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En campagne

12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 03:43


Jean Bricmont
Publication originale Le Grand Soir


« Il faut sortir d’un discours purement moral pour (re)commencer à faire de la politique. Cela suppose une vaste mobilisation d’intellectuels qui chercheraient, comme l’a fait la droite lorsque celle-ci était faible, à proposer une série de mesures concrètes, à court et à moyen terme, plus ou moins réalistes, mais faites dans un esprit radical. »

Propos recueillis par Pablo RODRIGUEZ pour Le Drapeau Rouge, mai-juin 2008

Cinq ans après les premières et gigantesques manifestations, un peu partout dans le monde, contre la guerre en Irak, nous ne comptons maintenant que quelques centaines de personnes qui s’entêtent encore à manifester contre ce crime. Comment expliquez-vous cette évolution ?

Il est toujours très difficile d’expliquer des phénomènes sociaux. Nous n’avons pas de théories scientifiques sur ce genre de choses. Mon impression est que la disparition du « communisme » a coïncidé avec la disparition de toute gauche réelle, même de toute la gauche qui, à l’époque où le communisme existait, se réclamait d’un autre modèle que celui de l’URSS. Ainsi, tout combat réel pour la paix et tout combat anti-impérialiste ont également disparu, ainsi que toute perspective socialiste. Ne reste que l’exportation de la démocratie et des droits de l’homme à l’étranger, ce qui, durant la guerre froide, était précisément le but proclamé de la droite, et, sur le plan intérieur, une « lutte » contre un fascisme largement imaginaire et contre les discours politiquement incorrects (anti-féministes, racistes ou homophobes), luttes dont le caractère fantasmatique ne fait que renforcer la droite, parce que la plupart ges gens n’aiment ni les dangers imaginaires ni l’intimidation.

Y a-t-il une responsabilité spécifique de la gauche, de ses intellectuels ou de ses appareils politiques dans cette résignation ?

Il y en aurait une, si la gauche existait. Mais où est-elle ? La plupart du temps, ce qu’on appelle la gauche, disons sa branche institutionnelle, se propose de faire la même chose que la droite, parfois un peu moins brutalement : c’est-à-dire, sur le plan interne, libéraliser et, au niveau international, s’ingérer dans les affaires intérieures des autres pays et, en fait, suivre les Etats-Unis. Et pour ce qui est de la gauche dite "radicale", elle se caractérise par un irréalisme extrême, une attitude quasi-religieuse, qui se traduit par des slogans, tels que "un autre monde est possible", sans préciser lequel ni surtout comment le construire ou "régulariser tous les sans papiers" (c’est-à-dire, en pratique, abolir tout simplement les frontières) ) par opposition à des régularisations partielles, qu’il faut évidemment soutenir autant que possible. Lorsque la LCR annonce la création d’un « grand parti anticapitaliste » en France, un des principaux slogans dont elle couvre les murs est « régularisation de tous les sans papiers », slogan qui est peut-être moralement juste, caritatif, généreux, etc. mais dont on voit mal en quoi il est anticapitaliste.

Nous constatons, par contre, que le Tibet suscite une mobilisation quasi- planétaire...

Oui, du moins dans les "élites" intellectuelles et médiatiques. Cela illustre à nouveau les inversions de priorités d’une bonne partie de la "gauche". Nous ne contrôlons plus la Chine. Le temps des concessions et de la diplomatie de la canonnière est terminé. Rien de ce que nous faisons ne peut les forcer à changer leur politique au Tibet (mettons de côté la question de savoir si cette politique est bonne ou mauvaise). On ne va pas envoyer de troupes au Tibet (du moins, je l’espère) et on ne va pas bombarder la Chine, qui est un peu plus forte que la Serbie. La seule chose qui pourrait avoir un effet, à terme, c’est si nous convainquions les Chinois que nous n’avons plus de visées impérialistes sur cette région de monde. Or, toute l’agitation sur le Tibet donne exactement l’impression opposée, et ne fait en réalité que du tort à la "cause tibétaine". Cette agitation (comme celle, précédente, sur la Birmanie) a uniquement pour effet de renforcer la bonne conscience de l’Occident ("nous, au moins, nous respectons les droits de l’homme") et de nous permettre de ne pas trop nous préoccuper de choses dont nous sommes plus directement responsables, comme les problèmes écologiques, y compris la diversion de ressources alimentaires vers les biocarburants, l’Irak ou la Palestine. Au lieu de comprendre cela, et de s’opposer à ces discours, qui ne sont, au fond, qu’une forme d’exaltation nationaliste (où l’Occident a remplacé les Etats-nations d’antan) et dont la forme est vieille comme le monde (dénoncer avec grande indignation les crimes réels ou supposés des autres et ne pas trop parler des siens propres), le gros de la "gauche" actuelle ne fait qu’en "rajouter" en demandant aux gouvernements occidentaux d’intervenir plus encore dans les affaires intérieures chinoises, alors que la seule chose qui les retient, mais qui ne semble pas préoccuper cette "gauche", c’est une forme de réalisme et de saine conscience des rapports de force.

Quelle perspective voyez-vous dans les forces anti-guerre aux Etats Unis, au sein du pays agresseur ? Percevez-vous des nuances significatives à ce propos parmi les candidats présidentiels et en particulier entre Obama et Hillary Clinton ?

Dans une élection il faut distinguer trois choses : ce que souhaite l’électorat quand il vote pour X, ce que X souhaite faire et ce que X peut faire une fois élu, étant donnés les rapports de force. Si X = Obama (le seul cas intéressant), ceux qui le soutiennent veulent sans doute un changement net, tant sur le plan intérieur que sur le plan international. Certains de ses discours sont impressionnants (et même à gauche d’une bonne partie de la gauche européenne). Pour un politicien américain, alors que les autres voient souvent leurs conflits avec le reste du monde comme un conflit entre le Bien et le Mal, un peu comme notre "gauche" le fait avec la Chine, Obama est très peu manichéen. Ce qu’il souhaite faire, je n’en sais rien, mais on peut être sûr que ce n’est pas un espèce de Chavez caché, qui se révèlerait comme "radical" une fois élu. Finalement, que pourrait-il faire dans ce cas ? Un président n’est pas un dictateur et je ne vois absolument pas comment il pourrait, en ce qui concerne le Moyen-Orient par exemple, changer grand chose à la politique américaine de soutien systématique à Israël, tant le poids structurel (au Congrès, dans l’intelligentsia et les médias) des groupes de pression sionistes bloque tout changement. Et, sur le plan intérieur, il se heurtera aussi à la pression des lobbies industriels, à l’indépendance structurelle des marchés financiers (créée par les "réformes" faites depuis les années Clinton, si pas avant) et à la totale soumission des médias et des intellectuels aux dogmes néo-libéraux. La démocratie est une belle chose, à condition de ne pas se faire trop d’illusions sur ce que cela veut dire : oui, on peut vendre le Drapeau Rouge, et dire plus ou moins ce qu’on veut dans les cafés. Mais de là à croire que la population peut réellement peser en votant sur les décisions qui la concernent, il y a un pas qu’il vaut mieux ne pas franchir. Le principal problème que poserait l’élection d’Obama, c’est que les pro-Américains en Europe auraient ainsi une magnifique possibilité de se lancer dans une campagne d’apologie de l’Amérique, antiraciste, "multiethnique", etc.

L’Europe officielle vient de clôturer, avec la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, la dynamique d’affrontements qu’elle avait suscitée, en 1992, en reconnaissant l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie. Pourtant, elle se présente partout comme l’instrument de la paix par excellence. Comment comprendre l’impunité de ces abus de langage ? Les mots politiques ont-ils encore un sens ?

Il ne faut jamais opposer au pouvoir la cohérence de son propre discours, ou le fait qu’il ne respecte pas en pratique ses propres valeurs, mais considérer ces discours comme une mystification permanente et tenter de faire partager cette attitude. Ceci dit, pour le Kosovo, je pense qu’une bonne partie des dirigeants européens se rend compte qu’on leur a refilé une patate chaude, c’est-à-dire un état mafieux, qui sera un gouffre à milliards, lesquels iront alimenter divers trafics. Mais il leur est difficile de protester, parce qu’ils seraient attaqués par les "défenseurs des droits de l’homme" et aussi parce que ce qui se passe est la suite inévitable de la guerre de 1999 et que, comme l’ont dit Kouchner et Miliband, "la politique extérieure de l’Union européenne est née dans les Balkans" (1).

La Palestine, le Liban, les populations irakiennes plongent devant nos indifférences dans des souffrances indicibles. Pendant ce temps, nos gouvernements et nos médias axent leurs discours sur les propos du président iranien ou les frasques de tel ou tel politicien. Ne sommes-nous pas témoins de l’amorce d’un néo-totalitarisme médiatique capable de gérer sans limites les opinions publiques ?

Pour ce qui est du président iranien, il faut rappeler qu’il n’a pas appelé à la "destruction d’Israël" mais a simplement cité Khomeiny qui souhaitait que le "régime qui occupe Al Qods (Jérusalem) s’efface de la page du temps"(2), ce qui est nettement plus poétique et tout à fait en accord avec les "valeurs occidentales" qui prônent des "changements de régime" un peu partout dans le monde. Quand on leur pose la question (ce que bien peu de journalistes occidentaux osent faire), les Iraniens donnent comme exemple d’"effacements de régime" la chute de l’URSS et le renversement du Chah et de Saddam... De plus, que proposent-ils en ce qui concerne la Palestine ? Un référendum sur son statut, auquel participeraient tous les habitants actuels de cette région, mais aussi les Palestiniens chassés en 1948 et leurs descendants. Curieusement, cette proposition est ignorée par les adorateurs de la démocratie en Chine et de l’autodétermination des peuples au Tibet.

Pour ce qui est du "néo-totalitarisme médiatique", je n’y crois pas ; tout d’abord, si j’y croyais, je ne passerais pas mon temps à écrire dans le Drapeau Rouge ou ailleurs. C’est vrai qu’il faut considérer en gros les médias comme des ennemis et pas des amis (avec néanmoins d’importantes exceptions parmi les journalistes), mais ils ne sont pas invincibles : Chavez a les médias contre lui, mais a gagné bon nombre d’élections. Le référendum constitutionnel de 2005 en France a été soutenu par les médias, mais a été rejeté par la population. L’idée que les médias sont invincibles, très répandue à gauche, permet d’entretenir le défaitisme structurel, combiné à des attentes eschatologiques (l’attente d’une catastrophe écologique globale, ou de nouvelles "invasions barbares", venues du tiers-monde, ayant souvent remplacé le mythe de la révolution prolétarienne) qui sont à la fois le symptôme et la cause de notre impuissance.

N’avons-nous pas des initiatives urgentes à prendre pour contrecarrer cet état des choses et ne pas devoir nous résigner au règne de cette pax américana ?

Nous ne pouvons évidemment pas contrer les guerres américaines à la place des citoyens américains (pas plus que nous ne pouvons résoudre le problème du Tibet). Mais nous pouvons cesser d’être alignés sur les Etats-Unis (et sur Israël). Le premier objectif d’une véritable gauche devrait être de rassembler toutes les forces qui s’opposent à cet alignement. Ces forces sont nombreuses, mais elles sont dispersées, à droite et à gauche, et sont moins bien organisées que les forces pro-américaines. Mais évidemment, il ne s’agit pas d’essayer de faire de l’Union européenne une nouvelle puissance à l’instar des États-Unis. Le monde n’a pas besoin d’une deuxième Amérique. Trop d’Européens qui désirent l’indépendance l’envisagent justement sous la forme de la création d’une deuxième Amérique, une autre super-puissance, surarmée, en posture d’hostilité constante face au reste du monde et, à terme, participant à la course aux armements face aux États-Unis.

Le rôle possible et nécessaire de l’Europe est très différent. Il y a au moins trois choses que l’histoire du 20ème siècle a apprises, ou devrait avoir apprises, aux Européens : une guerre est plus facile à commencer qu’à terminer ; la notion de guerre préventive n’est pas acceptable ; la décolonisation a fait échapper la plus grande partie du monde à notre contrôle. Quoi que nous pensions de la Chine, de l’Inde, de la Russie, du monde musulman, de l’Afrique ou de l’Amérique Latine, le fait est que nous devons vivre avec le reste du monde et non contre lui. Cela doit nous amener à renforcer la diplomatie et la négociation, au lieu des menaces et des ultimatums.

Par ailleurs, et c’est un autre combat dans lequel devrait s’investir la gauche, il faut cesser de suivre un modèle socio-économique (américain) dont le succès apparent dépend d’un surendettement chronique et est impossible à imiter, car lié au rôle dominant joué par le dollar. De plus, le coût humain en termes d’inégalités, d’incarcération, de gaspillage, de bas niveau de l’enseignement et d’insécurité sociale du "modèle américain" et de sa perpétuelle course aux armements ne peut pas être sous-estimé. Allant à l’encontre de ce modèle, il faut approfondir le "modèle européen" de bien-être social, qui donne la priorité non pas à notre "compétitivité", en favorisant les profits, mais aux besoins de nos propres travailleurs, malades, retraités et enfants. Il faut fonder la cohésion sociale sur l’égalité et la sécurité d’existence.

A terme, il faut reposer la question du "socialisme du 21ème siècle", comme dirait Chavez. Mais sans chercher à l’imiter. La grande erreur du "socialisme du 20ème siècle", du moins dans la gauche radicale, a été de confondre socialisme et développement accéléré de pays peu développés, comme l’URSS ou la Chine, puis de se disputer indéfiniment sur la question de savoir qui avait trahi quoi et qui il fallait "soutenir" dans des régions du monde sur lesquelles nous n’avions aucune influence. Il faut reposer la question de ce que pourrait être le socialisme dans des pays capitalistes développés comme les nôtres. Commencer par défendre l’indépendance de l’Europe par rapport aux Etats-Unis et à sauver ce qui peut encore l’être de notre modèle social serait un bon début.

Mais tout cela supposerait une révolution culturelle dans les mentalités de la "gauche". Il faut cesser de mélanger utopies, même désirables (un monde sans frontières), et politique. Et il faut cesser de jouer sur la culpabilisation - en accusant gratuitement la droite d’être raciste, fasciste, sexiste etc. L’échec du "socialisme scientifique" a donné naissance à un nouveau socialisme utopique ; mais celui-ci est une impasse, indépendamment de l’échec de l’URSS. Cet échec n’a pas montré que Marx avait tort quand, dans L’Idéologie Allemande, il critiquait l’idéalisme et l’utopisme. Il faut sortir d’un discours purement moral pour (re)commencer à faire de la politique. Cela suppose une vaste mobilisation d’intellectuels qui chercheraient, comme l’a fait la droite lorsque celle-ci était faible, à proposer une série de mesures concrètes, à court et à moyen terme, plus ou moins réalistes, mais faites dans un esprit radical ("socialiste"). C’est seulement ainsi que la gauche pourra regagner de la crédibilité et reconstruire une forme d’hégémonie intellectuelle, comme celle qui a existé après-guerre. Vu l’état de confusion intellectuelle et de découragement qui règne actuellement, ce projet semble impossible ; mais, comme on disait en ‘68, exigeons l’impossible !


Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université catholique de Louvain. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont un Cahier de l’Herne consacré à Noam Chomsky.


(1) Le Kosovo, une affaire européenne, par Bernard Kouchner et David Miliband, Le Monde, 6 septembre 2007.

(2) Voir mohammadmossadegh.com pour une discussion de la traduction par un Iranien opposant au régime.


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11 juin 2008 3 11 /06 /juin /2008 03:34
« Les marchés libres ne peuvent faire fi de la morale sociale. La recherche du profit constitue l’essence de l’économie de marché. Mais lorsque tout est à vendre, la cohésion sociale s’effrite et le système s’effondre. » Les signataires de cette tribune, anciens dirigeants européens et ministres des finances, sont saisis d’effroi devant les conséquences du libéralisme et de la dérégulation. Ce sont eux pourtant, en leur temps, qui ont choisi d’en faire le fondement de la construction européenne, en un « Consensus de Bruxelles » calqué sur celui de Washington, inscrit au coeur des traités instaurant l’Union.

Le Monde, 21 mai 2008

Cette crise financière n’est pas le fruit du hasard. Elle n’était pas impossible à prévoir, comme le prétendent aujourd’hui des hauts responsables du monde des finances et de la politique. La sonnette d’alarme avait été tirée, il y a des années déjà, par des individus lucides. La crise incarne de fait l’échec de marchés peu ou mal régulés et elle nous montre une fois de plus que ceux-ci ne sont pas capables d’autorégulation. Elle nous rappelle également les inquiétantes inégalités de revenus qui ne cessent de croître dans nos sociétés et jette de sérieux doutes sur notre capacité à nous engager dans un dialogue crédible avec les nations en développement concernant les grands défis mondiaux.

Les marchés financiers sont devenus de plus en plus opaques et l’identification de ceux qui supportent et évaluent les risques se révèle être un défi titanesque. Le secteur bancaire dit "de l’ombre", peu ou pas régulé, n’a fait que croître au cours des vingt dernières années. Les grandes banques ont participé à un jeu de "creation and distribution" de produits financiers extrêmement complexes et elles se sont embarquées dans la vente, sous un emballage assez douteux, de dettes liées à des emprunts immobiliers à haut risque. Des régimes de primes inadéquats, une vision à trop court terme et les conflits évidents d’intérêt ont encouragé les transactions spéculatives.

Les prêts hypothécaires douteux, basés à tort sur l’idée que les prix de l’immobilier continueraient d’augmenter sans cesse, permettant ainsi de rembourser la dette contractée, ne sont que les symptômes d’une crise plus large en matière de gouvernance financière et de pratiques commerciales. Les trois plus grandes agences de notation au monde ont noté ces drôles de valeurs comme étant relativement sans risque. Une banque d’investissement a gagné des milliards de dollars américains en spéculant à la baisse sur les titres subprimes tout en les vendant à ses clients, ce qui résume de façon plus qu’éloquente la perte de toute éthique dans le monde des affaires !

Nous avions été mis en garde des dangers de cette situation. Alexander Lamfalussy et le Comité des sages, dans un rapport sur les marchés des valeurs européennes (2001), ont souligné le lien entre l’apparente efficacité accrue de ces marchés et le prix à payer en matière de stabilité financière. Paul Volker, il y a quelques années, avait déjà exprimé son inquiétude. Paul Krugman a également pointé le doigt vers les menaces posées par des entités financières non régulées en croissance il y a à peu près une décennie. En 2003, Warren Buffett a taxé les produits dérivés d’"armes financières de destruction massive".

Un rapport de la Banque d’Angleterre sur la stabilité financière a mis en avant le fossé dangereux existant entre les créanciers et les conséquences de leurs décisions. Le problème réside dans le modèle actuel de gouvernance économique et d’entreprise axée sur une maigre réglementation, sur un contrôle inadéquat et sur une offre trop faible de biens publics.

La crise financière ne démontre que trop clairement que l’industrie financière est incapable d’autorégulation. Il est impératif d’améliorer le contrôle et le cadre réglementaire des banques. Il faut également revoir les cadres réglementaires pour les instruments d’investissement. L’utilisation d’instruments financiers (comme les CDO, obligations adossées à des actifs financiers divers) doit être réglementée. Toutes les institutions financières devraient, à l’instar des banques, maintenir des réserves minimales, et le ratio d’endettement ne peut rester illimité. Enfin, les régimes de primes doivent être revus afin d’éviter que la prise de risques inconsidérés ne soit encouragée sans une certaine prudence.

En ce qui concerne les conséquences de cette crise sur l’économie réelle, il semble que les experts économiques du monde entier aient été frappés d’un accès de timidité. Presque tous les instituts de prévisions revoient leurs évaluations de croissance à la baisse pour les pays développés en 2008 et 2009. Mais personne n’ose dire clairement si l’Europe est menacée d’une récession économique ou pas. Certains symptômes toutefois ne trompent pas. Dans le cas de l’Union européenne, une récession cette année ou l’année prochaine aurait des conséquences dramatiques.

L’inégalité croissante de revenus s’est produite parallèlement à une croissance continue du secteur financier. Il est vrai que les progrès technologiques ont contribué de façon significative à des différences de plus en plus importantes de revenus en favorisant la main-d’oeuvre hautement qualifiée. Toutefois, les politiques mal avisées ont également eu un impact majeur dans ce domaine. Le capital financier représente à présent quinze fois le produit intérieur brut (PIB) de tous les pays. La dette cumulée des ménages, des entreprises financières et non financières et des autorités publiques américaines représente plus de trois fois le PIB des Etats-Unis, soit deux fois le niveau enregistré lors du krach boursier de 1929.

Le monde des finances a accumulé une masse gigantesque de capital fictif mais qui n’améliore que très peu la condition humaine et la préservation de l’environnement. Cette crise financière a permis de cerner un peu mieux les alarmantes disparités de revenus qui n’ont fait qu’augmenter au cours des dernières décennies. L’ironie de la chose est que les salaires et les primes de nombreux PDG ont atteint des niveaux extrêmement élevés alors que le rendement de leurs sociétés stagnait ou même baissait. L’enjeu éthique est donc majeur !

Les marchés libres ne peuvent faire fi de la morale sociale. Adam Smith, père du laisser-faire économique, a également écrit la Théorie des sentiments moraux (PUF, 1999) et Max Weber a établi le lien entre le dur labeur et les valeurs morales d’une part, et l’avancée du capitalisme de l’autre. Le capitalisme décent (soit un capitalisme respectueux de la dignité humaine, pour reprendre les propos d’Amartya Sen) requiert une intervention publique efficace. La recherche du profit constitue l’essence de l’économie de marché. Mais lorsque tout est à vendre, la cohésion sociale s’effrite et le système s’effondre. La crise financière actuelle réduit la capacité de l’Occident à entamer un dialogue plus constructif avec le reste du monde sur les défis mondiaux, sur la gestion des effets de la mondialisation et du réchauffement de la planète - alors que le boom économique extraordinaire de l’Asie pose de nouveaux défis sans précédent.

Les augmentations spectaculaires des prix de l’énergie et des produits alimentaires viennent aggraver les effets de la crise financière et sont de mauvais augure. Il est très significatif que les fonds spéculatifs ont contribué à la hausse des prix des denrées de base. Les citoyens des pays les plus pauvres en seront les plus touchés. Nous risquons de nous trouver face à une misère sans précédent, à une prolifération d’Etats en faillite, à des flux migratoires plus importants et à davantage de conflits armés.

Certains clament haut et fort que l’Europe compte "des économies solides", avec un meilleur contrôle financier et une meilleure réglementation qu’aux Etats-Unis. On pourrait dire qu’il en est en partie ainsi. Mais n’oublions pas les problèmes croissants sur les marchés immobiliers au Royaume-Uni, en Espagne et en Irlande et le marasme économique qui se répand partout en Europe. Pensons également au nationalisme économique et au populisme qui ont tous deux le vent en poupe.

Les décideurs européens, tant au niveau de l’Union qu’au niveau national, doivent apporter une réponse ferme à l’actuelle crise financière. Nous avons besoin de pragmatisme, d’ouverture d’esprit et de coopération dans la poursuite d’objectifs communs.

L’Europe doit étudier ces évolutions et identifier les conséquences prévisibles dans le court et le long terme afin d’élaborer des propositions à l’adresse de la communauté internationale permettant de contrer les effets et les causes profondes de cette crise.

Il est temps de créer un comité de crise européen qui rassemble des représentants politiques de haut niveau, d’anciens chefs d’Etat et de gouvernement ou des ministres des finances ainsi que des économistes renommés et des experts financiers de tous les continents. Ce comité doit se donner comme tâche de :

-  Procéder à une analyse détaillée de la crise financière dans le contexte plus large que nous avons essayé de décrire plus haut ;

-  Identifier et évaluer les risques socio-économiques que comporte la crise financière pour l’économie réelle, en particulier en Europe ;

-  Proposer une série de mesures au Conseil de l’UE afin d’éviter ou de limiter ces risques ;

-  Présenter au conseil des ministres, aux Etats membres du Conseil de sécurité de l’ONU, au directeur général du FMI et à toutes les autorités et instances concernées une série de propositions afin de limiter les effets de la crise et préparer une conférence financière mondiale afin de repenser les règles de la finance internationale et de la gouvernance concernant les thèmes économiques mondiaux.

En 2000, nous nous sommes accordés pour faire de l’Union européenne la région la plus compétitive au monde. Cette ambition a été réitérée en 2005. Nous devons garantir que la compétitivité de l’Europe soit soutenue et non minée par les marchés financiers. Nous devons agir sans plus tarder : pour nos citoyens, pour davantage d’investissements, pour la croissance économique, pour la justice sociale, pour des opportunités d’emplois, et en définitive, pour un meilleur avenir pour tous les Européens.

Jacques Delors, Jacques Santer, anciens présidents de la Commission européenne ;

Helmut Schmidt, ancien chancelier allemand ;

Massimo d’Alema (Italie), Lionel Jospin (France), Pavvo Lipponen (Finlande), Goran Persson (Suède), Poul Rasmussen (Danemark), Michel Rocard (France), anciens premiers ministres ;

Daniel Daianu (Roumanie), Hans Eichel (Allemagne), Par Nuder (Suède), Ruairi Quinn (Irlande), Otto Graf Lambsdorff (Allemagne), anciens ministres de l’économie et/ou des finances.


La prise de conscience, n'empêche pas de proposer des solutions.
Et là nada !

Assez croquignolesque lorsque l'on analyse tous les efforts qu'ils ont fait pour en arriver là.
Des remors ?

Ces (anciens) dirigeants sur le retour, sont prêts à adhérer à Attac nouvelle formule : décadence
et puis on peut leur conseiller de signer la "magnifique" pétition STOP LA FINANCE, c'est de la même veine.
Manifestement il y a une bagarre sur l'aménagement du libéralisme, ou bien une tentative de domptage.
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10 juin 2008 2 10 /06 /juin /2008 03:23


Le ministère de l'Environnement a perdu la bataille qui l'opposait à l'Équipement depuis près de 40 ans

Le MEDAD, ou encore désormais le MEEDDAT, n'a plus rien à voir avec le ministère de l'environnement. Car dans la bataille qui l'opposait au ministère de l'équipement, c'est le second qui a tué le premier tout en laissant l'impression que les préoccupations écologiques l'avaient emporté !


La manifestation organisée par le personnel du ministère de l'écologie contre la disparition de ce ministère n'a guère fait recette dans les médias. Et pourtant ! N'y a-t-il pas une réelle incongruité à entendre parler de la disparition de ce ministère alors qu'il est officiellement le seul ministère d'État et le premier ministère du gouvernement. C'est qu'en réalité le MEDAD n'a plus rien à voir avec le ministère de l'environnement et que dans la bataille qui opposait depuis près de 40 ans le ministère de l'équipement à celui de l'environnement, c'est le premier qui a gagné et qui a tué le second, tout en laissant l'impression que les préoccupations écologiques l'avaient emporté.
Ainsi, nous assistons au paradoxe de la quasi-disparition du ministère de l'écologie et de ce qu'il portait au moment même où tout un chacun pense qu'il est devenu primum inter pares.

Ce résultat n'est pas réellement surprenant compte tenu de la structure gouvernementale, mais il a été rendu possible grâce à la prise de pouvoir du corps des ponts et ce, dans l'indifférence politique. Lors de la constitution du gouvernement, deux orientations étaient possibles.

La première consistait en la création d'un ministère transverse, chargé du développement durable, avec un contreseing sur les actes des autres ministères. Cette construction aurait permis d'examiner sous l'angle du long terme, de l'urgence écologique, de l'interdépendance et de la complexité, les différentes politiques publiques. Elle aurait nécessité la mise en place d'une véritable évaluation et d'outils de pilotage, un suivi des politiques et un
droit de veto sur des décisions de tout ordre mettant en cause la durabilité, qu'elle soit financière ou écologique.
La seconde consistait à transformer le petit ministère de l'environnement en un grand ministère, avec, là encore, deux orientations possibles ; la première se faisait autour de la gestion de la question climatique, c'est-à-dire intégrant les transports, l'énergie et l'équipement. La seconde se serait faite autour du lien santé environnement et aurait réuni l'environnement, la santé publique et la consommation. Ce n'est pas le choix qui a été opéré.

Si la construction retenue a pour avantage de donner au ministre un poids considérable dans l'architecture gouvernementale, elle présente toutefois deux inconvénients qui risquent de devenir majeurs. Le premier conduit à abandonner les questions de santé pourtant primordiales qu'il s'agisse de nucléaire, d'ondes électromagnétiques, d'OGM ou de pesticides à d'autres ministères avec les difficultés que l'on connaît. Le second vient de ce que les arbitrages entre équipement et environnement sont effectués en interne et que les choix reposent alors uniquement sur le ministre et surtout son cabinet, c'est-à-dire en réalité sur l'organisation de ce grand ministère.

Or, précisément, les choix effectués, apparemment sans que le ministre ne mesure réellement les conséquences des propositions faites par ses services, portent en eux-mêmes la disparition du ministère de l'écologie dans sa finalité et plus grave encore, toute prééminence donnée à la dimension environnementale des choix. Trois orientations essentielles en témoignent.

En premier lieu, la dimension si fondamentale de la connaissance, de l'évaluation et de la prévision disparaît définitivement en tant qu'entité identifiée, achevant la tâche commencée avec la disparition de l'IFEN en tant que structure autonome. Dès lors, les données environnementales, sans lesquelles aucune politique ne peut être mise en place - alors que la France accuse déjà un retard immense au regard des données communiquées par l'Agence européenne de l'environnement - ne vont plus bénéficier d'aucune priorité et surtout seront gérées de manière « politique » sans aucune autonomie par rapport aux directions concernées. L'évaluation économique, dont on a vu l'importance avec la sortie du rapport Stern par exemple, est renvoyée aux oubliettes ce qui signifie que les choix pourront continuer à s'effectuer sans aucune visibilité de long terme ; Le secret, cher à nos gouvernants pourra, nonobstant la convention d'Aarhus, continuer à dissimuler le mauvais état écologique de la France.

En second lieu, le ministère de l'équipement et plus précisément le corps des ponts a réalisé le rêve qu'il poursuivait depuis toujours : absorber le ministère de l'environnement. De fait, la direction de la nature et des paysages ainsi que la direction de l'eau, qui existaient pourtant depuis M.Poujade, premier ministre de l'Environnement sont supprimées. En revanche, les grandes directions de l'équipement demeurent : ce qui signifie que dans l'esprit des ''grands réformateurs'' du corps des ponts, il est plus important de continuer à faire des routes et des aéroports que de gérer l'eau ou les ressources naturelles. Ainsi, il n'existera plus dans la structure gouvernementale aucune direction chargée de veiller spécifiquement sur la nature et ses ressources puisque cette mission sera intégrée avec le territoire et les habitats.
Les grandes missions transversales comme la mission effet de serre disparaissent également, alors que celle de la route, de la mer et de l'aménagement du territoire demeurent. On peut admettre que le nouveau commissariat au développement durable absorbe la délégation du même nom, qui malgré les qualités de son titulaire n'a jamais démontré son utilité. Il n'en va pas de même de la MIES, d'autant plus que le gouvernement prétend faire de ce sujet un point focal de son action. Ajoutons à cela que si logiquement la direction de la prévention des pollutions et des risques se transforme en grande direction des risques, la réorganisation du ministère s'accompagne en revanche d'une externalisation d'une partie des contrôles !

Enfin, ce qui faisait la richesse du ministère, c'est-à-dire des personnels qui n'étaient ni énarques ni issus des grands corps, est anéantie puisque les directions seront partagées entre ENA, Mines et Ponts dans la grande tradition française. Que tout change pour que surtout rien ne change ! Cette devise parait plus que jamais d'actualité et on comprend alors mieux pourquoi, malgré le Grenelle qui parait déjà bien loin, les Déclarations d'utilité publiques d'autoroutes, d'aéroports fleurissent, le mitage de l'espace se poursuit, les couloirs de ligne à très haute tension sont repartis, le secret défense s'applique rigoureusement en matière nucléaire, les pesticides les plus toxiques sont allègrement autorisés, les promesses de législation protectrice en terme d'ondes électromagnétiques oubliées etc…

Même si l'engagement de Jean Louis Borloo et de Nathalie Kosciusko Morizet n'est pas en cause, force est de constater que le risque de déconstruction de la politique environnementale en France existe bel et bien, puisqu'aucune structure ministérielle ne disposera plus des moyens de la défendre.


Corinne LEPAGE
Avocate, ancien Ministre de l'Environnement, Présidente de Cap21.


OGM : Borloo enterre le droit à produire sans OGM

Après l’adoption définitive de la loi OGM au Sénat le 22 mai, la Fédération nationale d’agriculture biologique des régions de France, qui a fait savoir à maintes reprises tout le mal qu’elle pensait de ce texte, va désormais concentrer ses efforts sur les éventuels décrets d’application, la protection de la filière biologique, la défense des intérêts des producteurs et consommateurs bio, et les règles européennes en matière d’OGM.

La loi votée refuse le zéro OGM, seule mesure capable d’arrêter la pollution massive programmée. Il faudra donc faire entendre la demande des bio de pouvoir continuer à produire sans aucune trace d’OGM. La faiblesse d’indemnisation en cas de contamination, le seuil (probable ?) de déclenchement de cette indemnisation à 0,9% de pollution, sa limite à l’année de semis de l’OGM incriminé, et la quasi-impossibilité de ressemer sa propre récolte, sont déjà inscrits comme des moyens de condamner toute culture non-OGM.

A la demande des producteurs, la FNAB travaille désormais à un identifiant pour des pratiques bio supérieures à la réglementation : l’absence totale d’OGM sera parmi les critères centraux de son cahier des charges. Elle sont assurés là-dessus de l’appui de la grande majorité des acteurs de la filière. Elle demandera aux paysans bio et à ceux qui veulent continuer de manger sans OGM de continuer l’action citoyenne afin de renforcer les mesures pratiques de protection contre les transgéniques.

La FNAB sera bien sûr très attentive à ce que le gouvernement français présentera en matière de nouvelles règles à Bruxelles concernant les OGM. Elle militera, avec ses partenaires français et européens, notamment pour le zéro OGM dans les semences, seul moyen de pouvoir tenir le zéro OGM dans les récoltes. Mais la reconnaissance du respect des systèmes agricoles et filières sans OGM dans l’UE, et l’information des consommateurs sur l’alimentation animale doivent être au centre des modifications européennes.

Contact presse : Vincent Perrot, 01 43 38 39 48, 06 84 10 43 79
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9 juin 2008 1 09 /06 /juin /2008 03:06



Le RSA est destiné à réduire la pauvreté d’un tiers d’ici à 2012. Il part du présupposé selon lequel le travail n’est pas assez rémunérateur pour se prémunir contre la pauvreté. Mais cette réforme contient aussi des postulats implicites. Selon Hélène Périvier, le problème n’est pas tant l’insuffisance de la rémunération que le manque d’emplois, le sous-emploi, et les difficultés multiples que rencontrent les personnes sans emploi.

Le gouvernement s’est engagé à réduire la pauvreté d’un tiers au cours du quinquennat. Le Revenu de solidarité active (RSA) est présenté comme la pièce maîtresse de cette ambition. Il repose sur le constat que le travail n’est pas assez rémunérateur pour se prémunir contre la pauvreté. Cela a deux conséquences que l’on peut résumer de la manière suivante, au risque de les caricaturer : la première est que l’on peut être pauvre tout en travaillant ; la seconde, que l’on peut préférer percevoir les minima sociaux (le RMI principalement) plutôt que de travailler, la différence n’étant pas assez intéressante pour s’efforcer de prendre un emploi. Pour corriger cette situation, le RSA entend compléter les revenus des bénéficiaires des minima sociaux qui reprennent un travail, ce qui devrait permettre à une partie d’entre eux de passer le cap du seuil de pauvreté [1]. Par ailleurs, comme il laissera le revenu des pauvres sans emploi inchangé, ces derniers seront, pense-t-on, encouragés à travailler pour bénéficier du RSA. Une mécanique bien huilée, sur le papier du moins, car, la réalité, est plus complexe qu’il n’y paraît.

Qui sont les pauvres ciblés par le RSA ?

Le RSA ne concerne ni les retraités (les plus pauvres d’entre eux sont couverts par le revenu minimum vieillesse), ni les personnes handicapées (qui perçoivent l’allocation adulte handicapé). Il vise les ménages pauvres dans lesquels les personnes en âge de travailler sont jugées aptes à le faire. Dans les trois quarts des cas, il y a au moins un adulte actif dans ces ménages [2]. Certains travaillent et touchent un salaire, les autres sont au chômage [3]. Tous les actifs ne seront pas éligibles au RSA, seuls ceux qui ont un emploi pourront voir leur revenu complété par le nouveau dispositif. Qui sont les actifs pauvres ?

On peut avoir un emploi stable et à temps plein et être pauvre. Cette situation correspond le plus souvent au modèle familial traditionnel dans lequel l’homme travaille et la femme s’occupe des enfants : le salaire de l’homme peut s’avérer trop faible pour subvenir aux besoins de la famille s’il a trop de personnes à sa charge. Le taux de pauvreté des ménages dans lequel l’homme travaille et la femme est inactive, varie de 5,8% à 8,3% selon le nombre d’enfants, chiffre que l’on peut comparer avec le taux de pauvreté calculé sur l’ensemble de la population de 6,3% (au seuil de 50% comme dans tout ce qui suit). Ces familles sont pauvres parce que la femme ne travaille pas et elle ne travaille pas parce que l’organisation sociétale la pousse à être inactive : en levant les verrous qui pèsent sur l’activité des mères peu qualifiées, la situation de ces familles s’améliorerait sensiblement et durablement. En ce sens, le RSA aidera ces familles qui ont incontestablement besoin d’un soutien monétaire, mais il ne s’attaquera pas directement au mal, seulement à son symptôme. Quoi qu’il en soit, ce cas de pauvreté laborieuse n’est pas le plus fréquent, notamment du fait de l’existence du salaire minimum et de la générosité de la politique familiale : seulement 1% des personnes employées à temps plein toute l’année sont pauvres (soit 11% des actifs pauvres, cf. tableau 1).


Tableau 1
Qui sont les actifs pauvres ? (2004)


En % des actifs Taux de pauvreté En % des actifs pauvres
Emploi à temps complet toute l’année 60% 1% 11%
Temps de travail inférieur au temps plein annuel
   dont
12%
7,6%
32%
      Emploi à temps complet une partie de l’année 9% 10% 17%
      Emploi à temps partiel 13% 6% 15%
Chômage
   dont
9%
22%
38%
      chômage indemnisé 7% 17% 15%
      chômage non indemnisé 2% 38% 23%
Indépendant 9% 11% 19%
Total 100% (26 000 000 de personnes) 5% 100% (1 300 000 de personnes)

Source : Observatoire des inégalités
Lecture du tableau : parmi les actifs, 60% travaillent à temps complet toute l’année, dans cette catégorie de travailleurs 1% sont pauvres et ils représentent 12% de l’ensemble des actifs pauvres, dont le nombre au total s’élève à 1 300 000 de personnes.
NB : Le seuil de pauvreté est fixé à 50% du revenu médian soit 645 euros.


Ensuite, on peut avoir un emploi à temps plein mais instable, par exemple en alternant les CDD et les périodes de chômage. Ou bien encore avoir un emploi toute l’année mais à temps partiel. Dans ces cas-là, le Smic horaire ne garantit pas un salaire décent aux travailleurs. Ils ne sont pas tous pauvres pour autant, car certains vivent avec des personnes dont les ressources sont suffisantes pour subvenir aux besoins du ménage. Mais dans le cas contraire, ils entrent dans la catégorie des travailleurs pauvres. Au total, un tiers des actifs pauvres sont dans cette situation (tableau 1). À cela s’ajoute le cas particulier des indépendants dont les revenus sont aléatoires : ils représentent un cinquième des actifs pauvres. Ces deux groupes constituent la cible privilégiée du RSA : il leur permettra d’augmenter leurs ressources en cumulant leur revenu avec l’allocation de solidarité active. S’il est légitime de soutenir ces ménages, il est tout aussi indispensable de s’interroger sur la qualité des emplois occupés par ces travailleurs pauvres dont les conditions de travail sont souvent difficiles.


Parmi les actifs, il y a aussi ceux qui n’ont pas d’emploi : les chômeurs. Le Smic ne les protège pas. Or ils représentent presque 40% de l’ensemble des actifs pauvres (tableau 1). Certains chômeurs sont indemnisés et perçoivent une allocation au titre de l’assurance chômage, les autres n’y ont pas droit parce qu’ils n’ont pas suffisamment, ou pas du tout cotisé. Ceux-ci n’ont pas de revenus du travail, et donc pour eux, le RSA ne change rien directement : ils resteront pauvres et dépendront des derniers filets de sécurité, à savoir pour l’essentiel un RMI non revalorisé, mais aussi pour certains, l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) ou l’Allocation parent isolé (API) selon leurs parcours professionnel et familial. Considéré comme inefficace [4], le RMI est jugé à l’aune du nombre de ses allocataires. Toute augmentation de ce nombre est souvent interprétée, à tort, comme une preuve de son échec. Le nombre d’allocataires est sensible à la conjoncture : lorsque l’environnement économique et le marché du travail se dégradent, le RMI joue son rôle de dernier filet de sécurité en garantissant une aide minimale à ceux qui sont le plus affectés par un contexte défavorable. L’accroissement du nombre d’allocataires résulte aussi des ajustements de l’assurance chômage, devenue plus restrictive ; ils ont entraîné une augmentation du nombre de chômeurs non indemnisés [5], pour lesquels le RMI est le seul recours. Au fil du temps, le RMI est ainsi devenu un prolongement de l’indemnisation chômage [6]. Pour aider ces chômeurs, on pourrait commencer par revoir les règles de l’assurance chômage de telle sorte que celle-ci protège mieux et plus longtemps les plus fragiles vis-à-vis de l’emploi.


En résumé, le problème n’est pas tant que l’emploi ne paie pas, mais plutôt le manque d’emplois et le sous-emploi. L’actif pauvre est souvent un chômeur pauvre, ou un « demi-chômeur » pauvre (ou, si l’on préfère, un « demi-travailleur » pauvre) et plus rarement un travailleur (au sens de quelqu’un qui travaille toute l’année à temps plein). Le RSA se concentre sur les pauvres qui ont un revenu du travail.

Est-ce à dire qu’il laisse de côté tous les autres ? Ce serait aller trop vite en besogne, car le RSA est non seulement un dispositif de lutte contre la pauvreté mais également un élément de la politique de l’emploi. Il a pour triple objectif d’« inciter à l’activité professionnelle grâce à une meilleure articulation entre prestations sociales et revenus du travail », de « faciliter une insertion durable dans l’emploi », et enfin de « lutter contre la pauvreté ». L’idée est donc de lutter contre la pauvreté par l’insertion dans l’emploi.

Le paradigme de l’incitation au travail

Le RSA part de l’idée que si certains pauvres sont sans emploi, c’est parce que le salaire auquel ils peuvent prétendre est trop faible au regard des revenus d’inactivité dont ils bénéficient sans rien faire. Autrement dit, le RMI est trop élevé relativement au salaire potentiel de ces personnes, qui sont devenues dépendantes du système et ne sont plus encouragées financièrement à en sortir [7]. Le RSA fait d’une pierre deux coups : non seulement il vient en aide aux travailleurs pauvres en leur assurant un complément de revenu mais, ce faisant, il encourage les pauvres à reprendre un emploi puisqu’il creuse l’écart entre les revenus du travail et ceux du non emploi.


Tableau 2
Allocataires des minima sociaux et situation sur le marché du travail en 2006


RMI ASS API longue
Activité 70%
87%
32%
   Emploi 19% 15% 10%
   Chômage 51% 72% 22%
Inactivité 30% 13% 68%

Source : Pla (pdf), 2007.


Les individus pauvres sans emploi peuvent être inactifs ou chômeurs. Par définition, les chômeurs recherchent un emploi mais n’en trouvent pas : en 2001, 62% des Rmistes et 82% des allocataires de l’ASS étaient au chômage (26% des APIstes, cf. tableau 2). Ils pourraient devenir plus efficaces dans leur recherche, pense-t-on, si le jeu en valait davantage la chandelle. Mais les RMIstes au chômage sont déjà très actifs dans leur recherche et ils refusent rarement un emploi [8]. L’incitation financière n’apparaît pas comme étant la clé du problème des chômeurs pauvres (voir l’article de Dominique Méda ). D’ailleurs, dès que le marché du travail se dynamise, le nombre d’allocataires diminue. Ce sont les personnes les plus « employables » qui voient alors leur situation s’améliorer. Malgré tout, et même en période de création d’emplois et de baisse du chômage, le marché du travail n’est pas en mesure d’intégrer l’ensemble des personnes pauvres qui vivent des minima sociaux. Plutôt que de tout miser sur l’incitation au travail, ce qui est par ailleurs extrêmement stigmatisant pour ceux qui n’en ont pas, il serait plus judicieux de renforcer leur accompagnement vers l’emploi. Le service public de l’emploi manque sensiblement de moyens en France : le budget consacré par chômeur est 3,6 fois moins important qu’aux Pays-Bas et 2,8 qu’en Grande Bretagne [9]. En outre, il existe une batterie de contrats aidés à destination des allocataires de minima sociaux. Certes, ils sont loin d’offrir un parcours ascendant à tous leurs bénéficiaires, néanmoins ils restent à ce jour le moyen le plus rapide de donner du travail à des personnes sans qualification ou déqualifiées. Or, le RSA est proposé dans une période de forte réduction du nombre de contrats aidés à destination des allocataires des minima sociaux : il y en aura 100 000 de moins d’ici la fin 2008 (voir graphique 1). Ce retournement brutal de la politique de l’emploi affectera les moins bien lotis, car on voit mal comment ils pourront alors décrocher un emploi et donc bénéficier du RSA.


Graphique 1

graphique 1

Cliquer ici pour agrandir le graphique

Restent tous les inactifs pauvres qui, eux, ne recherchent pas d’emploi. Est-ce l’insuffisance de la rémunération nette de l’emploi qui les en dissuade ? Il est vrai que la recherche d’un emploi est une démarche coûteuse, ce qui accentue les difficultés de reprise d’activité des personnes les plus pauvres, lesquelles peuvent difficilement faire cet « investissement ». Une fois l’emploi obtenu, ces dépenses persistent : transports quotidiens, habillement, garde des enfants… Mais le coût n’est pas le seul obstacle, la disponibilité des services est également en cause : comment aller travailler (ou même se rendre à un entretien d’embauche) quand on n’a pas de voiture, ou même pas de permis de conduire, en l’absence de transports publics ? De même, comment être disponible rapidement lorsqu’on a un enfant en bas âge, ce qui est le cas des allocataires de l’API (Allocation Parent Isolé), et que l’on ne dispose pas d’une place en crèche, ou chez une assistante maternelle ? La question de la disponibilité des modes de garde sur le territoire est centrale dans l’accès à l’emploi des mères de jeunes enfants. Ces personnes ne peuvent tout simplement pas travailler, avec ou sans RSA.

Le RSA ou la pauvreté méritée ?

La pauvreté est le fruit de multiples handicaps qui, combinés, fragilisent la position de l’individu et de sa famille : bas salaire et précarité de l’emploi, manque de qualification ou déqualification, mais également problème de logement, de mode de garde, problèmes familiaux et sociaux. Un état de santé médiocre, ainsi que le manque d’estime de soi constituent un obstacle supplémentaire pour s’engager dans une démarche active de recherche d’emploi [10]. D’ailleurs, l’abandon de cette recherche par une minorité d’allocataires s’explique le plus souvent par des problèmes de santé [11]. Ces personnes sont pauvres et inactives et ne recherchent pas d’emploi : méritent-elles de ne pas être aidées pour autant ? La logique du RSA est claire sur ce point, elles ne le seront pas plus qu’aujourd’hui comme l’a très clairement souligné Martin Hirsch : « J’insiste également sur le fait que seules les personnes qui travaillent bénéficieront d’un surcroît de prestations par rapport à la situation actuelle. Avec le RSA, nous ne mettons pas un centime vers l’inactivité, et nous augmentons sensiblement le pouvoir d’achat des travailleurs pauvres  ». Le RSA se fonde sur une vision duale de la pauvreté : la pauvreté méritante, celle qui affecte ceux « qui travaillent et se lèvent tôt », par opposition à une pauvreté qui serait « méritée ». Cela repose sur une idée naïve et dangereuse : « quand on veut, on peut ». Cela conduit à considérer, de façon absurde dans le contexte socio-économique actuel, que le fait d’« avoir un emploi » est révélateur de la volonté de l’individu de se réinsérer… En refusant de toucher aux niveaux des minima sociaux, on sacrifie sur l’autel de l’incitation au travail les individus qui constituent le « noyau dur » de la pauvreté, ceux pour lesquels une insertion immédiate dans l’emploi apparaît peu crédible. Le dernier rapport de l’Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale fait état d’une stabilisation du nombre de pauvres, mais d’une intensification de la pauvreté, ce qui n’est pas étonnant au regard de la dégradation du niveau du RMI (graphique 2). Le niveau du RMI est ainsi passé d’un peu moins de 70% du seuil de pauvreté en 1995 à près de 60% en 2005.


Graphique 2

Graphique 2

Cliquer ici pour agrandir le graphique

Pour lutter contre la paupérisation des plus démunis, la mesure d’urgence serait de relever le niveau du RMI, ce qui profiterait au tiers des ménages pauvres qui perçoivent actuellement cette allocation [12]. À cette mesure devraient s’ajouter des politiques de fond qui mettent l’accent sur l’accompagnement dans l’emploi des chômeurs, sur la formation, sur l’encouragement à l’emploi des femmes. Ainsi qu’une meilleure prise en charge du coût de l’enfant (avec par exemple une allocation familiale dès le premier enfant) et une création massive de modes de garde. Enfin les questions de l’accès au logement et de l’accès aux soins devraient également être intégrées dans une politique générale de lutte contre la pauvreté. Évidemment tout cela est coûteux. Comme le dit le prix Nobel d’économie, Robert Solow : « No cheap answer ». Il s’agit là d’un véritable engagement de la société, qui exige de redéployer massivement les ressources pour se donner les moyens de cette ambition.

Photo : © Samuel Duchay

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8 juin 2008 7 08 /06 /juin /2008 03:36

 

L’Assemblée nationale a adopté jeudi, à la quasi-unanimité, un amendement surprise au projet de loi sur la réforme des institutions visant à inscrire la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. « Les langues régionales appartiennent au patrimoine » de la Nation, prévoit l’amendement présenté par le président UMP de la commission des Lois et qui complètera l’article 1 de la Constitution.

En quoi les langues régionales seraient elles brimées en France pour qu’il faille en catimini modifier l’article 1er de la Constitution, sans débat préalable ?

La diversité linguistique existe même si, bien souvent, elle relève plus du folklore que d’une réelle diversité culturelle. Vous imaginez MOLIERE ou VOLTAIRE traduits dans certains patois dont la conjugaison se limite à 3 personnes au lieu des 6 de la langue française ? Inscrite comme principe constitutionnel, elle introduit la division et contredit l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958: « La langue de la République est le français ». Cette nouvelle disposition : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine » située à l’article 1er hiérarchise ces principes fondamentaux. Ceci constitue une concession essentielle au communautarisme. Elle sera très vite instrumentalisée par les groupes de pressions qui ont réussi là un bon coup constitutionnel.

Ainsi, dans les écoles bretonnantes DIWAN (fondées en 1942 par le collaborateur notoire « JAN » puis finalement agréées quelques décennies plus tard par un certain « Djack Lang »), le Français deviendra la « seconde langue » pour toute la scolarité des élèves concernés.

C’est le principe même de citoyenneté qui est remis en cause et ainsi « différencialisé » selon les ethnies locales. Des droits différenciés constitutionnalisés au nom d’une langue régionale. Les rapports sociaux se construiraient alors dans des logiques communautaires à prééminence linguistique contre le principe de la citoyenneté, selon des droits différenciés et communautaires. Le lien communautaire s’opposera au contrat social, au contrat national. Toutes les revendications alimentées par des foyers identitaires valident ces tentations d’un communautarisme politique. Elles condamnent la laïcité et le « vivre ensemble » inhérent à la notion même de Res Publica. Le groupe deviendrait attributaire de droit et non plus le citoyen.

Le Conseil Constitutionnel dans sa décision 99-412 du 15 juin 1999, au sujet de la charte européenne dans langues régionales, confirme nos craintes lorsqu’il énonçait : « ''La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ; que le principe d’unicité du peuple français, dont aucune section ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale, a également valeur constitutionnelle ;

Considérant que ces principes fondamentaux s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, définis par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance'' ».

Auparavant, dans une décision 96-373 du 9 avril 1996 portant statut d’autonomie de la Polynésie française : « Le Conseil a tenu à préciser, aussi, que la reconnaissance de la possibilité d’utiliser les langues tahitienne et polynésienne ne saurait aller contre le principe inscrit dans la Constitution que le français « est la langue de la République'' ».

Rappelons dans le cadre de l’affaire Diwan d’intégration des écoles communautaires linguistiques par immersion, donc avec l’usage exclusif de la langue bretonne comme langue d’enseignement, le Conseil d’Etat a fait droit à deux recours du CNAL et de l’UNSA Education en s’appuyant sur nos principes constitutionnels. Introduire aujourd’hui cette disposition dans la Constitution remet en question ces décisions. L’enseignement par immersion fait du français une langue seconde. Certes, on peut considérer que c’est du ressort de l’Etat d’offrir aux élèves qui en font la demande la possibilité de compléter le socle commun de connaissances requis par des matières optionnelles (des langues régionales, certains sports peu pratiqués, etc.). Est-ce bien au moment où l’Etat supprime 12500 postes d’enseignants et diminue drastiquement le nombre des heures/classe accordés aux EPLE pour l’enseignement des matières ESSENTIELLES qu’il faut accorder – avec la force d’un texte constitutionnel de surcroît - à quelques minorités locales des moyens supplémentaires… qui vont cruellement manquer pour l’enseignement du Français ou des Sciences Humaines ?

Décidément, le Sarkozysme est de plus en plus synonyme de remise en cause systématique des fondements de notre République et de retour en force à l’Ancien Régime… celui des « parlements » locaux réunis sous la seule autorité du Monarque !

par Thierry Pontillon
Directeur d’école primaire - syndicaliste

 



Lanques régionales: Mon intervention à la tribune du Sénat

Par Jean-Luc Mélenchon



"Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en montant à cette tribune, je suis persuadé que, quels que soient les points de vue que vous exprimez sur ce sujet, tous ici vous vous sentez aussi patriotes que moi-même, aussi attachés à l’unité et à l’indivisibilité de la République française que je le suis et dignes continuateurs du progrès constitué par l’ordonnance de Villers-Cotterêts : ce texte a établi le français comme langue du royaume, permettant à chacun de se défendre, de témoigner, d’attaquer en justice et d’être compris par les autres.

Mais l’homme qui s’exprime en cet instant, fier d’être jacobin, ne parlant que la langue française pour s’adresser à vous ou bien l’espagnol, langue de ses grands-parents, et qui, s’il devait apprendre une autre langue, choisirait l’arabe, langue minoritaire la plus parlée dans la région d’Île-de-France dont il est l’élu, ne vient pas devant vous pour discuter de la question de savoir si l’on est pour ou contre les langues régionales – ce qui est absurde – ou, pire encore, si l’on est pour ou contre la diversité culturelle : il s’agit de savoir si le cadre légal existant est adapté, car il en existe déjà un, ou si la France a besoin de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour faire progresser la diffusion de celles-ci.

Pour ma part, je n’accepte pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise les langues régionales. Ce n’est pas vrai ! La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif très favorable aux langues régionales ; elle était même en avance sur beaucoup de pays d’Europe à cet égard.

La loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui porte le nom du socialiste Maurice Deixonne, a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales de France dans l’enseignement public : le basque, le breton, le catalan et l’occitan, auxquels se sont ajoutés ensuite le corse en 1974, le tahitien en 1981, et quatre langues mélanésiennes en 1992. De sorte qu’aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat.

La loi Toubon de 1994 a confirmé ce cadre légal favorable et Lionel Jospin, par la loi du 22 janvier 2002, a mis des moyens particulièrement importants à la disposition de l’enseignement de la langue corse, si bien que quiconque le veut peut suivre un enseignement en corse à l’école, au collège et au lycée, à raison de trois heures par semaine.

L’État a aussi contribué, en lien avec les collectivités locales qui le demandaient, à rendre possibles les signalisations routières bilingues, ce qui permet, dans certains départements, de pouvoir enfin lire les indications rédigées en français, qui étaient jusque-là surchargées de graffitis. Par ailleurs, de nombreuses régions font preuve d’innovation pour favoriser le développement des cultures et des langues régionales.

Par conséquent, rien dans le cadre légal et réglementaire actuel, ni dans la pratique effective, n’est de nature à brider la pratique et la transmission des langues régionales. Et il n’existe pas une voix en France – pas même la mienne ! – qui s’oppose à ce que soient pratiquées les cultures ou les langues régionales. Si le nombre de locuteurs diminue et si leur âge moyen s’élève, il faut en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et de la loi !

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n’est pas un remède acceptable. Elle est loin de faire l’unanimité en Europe. Contrairement à ce que l’on entend souvent, trop souvent, la France n’est pas l’un des « rares » pays européens à ne pas avoir ratifié cette charte. Quatorze pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, qui ne sont pas des États réputés liberticides. Je pense que personne ici n’a l’intention de comparer le comportement de la République française, quels que soient ses gouvernements, à ceux des gouvernements des pays baltes qui, eux, procèdent à une revanche linguistique à l’égard des russophones.

Parmi ceux qui ont signé cette charte, comme la France, dix États ne l’ont pas ratifiée, dont l’Italie. Au total, vingt-quatre pays membres du Conseil de l’Europe se refusent donc à rendre applicable cette charte sur leur territoire. Cela peut être attribué non pas exclusivement à leur mépris pour les langues régionales minoritaires, mais probablement à d’autres causes ; j’évoquerai l’une d’entre elles tout à l’heure. La France est donc loin de constituer un cas particulier.
La France applique déjà beaucoup d’articles de la charte sans avoir besoin de la ratifier. Vous savez qu’il existe deux types de dispositions : les préconisations impératives et celles qui sont optionnelles. Un grand nombre de préconisations impératives sont déjà appliquées ; je n’évoquerai, pour l’exemple – je vous en épargnerai la lecture –, que les articles 7-1-f, 7-1-g et 7-2. Parmi les préconisations optionnelles que la France respecte, on peut citer les articles 8-1-b, 8-1-c, 10-2-g.

Il n’est donc pas vrai que nous ayons besoin de ratifier la charte pour en appliquer les dispositions qui ne sont pas contraires à notre Constitution, et c’est de celles-ci qu’il faut parler !

J’ajoute, ayant été ministre délégué à l’enseignement professionnel et ayant eu à connaître de cette question, que la définition des langues minoritaires donnée par la charte est extrêmement discutable et confuse.

J’observe qu’elle exclut de son champ d’application toutes les langues des migrants – je pense à l’arabe, à la langue berbère et à bien d’autres – comme si les citoyens qui les parlent du fait de leurs liens familiaux, alors qu’ils sont Français, devaient considérer ces langues comme des langues étrangères, comme si l’on demandait aux Algériens, aux Sénégalais, aux Maliens et à combien d’autres de considérer la langue française comme une langue étrangère à leur culture ! (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Pourtant, c’est ce que fait cette charte !

Cette définition extrêmement confuse aboutit à ce que certaines langues soient reconnues comme minoritaires dans un pays et ne le soient pas dans l’autre, alors qu’elles sont parlées dans les deux pays dans les mêmes conditions. C’est le cas du yiddish, reconnu comme langue minoritaire aux Pays-Bas, mais pas en Allemagne ou dans certains pays de l’Est où il est tout autant parlé.

Cette définition très floue peut être, finalement, discriminatoire et elle aboutit à des reconstructions de l’histoire. Je veux bien, chers collègues, que l’on parle de la langue bretonne, mais encore doit-on préciser qu’elle résulte du dictionnaire dit « unifié » de 1942 et qu’elle se substitue aux cinq langues qui existent réellement dans la culture bretonne.

M. Gérard Le Cam. C’est vrai !

M. Jean-Luc Mélenchon. À cet instant, je ne ferai mention ni du fait que l’auteur dudit dictionnaire est un collaborateur des nazis, qui a été condamné à l’indignité nationale, s’est enfui et n’est jamais revenu dans notre pays, ni des conditions dans lesquelles ce dictionnaire a été rédigé et financé à l’époque.

La définition retenue par la charte aboutirait, par exemple, à des absurdités concernant le créole, et bien injustement. Je me souviens d’avoir demandé, en tant que ministre délégué à l’enseignement professionnel, quel créole on devait enseigner ; j’y étais prêt, car cela facilitait l’apprentissage des élèves. Eh bien, trois ans après, je n’avais toujours pas de réponse, parce qu’il n’y a pas un créole, mais des créoles ! Par conséquent, on est amené à choisir, trier, exclure, discriminer de nouveau au moment où l’on croit intégrer. Ce n’est pas pour rien que nos institutions écartent ce type de charte !

Enfin, j’aborde ce qui constitue pour moi le cœur du problème. Il ne s’agit pas de dire que la sauvegarde des langues et cultures régionales nous pousse sur la pente qui conduit automatiquement à la sécession, au particularisme et au communautarisme. Telle n’est pas mon intention ! Mais j’ai bien l’intention de dire que le risque existe. Il ne saurait être question, sous prétexte de respect de la diversité culturelle, d’admettre un point en contradiction absolue avec la pensée républicaine : il n’y a pas lieu de créer des droits particuliers pour une catégorie spécifique de citoyens en raison d’une situation qui leur est propre.

Le fait de parler une langue différente ne suffit pas à instituer des droits particuliers en faveur de ses locuteurs ! Or c’est ce que prévoit explicitement la charte : il s’agit d’encourager la pratique de ces langues « dans la vie publique et la vie privée ».
S’agissant de la vie privée, je rappelle que le caractère laïque de notre République interdit que les institutions gouvernementales et étatiques fassent quelque recommandation que ce soit concernant la vie privée des personnes.
Quant à la vie publique, il est précisé que les États doivent « prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ».

À l’évidence, ce texte a été écrit à l’intention de pays où des secteurs entiers de la population parlent une autre langue que la langue nationale et seulement celle-là, comme c’est le cas des minorités hongroises ou autres, qui existent dans divers pays de l’Union européenne. Mais en aucun cas il n’a été écrit pour la France, car dans quelles conditions peut-on désigner les représentants de ces groupes ? Va-t-on maintenant élire des représentants des locuteurs de telle ou telle langue ? Non ! C’est en totale contradiction avec l’idée d’égalité républicaine !

Il ne peut être question de faire bénéficier de procédures en langues régionales devant les autorités judiciaires, comme le prévoit l’article 9 de la charte, ou devant les services publics, comme le décide l’article 10. Témoigner, poursuivre en justice, signer des contrats dans une autre langue que la langue française constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Pourtant, c’est ce que prévoit cette Charte européenne des langues régionales ou minoritaires !

Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes "? de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires "? dans lesquels ces langues sont pratiquées, cette Charte porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

Après l’exposé de ces raisons juridiques, philosophiques et républicaines, je voudrais enfin souligner, d’une façon plus personnelle, qu’il ne saurait être question de ne pas tenir compte de l’origine de la charte, à l’heure où beaucoup prétendent, à la suite de Samuel Huntington et de sa théorie du choc des civilisations qui est aujourd’hui la doctrine officielle d’un certain nombre de stratèges de la première puissance mondiale et de quelques autres pays, que, dorénavant, « dans le monde nouveau, la politique locale est “ethnique"?, et la politique globale “civilisationnelle"? ».

Cette origine, sans doute nombre de mes collègues l’ignorent-ils ; c’est pourquoi je veux la leur apprendre.
La charte, adoptée en 1992 par le Conseil de l’Europe, a été préparée, débattue et rédigée par plusieurs groupes de travail de cette instance qui étaient animés par des parlementaires autrichiens, flamands et allemands tyroliens. Leur point commun était d’être tous issus de partis nationalistes ou d’extrême droite et d’être membres de l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes, la FUEV selon l’abréviation allemande. Cette organisation est aujourd’hui dotée d’un statut consultatif au Conseil de l’Europe, et elle se présente elle-même comme la continuatrice du Congrès des nationalités, instrument géopolitique du pouvoir allemand dans les années trente ! Un des principaux laboratoires de l’élaboration de la charte fut ainsi le groupe de travail officiel du Conseil de l’Europe sur la protection des groupes ethniques, dont la création a été obtenue par la FUEV et qui est également connu pour ses travaux sur le « droit à l’identité », le Volkstum.

Pour toutes ces raisons, la République française n’a donc rien à gagner à modifier sa Constitution pour ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle ne pourrait que se renier en le faisant. Elle doit, tout au contraire, continuer sa politique bienveillante et intégratrice, qui donne aux cultures et aux langues régionales toute leur place dès lors que la République est première chez elle ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UC-UDF). "

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7 juin 2008 6 07 /06 /juin /2008 03:18

La figure 2 se construit en dessinant un triangle.



par Damien Millet

L’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme stipule que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». Au moment où le cours des matières premières explose sur les marchés mondiaux, ce droit à l’alimentation est bafoué par le modèle économique néolibéral promu avec force par le trio infernal Fonds monétaire international (FMI) / Banque mondiale / Organisation mondiale du commerce (OMC). Après une baisse très importante des cours pendant plus de vingt ans, l’inversion de tendance a eu lieu au second semestre 2001. D’abord dirigée sur le secteur de l’énergie et des métaux, elle a ensuite concerné les denrées alimentaires. La tendance est extrêmement forte. En un an, les prix du riz et du blé viennent de doubler. Le baril de pétrole a atteint 115 dollars, l’once d’or 1000 dollars, le boisseau de maïs 6 dollars. Les stocks céréaliers sont au plus bas depuis un quart de siècle. Le coût d’un repas a si fortement augmenté que dans plus de trente pays, la population est descendue dans la rue pour crier sa révolte.

Les explications avancées sont souvent présentées de manière factuelle : dérèglements climatiques ayant réduit la production céréalière en Australie et en Ukraine ; hausse du prix du pétrole répercuté sur les transports puis les marchandises ; demande croissante de la Chine et de l’Inde ; développement des agro-carburants ayant exclu 100 millions de tonnes de céréales du secteur alimentaire en 2007. Nombre d’intervenants refusent d’interroger le cadre économique dans lequel ces phénomènes se produisent. Ainsi, Louis Michel, Commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire, craint « un vrai tsunami économique et humanitaire » en Afrique. L’expression est ambiguë car l’image du tsunami fait référence à une catastrophe naturelle qui nous dépasse et dédouane trop facilement un certain nombre de responsables.

Récemment, le FMI et la Banque mondiale ont voulu tirer la sonnette d’alarme. Des fonds ont été débloqués en urgence. Mais qui rappellera que l’aide publique au développement versée en 2007 par les pays riches a baissé de 8,4% ? Depuis 1970, ils ont promis de la porter à 0,7% du revenu national brut, mais elle ne dépasse pas 0,28% en moyenne, en dépit de manipulations statistiques (inclusion des remises de dettes, des dépenses de reconstruction en Irak et en Afghanistan, etc.). De surcroît, cette aide est très majoritairement octroyée sur des critères géopolitiques, indépendamment des besoins réels.

Et qui remettra en cause la toute-puissance des marchés financiers ? Aux Etats-Unis, les organismes de crédit hypothécaire ont prêté ces dernières années à un secteur de la population déjà fortement endetté, le taux étant modéré pendant deux ans avant d’augmenter fortement. Les prêteurs affirmaient aux emprunteurs que leur bien immobilier gagnerait rapidement de la valeur. En 2007, la bulle de l’immobilier a éclaté. La crise s’est alors propagée à de multiples acteurs financiers qui avaient mis sur pied d’ahurissants montages de dettes et mené d’énormes opérations hors bilan. La spéculation s’est alors déplacée sur un autre secteur devenu plus lucratif : celui des matières premières, poussant les cours à la hausse.

Enfin, qui soulignera que la Banque mondiale semble surtout inquiète car les troubles sociaux menacent la globalisation néolibérale, structurellement génératrice de pauvreté, d’inégalités, de corruption, interdisant toute forme de souveraineté ? Au cours des années 1980 et 1990, les pays du Sud ont été contraints de suivre les diktats néolibéraux sous forme de politiques d’ajustement structurel : réduction des surfaces destinées aux cultures vivrières et spécialisation dans un ou deux produits d’exportation, fin des systèmes de stabilisation des prix, abandon de l’autosuffisance en céréales, fragilisation des économies par une extrême dépendance aux évolutions des marchés mondiaux, forte réduction des budgets sociaux, suppression des subventions aux produits de base, ouverture des marchés et mise en concurrence déloyale des petits producteurs locaux avec des sociétés transnationales…

Aujourd’hui, les populations du Sud paient le prix fort. Les institutions mises en cause doivent rendre des comptes. Un timide mea culpa dans un rapport semi-confidentiel ne peut suffire car elles ont commis le crime d’imposer un modèle économique qui a délibérément privé les populations pauvres des protections indispensables et fait la preuve de son échec en termes de développement humain.

Trois pistes s’imposent alors : l’annulation de la dette extérieure publique des pays du Sud ; l’abandon définitif des politiques néolibérales ; le remplacement du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC par des institutions démocratiques, enfin soucieuses de garantir les droits fondamentaux et le principe non négociable de souveraineté alimentaire.

Damien Millet, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org), auteur de L’Afrique sans dette, CADTM/Syllepse, 2005.

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6 juin 2008 5 06 /06 /juin /2008 03:10


par Rock NIANGA

Depuis des années, le mouvement social mondial dénonce l’abandon de leur souveraineté alimentaire par les pays dits pauvres et annonce que la dépendance aux importations se paiera un jour au prix fort. Ce jour est arrivé…

L’Afrique et d’autres régions du Sud continuent à égrainer leur chapelet de malheurs d’origine capitaliste. Depuis plusieurs semaines, des émeutes de la faim qui se sont déclenchées au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Egypte, au Burkina Faso (les pays qui sont cités sont les pays qui ont connu des émeutes, mais la flambée des prix des produits alimentaires touche tous les pays africains) et d’autres pays du tiers-monde prouvent à suffisance que le système économique actuel, piloté par le monde capitaliste, est émaillé d’insuffisances mettant aujourd’hui à mal les engagements du millénaire pris par toutes les nations du monde pour la lutte contre la pauvreté. Le discours officiel explique l’origine de cette crise alimentaire par les faits suivants : la demande accrue de céréales pour la production de biocarburant, l’augmentation de la demande en aliments de bétail, le changement climatique, l’augmentation du prix du carburant sur le marché international et le faible financement de l’agriculture des pays sous développés.


Origine climatique

Dans certains pays, le changement climatique dû au réchauffement climatique est un facteur qui explique la baisse de la production agricole. Cela ressemble à un fait naturel dont l’homme n’est pas responsable. Bien entendu, non ! Depuis plusieurs décennies, les spécialistes de l’environnement avaient tiré la sonnette d’alarme par rapport au degré considérable d’émissions de gaz à effet de serre d’un certain nombre des pays dont les USA, reconnus comme les plus grands pollueurs du monde et resté tel malgré les pressions de conférences internationales (Rio en1992, Kyoto en1997, La Haye en 2000) et différentes réunions internationales. La dernière en date est celle de Paris. Au cours de ces assises, les USA ont été au centre des critiques portant sur sa résistance à la politique de la diminution de ces émissions de gaz à effet de serre. Le non respect des règles de l’environnement planétaire par les USA et d’autres grands pollueurs tels que la Chine, l’Union Européenne, l’Inde…menace l’agriculture à l’échelle mondiale et contribue massivement à la crise alimentaire qui met en danger la vie des populations du Sud et par conséquent affecte les économies des pays touchés : « Le changement climatique rendrait encore plus difficile la capacité du monde à nourrir une population croissante. », a déclaré Kandeh K.Yumkella, le Directeur général de l’Organisation des Nations Unis pour le Développement industriel (ONUDI) le 09 Avril 2008 lors du premier forum mondial pour l’agro-industrie tenu à New Delhi, en Inde. Comment un pays sous-développé dont 38 à 40% du budget de l’Etat sont consacrés chaque année à une dette extérieure qui, en réalité, a déjà été remboursée plus de dix fois peut faire face à un grand fléau comme le changement climatique ?


Origine liées à la production du biocarburant

La production du biocarburant est l’un des facteurs de la crise alimentaire. C’est un élément gênant au besoin alimentaire et paraît comme concurrentielle au besoin humain et animal. Si, hier, par exemple 80% de la production de l’espace agricole ou des capitaux étaient réservés à l’agriculture destinée à l’alimentation humaine et 20% à la production des aliments de bétail, aujourd’hui, la production du biocarburant vient en quelque sorte gêner la production alimentaire et crée un grand déficit. Très mobilisés par la production de biocarburant, les pays riches ne fournissent plus aux pays du sud les mêmes quantités des produits agricoles à cause de l’augmentation croissante de la demande de biocarburant. Et ce déficit affecte rapidement les pays du Sud car ils sont depuis les années 1980 tributaires de l’extérieur à cause des mesures impopulaires et anti-sociales de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International.
Plus grave encore ! Au moment où la communauté internationale déplore cette activité agricole à cause de ses effets sur le plan alimentaire, la Banque mondiale en fait la promotion. Elle a, en effet, lancé un concours destiné à la recherche du développement agricole du biocarburant bien que cela semble en contradiction avec les aspirations de l’humanité tout entière préoccupée par le déficit alimentaire. La clôture des inscriptions de ce concours a eu lieu ce 21 Avril 2008. Cette institution ne prépare-t-elle pas une autre crise alimentaire ?


Origine liée à l’augmentation de prix du pétrole

Dans les pays du Sud, notamment en Afrique, la situation alimentaire s’est avérée précaire à cause de l’augmentation du prix du carburant qui affecte considérablement les prix des denrées alimentaires locales. Quand les grands médias de l’Occident abordent cette augmentation du prix de carburant, ils ne font allusion qu’à la flambée des prix du baril qui frappe d’abord les pays riches. Ils oublient la flambée des prix qui a eu lieu depuis 2006 à cause de l’arrêt immédiat des subventions du carburant et surtout de l’augmentation des produits pétroliers à la pompe sur instructions de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International. Dans plusieurs pays d’Afrique, même les plus grands producteurs de pétrole, les denrées alimentaires locales ont connu une augmentation des prix avant cette flambée des prix du carburant au niveau international dès que ces mesures impopulaires ont été appliquées. Cette augmentation se fait d’une manière graduelle.
Le Congo Brazzaville en est à sa deuxième augmentation et dans les prochains jours une autre inflation des denrées alimentaires aura lieu à cause de la troisième augmentation du prix du carburant et aussi de la première augmentation du prix de l’électricité et de l’eau imposée par les mêmes institutions financières internationales. Dès son retour de Washington en Juin 2006, le chef de l’Etat congolais l’avait annoncé à la presse en ces termes : « Il a été demandé au gouvernement de réduire le déficit de 20 milliards de FCFA, cette année, le déficit de la CORAF[Raffinerie congolaise] (…). Il en va de même de l’électricité et de l’eau, des mesures que nous devons discuter avec les partenaires de la Banque mondiale et du FMI. On prendra toujours une série de mesures allant dans le sens de la révision des prix même si ces mesures sont graduelles. Nous devons à notre peuple la vérité de dire que ces mesures seront prises de manière graduelle. ». Le Congo attend donc fiévreusement d’autres inflations des prix de l’eau et de tous les produits alimentaires dont la fabrication ou la conservation nécessite l’électricité.
Prenons donc garde ! Pour l’augmentation du prix pétrole sur le marché international, la question est abordée dans un but précis : faire porter la responsabilité de cette crise alimentaire aux pays membres de l’Organisation des Pays Producteurs et Exportateurs de Pétrole (O.P.E.P) et plus particulièrement à deux pays : le Venezuela de Hugo Chavez et l’Iran de Mahmoud Ahmadine Jad qui aujourd’hui, exprimant leurs souverainetés, ne se plient pas aux exigences occidentales, surtout américaines, d’augmenter la production pétrolière pour baisser les prix.


Origine financière

La crise alimentaire actuelle est due à la faiblesse des dépenses allouées au secteur agricole. Dans son rapport de 2008 intitulé l’Agriculture au service du développement, la Banque mondiale, sans en assumer la responsabilité, souligne que cette crise est due au faible financement de l’agriculture dans les pays pauvres. Seulement 4% de l’aide publique au développement va à l’agriculture dans les pays pauvres et 4% des dépenses publiques totales sont affectées à l’agriculture, souligne ce rapport. Reste à poser à cet instant la question de savoir pourquoi les budgets alloués au secteur agricole dans les Etats africains, pourtant pourvoyeurs de capitaux, sont à un niveau si bas. Le faible financement du domaine agricole est dû à l’application de la politique des Institutions de Breton Woods imposée presque à tous les pays du Sud. En effet, pour que les pays du Sud trouvent assez de capitaux pour rembourser leurs dettes vis-à-vis de leurs créanciers du nord, la Banque Mondiale (sous l’influences des Etats-Unis) et le Fond Monétaire International (sous l’influence européenne) ont imposé depuis 1982, suite à la crise de la dette déclenchée au Mexique, une austérité budgétaire à tous les pays. Cette mesure consiste à privilégier le paiement de la dette au détriment des budgets sociaux (santé, éducation, transport, agriculture…) de ces pays pauvres. Cette austérité inscrite dans les Plans d’Ajustement Structurel (PAS) aujourd’hui baptisés Initiative Pays Pauvres Très Endettés (I.P.P.T.E) a deux objectifs. Le premier est de sacrifier les budgets sociaux des pays du Sud pour amasser le maximum de capitaux destinés au service de la dette publique extérieure. Ainsi, les pays du sud consacrent en moyenne 38% à 40% de leurs budgets chaque année pour la dette contre 4% pour l’agriculture. En 2006, au Congo Brazzaville, sur un budget annuel de 1000 milliards 376 millions 907 mille fcfa, la part allouée au Ministère de l’agriculture a été de 2 milliards 432 millions 944 mille fcfa (0,2%) contre 448 milliards de fcfa pour la dette (45%). La dette d’abord ! Il faut noter que la loi de finance 2006, comme d’autres loi de finances précédentes, est toujours examinée par les institutions financières internationales, notamment le Fond Monétaire international, avant d’être soumise aux parlementaires pour le vote. Ce budget avait été soumis à l’Assemblée Nationale et au Seéat avec un retard de cinq mois car les Institutions de Bretton Woods trouvaient trop colossale le volume de l’enveloppe destinée au social !

Dans son rapport 2008 (version provisoire en 2007), la Banque mondiale fait le constat suivant : « La puissance de l’agriculture pour le développement a trop souvent été sous-utilisée (…) le développement par l’agriculture n’a souvent même pas été considéré comme une option. Les pays en développement connaissent trop fréquemment un sous-investissement et un mal-investissement. ». Tout en dénonçant le « mal-investissement », c’est-à-dire les crédits mal orientés, la Banque mondiale accorde une somme de 20 millions de dollars au Congo Brazzaville en Juin 2007 destinée à financer un projet agricole pour une période de cinq ans d’une valeur de 40 millions.
Ce projet est réparti en quatre phases :
- la première, d’une valeur de 4,71 millions de dollars consiste à renforcer les capacités des agents du Ministère dans le domaine de la pêche et des fermes ;
- la deuxième phase, d’une valeur de 16 millions de dollars, est destinée à réhabiliter et construire des routes rurales afin de permettre aux agriculteurs et aux fermiers (qui n’existent plus d’ailleurs) d’écouler leur production ;
- la troisième phase, d’une valeur de 7,6 millions de dollars, doit aider les petits fermiers à se familiariser aux nouvelles techniques pour accroître leur production ;
- la quatrième phase, d’une valeur de 4,7 millions de dollars, est destinée à la coordination et à la gestion des activités du fameux projet. Voilà ce que la Banque mondiale qualifie de bon investissement. Cela ne constitue-t-il pas vraiment un mal investissement ? Cette somme pouvait permettre de créer une véritable unité de production agricole.

La situation est similaire au Cameroun, dragon de l’Afrique centrale, qui, malgré sa puissance agricole, a connu des émeutes de la faim. En 2007 sur un Budget annuel de 2.251 milliards de fcfa, seulement 40 milliards 129 millions de fcfa (soit 1,8%) ont été alloués au Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural et 10 milliards 41 millions de fcfa (0,4%) au Ministère de l’Elevage, des Pêches et de l’Industrie Animale. Les deux ministères en charge du développement rural ont donc reçu au total 2,2% du budget total. Et n’oublions qu’une bonne partie de cette somme n’arrive pas aux bénéficiaires à cause de la corruption. En effet, une étude menée en 2004 par l’Association Citoyenne de Défense des Intérêts Collectifs (ACDIC) démontre que sur 100 fcfa alloués au développement rural, 5 fcfa seulement arrivent à la destination finale. En effet, la corruption a atteint un niveau record depuis que les salaires des agents de la fonction publique camerounaise ont été rabattus suite aux injonctions liées aux Plans d’Ajustement Structurel.
Au-delà de l’objectif de faire payer la dette, il s’agissait pour les pays du Nord d’éliminer l’agriculture des pays du Sud qui, dans les années 80, constituait le pilier de la politique de l’autosuffisance alimentaire, et de détruire la base d’industrialisation, agroalimentaire notamment, amorcée après les indépendances afin de rendre le Sud dépendant des grandes firmes agro-alimentaires du Nord. Cet objectif a été atteint également.
En vérité, si les pays étaient alimentairement souverains, on ne parlerait pas de cette crise. Les mêmes causes produisent les mêmes effets : aujourd’hui, les pays mis sous le joug des institutions financières internationales sont tous exposés à la faim.


Des solutions "intéressées" à la crise alimentaire.

La crise est là, les émeutes de la faim se multiplient, alors les "sauveurs" apportent maintenant les solutions ! On voit aujourd’hui sur les chaînes de télévision, les soi-disant donateurs apporter de l’aide aux démunis du sud, des sacs de riz, du lait ou de haricots portant l’inscription « made in USA ». Conscient de la possibilité du déclenchement de telles crises et du risque de leur ampleur, conséquence des différentes politiques conçues dans les bureaux luxueux de Washington, Londres ou Paris, les USA avaient créé comme mesures d’accompagnement, depuis les année 1980, un fonds d’aide alimentaire et un stock de millions de tonnes de céréales. C’est sûrement grâce à ce fonds que les USA se font les plus grands pourvoyeurs d’aide alimentaire du monde. En Afrique, le pays de l’oncle Sam a déjà « aidé » l’Ethiopie, l’Erythrée, le Soudan et l’Afrique du Sud et il a déjà accordé plus de 2,1 milliards de dollars en 2007 à soixante dix-huit pays du monde. Pour la crise actuelle, le Président américain George W. Bush s’engage à accorder 200 millions de dollars aux pays les plus touchés. Cette décision fait suite à l’appel d’aide d’urgence aux pays les plus touchés avant le 1er Mai 2008, appel lancé par Robert Zoellick, le vétéran de la guerre d’invasion de l’Irak placé à la tête de la Banque mondiale pour faire la volonté de la Maison Blanche et des intérêts privés des grands capitaliste du pays de l’oncle Sam en remplaçant Paul Wolfowitz un autre vétéran, de la guerre du Vietnam cette fois, qui avait promis à l’humanité d’aller en guerre contre la corruption en Afrique. Malheureusement, il a été lui-même pris la main dans le sac !

Alors, le geste américain peut-il être un acte charitable ? Loin de là ! Les soi-disant aides accordées par les USA ne constituent guère de la philanthropie. C’est du commerce d’argent. Dans le monde capitaliste, le monde dans lequel l’argent prime sur l’homme, il n’y a pas de sentiment ni de philanthropie, une telle situation offre de bonnes occasions de faire des placements rentables c’est-à-dire des prêts qui rapportent à long terme.
Pour G. W. Bush les pays développés ont la responsabilité d’aider les peuples affamés. La famine est une peste car elle fait peur par son ampleur. En effet, d’après Robert Zoellick dans un discours intitulé « De la conduite des affaires économiques en temps difficile » prononcé à l’approche des réunions de printemps du FMI et de la Banque Mondiale, « trente trois pays du monde sont en proie à des troubles sociaux suite à la flambée des prix des aliments et de l’énergie. Dans ces pays où l’alimentation représente entre la moitié et les trois-quarts de la consommation, il n’ y a pas de marge de survie ». Dans ce discours, comme alternative, le Président de la Banque Mondiale fait appel à la mobilisation de 1% (soit un montant de trente milliards de $) des actifs des fonds souverains, créés par les pays ayant un excédent de ressources par rapport à leurs besoins immédiats. Ces fonds sont en monnaie étrangère. Actuellement, plus de vingt pays détiennent des fonds souverains, parmi lesquels la Chine, l’Australie, Singapour, la Norvège, le Canada et la Russie). Ces fonds sont aujourd’hui estimés à trois milliards de dollars pour secourir l’Afrique subsaharienne. De même la Banque Mondiale et ses partenaires qu’elle appelle au secours de l’Afrique trouve là aussi une occasion (la faim) pour faire des placements rentables en prétendant faire des "aides" qui sont en réalité des prêts avec intérêts destinés à perpétuer la dette. Ainsi, 800 millions de dollars ont été promis par la Banque Mondiale à titre de prêts pour l’agriculture.
La crise alimentaire actuelle est une œuvre bien préparée pour les affaires. Chacun peut donc se servir des moyens dont il dispose pour faire ses placements.


Les véritables solutions à la crise alimentaire

Si la Banque mondiale, le FMI et les pays riches veulent résoudre le problème de la crise alimentaire pour sauver ces milliers de vies humaines aujourd’hui en danger, ils doivent procéder à l’annulation de leurs créances envers ces pays touchés pour libérer les budgets à allouer à l’agriculture dans ces pays car l’insuffisance financière du secteur agricole, comme l’a souligné Robert Zoellick, est au cœur de cette crise. Un financement consistant dans le domaine produit toujours de très bons résultats.

Rock NIANGA
APASH/CADTM Brazza

 


FMI-FAIM

par Serge Halimi dans le Monde Diplomatique

Le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avaient promis que l’augmentation des flux de marchandises contribuerait à éradiquer la pauvreté et la faim. Cultures vivrières ? Autonomie alimentaire ? On avait trouvé plus intelligent : l’agriculture locale serait abandonnée ou orientée vers l’exportation. Ainsi, on tirerait le meilleur parti non pas de conditions naturelles — plus favorables, par exemple, à la tomate mexicaine, à l’ananas philippin —, mais de coûts d’exploitation plus bas dans ces deux pays qu’en Floride ou en Californie.

L’agriculteur malien confierait son alimentation aux firmes céréalières de la Beauce ou du Midwest, plus mécanisées, plus productives. Quittant sa terre, il irait grossir la population des villes pour devenir ouvrier dans une entreprise occidentale ayant délocalisé ses activités afin de profiter d’une main-d’œuvre meilleur marché. Les Etats côtiers d’Afrique allégeraient au même moment le poids de leur dette extérieure en vendant leurs droits de pêche aux bateaux-usines des pays plus riches. Il ne resterait plus ensuite aux Guinéens qu’à acheter des conserves de poisson danoises ou portugaises |1|. Malgré une pollution supplémentaire générée par les transports, le paradis était assuré. Le profit des intermédiaires (distributeurs, transitaires, assureurs, publicitaires) aussi...

Soudain la Banque mondiale, prescriptrice de ce modèle de « développement », annonce que trente-trois pays vont connaître des « émeutes de la faim ». Et l’OMC s’alarme d’un retour au protectionnisme en observant que plusieurs pays exportateurs de denrées alimentaires (l’Inde, le Vietnam, l’Egypte, le Kazakhstan...) ont décidé de réduire leurs ventes à l’étranger afin — quelle impudence ! — de garantir l’alimentation de leur population. Le Nord s’offusque vite de l’égoïsme des autres. C’est parce que les Chinois mangent trop de viande que les Egyptiens manquent de blé...

Les Etats qui ont suivi les « conseils » de la Banque mondiale et du FMI ont sacrifié leur agriculture vivrière. Ils ne peuvent donc plus se réserver l’usage de leurs récoltes. Eh bien, ils paieront, c’est la loi du marché. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a déjà calculé l’envol de leur facture d’importation de céréales : 56 % en un an. Logiquement, le Programme alimentaire mondial (PAM), qui nourrit chaque année soixante-treize millions de personnes dans soixante-dix-huit pays, réclame 500 millions de dollars supplémentaires.

Ses prétentions ont dû être jugées extravagantes puisqu’il n’en a obtenu que la moitié. Il ne quémandait cependant que le prix de quelques heures de guerre en Irak et le millième de ce que la crise des subprime va coûter au secteur bancaire, généreusement secouru, lui, par les Etats. On peut calculer les choses autrement : le PAM implorait pour le compte de ses millions d’affamés... 13,5 % des sommes gagnées l’année dernière par le seul M. John Paulson, dirigeant d’un fonds spéculatif assez avisé pour prévoir que des centaines de milliers d’Américains seraient réduits à la faillite immobilière. On ignore combien rapportera, et à qui, la famine qui a commencé, mais rien ne se perd jamais dans une économie moderne.

Car tout se recycle ; une spéculation chasse l’autre. Après avoir alimenté la bulle Internet, la politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed) a encouragé les Américains à s’endetter. Et gonflé la bulle immobilière. En 2006, le FMI estimait encore : « Tout indique que les mécanismes d’allocation de crédit sur le marché de l’immobilier aux Etats-Unis sont restés relativement efficaces. » Marché-efficace : ne devrait-on pas souder ces deux mots une fois pour toutes ? La bulle immobilière a crevé. Les spéculateurs réhabilitent alors un vieil eldorado : les marchés de céréales. Achetant des contrats de livraison de blé ou de riz pour une date future, ils escomptent les revendre beaucoup plus cher. Ce qui entretient la hausse des prix, la famine...

Et que fait alors le FMI, doté, selon son directeur général, de « la meilleure équipe d’économistes qui soit au monde » ? Il explique : « Une des manières de résoudre les questions de famine, c’est d’augmenter le commerce international. » Le poète Léo Ferré écrivit un jour : « Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu’à en trouver la formule. »

Il semblerait qu’on l’ait trouvée.


notes articles:

|1| Lire Jean Ziegler, « Réfugiés de la faim », mars 2008.

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5 juin 2008 4 05 /06 /juin /2008 03:42





Résumé de l’intervention de Raphaël Favier à l'Université Populaire de Mazères (9 mai 2008)

Première partie

    A - Etat de la recherche.

        * De 1974 à 1981, la recherche est délaissée.
        * En 1982 relance par le gouvernement.
        * En 1989, effondrement du marxisme.
        * La tendance devient une évolution vers l’insignifiance et le danger de l’interrogation de "à quoi ça sert ?"

    B - Introduction au débat.

        * Certains désastres financiers récents montrent des disfonctionnements.
        * On constate un déficit de réflexion.
        * Les philosophes Bourdieu et Bouveresse apportent trois remarques.
        * On ne tire pas les conséquences des échecs.
        * La forme par excellence de l’immoralité est l’illogisme.
     * On est passé du conformisme subversif de Mai 68 à un conformisme de l’adhésion  consensuelle, ce qui peut entraîner des incohérences de comportement, telle que ce responsable CGT d’usine cherchant un repreneur.

    C - Méthodologie générale : Originalité d’une question.

       1. Observer : la nature, le terrain… d’où émerge une question. (attention, avec l’ordinateur, à ne pas perdre la pratique de l’observation)
        2. Faire la bibliographie…permet de vérifier la pertinence de la question.
        3. Si pertinence, mise au point d’un protocole expérimental.
        4. On en tire des résultats que l’on commente.
        5. On propose si possible une modélisation, qui a une durée de vie variable.

    D - Les outils.

        * Des lois constamment vérifiées.
        * Des écritures : mathématiques, grammaires, banques de données…
     * Des techniques (dont l’informatique). Cela permet de rejeter les incohérences et de prévoir certains phénomènes. Avec application à la compréhension du mouvement social.

    E - Exemples d’outils. Les systèmes en évolution.

        1) Les systèmes déterministes réversibles (Newton)

       Newton regarde de l’extérieur alors que l’on est dans la nature.

        (Il faut rentrer dans le mouvement social)
      (A l’occasion de son exposé sur l’évolution historique des systèmes, Raphaël nous fait remarquer qu’à deux époques importantes pour la science, en 1848 et 1906, l’art, la littérature, la philosophie ont également été bouleversés pour en conclure que la science n’est pas isolée du monde mais baigne dans un bain de culture.)                  
        Fourier : "S’il n’y a pas de différence, il n’y a pas de mouvement."

       
        Le monde fonctionne selon un système ternaire :

            * actif - passif - interaction réciproque de l’actif et du passif.
            * Cette interaction n’est jamais un équilibre statique car il ne serait que passif et l’actif n’existerait plus.
            * La conséquence est que le consensus n’existe pas
            * Le mouvement social se bat contre quelque chose.
            * L’émancipation humaine ne se fait pas au consensus.
            * La nature fonctionne par différences avec une notion de processus.

    2) Les systèmes thermodynamiques. (Carnot)


        Une source froide et une source chaude créent un mouvement mais Carnot constate que le rendement n’atteint jamais 100 %.
        Claudius lui répond : La somme des différences initiales étant l’énergie potentielle du système, l’énergie utile est égale à cette énergie potentielle moins l’énergie dissipée dans la transformation. Cette énergie dissipée s’appelle l’Entropie.
        L’entropie égale à zéro n’existe pas. Il n’y a pas d’ordre parfait. Il faut payer l’entropie pour avoir un résultat.

    3) Les systèmes à structures dissipatives.


        Il a été constaté que les systèmes microscopiques de Newton (l’individu) sont réversibles, alors que les systèmes macroscopiques de Carnot (les masses) sont irréversibles.
        Botzmann apporte une réponse en étudiant la statistique aux problèmes de réversibilité et d’irréversibilité.
        Dans un processus continu, à partir d’un certain moment, plusieurs orientations apparaissent et le hasard détermine le choix.
        Monot en 1966 apporte la réponse dans son ouvrage "Le hasard et la nécessité".
        C’est l’histoire du système qui détermine l’orientation (d’où la nécessité de l’émancipation des individus). 4) Les systèmes chaotiques.
        En étudiant la météo, Lorentz découvre un phénomène d’effets en spirale dont un élément périphérique peut entraîner de grandes variations du système.
        C’est l’effet papillon.

        En conclusion de cette phase d’exposé, Raphaël précise les notions d’infrastructure et de superstructure.
            L’infrastructure est le domaine de l’économie au quotidien.
            La superstructure est le domaine de l’idéologie.

    La charte d’Amiens, à la création de la CGT, expose que ce syndicat ouvrier doit travailler à ces deux niveaux :
         - améliorer le sort des travailleurs au quotidien
         - préparer un changement de société.



Deuxième partie

Rappels
        A la suite des travaux de Prigogine, il apparaît qu’un système poussé au-delà de son état d’équilibre atteint un point de bifurcation : plusieurs chemins apparaissent, chacun étant déterminé selon le principe de nécessité. L’un d’eux seulement sera emprunté, selon les lois du hasard (cf. Jacques Monod). Une action de faible énergie appliquée au point de bifurcation peut sélectionner un des chemins, conduisant à une transformation pouvant être de grande ampleur. Dans le cas contraire, l’énergie se dissipera. Appliqué à l’histoire et à la sociologie, ces conclusions scientifiques expliquent les victoires des bolcheviks en 1917et des révolutionnaires en 1789, obtenues par un petit groupe, ce qui permet à l’UFAL du XXIe de prétendre à pouvoir exercer une influence importante si elle agit au bon moment.
        Entropie et théorie de l’information (Shannon - années 70) ''

E (énergie utile) = U (énergie interne du système) - S (entropie : mesure du désordre)''

        L’ordre créé par l’information diminue l’entropie du système, ce qui permet de récupérer de l’énergie.
        Exemple : quand je tire sur un élastique, j’ordonne les chaînes de polymères du caoutchouc, et il y a échauffement.

        Les sciences humaines

Les relations entre la théorie freudienne et la psychologie de masse du fascisme ont été étudiées par W. Reich. Le fascisme fait appel au côté primitif de l’esprit humain. Les Etats-Unis, pour bâtir leur propre machine de propagande en récupérant les résultats des expérimentations fascistes de la 2e guerre mondiale. Mai 68 est une révolte contre le père freudien. Le peuple a basculé vers les valeurs maternelles (écologie - mère nature, féminisme, droit à l’avortement). Aucune avancée sociale n’a été obtenue sans lutte.

        La nature fonctionne à l’énergie minimale

Sarkozy décrète le contraire : travailler plus pour gagner plus. Mais la nature choisit toujours la voie de la dépense minimale d’énergie pour une action donnée. Les outils créés par l’homme (la technologie) suivent cette loi. Ils débarrassent l’être humain des tâches répétitives, et les plus contraignantes. Les gains de productivité dus à l’amélioration de la technologie ont dégagé du temps. Du point de vue patronal, il n’y a pas assez de travail pour tous. Du point de vue salarié, on peut travailler moins. Antoine Riboud n’a-t-il pas déclaré : " Si nous étions de vrais patrons, tous les Français devraient travailler 31 heures par semaine ". En fait, c’est bien : "Travailler plus pour que, eux, gagnent plus". "Le capitalisme est arrivé au stade de domination du capital financier et des monopoles, mettant au premier plan la circulation des capitaux, et le monde est partagé entre les grands pays capitalistes, le partage entre les trusts commence" (impérialisme selon Lénine, 1917)

        L’innovation

Elle est devenue centrale dans le système productif. Plus on investit en recherche et développement dans l’industrie, plus on crée des emplois (35 ans de résultats de l’Union Européenne). Un emploi de haute technologie engendre trois autres emplois. Depuis 2000, la France est un des pays industrialisés qui investit le moins dans le domaine de l’innovation. C’est ainsi que notre pays est passé d’un niveau de haute technologie à un niveau technologiquement moyen. 50 % d’un Airbus sont fabriqués aux Etats-Unis aujourd’hui. La même perte vers l’étranger affecte les secteurs de l’électronique et des réacteurs nucléaires. En effet, le MEDEF veut faire de la France un pays orienté vers les productions immatérielles : création, tourisme, services (mais le chiffre d’affaires du tourisme rapporté au PIB est en baisse).

En conclusion

L’éducation populaire doit aboutir à l’éducation politique, faute de quoi on s’arrête au milieu du gué. Mais la gauche a échoué par méconnaissance de ce qui précède, et qui aurait dû lui servir de boîte à outils.


Ce qui a changé par rapport au XIXe siècle

        Dans le monde


Le XXe siècle a connu les deux conflits mondiaux (185 millions de morts, 100 millions de personnes déplacées), des guerres coloniales, la guerre d’Espagne, et la grande révolution russe de 1917. Le Code civil a vu transformer 50 % de ses 2500 articles, ceux relatifs à la famille. Des transformations sont également entreprises pour le Code du travail. Le rapport antagoniste ouvriers / bourgeois s’est transformé en une opposition salariés / capitalistes et hauts salaires. Le capitalisme populaire a d’ailleurs échoué. La masse des flux de capitaux excède désormais de loin la capacité de production des biens et des services réels (A. Gorz). 1000 milliards d’euros et de dollars ont été créés par les banques centrales occidentales pour sauver le monde de la crise financière issue des subprimes. Mais en même temps, on nous dit qu’il n’y a plus d’argent pour la protection sociale ! Les mécanismes de soumission ont évolué en parallèle. 1 % de la population exploite la production de 92 % des travailleurs (les salariés). L’état est lui-même soumis aux contraintes des patrons, puisqu’il ne récupère pas les 20 milliards (sur 64 milliards d’aides), qu’il a versés inutilement aux entreprises selon la Cour des Comptes. Les Etats n’hésitent pas à utiliser le terrorisme pour occuper la sphère de l’information. La corruption à grande échelle est officiellement admise. Les écarts de répartition de richesses sont devenus monstrueux : les 500 premières fortunes représentaient 6 % du PIB en 1996, 16 % en 2006, et en représenteront 20 % en 2010. Le capitalisme, basé sur le bluff, est devenu fragile. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) constituent le plus grand réseau fasciste de l’histoire humaine (fichiers sur l’école, base de données biométriques, etc.…)

        Les " plus " de la France


Il existe encore des savoirs et des savoir-faire de qualité (énergie, transformation de la matière, transports). La production agricole et agro-alimentaire reste suffisante. Les infrastructures sont de qualité.

        Les grands mythes idéologiques actuels


Nous nous croyons libres et en démocratie : faux ! Nous sommes constamment contrôlés (cf. TIC). " L’entreprise est la cellule vivante de la société " (L. Parisot). Ceci suppose que l’état doit la protéger, que out ce qui existe doit être tourné vers elle. Et l’on ignore les suicides de chez Renault et Peugeot, les maisons médicales de la MGEN… Tout ce qui est public est obsolète, donc bon à vendre…pourtant, on achète ! Le partenariat public-privé est présenté comme la nouvelle formule de modernisation de l’action publique, mais elle introduit la loi du marché dans les biens communs (extension du principe de collectivisation des pertes et privatisation des gains). Les coûts salariaux sont élevés : faux ! La masse salariale ne représente que 4 % du prix de revient d’une voiture (mais c’est elle que les patrons citent comme principal levier d’ajustement des coûts). La vitesse est devenue porteuse de valeur : c’est l’ère du zapping dans la communication. Mais les Grecs disaient que la matière vite produite ne vaut rien. La solidarité coûte cher : faux ! Les résultats d’une belle équipe sont souvent supérieurs à ceux d’un homme seul. La nation n’a plus de sens, l’Etat providence a vécu. Pourquoi aide-t-il maintenant les banques en faillite. La France est attractive pour les investissements étrangers : faux ! 2 % des capitaux des fonds de pension servent réellement aux investissements, 98 % servent à la spéculation. Et aussi : le pseudo-libéralisme de l’agriculture, l’état " à détruire " alors qu’ils sert les intérêts capitalistes, un salarié sur sept dépend d’investisseurs étrangers, 40 % des salariés touchent moins de 1, 3 SMIC, etc.

        Les propositions


Des gens politiquement sûrs, ayant la même vision du monde, pourraient agir dans le sens du contrôle de l’économie, de la réappropriation des biens communs (eau, éducation, santé…), et du maintien du système de solidarité. Un ensemble d’actions publiques appropriées pourrait assurer l’éducation populaire d’un grand nombre de citoyens, permettant l’émergence d’une nouvelle classe d’intellectuels militants. Le nouveau fascisme électronique doit être dénoncé, et la guerre combattue. Une République laïque des communes pourrait naître, qui s’appuierait sur la substitution de l’argent des campagnes électorales par la constitution de listes de signatures de soutien. Un tribunal de type Jean-Paul Sartre / Bertrand Russel pourrait être mis en place : présidé par deux personnalités intouchables, il serait chargé de dénoncer le pillage public.
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4 juin 2008 3 04 /06 /juin /2008 03:04


Dix gestes pour (vraiment) sauver la planète
Par Aurélien Bernier


Difficile d'ouvrir un magazine, de regarder un programme télévisé ou d'écouter la radio sans tomber, à un moment ou à un autre, sur une série de conseils pour obtenir son diplôme d'écologiste dans la vie de tous les jours. Ces sept, dix ou douze gestes qui soulageront à bon compte notre conscience environnementale sont aussi subversifs que fermer le robinet quand on se brosse les dents ou éviter de prendre sa voiture pour aller à la boulangerie du village.


Evidemment, les comportements individuels ont toute leur importance dans la préservation d'un environnement de plus en plus menacé, et il ne s'agit pas de les dénigrer. Mais cette rééducation écologiste organisée par les pouvoirs publics, relayée par les médias et appuyée par bien des financeurs privés a aussi un sens politique quand, dans le même temps, la plus grande discrétion couvre le lobbying effréné que mènent les grandes firmes pour échapper à la contrainte. De la même manière, les gouvernements prennent bien soin de ne jamais évaluer l'impact global des politiques libérales sur l'environnement, ce qui donnerait sans aucun doute le tournis. Pour ne citer qu'un exemple, l'Union européenne, que chacun s'accorde à trouver « en pointe sur les questions environnementales », continue de consacrer 50 milliards d'euros par an pour soutenir une agriculture intensive destructrice des écosystèmes et de la paysannerie.


Pour s'adapter à l'air du temps et au format médiatique dans lequel se fond le discours officiel, voici donc dix gestes pour sauver la planète. Mais pour la sauver vraiment, et pas seulement pour masquer le renoncement du politique face à l'avancée du néo-libéralisme.


1. Instaurer de nouveaux droits de douane et restaurer un contrôle des changes

Ce premier « geste » a un objectif très simple : mettre fin au libre-échange, qui ne représente une liberté que pour les multinationales et les investisseurs. Il s'agit de la toute première étape à envisager, puisqu'il est impensable de reconquérir du pouvoir politique sur l'économie sans casser le chantage aux délocalisations et sans empêcher les prises de contrôle plus ou moins sauvages des entreprises nationales par des investisseurs étrangers. Calculés sur la base des coûts sociaux et environnementaux de la production importée, ces droits de douane permettraient de réintroduire dans les prix les externalités tant prisées par les firmes et de couper ainsi toute envie de délocaliser aux grands groupes. Le contrôle des changes permet quant à lui d'orienter l'investissement étranger en fonction de choix collectifs, de priorités définies démocratiquement par les Etats, et non plus de laisser le marché opérer dans l'anarchie la plus complète, en fonction de ses seuls intérêts.

 

2. Etablir une réglementation contraignante et la faire respecter

Le fait de mettre un coup d'arrêt au libre-échangisme permet ensuite ― et seulement ensuite ― de contraindre les grandes entreprises résidentes à respecter des normes définies par la collectivité. Puisque, par l'intermédiaire des droits de douane, une concurrence réellement « non faussée » est établie, les firmes ne disposent plus de l'argument d'une concurrence internationale sauvage pour fuir leurs responsabilités. Des normes environnementales et sociales strictes peuvent être édictées, et une police efficace doit permettre de les faire respecter. Les notions de « mise en danger des équilibres environnementaux » et de « crime environnemental » doivent être inscrites dans la loi. Dans les cas les plus graves, elles pourraient donner lieu à une réquisition des entreprises par les pouvoirs publics.

 

3.Créer une taxe sur les activités résidentes

A l'image des taxes aux frontières, une taxe socio-environnementale doit s'imposer aux activités résidentes pour réduire au maximum les externalités. Le volet écologique du produit de la taxe sera divisé en deux : une moitié, perçue par l'Etat, sera utilisée pour financer des politiques publiques ambitieuses ; la seconde, versée sur un compte dédié de l'entreprise, servira uniquement à financer des actions de réduction de l'empreinte écologique (recherche, travaux, formation des salariés, plans de déplacement, etc.). Si les sommes bloquées pour une auto-consommation par l'entreprise ne sont pas dépensées passé un certain délais, elle sont transférées dans les caisses de la collectivité.

 

4.Conditionner les aides publiques

L'Etat français conditionnera l'attribution des 65 milliards d'euros annuels d'aides publiques qu'il accorde aux entreprises au respect de contraintes environnementales et sociales. Il n'y a en effet aucune raison pour que cet argent soit considéré comme un dû, et que l'attribution d'une aide se fasse sans droit de regard sur les pratiques de l'entreprise.


5. Orienter la consommation en agissant sur les prix et la fiscalité

Afin que les « gestes écologiques » (consommation bio, énergies renouvelables, voitures propres, etc.) ne soient pas réservés aux populations aisées et se diffusent largement dans la société, une administration des prix et une fiscalité incitative doivent être prévues. Les produits bio, par exemple, bénéficieront d'une TVA à taux réduit, alors que celle-ci sera majorée sur des produits de forte empreinte écologique. Dans le même temps, les marges de la distribution seront réglementées afin que les baisses de TVA se répercutent bien sur les prix. Pour des secteurs dans lesquels le nombre de producteurs est plus limité (énergies alternatives, véhicules individuels, etc.) des prix-plafond pourront être fixés directement par les pouvoirs publics. Dans le même esprit, les tarifs des transports collectifs seront fortement revus à la baisse, qu'il s'agisse du train, des réseaux de bus, de tramway ou de métro.


6. Relocaliser l'économie sur le principe d'une décoissance matérielle et d'une croissance des services publics

L'application de nouveaux tarifs douaniers n'a pas pour objectif de fermer la porte aux importations, mais bien d'éviter le dumping en provenance de pays dont les niveaux de protection sociale et environnementale sont inférieurs. Ceci étant, un telle décision permettra de relocaliser l'économie, de développer l'emploi et de réduire la pollution grâce à une baisse des besoins en transport. Cette relocalisation doit être précédée d'une réflexion sur une décroissance matérielle, qui soit une diminution de l'empreinte écologique de la production à qualité de vie équivalente ou supérieure. Cette diminution doit bien-sûr être absolue, et non relative comme le souhaiteraient ceux qui ne jurent que par l'augmentation du PIB. Concrètement, ce changement s'opérera par des progrès techniques financés par la taxe socio-environnementale sur les activités résidentes, mais aussi par l'arrêt de certaines productions inutiles ou leur remplacement par des services. Un Etat devra disposer autant que possible d'une souveraineté alimentaire et industrielle, sans laquelle il est difficile de construire des échanges équitables entre pays. Par exemple, la France devra lancer un plan ambitieux de production de protéines pour nourrir ses animaux d'élevages, alors qu'elles sont actuellement importées à près de 80% du continent américain. Les achats publics devront obligatoirement privilégier, à qualité égale, des approvisionnements locaux. Les réseaux de transport ferroviaire sur les courtes et moyennes distance seront renforcés alors que le transport routier sera évidemment concerné par la taxe socio-environnementale et verra sa compétitivité baisser en proportion des nuisances qu'il cause.


7. Sortir de l'OMC et de l'eurolibéralisme

La grande majorité des « gestes » précédents, bien qu'ils soient indispensables, sont définitivement incompatible avec les règles de l'OMC et de l'Union européenne. Il faut donc prévoir un déblocage des verrous posés par les libéraux à ces deux niveaux, qui apparaissent de plus en plus difficiles à réformer. La sortie totale de l'OMC marquera une rupture franche avec les politiques libre-échangistes qui ouvrira la voie à d'autres accords multilatéraux basés sur la coopération. Vis-à-vis de l'Union européenne, la France doit à minima dénoncer toutes les mesures libre-échangistes en vigueur et retrouver les possibilités de mener une autre politique monétaire et budgétaire.


8. Dénoncer le Protocole de Kyoto et sortir de la bourse du carbone

Avec ses objectifs dérisoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre et sa mécanique financière, le Protocole de Kyoto et ses prolongements sont au mieux une perte de temps et au pire une solution globalement nuisible. Il faut donc dénoncer cette base de travail pour permettre l'émergence de nouveaux accords multilatéraux ambitieux, qui feront appel à une régulation forte par le politique plutôt qu'à des mécanismes de marché inefficaces et pervers.


9. Créer des alliances internationales autour d'un nouveau traité

En matière de lutte contre le changement climatique, l'objectif de réduction doit suivre les recommandations de la communauté scientifique en y ajoutant une marge d'erreur compte-tenu des incertitudes qui couvrent ces prévisions. Au niveau mondial, il s'agit donc de diviser par plus de deux les rejets d'ici 2050. L'engagement des partenaires sur une contribution à cet objectif proportionnelle à leurs moyens doit précéder tout accord commercial, qui sera établi dans une logique de coopération, de mutualisation des connaissances scientifiques, de partenariats sur le développement de technologies d'intérêt général qui soient « libres de droits ». Au delà de la seule question climatique, cet accord englobera les autres thématiques environnementales (biodiversité, épuisement des ressources, accumulation de substances toxiques) et s'ajoutera à une négociation visant l'harmonisation sociale et fiscale par le haut.


10. Affecter le produit des nouveaux droits de douane au développement de projets réellement propres

Le montant de la taxe perçue aux frontières sera consacré au financement de projets socialement et écologiquement responsables, menés dans la mesure du possible dans les pays taxés. Ces projets, qui pourront donner lieu à des transferts de technologies, seront évalués conjointement, et devront favoriser les retombées locales. Ainsi, les droits de douane ne pourront être utilisés dans une logique de repli protectionniste, mais deviendront eux aussi un outil d'harmonisation vers le haut des économies nationales.

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3 juin 2008 2 03 /06 /juin /2008 03:29


Par BRICMONT Jean
 
Jean Bricmont, professeur de physique théorique à l’Université catholique de Louvain fait partie de ces scientifiques engagés dans les grands débats de notre époque. Auteur de plusieurs ouvrages dont un Cahier de l’Herne consacré à Noam Chomsky, il nous livre ici, avec ce mélange d’impertinence et lucidité que lui sont propres, quelques réflexions au sujet de la gauche, de ses options dans les luttes politiques de notre temps.


DR : Cinq ans après les premières et gigantesques manifestations, un peu partout dans le monde, contre la guerre en Irak, nous ne comptons maintenant que quelques centaines de personnes qui s’entêtent encore à manifester contre ce crime. Comment expliquez-vous cette évolution ?

JEAN BRICMONT : Il est toujours très difficile d’expliquer des phénomènes sociaux. Nous n’avons pas de théories scientifiques sur ce genre de choses. Mon impression est que la disparition du « communisme » a coïncidé avec la disparition de toute gauche réelle, même de toute la gauche qui, à l’époque où le communisme existait, se réclamait d’un autre modèle que celui de l’URSS. Ainsi, tout combat réel pour la paix et tout combat anti-impérialiste ont également disparu, ainsi que toute perspective socialiste. Ne reste que l’exportation de la démocratie et des droits de l’homme à l’étranger, ce qui, durant la guerre froide, était précisément le but proclamé de la droite, et, sur le plan intérieur, une « lutte » contre un fascisme largement imaginaire et contre les discours politiquement incorrects (anti-féministes, racistes ou homophobes), luttes dont le caractère fantasmatique ne fait que renforcer la droite, parce que la plupart ges gens n’aiment ni les dangers imaginaires ni l’intimidation.

Y a-t-il une responsabilité spécifique de la gauche, de ses intellectuels ou de ses appareils politiques dans cette résignation ?

Il y en aurait une, si la gauche existait. Mais où est-elle ? La plupart du temps, ce qu’on appelle la gauche, disons sa branche institutionnelle, se propose de faire la même chose que la droite, parfois un peu moins brutalement : c’est-à-dire, sur le plan interne, libéraliser et, au niveau international, s’ingérer dans les affaires intérieures des autres pays et, en fait, suivre les Etats-Unis. Et pour ce qui est de la gauche dite "radicale", elle se caractérise par un irréalisme extrême, une attitude quasi-religieuse, qui se traduit par des slogans, tels que "un autre monde est possible", sans préciser lequel ni surtout comment le construire ou "régulariser tous les sans papiers" (c’est-à-dire, en pratique, abolir tout simplement les frontières) ) par opposition à des régularisations partielles, qu’il faut évidemment soutenir autant que possible. Lorsque la LCR annonce la création d’un « grand parti anticapitaliste » en France, un des principaux slogans dont elle couvre les murs est « régularisation de tous les sans papiers », slogan qui est peut-être moralement juste, caritatif, généreux, etc. mais dont on voit mal en quoi il est anticapitaliste.

Nous constatons, par contre, que le Tibet suscite une mobilisation quasi- planétaire...

Oui, du moins dans les "élites" intellectuelles et médiatiques. Cela illustre à nouveau les inversions de priorités d’une bonne partie de la "gauche". Nous ne contrôlons plus la Chine. Le temps des concessions et de la diplomatie de la canonnière est terminé. Rien de ce que nous faisons ne peut les forcer à changer leur politique au Tibet (mettons de côté la question de savoir si cette politique est bonne ou mauvaise). On ne va pas envoyer de troupes au Tibet (du moins, je l’espère) et on ne va pas bombarder la Chine, qui est un peu plus forte que la Serbie. La seule chose qui pourrait avoir un effet, à terme, c’est si nous convainquions les Chinois que nous n’avons plus de visées impérialistes sur cette région de monde. Or, toute l’agitation sur le Tibet donne exactement l’impression opposée, et ne fait en réalité que du tort à la "cause tibétaine". Cette agitation (comme celle, précédente, sur la Birmanie) a uniquement pour effet de renforcer la bonne conscience de l’Occident ("nous, au moins, nous respectons les droits de l’homme") et de nous permettre de ne pas trop nous préoccuper de choses dont nous sommes plus directement responsables, comme les problèmes écologiques, y compris la diversion de ressources alimentaires vers les biocarburants, l’Irak ou la Palestine. Au lieu de comprendre cela, et de s’opposer à ces discours, qui ne sont, au fond, qu’une forme d’exaltation nationaliste (où l’Occident a remplacé les Etats-nations d’antan) et dont la forme est vieille comme le monde (dénoncer avec grande indignation les crimes réels ou supposés des autres et ne pas trop parler des siens propres), le gros de la "gauche" actuelle ne fait qu’en "rajouter" en demandant aux gouvernements occidentaux d’intervenir plus encore dans les affaires intérieures chinoises, alors que la seule chose qui les retient, mais qui ne semble pas préoccuper cette "gauche", c’est une forme de réalisme et de saine conscience des rapports de force.

Quelle perspective voyez-vous dans les forces anti-guerre aux Etats Unis, au sein du pays agresseur ? Percevez-vous des nuances significatives à ce propos parmi les candidats présidentiels et en particulier entre Obama et Hillary Clinton ?

Dans une élection il faut distinguer trois choses : ce que souhaite l’électorat quand il vote pour X, ce que X souhaite faire et ce que X peut faire une fois élu, étant donnés les rapports de force. Si X = Obama (le seul cas intéressant), ceux qui le soutiennent veulent sans doute un changement net, tant sur le plan intérieur que sur le plan international. Certains de ses discours sont impressionnants (et même à gauche d’une bonne partie de la gauche européenne). Pour un politicien américain, alors que les autres voient souvent leurs conflits avec le reste du monde comme un conflit entre le Bien et le Mal, un peu comme notre "gauche" le fait avec la Chine, Obama est très peu manichéen. Ce qu’il souhaite faire, je n’en sais rien, mais on peut être sûr que ce n’est pas un espèce de Chavez caché, qui se révèlerait comme "radical" une fois élu. Finalement, que pourrait-il faire dans ce cas ? Un président n’est pas un dictateur et je ne vois absolument pas comment il pourrait, en ce qui concerne le Moyen-Orient par exemple, changer grand chose à la politique américaine de soutien systématique à Israël, tant le poids structurel (au Congrès, dans l’intelligentsia et les médias) des groupes de pression sionistes bloque tout changement. Et, sur le plan intérieur, il se heurtera aussi à la pression des lobbies industriels, à l’indépendance structurelle des marchés financiers (créée par les "réformes" faites depuis les années Clinton, si pas avant) et à la totale soumission des médias et des intellectuels aux dogmes néo-libéraux. La démocratie est une belle chose, à condition de ne pas se faire trop d’illusions sur ce que cela veut dire : oui, on peut vendre le Drapeau Rouge, et dire plus ou moins ce qu’on veut dans les cafés. Mais de là à croire que la population peut réellement peser en votant sur les décisions qui la concernent, il y a un pas qu’il vaut mieux ne pas franchir. Le principal problème que poserait l’élection d’Obama, c’est que les pro-Américains en Europe auraient ainsi une magnifique possibilité de se lancer dans une campagne d’apologie de l’Amérique, antiraciste, "multiethnique", etc.

L’Europe officielle vient de clôturer, avec la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, la dynamique d’affrontements qu’elle avait suscitée, en 1992, en reconnaissant l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie. Pourtant, elle se présente partout comme l’instrument de la paix par excellence. Comment comprendre l’impunité de ces abus de langage ? Les mots politiques ont-ils encore un sens ?

Il ne faut jamais opposer au pouvoir la cohérence de son propre discours, ou le fait qu’il ne respecte pas en pratique ses propres valeurs, mais considérer ces discours comme une mystification permanente et tenter de faire partager cette attitude. Ceci dit, pour le Kosovo, je pense qu’une bonne partie des dirigeants européens se rend compte qu’on leur a refilé une patate chaude, c’est-à-dire un état mafieux, qui sera un gouffre à milliards, lesquels iront alimenter divers trafics. Mais il leur est difficile de protester, parce qu’ils seraient attaqués par les "défenseurs des droits de l’homme" et aussi parce que ce qui se passe est la suite inévitable de la guerre de 1999 et que, comme l’ont dit Kouchner et Miliband, "la politique extérieure de l’Union européenne est née dans les Balkans" (1).

La Palestine, le Liban, les populations irakiennes plongent devant nos indifférences dans des souffrances indicibles. Pendant ce temps, nos gouvernements et nos médias axent leurs discours sur les propos du président iranien ou les frasques de tel ou tel politicien. Ne sommes-nous pas témoins de l’amorce d’un néo-totalitarisme médiatique capable de gérer sans limites les opinions publiques ?

Pour ce qui est du président iranien, il faut rappeler qu’il n’a pas appelé à la "destruction d’Israël" mais a simplement cité Khomeiny qui souhaitait que le "régime qui occupe Al Qods (Jérusalem) s’efface de la page du temps"(2), ce qui est nettement plus poétique et tout à fait en accord avec les "valeurs occidentales" qui prônent des "changements de régime" un peu partout dans le monde. Quand on leur pose la question (ce que bien peu de journalistes occidentaux osent faire), les Iraniens donnent comme exemple d’"effacements de régime" la chute de l’URSS et le renversement du Chah et de Saddam... De plus, que proposent-ils en ce qui concerne la Palestine ? Un référendum sur son statut, auquel participeraient tous les habitants actuels de cette région, mais aussi les Palestiniens chassés en 1948 et leurs descendants. Curieusement, cette proposition est ignorée par les adorateurs de la démocratie en Chine et de l’autodétermination des peuples au Tibet.

Pour ce qui est du "néo-totalitarisme médiatique", je n’y crois pas ; tout d’abord, si j’y croyais, je ne passerais pas mon temps à écrire dans le Drapeau Rouge ou ailleurs. C’est vrai qu’il faut considérer en gros les médias comme des ennemis et pas des amis (avec néanmoins d’importantes exceptions parmi les journalistes), mais ils ne sont pas invincibles : Chavez a les médias contre lui, mais a gagné bon nombre d’élections. Le référendum constitutionnel de 2005 en France a été soutenu par les médias, mais a été rejeté par la population. L’idée que les médias sont invincibles, très répandue à gauche, permet d’entretenir le défaitisme structurel, combiné à des attentes eschatologiques (l’attente d’une catastrophe écologique globale, ou de nouvelles "invasions barbares", venues du tiers-monde, ayant souvent remplacé le mythe de la révolution prolétarienne) qui sont à la fois le symptôme et la cause de notre impuissance.

N’avons-nous pas des initiatives urgentes à prendre pour contrecarrer cet état des choses et ne pas devoir nous résigner au règne de cette pax américana ?

Nous ne pouvons évidemment pas contrer les guerres américaines à la place des citoyens américains (pas plus que nous ne pouvons résoudre le problème du Tibet). Mais nous pouvons cesser d’être alignés sur les Etats-Unis (et sur Israël). Le premier objectif d’une véritable gauche devrait être de rassembler toutes les forces qui s’opposent à cet alignement. Ces forces sont nombreuses, mais elles sont dispersées, à droite et à gauche, et sont moins bien organisées que les forces pro-américaines. Mais évidemment, il ne s’agit pas d’essayer de faire de l’Union européenne une nouvelle puissance à l’instar des États-Unis. Le monde n’a pas besoin d’une deuxième Amérique. Trop d’Européens qui désirent l’indépendance l’envisagent justement sous la forme de la création d’une deuxième Amérique, une autre super-puissance, surarmée, en posture d’hostilité constante face au reste du monde et, à terme, participant à la course aux armements face aux États-Unis.

Le rôle possible et nécessaire de l’Europe est très différent. Il y a au moins trois choses que l’histoire du 20ème siècle a apprises, ou devrait avoir apprises, aux Européens : une guerre est plus facile à commencer qu’à terminer ; la notion de guerre préventive n’est pas acceptable ; la décolonisation a fait échapper la plus grande partie du monde à notre contrôle. Quoi que nous pensions de la Chine, de l’Inde, de la Russie, du monde musulman, de l’Afrique ou de l’Amérique Latine, le fait est que nous devons vivre avec le reste du monde et non contre lui. Cela doit nous amener à renforcer la diplomatie et la négociation, au lieu des menaces et des ultimatums.

Par ailleurs, et c’est un autre combat dans lequel devrait s’investir la gauche, il faut cesser de suivre un modèle socio-économique (américain) dont le succès apparent dépend d’un surendettement chronique et est impossible à imiter, car lié au rôle dominant joué par le dollar. De plus, le coût humain en termes d’inégalités, d’incarcération, de gaspillage, de bas niveau de l’enseignement et d’insécurité sociale du "modèle américain" et de sa perpétuelle course aux armements ne peut pas être sous-estimé. Allant à l’encontre de ce modèle, il faut approfondir le "modèle européen" de bien-être social, qui donne la priorité non pas à notre "compétitivité", en favorisant les profits, mais aux besoins de nos propres travailleurs, malades, retraités et enfants. Il faut fonder la cohésion sociale sur l’égalité et la sécurité d’existence.

A terme, il faut reposer la question du "socialisme du 21ème siècle", comme dirait Chavez. Mais sans chercher à l’imiter. La grande erreur du "socialisme du 20ème siècle", du moins dans la gauche radicale, a été de confondre socialisme et développement accéléré de pays peu développés, comme l’URSS ou la Chine, puis de se disputer indéfiniment sur la question de savoir qui avait trahi quoi et qui il fallait "soutenir" dans des régions du monde sur lesquelles nous n’avions aucune influence. Il faut reposer la question de ce que pourrait être le socialisme dans des pays capitalistes développés comme les nôtres. Commencer par défendre l’indépendance de l’Europe par rapport aux Etats-Unis et à sauver ce qui peut encore l’être de notre modèle social serait un bon début.

Mais tout cela supposerait une révolution culturelle dans les mentalités de la "gauche". Il faut cesser de mélanger utopies, même désirables (un monde sans frontières), et politique. Et il faut cesser de jouer sur la culpabilisation – en accusant gratuitement la droite d’être raciste, fasciste, sexiste etc. L’échec du "socialisme scientifique" a donné naissance à un nouveau socialisme utopique ; mais celui-ci est une impasse, indépendamment de l’échec de l’URSS. Cet échec n’a pas montré que Marx avait tort quand, dans L’Idéologie Allemande, il critiquait l’idéalisme et l’utopisme. Il faut sortir d’un discours purement moral pour (re)commencer à faire de la politique. Cela suppose une vaste mobilisation d’intellectuels qui chercheraient, comme l’a fait la droite lorsque celle-ci était faible, à proposer une série de mesures concrètes, à court et à moyen terme, plus ou moins réalistes, mais faites dans un esprit radical ("socialiste"). C’est seulement ainsi que la gauche pourra regagner de la crédibilité et reconstruire une forme d’hégémonie intellectuelle, comme celle qui a existé après-guerre. Vu l’état de confusion intellectuelle et de découragement qui règne actuellement, ce projet semble impossible ; mais, comme on disait en ‘68, exigeons l’impossible !

Propos recueillis par Pablo RODRIGUEZ

Publié dans Le Drapeau Rouge (Belgique), no 22, mai-juin 2008

(1) Le Kosovo, une affaire européenne, par Bernard Kouchner et David Miliband, Le Monde, 6 septembre 2007.

(2) Voir http://www.mohammadmossadegh.com/ne... pour une discussion de la traduction par un Iranien opposant au régime.

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