faire un rappel historique. On constate alors qu’elles ont toujours été la norme, aussi loin que l’on remonte en arrière. La fondation de ce pays (les Etats-Unis – NdT) en est un exemple. En 1629, la Colonie de Massachusetts Bay s’est vue accorder sa Charte par le Roi qui a déclaré que « la principale raison d’être de cette colonie » était de sauver les indigènes de leur triste destin de païens. Le Grand Sceau de la Colonie représente un Indien qui dit « Venez nous aider ». Les colonisateurs anglais, lorsqu’ils se sont lancés, selon leurs propres termes, dans « l’extirpation » et « l’extermination » des indigènes – et pour leur propre bien, comme l’ont expliqué leurs honorables successeurs - accomplissaient donc un devoir de protection. En 1630, John Winthrop a prononcé un célèbre sermon qui décrivait la nouvelle nation « ordonnée par Dieu » comme une « cité sur la colline », une rhétorique d’illuminé qui est constamment employée pour justifier les pires « écarts » de cette noble mission de la R2P.


Il serait facile de donner d’autres exemples avec d’autres empires au sommet de leur puissance. On comprend dés lors que les puissants préfèrent oublier l’histoire et regarder vers l’avenir. Mais les faibles auraient tort de les suivre.

Il y a 60 ans, le cadavre est sorti du placard lors du premier procès de la Cour Internationale de Justice (CIJ), dans l’affaire du détroit de Corfou.

Selon le jugement, « La Cour ne peut admettre un tel système de défense. Le prétendu droit d’intervention ne peut être envisagé par elle que comme la manifestation d’une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait, quelles que soient les déficiences présentes de l’organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international. L’intervention est peut-être moins acceptable encore dans la forme particulière qu’elle présenterait ici, puisque, réservée par la nature des choses aux États les plus puissants, elle pourrait aisément conduire à fausser l’administration de la justice internationale elle-même. » (traduction officielle de l’arrêté de la CIJ, avril 1949 – NdT)


C’est dans ce même esprit que s’est tenu en avril 2000 le premier sommet des pays du Sud, auquel ont participé 133 états. Sa déclaration, qui avait très certainement en mémoire le récent bombardement de la Serbie, a rejeté le « soi-disant « droit » d’intervention humanitaire qui n’a aucun fondement juridique que ce soit dans la Charte des Nations Unies ou dans les principes généraux du Droit International. » Les termes de la déclaration confirment celles de l’importante Déclaration sur les Relations d’Amitié des Nations Unies (UNGA, Res 2625, 1970). Ces termes ont été confirmés depuis par la réunion des ministres du Mouvement des Pays Non-alignés en Malaisie en 2006, entre autres, qui une fois encore représentait les victimes habituelles de ces interventions en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans le monde arabe.

La même conclusion a été tirée en 2004 par un haut comité des Nations Unies sur les Menaces, les Défis et le Changement. Le Comité a rejoint les positions de la Cour Internationale de Justice et le Mouvement des Non-alignés en concluant que « l’article 51 ne nécessite ni extension ni limitation de son domaine d’application qui a toujours été clair pour tous. » Le Comité a ajouté que « pour ceux qui seraient insatisfaits par cette réponse, il convient de rappeler que dans un monde rempli de menaces potentielles, le risque posé à l’ordre international et la norme du non-interventionnisme sur lequel il repose est tout simplement trop grand pour accepter une action préventive unilatérale, qui se distingue d’une action décidée collectivement. L’accepter pour un reviendrait à l’accepter pour tous » - ce qui, bien sûr, est impensable.


Et le même principe fut adopté par le Sommet Mondial de l’ONU en 2005.


Tout en réaffirmant des positions qui avaient déjà été entérinées, le Sommet a aussi confirmé la volonté « d’entreprendre des actions collectives, à travers le Conseil de Sécurité et en accord avec la Charte… si les moyens pacifiques se révèlent inadaptés et les autorités nationales manifestement incapables de protéger les populations » de crimes commis à leur encontre. Au pire, la phrase précise la formulation de l’article 42 sur l’autorisation du Conseil de Sécurité de recourir à la force.

Et c’est ainsi que le cadavre est maintenu enfermé dans le placard et la question taboue évitée - dans l’hypothèse, et c’est une grosse hypothèse, où le Conseil de Sécurité serait un arbitre impartial, insensible aux maximes de Thucydides ou d’Adam Smith - mais j’y reviendrai.


Il y a bien eu quelques efforts, aussi louables soient-ils, pour distinguer la « responsabilité de protéger » de l’intervention humanitaire, mais rien dans les faits ne le démontre. Ce n’est pas pour rien que « le droit à l’intervention humanitaire » a été fermement critiqué et qu’il a provoqué un schisme principalement entre les pays du Nord et ceux du Sud, alors même que la « responsabilité de protéger » avait été adoptée – ou re-confirmée pour être plus précis – par consensus lors du Sommet : tout simplement parce que l’acceptation par le sommet de la terminologie sur la « responsabilité de protéger » ne change pas grand-chose sur le fond.

Les droits énoncés dans les paragraphes cruciaux 138 et 139 de la déclaration n’ont pas été sérieusement remis en cause. En fait, ils ont même été confirmés et appliqués, par exemple, dans le cas de l’apartheid en Afrique du Sud. De plus, le Conseil de Sécurité avait déjà prévu dans le Chapitre VII qu’il pouvait recourir à la force pour faire cesser des violations massives de droits de l’homme, les guerres civiles et les violations de droits civiques : résolutions 925, 929, 940, juin-juillet 1994.


Comme le remarque J. L. Holzgrefe, « la plupart des états sont déjà signataires de conventions qui les obligent par la loi à respecter les droits de l’homme de leurs citoyens. » Les rares succès à mettre au crédit de la R2P , comme au Kenya, n’avaient pas besoin de la résolution du Sommet, même si la terminologie de la R2P fut employée à cette occasion. Concrètement, la R2P, telle qu’elle est formulée par le Sommet, n’est qu’un sous-ensemble du « droit d’intervention humanitaire », sauf pour la partie contestée, c’est-à-dire le droit de recourir à la force sans l’autorisation du Conseil de Sécurité.

Ceci ne signifie pas que l’accent mis sur les droits, qui sont déjà largement admis, soit insignifiant. Mais sa véritable signification est déterminée par sa mise en application sur le terrain. Et sur ce plan là, il n’y pas de quoi se réjouir.

Les restrictions définies par l’affaire du Détroit de Corfou et celles qui ont suivi ont parfois été ignorées. L’acte constitutif de l’Union Africaine déclare « le droit de l’Union d’intervenir dans un état membre … en cas de circonstances graves . » Ce qui diffère nettement de la Charte de l’Organisation des Etats d’Amérique (O.E.A.), qui interdit toute intervention « pour quelque motif que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre état. » La raison d’une telle différence est évidente. La Charte de l’O.E.A. a pour objectif d’empêcher toute intervention de la part du « voisin géant du Nord » - ce en quoi elle a échoué, bien sûr. Mais après la chute des états de l’apartheid, l’Union Africaine n’était pas confrontée à ce genre de problème.


Si la doctrine de l’Union Africaine devait être appliquée à l’O.E.A. ou à l’OTAN, ces dernières seraient en droit d’intervenir au sein même de leur alliance. Une idée qui nous mènerait à des conclusions intéressantes et révélatrices sur l’O.E.A. et l’OTAN qu’il est inutile de développer ici. De toute façon, ces conclusions resteraient lettre morte, comme il l’a été démontré dans un passé récent, grâce à la maxime de Thucydides.

Je ne connais qu’une seule proposition faite à un haut niveau pour étendre la R2P au-delà du consensus du Sommet et de l’extension de l’Union Africaine, c’est celle du Rapport du Commission Internationale sur l’Intervention et la Souveraineté des Etats sur la R2P (2001). Dans ce rapport, la Commission envisage une situation dans laquelle « le Conseil de Sécurité rejetterait une proposition ou s’abstiendrait d’intervenir dans un délai raisonnable. » Dans ce cas, le Rapport autorise « une action dans le cadre de la juridiction des organisation régionales ou sous-régionales sous le Chapitre VIII de la Charte, sous condition d’obtenir l’autorisation du Conseil de Sécurité » ((3), E, II).


A ce stade, la présence du cadavre dans le placard commence à se faire sentir. Une des raisons à cela est que les puissants décident seuls de leur « zone de juridiction ». L’O.E.A. et l’U.A. ne peuvent pas le faire mais l’OTAN le peut et ne s’en prive pas. L’OTAN a décidé de manière unilatérale que les Balkans faisaient partie de « sa zone de juridiction » - mais pas l’OTAN elle-même, où de graves crimes ont été commis contre les Kurdes dans le sud-est de la Turquie dans les années 90. Certains états sont donc concernés et d’autres pas, selon le soutien militaire et diplomatique qu’ils reçoivent de l’administration US et d’autres états membres de l’OTAN.


L’OTAN a décidé aussi que sa « zone de juridiction » s’étendait jusqu’en Afghanistan et au-delà. Le Secrétaire général Jaap de Hoop Scheffer a déclaré lors d’une réunion de l’OTAN au mois de juin 2007 que « les troupes de l’OTAN doivent protéger les oléoducs et gazoducs destinés à l’Occident » et d’une manière plus générale protéger les voies maritimes empruntées par les pétroliers et autres « infrastructures cruciales » du réseau énergétique. Les droits étendus accordés par la Commission Internationale sont, dans la pratique, exclusivement réservés à l’OTAN, ce qui constitue une violation des principes énoncés dans l’affaire du détroit de Corfou et confirmés depuis, et ouvre la voie à une justification par la R2P de toute intervention impériale qu’elle déciderait d’entreprendre.


Le principe du détroit de Corfou permet de mieux comprendre à la fois l’enchaînement des événements et les invocations rhétoriques relatives à la R2P et à l’intervention humanitaire, ainsi que leur application sélective sous couvert de cette nouvelle incantation. La « révolution normative » annoncée par les commentateurs occidentaux a commencé dans les années 90, au lendemain de la chute de l’Union Soviétique qui avait servi jusqu’à là de prétexte systématique à toutes les interventions.

L’administration Bush (père) avait réagi à la chute du Mur de Berlin en annonçant officiellement la nouvelle politique de Washington : en en mot comme en cent, tout allait être comme avant, mais avec de nouveaux prétextes. Nous avons toujours besoin d’un énorme appareil militaire, mais pour une nouvelle raison : « la sophistication technologique » des puissances du tiers monde. Nous devons préserver « notre industrie militaire de base » - un euphémisme qui désigne une industrie high-tech soutenue par l’état. Nous devons maintenir des forces d’intervention dirigées vers les régions pétrolifères du Moyen-Orient – là où les menaces qui exigeaient nos interventions militaires ne sont plus représentées par « le Kremlin », contrairement aux prétextes avancés depuis des décennies. De nouveaux prétextes étaient donc nécessaires, et la « révolution normative » est entrée en scène, une fois de plus.


Cette interprétation des événements est confirmée par la manière sélective avec laquelle la R2P est appliquée. Il n’était évidemment pas question d’appliquer ce principe dans le cas des sanctions imposées par le Conseil de Sécurité à l’Irak, sanctions qualifiées de « génocidaires » par deux anciens directeurs du programme « nourriture contre pétrole », Denis Halliday et Hans von Sponeck, qui ont tous deux démissionné en guise de protestation. L’étude détaillée de von Sponeck sur les terribles effets de ces sanctions a été virtuellement censurée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, qui sont les principaux auteurs du programme de sanctions.


De même, il n’est nullement envisagé de l’invoquer pour protéger la population de Gaza, autre responsabilité des Nations Unies, avec toutes les autres « populations protégées » (par les Conventions de Genève), à qui on nie les droits humains fondamentaux. Rien de sérieux n’est envisagé non plus pour la pire catastrophe en Afrique, sinon du monde : le Congo oriental où, il a seulement quelques jours encore, et selon la BBC, les sociétés multinationales étaient accusées encore une fois de violer une résolution des Nations Unies contre le trafic illicite des précieux minerais et de financer ainsi le conflit meurtrier.


Dans un tout autre domaine, il n’est même pas envisagé d’invoquer ne serait-ce que les mesures les plus anodines prévues par la R2P pour répondre à la faim dans les pays pauvres.

L’ONU a récemment estimé que le nombre de personnes qui souffrent de faim a dépassé le milliard, alors que le Programme Alimentaire de l’ONU vient d’annoncer de fortes restrictions budgétaires parce que les pays riches sont en train de réduire leurs maigres contributions pour se consacrer au sauvetage des banques.


Il y a quelques années, l’UNICEF avait annoncé que 16.000 enfants mourraient chaque jour de faim ou de maladies facilement curables. Ce chiffre a augmenté depuis. Rien que dans le sud de l’Afrique, l’hécatombe se déroule au même rythme que le génocide du Rwanda, sauf qu’il ne se déroule pas sur une période de 100 jours, mais se répète tous les jours. Ces données sont connues et pourtant aucune initiative n’est prévue au nom de la R2P, ce qui serait assez facile à faire avec un peu de volonté.

Dans tous ces exemples et dans de nombreux autres cas, la sélectivité s’applique avec une cruelle précision selon la maxime de Thucydides, et confirment les craintes exprimées par la Cour Internationale de Justice, il y a 60 ans.


L’exemple le plus frappant de cette sélectivité extrême et systématique pourrait être l’année 1999, lorsque l’OTAN a bombardé les Serbes, une attaque présentée en Occident comme le joyau de la couronne de la « norme émergente » de l’intervention humanitaire, à l’époque où les Etats-Unis étaient « au sommet de leur puissance » à la tête des « pays civilisés », lorsque « le Nouveau Monde idéaliste, décidé à mettre fin à l’inhumanité » avait ouvert une nouvelle ère en agissant selon « des principes et des valeurs », pour ne citer que quelques uns des propos tenus à l’époque par les intellectuels occidentaux.

Cet autoportrait flatteur se ternit sous l’examen. D’abord parce que les victimes habituelles des interventions occidentales ont vigoureusement protesté. J’ai déjà cité la position du Mouvement des Pays Non-alignés ; Nelson Mandela fut particulièrement sévère dans sa condamnation. Mais ça n’a posé aucun problème, parce que l’opinion des gueux peut être facilement ignorée.

De plus, le bombardement a ouvertement violé la Charte des Nations Unies, encore un problème dont ils se sont facilement débarrassé. Certains se sont livrés à des contorsions juridiques, mais comme l’a formulé la Commission Goldstone, le bombardement était « illégal mais légitime », une conclusion à laquelle ils sont parvenus en inversant la chronologie des bombardements et des atrocités.


Ce qui nous amène à un troisième problème : les faits. Les faits sont parfaitement documentés, et par des sources occidentales fiables. Et ce que les faits révèlent est incontestable. Le bombardement de l’OTAN n’a pas mis fin aux atrocités mais a plutôt provoqué les pires d’entre elles, comme cela avait été prévu par le commandement de l’OTAN et la Maison Blanche. Les conclusions qui sont si bien documentées par les archives occidentales sont confirmées lorsque l’on constate que l’inculpation de Milosevic fut prononcée par le Tribunal Pénal International en pleine campagne de bombardements.

A une exception prés, toutes les accusations portées contre Milosevic concernaient la période qui a suivi le déclenchement des bombardements. Et nous pouvons affirmer que la seule accusation relative à la période précédent les bombardements – à savoir le massacre de Racak – n’avait en réalité aucune importance aux yeux des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ne serait-ce que parce qu’à la même époque ils étaient eux-mêmes en train de soutenir activement des crimes bien pires commis au Timor Oriental, où les atrocités étaient sans commune mesure avec celles commises dans les Balkans.

Là aussi, le problème fut réglé assez facilement : par la censure.


Le cas du Timor Oriental est particulièrement instructif. J’ai personnellement témoigné devant le 4ème Comité en 1978, lorsque les atrocités avaient atteint un niveau « d’extermination assimilable à un crime contre l’humanité commis contre la population du Timor Oriental, » selon les propos de la future Commission Vérité parrainée par les Nations Unies. Dans leur soutien aux atrocités, les Etats-Unis ont été rejoints par la Grande-Bretagne et la France, puis par l’Australie et d’autres pays, et ils ont continué en 1999, lorsque les atrocités ont repris de plus belle. Après le paroxysme final du terrorisme d’état de Septembre 1999, qui a détruit la majeure partie de ce qui restait du pays, le Conseiller à la Sécurité Nationale, Sandy Berger, a déclaré que les Etats-Unis allaient continuer d’apporter leur soutien aux agresseurs, en expliquant que « je ne pense pas que quelqu’un ait jamais énoncé une doctrine qui stipule que nous devons intervenir partout où se pose un problème humanitaire. » Entre-temps, la R2P avait disparu, comme d’habitude.


Dans ce cas précis, pour mettre une fin aux atrocités, il n’y avait nulle besoin de bombardements, de sanctions, ou de quoi que ce soit sinon de la décision de ne plus y participer. Chose qui fut démontrée peu de temps après la déclaration de Berger sur la politique occidentale lorsque, suite à de fortes pressions internes ainsi que de l’étranger, Clinton a formellement mis fin à la participation des Etats-Unis. Les envahisseurs se sont immédiatement retirés et la force de maintien de la paix des Nations Unies a pu entrer sans difficulté. Les Etats-Unis auraient pu se retirer à n’importe quel moment au cours des 25 années qui ont précédé. De façon incroyable, cette histoire horrible a été rapidement présentée comme un succès à mettre au compte de la R2P. Une telle distorsion des faits est si scandaleuse que les mots me manquent pour la qualifier.


J’ai déjà dit que le consensus du Sommet Mondial ne respectait le principe de Corfou et ses suites qu’à condition de présumer que le Conseil de Sécurité est neutre. A l’évidence, ce n’est pas le cas. Le Conseil de Sécurité est contrôlé par ses cinq membres permanents, et tous ne sont pas égaux en termes d’interventions. Une idée nous en est fournie par l’examen de l’exercice du droit de veto qui est la manière la plus radicale de violer une résolution du Conseil de Sécurité. La période significative démarre au milieu des années 60, lorsque la décolonisation et la reconstruction de l’après-guerre ont donné à l’ONU ne serait-ce qu’un semblant de représentativité de l’opinion mondiale. Depuis cette époque, les Etats-Unis détiennent le record absolu, la Grande-Bretagne arrive en deuxième position et tous les autres suivent loin derrière. Au cours des 25 dernières années, la Chine et la France ont opposé leur veto à trois reprises, la Russie quatre, la Grande-Bretagne dix, et les Etats-Unis 43, y compris contre des appels au respect du Droit International. Le cadavre dans le placard pousse un soupir de soulagement tandis que la maxime de Thucydides s’impose une fois de plus.


Une manière de corriger ce défaut dans le consensus du Sommet Mondial serait d’abolir ce droit de veto, ce qui, soi dit en passant, correspondrait à la volonté de la majorité des Américains qui pensent que les Etats-Unis devraient respecter la volonté de la majorité et que ce sont les Nations Unies, et non les Etats-Unis, qui devraient se charger de régler les crises internationales. Et c’est là que nous nous heurtons à la maxime d’Adam Smith, qui rend de telles hérésies impensables, et nous interdit ne serait-ce que d’imaginer une application de la R2P à ceux qui en ont désespérément besoin mais qui ont le malheur de ne pas plaire aux puissants.


Ce qui soulève une autre question. Les maximes qui s’imposent dans les affaires internationales ne sont pas immuables et, en fait, s’appliquent même avec moins de rigueur depuis quelques années grâce aux effets civilisateurs des mouvements populaires. Pour ce projet à long terme et essentiel, la R2P peut se révéler un outil précieux, à l’instar de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH).


Même si les états n’adhèrent pas à la DUDH, et certains même, comme les Etats-Unis, vont jusqu’à en rejeter une bonne partie, il sert néanmoins de référence aux militants dans leurs activités d’organisation et d’éducation, souvent avec efficacité.

Mon sentiment est que si un grand débat s’instaurait, avec un minimum de participation, à laquelle malheureusement les puissants ne semblent pas prêts, la R2P pourrait jouer un rôle similaire et avoir un effet tout à fait significatif.


Noam Chomsky
Juillet 2009
http://www0.un.org/ga/president/63/...

Traduction VD pour le Grand Soir

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http://www.legrandsoir.info/Noam-Chomsky-intervention-a-l-Assemblee-Generale-des-Nations-Unies-lors-du-debat-sur-la-Responsabilite-de-Proteger.html
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11 avril 2010 7 11 /04 /avril /2010 03:12
carte postale de Alain-Marc

"Paysage habité"
Diégo-Suarez, Madagascar
Transfert Polaroïd sur papier

Photographie Alain-Marc

The cARTed Picture Show
Sculpture Amicale - Friendly Sculpture

Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites

http://goudouly.over-blog.com/article-faire-entendre-les-exigences-citoyennes-sur-les-retraites-48200772.html

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Le gouvernement français s’apprête à engager une nouvelle réforme qui risque de porter un coup fatal au système de retraite par répartition en jurant une fois de plus que c’est pour le sauver. Le bilan des réformes menées depuis 1993 est déjà catastrophique car toutes les dispositions prises (calcul sur les 25 meilleures années, indexation sur les prix et non plus sur les salaires des actifs, allongement de la durée de cotisation sous peine de décote...) ont déjà fait baisser le niveau des pensions d’environ 20 %. Elles ont aggravé les inégalités déjà fortes entre les pensions des hommes et des femmes. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoit que le taux de remplacement moyen - niveau de la retraite par rapport au salaire, passerait de 72 % en 2007 à 59 % en 2050. Cette dégradation continuera donc de frapper les actuels retraités et touchera également les générations suivantes.

Malgré ce bilan désastreux, le gouvernement veut aller encore plus loin en supprimant l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans en le portant à 62, voire 65 ou 67 ans, comme le demande le Medef, et en remettant en cause le calcul sur les six derniers mois d’activité des retraites du secteur public. Jumelées avec un nouvel allongement de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein, ces mesures condamneraient à la pauvreté la plupart des futurs retraités, surtout les femmes et tous ceux et celles qui ont connu et connaîtront des périodes de chômage et de précarité importantes. Ce sont les salarié-es les plus jeunes qui subiraient les effets cumulés de ces orientations au moment de partir à la retraite.

Le gouvernement et le patronat persistent à vouloir durcir les conditions de départ en retraite alors même que les entreprises continuent de se débarrasser des salariés âgés avant qu’ils aient acquis la totalité de leurs droits. Exiger que les salariés travaillent et cotisent plus longtemps, alors que l’âge moyen de cessation d’activité est de 59 ans, ne vise qu’à baisser le niveau des pensions. De plus, cette logique remet en cause la solidarité intergénérationnelle. Il n’y a aucun sens à augmenter l’âge de la retraite alors que le chômage de masse sévit pour les jeunes. Au lieu de voir dans la retraite par répartition une transmission perpétuelle et solidaire de la prise en charge d’une génération par la suivante, le gouvernement et le patronat, afin d’attiser la division, la stigmatisent comme un fardeau pour la seule génération à venir.

Le danger ne s’arrête pas là. Le COR dessine les contours d’une réforme pour remplacer notre système par un autre « par points » ou « par comptes notionnels ». Dans les deux cas, il s’agirait de ne plus avoir à assurer un taux de remplacement du salaire défini à l’avance et de faire de la variation du niveau des pensions le moyen d’équilibre financier des régimes. Cela aggraverait encore la baisse du niveau des pensions et contraindrait les salariés, particulièrement les salarié-es pauvres et effectuant les travaux pénibles, à travailler toujours plus longtemps.

La vraie raison des mesures qui s’annoncent n’est pas liée à la démographie. La crise financière a provoqué une récession et donc une flambée des déficits publics. Les États continuent benoîtement à financer leurs déficits en empruntant sur ces mêmes marchés financiers qui ont provoqué la crise. Réduire ces déficits pourrait se faire par une taxation du capital. Mais les spéculateurs refusent évidemment cette solution, demandent que les États donnent des gages et exigent une réduction des dépenses publiques.

Une alternative à cette régression sociale existe pourtant. A moins de décréter la paupérisation des retraité-es, il est normal de couvrir les besoins sociaux liés à l’augmentation de leur part dans la population par un accroissement des prélèvements sur la richesse produite. Les déficits des caisses de retraite sont essentiellement dus au refus obstiné de le faire. Pourtant, le besoin supplémentaire de financement nécessaire aux retraites est réalisable puisqu’il a été chiffré en 2007 par le COR entre 1 et 2 points de PIB jusqu’en 2050, à comparer avec la chute de la part de la masse salariale de 8 points au cours des dernières décennies et avec l’explosion correspondante des dividendes, qui sont passés de 3,2 % du PIB en 1982 à 8,5 % en 2007. Il est donc juste d’augmenter la part des salaires et des pensions dans la richesse produite en s’attaquant aux profits. Le financement des retraites est possible à condition d’en finir avec l’actuel partage éhonté de la richesse au bénéfice des revenus financiers. C’est ce partage qui constitue le tabou à faire sauter, et non l’âge de départ. Il s’agit là d’un choix politique de justice et de solidarité.

La question des retraites pose celle de la société dans laquelle nous voulons vivre. Nous ne pouvons accepter la paupérisation programmée des futurs retraité-es, l’idéologie absurde du « travailler toujours plus » et la destruction des solidarités sociales. Nous souhaitons contribuer à une vaste mobilisation citoyenne (réunions publiques, appels locaux…) pour stopper cet engrenage.

 

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