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9 septembre 2008 2 09 /09 /septembre /2008 03:59


Par Michel Lasserre

(2) Formes, natures et fonctions de la monnaie


Formes et natures

Parmi les différentes formes que la monnaie a pu prendre dans son histoire, on peut distinguer :

-   la monnaie marchandise : bétail, grain, sel, coquillages, tabac, fèves de cacao, thé, ...

-   la monnaie métal : sous forme de lingot ou de pièces de métal précieux, s'apparentant à de la monnaie-marchandise.

-   la monnaie papier : avec ou sans contrepartie métallique.

-   la monnaie dématérialisée : totalement inconsistante.

La forme de la monnaie est une chose, sa nature en est une autre. Si la nature coïncide avec la forme dans le cas des monnaies-marchandises, il n'en est pas toujours de même. 

La pièce d'or est faite d'une matière qui possède une valeur en elle même. Certes une valeur spéculative due entre autre à la rareté du métal (la totalité de l'or extrait depuis 6000 ans représente seulement le volume d'un cube de 20 m de côté), mais aussi une valeur minimum correspondant au coût nécessaire pour l'extraire. 

Les monnaies papier ou dématérialisée sont d'un tout autre type. 
L'or que l'on possédait chez soi résistait à toutes les crises, alors que la monnaie papier d'État est d'une nature qui ne résiste pas à une inflation galopante, et que la monnaie dématérialisée disparaît avec la faillite de la banque sur les comptes de laquelle elle est inscrite.

Si la nature de la monnaie métallique, ou équivalente à du métal, était suffisamment claire, il n'en est plus de même pour la monnaie papier ou dématérialisée. La valeur du billet de banque ne correspond pas à la valeur du papier qui le constitue. Dans le cas de la monnaie scripturale, simples signes codés, l'abstraction devient totale. 

Le système de création monétaire adopté par la Banque de Suède au milieu du 17ème siècle, qui consiste à émettre des billets contre des escomptes de traites, n'a pas fondamentalement changé depuis cette époque. Les Banques créent toujours la monnaie en contrepartie de créances, qu'elles rachètent avec de la monnaie fabriquée pour l'occasion. 
Excepté une petite part correspondant à l'or en possession de la Banque Centrale, la monnaie que nous connaissons a donc pour contrepartie des crédits à l'économie (des dettes), et c'est pour cela qu'on l'appelle "monnaie de crédit". 

Il n'est pas toujours facile d'admettre l'idée abstraite que la monnaie est la contrepartie de reconnaissances de dettes. Certains ont essayé de la concrétiser en précisant la nature des créances en question, ce sont des créances à "l'économie", c'est à dire à la production ou à la consommation. Ces créances à la production auraient, elles mêmes, une contrepartie bel et bien tangible. Elles correspondraient à une production marchande en cours de fabrication ou en attente d'être vendue. Les économistes considèrent donc que la monnaie moderne est le fruit de la "monétisation d'une production". 

On peut toutefois observer qu'une partie des créances en cours, soit presque ¼ de "l'endettement intérieur total", correspond à des créances aux ménages, c'est à dire à du crédit à la consommation ou à l'habitat, et que ce crédit ne correspond à aucune production en cours. Sa seule contrepartie est constituée de simples reconnaissances de dettes, sur un produit déjà fabriqué et parfois déjà consommé.



Fonctions de la monnaie

La monnaie n'est d'aucune utilité immédiate à un individu isolé, elle ne vaut rien en elle-même. C'est un bien privé, car elle appartient à des individus qui en disposent comme ils l'entendent, mais qui n'existe que par son rôle social. 

Ce rôle va de pair avec différentes fonctions, dont les trois le plus souvent citées sont : 

- unité de compte ou de valeur : c'est l'unité de mesure commune, l'indispensable étalon qui permet de fixer un prix, de déterminer une valeur marchande. Les prix sont annoncés en quantité de monnaie, et la richesse est estimée pareillement. 

- intermédiaire des échanges : la monnaie permet des échanges plus facile que le troc. C'est là la fonction la plus courante de la monnaie, elle est distribuée par l'intermédiaire des revenus, et chacun l'utilise pour l'échanger contre des biens ou des services.

- réserve de valeur : la monnaie rend possible l'utilisation différée dans le temps de la valeur d'échange qu'elle représente, car on n'est pas obligé de la dépenser immédiatement. La qualité de cette fonction de réserve de valeur dépend, bien sûr, de la stabilité monétaire (inflation).

Une quatrième fonction, le plus souvent omise par les économistes, est celle de moyen d'enrichissement. En effet, dans notre système économique reposant sur le droit de propriété privée des actifs financiers et industriels, la monnaie a le pouvoir de rapporter d'autre monnaie. Elle permet, à son propriétaire, de percevoir un revenu par le seul fait de sa richesse. Il lui suffit pour cela de transformer sa monnaie en actifs financiers, en la "plaçant". C'est à dire en la prêtant contre intérêt, ou bien en l'échangeant contre des actions de sociétés. 

Comme l'intérêt et le profit n'ont rien de miraculeux et proviennent forcément quelque part du travail d'autrui, en se transformant en capital financier la monnaie peut accorder à son propriétaire le pouvoir de capter une part de la richesse produite par le travail d'autrui. Par l'intermédiaire de l'intérêt et du profit, la monnaie joue donc le rôle d'instrument de captation et de transfert de richesse, et assure la fonction de moyen d'enrichissement privé.

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8 septembre 2008 1 08 /09 /septembre /2008 03:50
Monnaie et crédit
par Michel Lasserre

(1) Historique



La monnaie métal

La monnaie est un bien qui a pris différentes formes durant sa longue histoire. Dans l'Antiquité méditerranéenne, le bétail et le grain ont joué le rôle de monnaie tout autant que les métaux (cuivre, argent, or). L'or est un métal rare, malléable et inaltérable. Ces différentes qualités en font un moyen d'échange et de réserve de valeur reconnu depuis des millénaires. 

Les premières "pièces frappées" apparaissent vers la fin du VIIe siècle av JC. Elles portent une effigie qui apporte la garantie d'un souverain ou d'une communauté.  La frappe leur donne une valeur précise, valeur correspondant normalement au poids du métal (or, argent, cuivre) qui la constitue. Il n'est alors plus nécessaire de la peser pour connaître sa valeur. 

La monnaie métallique frappée devint pratiquement la seule monnaie utilisée pendant deux millénaires.

Au cours du Moyen-age, la monnaie circulait peu en Europe, il faut dire que le mode de production féodal ne la nécessitait guère. Les impôts étaient payés en nature, soit sous forme d'une partie de la production agricole, soit sous forme de corvée, et il en était de même pour une partie du paiement des travaux relevant de l'artisanat. Les communautés, essentiellement rurales, vivaient en quasi autarcie dans un système de relations sociales où le phénomène monétaire était secondaire. 
L'usure (prêt contre intérêt, crédit rémunéré) était contraire aux principes de la religion et officiellement interdite dans notre pays depuis 789 (Charlemagne), ce qui défavorisait nettement l'usage des pratiques monétaires. La monnaie d'or ou d'argent était principalement utilisée pour le commerce de biens de luxe, et circulait surtout dans les foires et dans les circuits internationaux. 

Des pratiques bancaires, qui existaient déjà dans l'Antiquité méditerranéenne, réapparurent dans l'entourage des marchands :

- au XIVe siècle la monnaie de papier fit son apparition avec la lettre de change , elle permettait d'éviter le transport du métal en s'y substituant temporairement. 

-  l'escompte, qui permet de se faire régler immédiatement une lettre de change  

- les compensations sur livre de compte permettaient aux banquiers de compenser leurs créances et dettes réciproques. 

Il est important de bien comprendre ces deux pratiques monétaires, car elles sont au coeur des systèmes bancaires d'hier comme d'aujourd'hui.

  

  Lettre de change : Un commerçant achète des marchandises. Au lieu de payer immédiatement en monnaie "sonnante et trébuchante", il fournit un document où il s'engage à ce que le fournisseur puisse être payé par son banquier ou toute autre personne désignée. 

  Ce procédé permet à un commerçant vénitien, qui se rend à Amsterdam ou sur une Foire pour effectuer des achats,  d'éviter d'emporter du métal précieux pour régler ses dépenses. Il créera une "lettre de change" que le fournisseur se fera compenser par son banquier. 

  Cette technique financière permet un délai entre la livraison et le paiement, délai qui peut être précisé sur la lettre "payable le....". Ce délai correspond à un crédit. 

  Le fournisseur pourra éventuellement transférer cette lettre de change à un de ses propres créditeurs pour régler une dette ou effectuer d'autre achats, elle pourra ainsi passer par plusieurs intermédiaires avant son règlement définitif.

  Le chèque d'aujourd'hui est une évolution de la lettre de change.

 

  Escompte :  Un producteur fourni des marchandises à un détaillant, ce dernier le règle par l'intermédiaire d'une lettre de change payable au terme de trois mois. Le producteur la porte à sa banque, celle-ci lui règle immédiatement la somme en question (moins sa commission). Le banquier récupérera lui-même cette somme auprès du détaillant à l'échéance de la lettre de change.



  Compensation sur livre de compte : Technique de règlement entre plusieurs parties débitrices et créditrices les unes vis à vis des autres, limitant l'usage des moyens de paiement au règlement du solde net de ces diverses opérations. 

  Prenons l'exemple de deux banquiers, l'un de Venise et l'autre d'Amsterdam. Plusieurs clients du banquier de Venise sont créditeurs ou débiteurs des clients d'un banquier d'Amsterdam, lequel a lui même des clients créditeurs ou débiteurs du même banquier de Venise.

 Ces deux banquiers n'auront pas besoin de se transmettre mutuellement la totalité des  fonds nécessaires à ces transactions, mais seulement le solde net. Si l'un doit globalement 200 000 Florins à l'autre, et que l'autre lui doit 190 000 Florins, ce ne sera pas un total de 390 000 Florins qui aura besoin d'être transféré, le premier fera seulement parvenir 10 000 Florins au second.

De nos jours, les banques commerciales compensent quotidiennement leurs avoirs réciproques à partir de leur compte auprès de la Banque Centrale.



La monnaie papier (monnaie fiduciaire)

En 1609, la Banque d'Amsterdam prend en dépôt les différentes monnaies métalliques que lui apportent les commerçants, et met en circulation des billets. 
Le montant de billets émis correspondait à la valeur du métal déposé à la banque, les billets se substituaient simplement au métal et n'étaient pas une véritable monnaie qui s'ajoutait à celui-ci. 
Le métal précieux déposé était la contrepartie des billets, et ces derniers étaient détruits quand le déposant récupérait son or ou son argent. 

Les choses changent en 1656 quand la Banque de Suède adopte une nouvelle technique, elle émet toujours des billets contre la valeur du métal précieux qu'elle prend en dépôt, mais elle émet un supplément de billets qui sont utilisés pour escompter des "effets de commerce".

  Effet de commerce : Titre de créance remplaçant un paiement en monnaie. Cette créance peut être payable à vue ou à terme. La lettre de change, la traite, le billet à ordre, le chèque sont des effets de commerce.

 

La pratique de l'escompte était déjà utilisée par les banques, mais jusqu'à cette date la banque rachetait les effets contre de la monnaie métallique, et non contre un simple papier. Les billets de la Banque de Suède restaient toujours convertibles en métal auprès de la banque, mais, pour la première fois, une banque émettait officiellement plus de billets qu'elle n'avait de métal en réserve
Les billets émis ne se substituaient pas à la monnaie métallique mais s'y ajoutaient, et de la monnaie supplémentaire était ainsi créée. La contrepartie de cette monnaie n'était plus seulement du métal précieux, mais du crédit sur des effets de commerce. 
Cette pratique se répandit au cours du XVIIIe siècle et se généralisa au cours du XIXe siècle.

La Banque de France fut créée par Napoléon 1er en 1800. C'était une banque privée dont Napoléon était lui même actionnaire. Elle utilisait bien entendu les méthodes de la Banque de Suède, d'autant plus que le prêt contre intérêt était devenu légal depuis la Révolution. Les billets émis étaient d'un montant élevé, et destinés à circuler pour effectuer de gros règlements. Ils étaient convertibles en or aux guichets de la banque, mais n'avaient pas "cours légal" (ce qui signifie que nul n'était obligé de les accepter en paiement).

Pendant la grave crise économique et sociale de 1848, le gouvernement proclama le "cours légal" (obligation pour tous d'accepter les billets en paiement), et le "cours forcé" (la banque n'échange plus les billets contre de l'or), il y mit fin en 1850. 
En 1870, le cours légal et le cours forcé sont à nouveau proclamés. La convertibilité est rétablie en 1878, mais le cours légal est définitivement instauré. 
Le cours forcé sera rétabli en 1914 , et il durera jusqu'en 1928 où une convertibilité très partielle (seulement contre lingots d'or de 12 kg) sera instaurée jusqu'en 1936. 
Depuis 1936, le billet de la Banque de France a cours légal et forcé.

La montée du billet de banque n'empêcha pas la référence à l'or pendant de nombreuses années, on peut d'ailleurs constater une augmentation régulière de sa valeur en équivalent monétaire :

- le Franc germinal de 1803 équivalait à 322, 58 mg d'or,
- le Franc Poincaré de 1928 équivalait à 65,5 mg,
- le nouveau Franc de 1959, soit 100 anciens Francs, à 180 mg,
- la dévaluation de 1969 le descendit à 160 mg.

Depuis 1969 la valeur du Franc n'a plus jamais été déterminée par rapport à l'or, qui fut officiellement démonétisé en 1976 lors des accords de Kingston. Toute référence à l'or pour exprimer la parité des monnaies devint alors interdite. 
On peut remarquer que si quelques banques centrales ont vendu une partie de leur réserve d'or, elles en conservent néanmoins une grande quantité : environ 2 800 tonnes pour la France et 32 000 tonnes pour l'ensemble des Banques centrales. Cette quantité est très importante vu que l'on estime que seulement 150 000 tonnes ont été extraites par l'homme, et dont 10 000 se seraient perdues. 
Si l'or a officiellement perdu sa place en tant que valeur monétaire, l'existence de ces stocks montrent néanmoins qu'il reste toujours une valeur financière de réserve.

Si de nos jours, la valeur de la monnaie n'est plus directement reliée à un poids d'or donné, on peut toujours acheter de l'or, mais c'est alors en tant que "matière première", et non en tant que valeur monétaire. 
La valeur de l'or de la Banque de France correspondait à  42,2 milliards d'Euros en décembre 2006, alors qu'à la même date la quantité de billets et pièces en circulation s'élevait à 122 milliards d'Euros, et l'ensemble des dépôts bancaires à 1249,6 milliards d'Euros. L'or ne représente donc qu'une petite partie de la contrepartie de la monnaie existante.

 

La monnaie dématérialisée (monnaie scripturale)

La deuxième moitié du XXe siècle voit apparaître de nouvelles pratiques monétaires : l'utilisation du chèque et celle de la carte bancaire entraînent une dématérialisation croissante de la monnaie. Désormais, sa majeure partie n'existe plus que sur des disques durs d'ordinateur.

 


[1] Si les historiens ne s'accordent pas tous sur cette primauté de pratique de la Banque de Suède, ils font en général remonter "l'officialisation" de cette pratique à la même période historique.


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12 août 2008 2 12 /08 /août /2008 03:22


par Orlando de Rudder

Ecrabouillage
Haumont ?  C''est la "ville aux cent cheminées", à cause des usines. Tout un passé industriel alternant révoltes et soumissions, écrabouillage lent, morne, interminable  des gens par l'industrie.On a produit plus de misère que d'acier. Des clous, oui, on a produit des clous... Du néant à petit feu. Et la crise est venue,le néant du néant...

Salades et clous.
Dans le temps,il  fallait laver trois fois les salades à cause des retombées de ces fumées... Aujourd'hui le maire d'extrême-droite semble avoir renoncé à son droit de péremption .On dit qu'il l'exerçait sur les maisons à vendre pour éviter que des immigrés les achètent.  IL n'y a pas de feux,pas de passages cloutés à Haumont...LEs voitures font gaffe... Mais ce libérlisme circulatoire est peut-être bénéfique...

Doriotisme.
Tout un monde de pauvres gens qui ont pu, acheter,parfois,leurs maisons au prix de privations et de dur boulot... ouvriers usés, souvent  cons au point de pratiquer un doriotisme fr'énétique enpassant du communisme au Front National.. ,Mais sympathiques en même temps, humains, trop humains...souvent brisés pr leurs vies,leurs luttes, le gâchis,le néant de ce Nord, de ce Bassin de la Sambre qui tue les gens à petit feu... Les a écrabouillés. Bienvenue chez les Ch'tis: le Nord, c'est aussi ça! La fricadelle spongieuse dans l'huile épaisse,la frite gluante et l'horizon bouché...  La bière qui aigrit l'estomac du pauvre et les prières à Sainte Aldegonde qui a l'air de s'en foutre.A Haumont, il y a quand même un restaurant de bonne tenue.  Il se nomme ironiquement "LEs Hauts Fourneaux"... Un sourire boréal...

Zoo.
A Maubeuge, de nombreux arbres sont cassés net... Des toits ont volé, des voitures sont écrasées sous les troncs... Des volets ont été arrachés. Il semble que seule la rive gauche de la Sambre a pâti... C'est terrible. Le zoo (le deuxième d'Europe après Anvers)a résisté et les animaux n'ont pas souffert mais il paraît qu'ils sont fort perturbés...

Cassé net...
La tornade apporte encore plus de misère. Là, c'est cassé net. Des voitures, des vies, des arbres, des gens... Après la lenteur, l'usure,  l'effacement des vies par l'industrie, la tornade apporte une brutalité effroyable...

Rousies.
Ici, à Rousies, rien: le soleil brille, tout est calme, la campagne est belle et les vaches tranquilles... Septentrion tranquille, herbe grasse et plus bas, la Thiérache, promesse de bon Maroilles...

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10 août 2008 7 10 /08 /août /2008 03:26


Valet de larmes

 

Le journal bête et méchant s’est choisi (c’est un raccourci) quelqu’un de bête et méchant pour s’auto diriger. Il y avait de long mois que le comportement de Philippe Val ne cessait d’inquiéter ceux qui étaient fidèle à Charlie Hebdo : des positions pro guerre (Kosovo, Irak,…), une attitude de soumission à l’ordre en place, acceptation de l’Europe libérale, lynchage de mai 68, lachage de Denis Robert, minute d’autosuffisance sur France Inter, entregent auprès de l’intelligentsia parisienne (Alexandre Adler, Elisabeth Badinter, Bertrand Delanoë, Jean-Claude Gayssot, Claude Lanzmann, Bernard Henri-Lévy, Ariane Mnouchkine, Fred Vargas, Pascal Bruckner, Blandine Kriegel ou Dominique Voynet…), (…même s’il y en a deux que j’aime bien là dedans : Mnouchkine et Vargas) ; faire partie du sérail, être reconnu : le pied !

 

Pourquoi cette courte énumération à charge ? Car les intellos ont choisi de « charger » Siné sur son passé en sortant de son contexte des mots écrits sous forme de pamphlet ou de caricature*. Val n’est pas neutre et sa gestion du personnel n’est pas donnée comme exemplaire. Certes son journal est maintenant rentable, mais à quel prix et pour combien de renoncements et d’abandons. Il faut se rendre à l’évidence Val ne défend plus le journal fondateur.

 

Nous voilà définitivement avertis, Val est du côté des valets.


Dominique Mourlane

 

* le texte incriminé :

« Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »

 

Siné : Filoche répond aux vingt politiques et intellectuels qui soutiennent Val

NOUVELOBS.COM

Sous le titre "O combien je soutiens mon pote Siné contre les 20 que vous êtes !", le socialiste Gérard Filoche s'en prend au texte notamment signé par Bertrand Delanoë, Robert Badinter, Elie Wiesel ou encore BHL, qui prend la défense du directeur de la publication de Charlie Hebdo.

Hommage à Siné, par Philippe Geluck

 

Dans un texte rendu public vendredi 1er août, le socialiste Gérard Filoche prend la défense du chroniqueur Siné et dénonce le soutien apporté par vingt politiques et intellectuels au directeur de la publication de Charlie Hebdo, Philippe Val. Siné a été accusé d'avoir tenu dans Charlie Hebdo des propos antisémites liés aux projets de conversion au judaïsme et de mariage de Jean Sarkozy avec la fille du fondateur des magasins Darty, pour lesquels il a été renvoyé de l'hebdomadaire. Voici le texte de Gérard Filoche:


"O combien je soutiens mon pote Siné contre les 20 que vous êtes ! Et combien je suis offusqué que certains signataires ci-dessus se joignent aux bien-pensants ampoulés et ridicules, à l’ordre officiel de Madame Albanel pour soutenir celui qui n'a commis d'autre "crime" récent que de s'en prendre au fils Sarkozy… Car qu'est ce qui décide ces 20 signataires à faire le procès de la carrière entière d'un dessinateur aujourd'hui âgé de 80 ans célèbre depuis ses caricatures et prises de position lors de la guerre d'Algérie, le manifeste des 121, et son immortel dessin où il montre des soutanes devant un crucifié se moquant d'un pauvre hère devant son totem ? Ce n’était pas seulement des "fulgurances", il en fallait du courage !… Siné est un combattant depuis les années 60 de toutes les causes démocratiques, antiracistes et, d'ailleurs, ne l'avez-vous pas côtoyé aux nombreux dîners des parrains de SOS-Racisme auxquels il participait, c'est là que je l'ai rencontré avec vous tous, en 1988, lorsqu’il y serrait la main de François Mitterrand, et les vôtres ? Qu'est ce qui vous prend de faire un autodafé à partir de citations tronquées, tirées de leur contexte, de sa vie, de son œuvre entière ? Vous l’excommuniez? C’est un grand honneur que vous lui faites ! Où a-t-on vu cela, vous vous prenez pour Jdanov? Comme l’a fait la ministre de la culture du père de Jean Sarkozy qui veut voir "disparaître à jamais" (un autodafé, vous amenez le briquet?) Siné, sa vie, son œuvre?

Tous, absolument tous les juristes répètent qu'il n'y a pas d'antisémitisme dans le texte incriminé de Siné, juridiquement ça n’est pas plaidable, ce n'est qu'une reprise d'une info exprimée déjà dans Libération le 23 juin par un ami de Jean Sarkozy, membre de la Licra, en termes similaires...


Vous parlez peu de l’objet précis et récent de l’affaire, ce que vous en citez est tronqué malhonnêtement, et vous étendez surtout la question "aux dérapages" de toute la vie d’un homme, en l’occurrence d’un artiste, en extrayant des excès qui vous ont semblé contestable en lui -d’un point de vue universel suprême, celui de votre absolue autorité.

Rien ne vous donne ce droit d’exécuter ainsi quelqu’un. Personne ne vous a demandé de vous mettre à 20 pour juger le bon ou le mauvais goût des caricatures de Siné, c'est son droit, sa liberté, son œuvre, et s'il est apprécié depuis plus de 50 ans, lui, ami de Prévert, de Léonor Fini ou de Malcolm X, il y a sûrement une raison à ses centaines de milliers d'admirateurs... Toute licence en art! Même pour les dessinateurs de chat, bouffeurs de curés et provocateurs! Même pour Plantu que vous exécutez au passage en donneur de leçons suprêmes que vous êtes…



Vous vous mettez en 20 pour faire la police de la pensée officielle, et estimez que cela fait des décennies que Siné aurait dû être réduit au silence? Bouh, ça fait froid dans le dos! Toute l'équipe de Hara-Kiri, Charlie Hebdo première mouture, (avant que Val ne s'en empare), est censurée épurée, réduite au silence, en un même coup, par vos propos: soit 80 % des caricaturistes célèbres dans ce pays depuis 40 ans. Votre logique, c'est d'interdire une seconde fois "Bal tragique à Colombey", ça se faisait à l’époque, après que les Yvon Bourges aient interdit "La Religieuse" de Jacques Rivette. Vous voulez, vous aussi, liquider quelque chose de mai 68 en vous en prenant à Siné et en donnant raison à Val?



Parce que vous croyez que Val a une constance dans son engagement ? Qu’il est "démocrate, défenseur et garant des principes" de Charlie Hebdo et de sa rédaction? Voulez-vous qu’on joue au même jeu des citations le concernant? Ce serait aussi facile, cruel mais dégradant. Ou comment Val a tiré profit de Charlie, et comment il traite le droit de ses salariés dans le journal sur lequel il a mis la main, comment il vient de "licencier" un prétendu "droit d’auteur" qui était plus ancien que lui à la fondation ? La rédaction de Charlie qui a votre "entier soutien", ce sont aussi Charb et Cavanna défendant Siné contre toute votre accusation: "Je n’aurais pas travaillé 16 ans aux côtés d’un antisémite", "Siné n’est pas antisémite" écrivent-ils!

Comme Willem, Delfeil de Ton, Carali, Barbe, Geluck, Malingrey, Pichon, Pétillon, Got, Faujour, Picha, Tignous, Thouron, Tardi, Wiaz... qui le soutiennent. Alors pourquoi est-ce Siné qui est viré, vilipendé, lynché et comment pouvez-vous donner votre "entier soutien" à

ce Val-là?"


Gérard Filoche


 

Le Plan B

Affaire Charlie Hebdo : la pétition à laquelle vous avez échappé

« Le ventre est encore fécond... »

SOS Racisme, la Licra et une trentaine de personnalités politiques et d'intellectuels européens de tous horizons – parmi lesquels Bertrand Delanoë, Bernard-Henri Lévy, Elisabeth Badinter, Pascal Bruckner et Elie Wiesel – auraient signé un communiqué dont Le Plan B s'est procuré une copie. Ses auteurs dénoncent la campagne de haine antisémite déclenchée par le directeur de Charlie Hebdo, le PDG de Libération et un chroniqueur de France Culture par ailleurs éditorialiste au Figaro.

Nous tenons à exprimer notre plus vive émotion après les déclarations à caractère antisémite proférées par Philippe Val et son entourage à l'occasion de « l'affaire Siné ». Pour justifier l'éviction du chroniqueur de Charlie Hebdo, congédié pour avoir moqué le fils du chef de l'Etat français, le directeur de l'hebdomadaire satirique et deux dignitaires de son fan-club ont insulté la communauté juive en des termes qui nous renvoient aux pages les plus sombres de notre histoire.

Le 18 juillet, en direct sur France Culture, c'est d'abord le journaliste gastronomique du Figaro, Alexandre Adler, qui dérape en s'attaquant à Michel Polac, un collaborateur de Charlie Hebdo qui a refusé de prendre part à la curée contre le dessinateur : « Michel Polac, né juif sans aucun doute, ami de Siné et dont la femme Catherine Siné est sa productrice [sic]… » Alexandre Adler établit une corrélation entre l'origine juive supposée de Michel Polac et les intérêts financiers – incarnés ici par la figure déshumanisée de la « productrice » – qui motiveraient son soutien à Siné. Derrière cet amalgame ignoble, une oreille attentive ne peut pas ne pas percevoir l'écho sinistre des pogroms.

C'est ensuite au tour de Laurent Joffrin de se couvrir d'infamie. Dans une tribune de soutien à Philippe Val publiée le 25 juillet dans Libération, il utilise le mot de « race » pour qualifier les personnes d'origine juive. Le fait que Laurent Joffrin soit connu comme le « journaliste le plus bête de France » ne saurait excuser l'usage d'une notion ancrée au cœur-même de l'idéologie raciste. Faut-il rappeler au directeur de Libération que le concept de race est dépourvu de toute valeur biologique et qu'il est à l'origine des crimes les plus abominables jamais perpétrés dans l'histoire de l'humanité ?

Cinq jours plus tard, dans un portrait de Siné publié par Libération (30.7.08), Philippe Val laisse échapper : « Rendez-vous compte, pas un seul journaliste non juif qui me soutient. » Comment comprendre un tel dérapage ? Le directeur de Charlie Hebdo s'est-il enquis auprès de chaque journaliste qui a traité de l'affaire Siné pour savoir s'il était juif ? La judéité constitue-t-elle à ses yeux un critère pertinent pour évaluer le travail d'un journaliste ? En sommes-nous arrivés à ce point de régression antisémite qu'il nous faille signaler à Philippe Val, au risque de nous rabaisser à son niveau, qu'un certain nombre de personnes d'origine juive ont désavoué ses procédés d'épuration interne et signé la pétition de solidarité envers Siné ? En laissant entendre qu'être juif vaut soutien au patron de Charlie Hebdo, ce dernier contredit les enseignements de Hannah Arendt et de Spinoza ; il offense gravement tous les Juifs et, à travers eux, l'humanité entière.

La conjonction en quelques jours de ces trois émanations pestilentielles, dont aucun observateur de bonne foi ne peut nier le caractère antisémite, apparaît d'autant plus révoltante qu'elle n'a, jusqu'à présent, soulevé aucune réaction dans la presse française. Nous sommons par conséquent Alexandre Adler, Laurent Joffrin et Philippe Val de s'expliquer sur leurs propos et de présenter des excuses publiques pour le préjudice qu'ils ont causé à quiconque demeure épris d'égalité. À défaut de quoi, la LICRA et SOS Racisme se réservent le droit, soutenus par tous les signataires de ce communiqué, et au-delà par toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté, de réclamer réparation auprès des tribunaux de la République.

 

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9 août 2008 6 09 /08 /août /2008 03:43


Carpette du pouvoir : l’Etat en décomposition orchestrée.

 

La justice est détournée pour 400 millions d’€uros : une paille (voir en bas de page les chiffres exacts).

Alors que la cour de cassation a rendu une décision dans le sens de l’état, « notre » représentant le plus sommital décide de réunir une commission de partage pour donner tort à l’état, c'est-à-dire à ce qu’il représente.

Il ne peut y avoir ce type de décision que lorsque des sommes conséquentes sont engagées et quelles profitent aux personnes en place au pouvoir.

 

Pour résumer la sujet, le Crédit Lyonnais (qui en ces temps lointains était une entreprise publique) est accusé par Bernard Tapie de fautes et ce dernier réclamait 3 milliards d’€uros de dédommagements. Après multiples procédures la cour de cassation au final donna raison au Crédit Lyonnais en rendant un arrêt qui stipule clairement qu’ « aucune faute n’est en l’état caractérisée à l’encontre du Crédit lyonnais ». Donc normalement rien pour B. Tapie.

Il n'est pas question ici de dédouaner le Crédit Lyonnais qui n'est pas trés clair dans cette affaire (voir  sur Bakchich), mais qui l'est quand de telles sommes sont en jeu.

Faut savoir tout de mêmeque dans ce cas de figure c’est l’Etat qui casque. C'est lui le meilleur créancier.

Pour Tapie tout ceci est embêtant, surtout lorsqu’on a des dettes en particulier vis-à-vis de l’Etat (quelque chose comme 350 millions d’€uros au total). Le serpent qui se mord la queue.

Alors là intervient l’omniprésent, le seul, l’unique, le président de tous les français qui ont des dettes avec l’Etat.

Carambouille, Je crée un tribunal arbitral pour contourner la justice et faire un don à ceux qui m’ont soutenu durant la campagne présidentielle : tout se paie. Cerise sur le gateau Je "deale" en plus un soutien à la réforme constitutionnelle engagée devant le parlement. Toutes les voix comptes. Les Radicaux de Gauche (RdG) ont vendu leurs âmes tout en dépouillant l'Etat pour un de leur pôte. Sarkozy a eu sa modification constitutionnelle qui lui donne plus de pouvoirs, grâce à Jack Lang et aux RdG dont Tapie est un éminent membre aux côtés de JM Baylet (par ailleurs patron de presse).

« On » fait passer cela durant l’été, la presse est muselée mais aussi interressée au premier chef, rien ne sort, ou si peu puisque les français se reposent. Voilà l’embrouille conclue.

Et la démocratie en guenille.


Oui mais les français sont de moins en moins nombreux à partir (question de pouvoir d’achat en berne), ils s’ennuient, ils lisent la presse, internet, ils en ont de plus en plus marre, ils voient bien les postes de l’enseignement en restriction à la rentrée, le déficit des hôpitaux publics (400 millions d’€uros) et les caisses qui sont vides pour renflouer les hôpitaux de service public, mais pas pour payer Tapie.

Ailleurs les français ne voient pas, car cela leur est caché, encore la presse aphone, que les entreprises françaises ont détourné 600 millions d’€uros au fisc sur 5 ans (rapport INSEE : Les structures de groupe et les procédés d’optimisation fiscale). De quoi réduire le « trou » de la sécu tout de même.

Tout ça fini par se savoir, par apparaître, et puis chacun se rend compte que le représentant de l’Etat est en train de vider les caisses (de l’Etat) pour servir ses amis (privés) : caisses vides, mais pas pour tout le monde.

Que restera-t-il ensuite à brader, à offrir aux amis ?

 

Et nous dans tout cela que devenons nous, que restera-t-il de nous, comment agirons-nous demain matin ?

 

Dominique Mourlane

 

 

Pour comprendre l’ensemble de la situation engendrée par B Tapie et le Lyonnais voici un résumé réalisé par Etienne Gernelle du Point.fr

 

Bernard Tapie : à la poursuite du trésor d'Adidas

Un aventurier des affaires - Bernard Tapie -, des banquiers sur la ligne jaune, l’ombre de François Mitterrand et, au milieu, la fameuse plus-value d’Adidas. A qui appartient-elle vraiment ? Récit d’une rocambolesque course aux milliards.

Étienne Gernelle

Bernard Tapie : à la poursuite du trésor d'Adidas

© AFP/JEAN-LAURENT LAPEYRE

Le magot est là, enfin. Bernard Tapie vient de toucher au but dans cette invraisemblable chasse au trésor qui a duré pas moins de dix-huit ans... Le 8 août 1990, Tapie réalise un très, très gros coup. Grâce à son légendaire bagou, il vient d’arracher Adidas aux sœurs Dassler, héritières de l’entreprise, à prix cassé. Tapie achète 80 % de la marque aux trois bandes pour à peine 1,6 milliard de francs (240 millions d’euros). Un bon management, un peu d’argent injecté pour restructurer l’entreprise et Adidas devrait repartir en flèche.

Sauf que Tapie le flambeur est parfois près de ses sous. Il ne met pas un centime à lui au départ de l’affaire. Le rachat est financé à 100 % par un prêt consenti par un pool bancaire conduit par la SDBO, filiale du Crédit lyonnais, sa fidèle banque. Sans le moindre apport de capital, Tapie tente de redresser l’entreprise. Mais la course de vitesse entre son rétablissement et l’échéance des dettes est serrée. Tapie doit rembourser 600 millions de francs en 1991 et 1 milliard en août 1992 ! Pour payer, Tapie vend des participations, notamment dans TF1. Adidas, elle, perd encore de l’argent. « En Allemagne, les banques qui finançaient la trésorerie de l’entreprise menaçaient de couper les vivres, se souvient un cadre du Lyonnais. Elles réclamaient le changement du management, mais surtout une augmentation de capital, de l’argent frais. » Et du cash, Tapie n’en a pas...

Au sein de la SDBO, on s’inquiète. Mais on couvre tout de même. D’autant qu’en avril 1992 Tapie devient ministre. Théoriquement, la banque dispose, en garantie à son prêt, d’un nantissement sur les parts de Tapie dans Adidas. En clair : si Tapie se trouve en défaut de paiement, elle peut s’emparer d’Adidas. Mais n’oserait pas : un ministre en banqueroute ferait mauvais effet. Et puis le Lyonnais est une banque publique... Tapie, chouchou de la mitterrandie, est intouchable. Cependant, tout le pousse à mettre fin à cette situation : il veut éviter le krach financier de son groupe, qui se dessine malgré le soutien de la banque. Et la poursuite de sa carrière politique lui impose de sortir des affaires. Tapie tente alors de vendre Adidas au groupe britannique Pentland pour 2,085 milliards de francs. Mais, refroidi par un audit inquiétant, ce dernier renonce à l’automne 1992. Tapie se retourne donc vers le Lyonnais pour solder son « empire » et payer ses dettes. Le 16 décembre 1992, il donne mandat à la banque pour trouver un acquéreur à ce même prix de 2,085 milliards de francs. Problème, les acheteurs ne se bousculent pas, et le retrait de Pentland n’a pas fait une bonne publicité.

Début 1993, Robert Louis-Dreyfus est contacté. Il refuse la première offre. Puis la banque lui propose un montage incroyablement avantageux, qu’il accepte. « RLD » est l’opérateur, celui qui est chargé de diriger l’affaire. Cependant, il ne prend que 15 % du capital. Le reste est acquis par un groupe d’investisseurs hétéroclite. Au passage, la SDBO s’est, comme souvent, un peu écartée des canons de la vertu bancaire : parmi les acquéreurs, au côté de Louis-Dreyfus, se trouvent deux sociétés domiciliées aux îles Caïmans et aux îles Vierges, qui représentent tout de même 35 % du capital et qui sont fortement soupçonnées d’être des faux nez du... Crédit lyonnais.

Mais, pour l’heure, tout le monde est content. Les acquéreurs, surtout, puisqu’ils ne courent aucun risque. Le Lyonnais, fait extraordinaire, accepte de garantir les pertes éventuelles : si les acheteurs font à terme une moins-value, le Lyonnais paiera. En contrepartie de ce risque démesuré, la Banque s’octroie 66 % de la plus-value éventuelle. Pour Robert Louis-Dreyfus, c’est une entrée en matière très confortable. Il peut amorcer le redressement sans angoisse. Mais, pour garder la perspective de devenir vraiment propriétaire, il obtient une option d’achat des parts des autres acquéreurs. En vertu de celle-ci, il peut, à la fin de 1994, racheter l’ensemble des parts de ses coactionnaires à un prix de 4,4 milliards de francs (pour 100 % du capital). Si Adidas se révèle un gouffre sans espoir, Robert Louis-Dreyfus se retirera sans perte et n’utilisera pas son option. Si la marque redémarre, il pourra s’en emparer en payant, il est vrai, nettement plus cher. Le prix d’une certaine sécurité.

Aucun débat

Les avocats de Tapie, pour dire que Tapie a été grugé, se servent de cette option pour affirmer que « la banque avait elle-même évalué l’affaire à 4,4 milliards de francs au minimum ». Ils ont en cela été suivis par les trois arbitres. C’est la partie la plus surprenante de la sentence arbitrale, car cette thèse confond achat et option d’achat. Elle considère comme allant de soi l’exercice de l’option, supposant par là même que le redressement de l’entreprise ne pouvait que réussir. « On peut estimer que fin 1992 Adidas se trouvait sur la voie du redressement », ont étonnamment estimé les arbitres, alors qu’Adidas perdait encore beaucoup d’argent. Les restructurations ne sont évidemment jamais jouées à l’avance. Surtout qu’en l’espèce Tapie, qui n’avait pas réalisé d’augmentation de capital, jouait très serré. Ce point est central. Si la relance d’Adidas avait échoué, RLD n’aurait certainement pas fait jouer l’option. La SDBO aurait alors perdu beaucoup d’argent et Tapie s’en serait, rétrospectivement, très bien sorti en repartant avec 2 milliards...

A ce moment, d’ailleurs, il n’y a aucun débat. Tapie se satisfait du prix payé. Mais, à partir de 1993, le redressement d’Adidas commence à prendre forme. En 1994, il prend même un tour spectaculaire. Pas par hasard : RLD, en arrivant en février 1993, a changé le management. Surtout, avec les autres acheteurs, il a injecté-contrairement à Tapie-500 millions de francs dans l’entreprise. Adidas devient bénéficiaire. Encouragé par ces nouvelles perspectives, RLD fait jouer son option en décembre 1994. Il est désormais propriétaire à 100 %. Au passage, la SDBO, qui a fait tant de mauvaises affaires, fait cette fois-ci un profit considérable en se taillant le plus gros morceau de la plus-value.

Pas très net

Un bénéfice à la hauteur du risque, certes, mais, à y regarder de plus près, tout n’est pas très net. La banque semble avoir omis d’informer-tout au moins en bonne et due forme-Bernard Tapie des modalités du montage. De peur que le bouillant et gourmand homme d’affaires tente de demander plus ? C’est probable. Au final, la SDBO a fait tout ce qu’une banque ne doit pas faire : elle a cédé à des pressions politiques pour ménager Bernard Tapie, puis s’est lancée dans une aventure excessivement risquée, le tout en négociant un accord sans en communiquer officiellement les détails à son client... Un comportement atterrant. Sauf qu’à la fin elle gagne au loto...

Et ce n’est pas fini. Car c’est le Lyonnais qui finance l’exercice de l’option d’achat par Robert Louis-Dreyfus. Cette fois-ci, les termes ont changé. Le risque étant bien moins grand, la banque ne garantit plus les pertes. Et, logiquement, son profit est moindre : elle doit bénéficier de 25 % de la plus-value lors de la future introduction en Bourse, en 1995 ! Là encore, le jackpot est énorme, puisque l’entreprise aux trois bandes, qui a recouvré la forme, est alors valorisée à 11 milliards de francs...

Incroyable réussite. Insupportable pour Bernard Tapie, qui n’a pas pu y participer, alors que-et c’est à son crédit - c’est lui qui a « flairé » la bonne affaire, en 1990. Cette success story énerve d’autant plus Tapie que sa relation se dégrade avec le Lyonnais à partir de novembre 1993, lors de l’arrivée de Jean Peyrelevade à sa tête. A ce moment-là, la banque négocie avec Bernard Tapie la suite d’un mémorandum signé fin 1992 et destiné à organiser la sortie de Bernard Tapie des affaires. L’« empire Tapie » compte encore une série d’entreprises, toutes plus ou moins en capilotade. L’idée générale est la même que pour la vente d’Adidas : une opération blanche. Tapie laisse toutes ses sociétés mais est libéré de ses dettes. Problème, les dettes dépassent les actifs. Peyrelevade refuse de signer. Mais le numéro deux de la banque, François Gille, insiste : Tapie propose d’inclure les meubles de son hôtel particulier dans le « deal ». Or les meubles peuvent disparaître facilement. En lançant la procédure habituelle, et donc conflictuelle, de mise en défaut, la banque risquerait de les voir s’envoler. Peyrelevade accepte finalement le 13 mars 1994. Mais le banquier, qui est aussi un amateur de meubles anciens, est intrigué par la rédaction de l’inventaire fourni par Tapie. Il demande l’avis de deux experts. Cette attestation ne venant pas, il lance la procédure de défaut de paiement. Le Lyonnais obtient pour le 21 mai une saisie conservatoire des meubles. Mais il y a eu une fuite.

Dans la nuit, un camion quitte la rue des Saints-Pères, bourré de meubles et de tableaux. Il est à ce moment « filé » par une voiture : un officier de sécurité du Lyonnais. Le camion finit par entrer dans un entrepôt d’Aubervilliers. Et là, surprise : à la sortie de l’entrepôt, il n’y a plus un, mais deux camions. Le « limier » de la banque en suit un : les meubles seront saisis. Mais l’autre camion a disparu...

Dès ce moment, c’est la guerre entre le Lyonnais et Tapie. Plaintes réciproques à répétition, rarement fructueuses. Mais, pour Tapie, la catastrophe est ailleurs: privé de la perfusion du Lyonnais, le reste de son empire s’écroule. Les époux Tapie sont mis en liquidation le 14 décembre 1994. L’homme d’affaires, acculé, dégaine alors l’arme atomique : il attaque sur la vente des actions Adidas. L’homme d’affaires, qui a tant bénéficié des pratiques « limite » de la banque, sait bien qu’il trouvera à y redire. Deux fautes majeures sont détectées facilement : le défaut d’information, donc de loyauté, et le « portage » par le biais des sociétés offshore. L’ « affaire Adidas » est lancée.

Un match serré

Le débat juridique a été d’une complexité inouïe. Mais, au-delà, c’est bien la légitimité de chacune des parties à mettre la main sur le trésor issu de la résurrection d’Adidas après 1993 qui était en jeu. Un match serré : d’un côté, Bernard Tapie, qui n’a jamais apporté d’argent frais à l’entreprise et qui ne pouvait, ni politiquement ni financièrement, continuer l’aventure. De l’autre, un Crédit lyonnais parfois sous influence politique, parfois hors de contrôle, qui a souvent flirté avec la ligne jaune. Le match a duré quatorze ans. Et, selon les arbitres, c’est Tapie qui a gagné.

Home sweet home

Il n'a pas bougé. Mis en liquidation il y a quatorze ans, Bernard Tapie habite toujours son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, dans le 6° arrondissement. Certes, il n'occupe plus qu'une aile, et il n'a plus ce mobilier Louis XV dont il était si fier, mais le gîte est plutôt correct. C'est à ses liquidateurs que Tapie doit ce miracle. Ceux-ci ont obtenu de la justice que l'hôtel ne soit pas vendu tant que le litige Adidas ne serait pas tranché, considérant que, si Tapie n'avait pas été floué par le Crédit lyonnais, il n'aurait pas été mis en liquidation.

Résultat, l'ex-homme d'affaires réside gratuitement dans ce qui est aujourd'hui la propriété virtuelle du CDR, c'est-à-dire de l'Etat... La taxe foncière est acquittée par les liquidateurs, donc, indirectement, par le CDR. Quant à la taxe d'habitation, elle est payée par l'association Les Amis de Bernard Tapie. Une belle maison et des amis généreux, que demander de plus ?

 

  Mais aussi un point de vue d'Eva Joly sur MédiaPart :

L'ancienne magistrate Eva Joly a jugé "extravagante" la décision de l'Etat de choisir la voie de la justice arbitrale dans le contentieux l'opposant à Bernard Tapie et accusé Nicolas Sarkozy de donner des instructions dans l'intérêt "de ses alliés politiques et amis".

Dans un entretien accordé à MédiaPart, EvaJoly met directement en cause Nicolas Sarkozy, décrivant "dans cette histoire un président de la République qui donne des instructions dans l'intérêt non pas de l'Etat mais dans celui de ses alliés politiques ou de ses amis". "Le fait d'avoir recours à la justice privée non transparente est tout à fait extravagant quand les deniers publics sont en jeu", estime l'ancienne juge d'instruction.

Pour Eva Joly, qui a notamment instruit dans les années 90 l'affaire Elf, ainsi que plusieurs dossiers liés à Bernard Tapie, dont les conditions de vente d'Adidas, le recours à cette procédure arbitrale "est extravagant et exceptionnel". "Il n'y a pas de précédent en France", ajoute-t-elle. "Je pense que celui ou ceux qui ont donné l'instruction de faire ceci ont mis l'intérêt supérieur des amis au-dessus des intérêts supérieurs de l'Etat", déplore l'ancienne magistrate.

Eva Joly, qui a la double nationalité franco-norvégienne, vit depuis plusieurs années en Norvège, son pays d'origine, où elle est conseillère en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment. Selon elle, "on doit avoir beaucoup de respect pour l'argent public". "Prendre le risque d'un arbitrage privé où il n'y a pas de contrôle, où ce n'est pas transparent, où les citoyens ne peuvent pas savoir, n'est pas une pratique démocratique", met en garde Eva Joly.

Eva Joly relève que "nous n'avons pas dans notre Constitution une procédure qui permette d'engager la responsabilité" du chef de l'Etat, qui jouit par ailleurs d'une immunité judiciaire durant la durée de son mandat. "On voit là qu'il y a un écart très grand entre l'apparence affichée par le président de la République, qui dit vouloir moderniser la vie publique en modernisant la Constitution, et la réalité de l'exercice du pouvoir, où jour après jour, il y a un abus de pouvoir", remarque-t-elle.


Les chiffres en suivant le Canard Enchainé

L'addition :

   240 millions d'euros "au titre du manque à gagner"
+  
45 millions d'euros pour le "préjudice moral subi"
+
111 millions d'euros d'intérêts de retard
------------------------------------------------------------------------
   395 millions d'euros

La soustraction:

   395 millions d'euros
163 millions d'euros de dettes au titre de la liquidation des sociétés de B.Tapie
120 millions d'euros que B. Tapie doit au fisc et à l'Urssaf
-   
35 millions d'euros de dettes "auprès de divers créanciers"
-   
37 millions d'euros dûs aux administrations fiscale et douanière
---------------------------------------------------------------------------------------------
     40 millions d'euros de bénéf' pour Bernard Tapie

 

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8 août 2008 5 08 /08 /août /2008 03:20
Noam Chomsky : "Il y a toujours une lutte des classes, prête à exploser" - interview mai 2008
CHOMSKY Noam
 

Vicenç Navarro : Merci beaucoup de nous accueillir.

Noam Chomsky : C’est un plaisir.

VN : nous sommes ici au nom de l’université d’été progressiste de Catalogne. Comme je vous l’ai dit, l’objectif de cette université est la réappropriation de l’histoire de la Catalogne, comme une réminiscence des années 30, lorsque ouvriers et universitaires se retrouvaient pendant l’été pour discuter de différents sujets d’intérêt. Bien sûr, c’était interdit sous la dictature de Franco. Lorsque les partis de gauche ont reconquis le gouvernement de la Catalogne en 2003, ils se sont engagés à relancer cette Université d’été progressiste. Nous aurions aimé vous avoir pour prononcer le discours inaugural. Je regrette que vous n’ayez pu venir. Espérons que ce sera pour une autre fois.

NC : J’espère.

VN : j’aimerais que nous parlions de vous et des Etats-Unis. A l’extérieur des Etats-Unis, vous êtes l’intellectuel étatsunien le plus connu, et la plupart des gens à l’extérieur ne se rendent pas vraiment compte de ce que cela signifie le fait que le plus célèbre des intellectuels US soit rarement présent dans les médias étatsuniens. Vous n’êtes jamais présent dans les grandes chaines de télévision, CBS, NBC, et autres. Beaucoup de gens ne le comprennent pas parce que les Etats-Unis sont souvent idéalisés et présentés comme une démocratie extrêmement active et dynamique, et ils ne réalisent pas vraiment à quel point la gauche fait l’objet d’une discrimination aux Etats-Unis. Cette discrimination se produit y compris au sein de la gauche des milieux libéraux (« liberals » terme usuel aux US pour désigner les « progressistes » - NDT) de la classe politique. Comment réagissez-vous à cela ? Comment expliquez-vous cet ostracisme dans la plupart des forums de discussion ?

NC : Je dois dire que c’est probablement dans les cercles intellectuels libéraux de gauche que je suis le plus craint et le plus méprisé. Si vous voulez un exemple, jetez un coup d’œil à une de mes couvertures préférées de magazine, qui est encadrée et accrochée à ma porte. Il s’agit de la revue plus ou moins officielle des intellectuels libéraux de gauche, « The American Prospect », et la couverture décrit les terribles conditions dans lesquelles ces milieux tentent de survivre, les énormes forces qui seraient en train de les mener à leur perte.

On y voit deux visages, sévères, coléreux. D’un côté, on voit Dick Cheney et le Pentagone. De l’autre côté, moi. Les intellectuels libéraux de gauche seraient donc coincés entre ces deux énormes forces… Cette illustration montre le degré de paranoïa qui règne et la peur qu’une petite fissure se produise dans l’orthodoxie ambiante. Les intellectuels libéraux (pas uniquement aux Etats-Unis) sont typiquement les gardiens du temple : on peut jusqu’à là, mais pas un millimètre de plus ; et l’idée que quelqu’un puisse franchir cette ligne les terrifie. C’est pareil pour les grands médias. Alors, oui, les Etats-Unis sont un pays très libre. C’est en fait le pays le plus libre au monde. Je ne crois pas qu’il y ait un pays dans le monde entier où la liberté d’expression, par exemple, soit mieux protégée qu’ici. Mais c’est aussi une société soigneusement gérée, comme une entreprise pourrait être gérée, avec un règlement intérieur strict et qui ne tolèrerait aucune déviation, ce qui serait trop dangereux.

Une des raisons de ce danger est que la classe dirigeante, les deux partis politiques et la classe politique, sur de nombreuses questions, est bien plus à droite que la population. Sur la santé, par exemple, la population se situe à gauche de la classe dirigeante, et l’a toujours été. Et c’est la même chose pour de nombreux autres sujets. Laisser libre cours aux débats sur certains sujets représente donc un danger et toute déviation par rapport à une sorte de ligne officielle représente une menace et doit être soigneusement contrôlée.

Alors oui, ce pays est très libre mais dans le même temps il y règne une idéologie très rigide.

VN : C’est surprenant parce que, vue de l’extérieur des Etats-Unis, on a l’impression que le pays jouit d’un système politique très sûr et stable. On pourrait penser qu’avec un système politique et médiatique si puissant, ils pourraient tolérer plus de voix dissidentes dans les médias.

NC : C’est vrai !

VN : On dirait qu’ils ont peur des opinions critiques, comme la votre.

NC : Oui, je crois qu’ils ont peur. Ils ont peur qu’une petite déviation puisse mener à un désastre. C’est une mentalité typiquement totalitaire. Il faut tout contrôler. Si quelque chose échappe au contrôle, c’est un désastre. Mais en fait, la stabilité de la société US n’est pas si évidente que ça. Cela demande beaucoup de censure – à cet égard, les Papiers du Pentagone sont très intéressants. Les Papiers du Pentagone ne sont pas des documents déclassifiés. Y avoir accès c’est comme réussir à cambrioler des archives secrètes. L’information qu’on trouve dans ces documents n’était pas destinée au grand public.

Il y a certaines choses intéressantes dans les Papiers du Pentagone qui sont censurées – pas formellement, mais dans la pratique. La plus intéressante est le compte-rendu de la fin de la période – les documents couvrent une période qui s’achève vers le milieu de l’année 1968, juste après l’offensive du Tet en janvier 1968 (nom d’une offensive militaire majeure lancée par les troupes Vietnamiennes contre l’armée US – NDT). L’offensive avait fini par convaincre les milieux économiques que la guerre était devenue trop couteuse. Mais dans les mois qui suivirent, le gouvernement a voulu d’envoyer 200.000 troupes supplémentaires au Vietnam, pour atteindre prés de 750.000 hommes. Il y a eu des discussions, comme décrit dans les Papiers du Pentagone, et ils ont finalement renoncé. La raison invoquée était la crainte d’un manque de troupes en cas de désordres sociaux à l’intérieur des Etats-Unis. Ils craignaient un soulèvement sans précédent parmi les jeunes, les femmes, les minorités, les pauvres, etc. Ils arrivaient à peine à contrôler la situation dans le pays et toute nouvelle mesure pouvait provoquer un soulèvement. Et ça n’a pas changé. Ils ne peuvent permettre que la population échappe à tout contrôle. Celle-ci doit être étroitement canalisée.

Une des raisons de cette pression extraordinaire exercée par la société de consommation, qui date des années 20, c’est que le monde des affaires a compris qu’elle doit atomiser les gens, les orienter vers ce qu’il appelle « les choses superficielles de la vie, telles que la consommation », sinon la population pourrait se révolter. Par exemple, actuellement, environ 80 % de la population aux Etats-Unis pense que le pays, selon leurs propres termes, est dirigé par « quelques gros qui ne servent que leurs propres intérêts », pas les intérêts de la population. Environ 95 % de la population pense que le gouvernement devrait régulièrement prêter attention à l’opinion publique. Le niveau de rupture avec les institutions est énorme. Tant que les gens sont éparpillés, préoccupés par le solde de leurs cartes de crédit, isolés les uns des autres, et n’entendent jamais un véritable discours critique, les idées peuvent être contrôlées

VN : Un autre phénomène à l’extérieur est l’idéalisation du système US dans les médias européens. Par exemple, les primaires aux élections présidentielles ont été décrits dans les médias européens comme le signe de la vitalité de la démocratie étatsunienne. Et le phénomène Obama est présenté comme la cause d’une mobilisation des masses. C’est faux. Mais comment expliquez-vous cette idéalisation de la scène politique étatsunienne, si courant en Europe ?

NC : Les gens ont effectivement de telles illusions et la question qu’il faut se poser est : d’où viennent ces illusions ? Mais les choses sont claires et la classe dominante les comprend parfaitement. Par exemple, pendant une journée, qu’on appelle « Super Tuesday » (super mardi – ndt), le 5 février, se déroulent quelques dizaines de primaires, il y a donc toute une agitation autour. Examinez le quotidien The Wall Street Journal : sa première page sur Super Tuesday, avec un gros titre, proclame « les enjeux passent au deuxième plan en 2008 tandis que les électeurs privilégient la personnalité ». Peu de temps après, un sondage a été effectué, et qui n’a pas été diffusé, qui montrait que 75% de l’opinion publique voulait une couverture sur les positions respectives des candidats sur les enjeux. Exactement le contraire de la doctrine officielle annoncée en première page. Ceci n’a rien d’exceptionnel. On a connu le même phénomène lors de précédentes élections. Mais les enjeux sont soigneusement tenus à l’écart par les dirigeants des partis politiques. Dire que les électeurs s’intéresseraient plus aux personnalités des candidats qu’à leurs programmes, c’est faux.

Les électeurs seraient très heureux de pouvoir voter en faveur d’un système de santé, chose qu’ils réclament depuis des dizaines d’années. Mais il se trouve que ça ne fait pas partie des options proposées. Les dirigeants des partis, ou plutôt l’industrie des relations publiques qui vend des biens de consommations à la télévision, vend les candidats comme elle vend les biens de consommation. Lorsque vous regardez une publicité à la télévision, vous ne vous attendez pas à apprendre quelque chose. Si nous avions réellement un marché libre, comme celui dont les économistes parlent, un marché où des consommateurs informés feraient des choix raisonnés, alors General Motors présenterait à la télévision les caractéristiques techniques des voitures qu’ils veulent nous vendre. Ce n’est pas ce qu’ils font. Ils essaient de créer des illusions en faisant appel à des graphiques compliqués, à une actrice célèbre qui vous emmène au ciel, ou quelque chose comme ça. L’objectif est de duper le public et de le marginaliser afin que les consommateurs, qui ne sont pas informés, fassent des choix irrationnels. Lorsqu’un candidat fait l’objet d’un marketing, c’est la même chose. Il faut évacuer les enjeux parce que c’est trop dangereux, parce que le public n’est pas d’accord avec ses positions. Il reste quoi ? Sa personnalité, quelques détails insignifiants, des questions personnelles – un Pasteur fait une déclaration, (Hillary) Clinton commet une erreur en parlant de la Bosnie…

La fondation de recherche Pew a publié une étude sur la couverture des primaires par les médias. Le sujet principal abordé était les sermons du pasteur Jeremy Wright. Ensuite venait le rôle joué dans le scrutin par les « super-délégués ». En troisième position, il s’agissait de savoir si Obama s’était mal exprimé lorsqu’il a parlé « d’amertume » de l’électorat vis-à-vis de l’économie. Et ainsi de suite, jusqu’à la dixième place où on trouve la bourde de Clinton sur la Bosnie. Ainsi, tous les principaux thèmes abordés se rapportaient à des questions marginales et hors sujet. Aucun n’abordait la position des candidats sur un sujet quelconque, alors que la vaste majorité du public demande à les entendre. On parlera de tout, sauf des véritables enjeux. Du coup, et c’est assez évident, la population ignore quels sont les véritables enjeux.

L’opinion publique des Etats-Unis a fait l’objet d’études très complètes, d’abord parce que les milieux d’affaires, qui dirigent le pays, veulent connaître le pouls de la population dans un but de contrôle et de propagande. Il faut très bien connaître les gens si on veut contrôler leurs réactions et leurs opinions. Du coup nous connaissons très bien notre opinion publique. Lors de la dernière élection, en 2004, la plupart des électeurs de Bush se trompaient sur ses positions sur des sujets importants – pas parce qu’ils sont stupides ou qu’ils ne s’y intéressent pas, mais parce que les élections ne sont qu’un système de marketing commercial. Cette société est dirigée comme une entreprise : on commercialise des biens de consommation, on commercialise des candidats. Le public en est la victime, et il le sait. C’est pourquoi 80% de la population pense, avec plus ou moins de justesse, que le pays est dirigé par quelques gros qui ne servent que leurs propres intérêts. Les gens ne se font donc pas d’illusions, c’est juste qu’ils ne voient pas d’alternatives.

Le phénomène Obama est une réaction intéressante. Ceux qui sont derrière Obama, ceux qui gèrent sa campagne, ont crée une image qui n’est, pour l’essentielle, qu’une page blanche. Sa campagne s’appuie sur des termes comme « espoir », « changement », « unité » - autant de slogans creux prononcés par quelqu’un de gentil, qui présente bien, qui cause bien - ce que les commentateurs appellent une « rhétorique gagnante » - et du coup chacun est libre d’interpréter cette page blanche. Nombreux sont ceux qui croient y lire leurs espoirs d’un changement progressiste. Lors de la campagne, comme l’a très bien souligné le Wall Street Journal, les enjeux n’ont pratiquement pas été abordés. C’est la personnalité des candidats qui compte et qui est mis en avant.

Il est vrai que le soutien à Obama est un phénomène populaire, et je crois que ce phénomène montre la désaffection de la population pour les institutions. Les gens s’accrochent à l’espoir que quelqu’un pourrait défendre leurs idées. Et même si Obama ne l’a jamais confirmé, il ressemble à ce « quelqu’un ».

Il est intéressant d’examiner les comparaisons qui sont faites. Obama est comparé à John F. Kennedy et Ronald Reagan – Kennedy et Reagan furent inventés par les médias, surtout Reagan. Ce dernier ne savait probablement même pas de quelle politique il s’agissait, mais il était un produit des médias. Et, soi-dit en passant, il n’était pas particulièrement populaire mais les médias avaient crée cette image du merveilleux cow-boy qui allait nous sauver et tout le tralala.

L’administration Kennedy contrôlait plus les choses ; ce fut le premier groupe dirigeant à comprendre le pouvoir exercé par la télévision et ils ont crée une sorte de charisme par le biais d’une bonne campagne de relations publiques : l’image de Camelot, un endroit merveilleux, où se déroulaient de grands événements, avec un grand président. Mais lorsque nous examinons les choses de près, ça devient grotesque.

Kennedy est le président qui a envahi le Sud Vietnam et lancé une guerre terroriste majeure contre Cuba, et on pourrait continuer à en énumérer ainsi pendant des heures. C’est son gouvernement qui instaura la dictature néonazie au Brésil. Le coup d’état eut lieu juste après l’assassinat de Kennedy, mais le terrain avait été préparé par les Kennedy et déboucha sur une terrible vague de répression dans toute l’Amérique latine, et ainsi de suite. Mais l’image de Camelot était là, et l’image est très importante lorsqu’il s’agit de contrôler une population dissidente.

En fait, les Etats-Unis sont loin d’être un pays fasciste, ça c’est une mauvaise analogie. Mais la similitude avec les techniques de propagande fasciste est frappante et n’est pas fortuite. Les Nazis, explicitement, consciencieusement et ouvertement ont adopté les techniques de la publicité commerciale étatsunienne. Ils ne s’en sont pas cachés. Ils ont pris quelques idées simples pour les marteler sans cesse tout en leur donnant un côté « glamour » - c’était la technique employée par la publicité commerciale aux Etats-Unis dans les années 20 et ce modèle fut explicitement adopté par les Nazis. Et c’est sur ce même modèle qu’est basée la propagande commerciale aujourd’hui.

Donc, oui, je crois que le phénomène Obama reflète la désaffection de la population que l’on retrouve dans les sondages : 80 % pensent que le pays est dirigé par une poignée de gros intérêts. Obama annonce qu’il va tout changer, mais il ne donne aucun élément précis pour indiquer en quoi consistera le changement. En fait, les institutions financières, qui sont ses principaux bailleurs de fonds, trouvent qu’il est très bien. Il n’y a donc aucune indication de changement. Mais si vous prononcez le mot « changement », les gens vont s’y raccrocher ; si vous prononcez les mots « changement » et « espoir », les gens vont s’y raccrocher et se dire « bon, c’est peut-être lui le sauveur qui appliquera enfin la politique que nous voulons », même s’ils n’ont aucune raison précise de le penser.

VN : C’est certain.

NC : Donc, je pense que le phénomène Obama et celui de la désaffection vont de pair et sont intimement liés.

VN : Quelle serait la différence entre une administration McCain et une administration Obama ?

NC : McCain est un autre exemple de la redoutable efficacité de la machine propagandiste pour créer une image.

Par exemple, imaginez un pilote de chasse russe en train de bombarder des objectifs civils en Afghanistan. Imaginez que son avion soit abattu et qu’il soit fait prisonnier et torturé par les terroristes islamiques soutenus par les Etats-Unis. Qui le qualifierait de « héro » de la guerre ? Qui le qualifierait d’expert sur des questions stratégiques, de sécurité, parce qu’il bombardait des objectifs civils ? Certainement pas nous. C’est pourtant l’image qu’on a crée pour McCain. Son héroïsme, son expertise, son sens stratégique, sont basés sur le fait qu’il bombardait des civils à 30.000 pieds d’altitude et qu’un jour son avion a été abattu. Oui, il a été torturé, ce qui est condamnable, ce qui constitue un crime, etc. Mais ça ne fait pas de lui un héro de guerre ou un spécialiste en affaires internationales. Tout cela n’est qu’une image créée par une opération de relations publiques.

L’industrie de relations publiques est une industrie énorme, très sophistiquée. Quelque chose comme le sixième de notre Produit Intérieur Brut est dirigé vers le marketing, la publicité, et ainsi de suite, c’est un noyau de la société. C’est ainsi que l’on arrive à isoler les gens, à les subjuguer, à détourner leur attention. Et comme je le dis, ceci n’est pas un secret, ce sont des choses qui sont ouvertement abordés dans les documents de l’industrie.

VN : Verriez-vous une différence entre McCain et Obama en matière de politique étrangère ?

NC : Oui. McCain pourrait être pire que Bush. Il ne dit pas grand-chose, parce qu’on n’est pas censé aborder les vrais sujets, mais le peu qu’il a déjà dit fait plutôt peur. Il pourrait faire des dégâts.

VN : Pourriez-vous expliquer la sympathie qu’Obama suscite en Europe ?

NC : Je suppose que les Européens sont aussi en train d’interpréter à leur manière la page blanche. Ce n’est pas un secret que de dire qu’ils craignaient Bush et que celui-ci leur faisait peur. La classe dirigeante étatsunienne elle-même avait peur de Bush. Bush a fait l’objet de critiques sans précédent, y compris de la part d’anciens officiels de l’administration Reagan et de l’ensemble des médias dominants en général. Par exemple, lorsque sa stratégie de sécurité nationale fut annoncée en septembre 2002, appelant à la guerre préventive et annonçant ainsi la guerre contre l’Irak, immédiatement, dans les semaines qui ont suivi, un article important fut publié dans la revue Foreign Affairs (principale revue de la classe dirigeante). Cet article condamnait ce qu’ils qualifièrent de Nouvelle Grande Stratégie Impériale – la condamnation ne portait pas sur le principe de cette stratégie, mais sur le fait qu’elle risquait de nuire aux Etats-Unis.

L’administration Bush a reçu aussi beaucoup de critiques pour son extrémisme, pour ne pas dire son nationalisme radical extrémiste, et McCain est probablement sur les mêmes positions. Obama reviendra très probablement à une politique de centre-droite, comme l’administration Clinton.

En tant que tel, la doctrine de Bush, celle de la guerre préventive – vous savez, le mépris non dissimulé envers nos alliés, etc – est un exemple intéressent. Cependant, cette doctrine n’était pas une nouveauté. Celle de Clinton était encore pire, littéralement. La doctrine officielle de Clinton était que les Etats-Unis avait le droit de recourir à la force pour protéger leurs accès aux marchés et aux ressources naturelles et ça, ça va plus loin que la doctrine de Bush. Mais l’administration de Clinton l’a présenté poliment, posément, d’une manière qui préservait les relations avec nos alliés. Les Européens ne pouvaient pas faire semblant de ne pas comprendre. Ils avaient évidemment compris et même, probablement, les dirigeants européens l’approuvaient. Mais l’arrogance, le culot, l’extrémisme et l’ultranationalisme de l’administration Bush a offensé le centre des classes dominantes aux Etats-Unis et en Europe. Il y a donc des manières plus polies pour mener la même politique.

VN : Voyez-vous un espace pour la gauche aux Etats-Unis ?

NC : Je crois que ce pays représente un énorme potentiel pour des organisateurs. On le constate si on examine l’opinion publique, qui a été largement étudiée. Nos propres enquêtes d’opinion montrent que la population veut un système de sécurité sociale aux Etats-Unis. Si notre démocratie fonctionnait réellement, un tel système aurait vu le jour aux Etats-Unis il y a des années. La population l’a toujours demandé.

C’est pareil en politique étrangère. Prenez par exemple l’Iran, le prochain sujet brûlant. Chaque candidat, y compris Obama, affirme que nous devons persister à brandir la menace d’un recours à la force contre l’Iran, qu’il ne faut pas exclure une telle option. Il se trouve que c’est là une violation de la Charte des Nations Unies. Mais les élites considèrent comme acquis le fait que les Etats-Unis se placent au-dessus des lois, alors personne ne dit rien. Mais ce n’est pas ce que veut l’opinion publique.

Une large majorité de la population pense que nous ne devrions pas brandir des menaces, que nous devrions emprunter des voies diplomatiques. La grande majorité de la population, environ 75%, pense que l’Iran a les mêmes droits que n’importe quel signataire du traité de non prolifération des armes nucléaires : le droit d’enrichir de l’uranium pour produire de l’énergie nucléaire, mais pas pour produire des armes nucléaires. Et, de manière étonnante, une très large majorité de la population pense que nous devrions soutenir le projet d’une zone dénucléarisée dans la région, incluant l’Iran, Israël et les troupes étatsuniennes basées là-bas. Et il se trouve que c’est justement, aussi, la position officielle de l’Iran. En fait, c’est aussi la position officielle des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, mais il ne faut pas le dire.

Lorsque les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont tenté de fabriquer un semblant de couverture légale à leur invasion de l’Irak, ils ont invoqué la résolution 687 de 1991 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui demandait à l’Irak d’éliminer toutes ses armes de destruction massive, et ils ont affirmé que l’Irak ne l’avait pas fait. On connait cette partie de l’histoire mais pas celle où cette même résolution engage ses signataires à œuvrer en faveur de la création d’une zone dénucléarisée au Moyen Orient (article 14). Mais aucun candidat ne peut se permettre de mentionner une telle possibilité. Si les Etats-Unis étaient une véritable démocratie, avec une opinion publique qui aurait son mot à dire, la confrontation très dangereuse avec l’Iran pourraient peut-être être réglée pacifiquement.

Prenez aussi le cas de Cuba. Depuis 45 ans, les Etats-Unis se consacrent à punir les Cubains – il existe des documents internes de l’administration Kennedy et d’autres pour le prouver. Nous devons punir les Cubains pour leur « défi victorieux » de la politique des Etats-Unis qui remonte à la Doctrine Monroe de 1823. La Doctrine Monroe affirmait le droit des Etats-Unis à gérer l’ensemble du continent. Les Cubains réussissent à défier cette politique et la population, par conséquence, doit être punie par une guerre tout à fait réelle, une guerre terroriste. Cet objectif n’a pas été caché. Arthur Schlesinger, le biographe quasi-officiel de Robert Kennedy et conseiller des Kennedy, dit que Robert Kennedy fut chargé de faire abattre « toutes les misères du monde » sur Cuba. C’était sa mission principale. Ils étaient obsédés par cette tâche – y compris celle d’étrangler Cuba économiquement et de punir sa population pour sa mauvaise conduite.

Qu’en pense la population étatsunienne ? Dans les sondages effectués depuis 1970, environ 75 % de la population dit que nous devrions établir des relations diplomatiques normales avec Cuba, comme le reste du monde. Mais le fanatisme règne dans toute la classe dirigeante – de tous bords, les Kennedy, qui ont commencé, mais tous les autres aussi. Aucun candidat n’oserait en parler. Et c’est la même chose sur tout un ensemble de sujets.

Donc, comme je le disais, les Etats-Unis devraient être un paradis pour des organisateurs. Je pense que les possibilités pour la gauche sont extraordinaires et c’est aussi une des raisons pour lesquelles les questions politiques sont évacuées du débat. En réalité, la population du pays est plutôt militante. Il y a probablement aujourd’hui plus de gens engagés pour une cause ou une autre qu’il n’y en avait dans les années 60. Mais cet engagement est plutôt retenu, et éparpillé. Il y a de nombreux mouvements populaires qui n’avaient jamais existé auparavant.

Prenez par exemple les mouvements de solidarité avec le tiers monde : c’est quelque chose de totalement nouveau dans l’histoire de l’impérialisme européen, et cela a surgi de la base dans les années 80. Des églises rurales, des évangélistes, des gens ordinaires, des milliers de personnes, se rendaient en Amérique centrale pour vivre avec les victimes des guerres terroristes menées par Reagan, pour les aider, pour tenter de les protéger, etc. Nous parlons de milliers ou de dizaines de milliers de personnes. Une de mes filles est encore là-bas, au Nicaragua. Un tel phénomène ne s’était jamais produit auparavant dans l’histoire de l’impérialisme. Personne en France n’allait vivre dans un village algérien pour aider peuple, pour le protéger des atrocités françaises. Ce n’était même pas envisageable, pendant la guerre d’Indochine non plus, à part pour quelques très rares individus isolés. Mais dans les années 80, le phénomène s’est développé spontanément, non pas à partir des centres des élites, comme Boston, mais à partir du Kansas rural ou de l’Arizona. Et à présent le mouvement s’étend dans le monde entier. C’est ainsi que l’on retrouve des pacifistes chrétiens, que sais-je.

Un autre mouvement très important et en développement est celui du mouvement international pour une justice globale qu’on qualifie, d’une manière assez ridicule, d’antimondialiste. La propagande affirme que le soi-disant mouvement antimondialiste a commencé à Seattle. C’est faux. Il a commencé dans le tiers-monde. Mais lorsque des centaines de milliers de paysans en Inde prennent d’assaut un parlement, ça ne fait pas la une des journaux. Il faut que cela se passe dans une ville du Nord pour mériter une mention dans les médias. C’est ainsi que les mouvements populaires de masse au Brésil et en Inde, et ailleurs, n’ont commencé à exister que lorsqu’une ville du Nord s’est trouvée mêlée. A présent le mouvement se répand aussi bien dans le Nord que dans le Sud.

VN : le mouvement « antimondialisation » a été un mouvement splendide. Mais parfois on a l’impression qu’il n’avance plus et se retrouve paralysé. Que pensez-vous de l’idée de créer une 5eme internationale, une forme d’organisation qui pourrait représenter une alternative dans le système mondial actuel ?

NC : j’ai fait des interventions lors des Forums Sociaux Mondiaux, qui se tiennent toujours dans le Sud, et j’ai dit que ce mouvement pouvait peut-être être le premier pas vers la constitution d’une véritable Internationale et même, à mon avis, de la première véritable Internationale. Ce qu’on a appelé la 1ere International fut très important, mais c’était quelque chose de très localisée, uniquement en Europe. L’organisation fut détruite par Marx qui n’arrivait pas à la contrôler. La 2eme Internationale s’est effondrée avant la 2eme guerre mondiale. La 3eme devint un appareil de propagande de l’Union Soviétique. Et la 4eme devint trotskyste et marginale.

Mais ceci est la première véritable Internationale, ou du moins ça en a l’air. Je ne parle pas seulement du Forum Social Mondial mais aussi par exemple de Via Campesina. La dernière fois que je me suis rendu à Puerto Alegre au Brésil, pour assister au Forum Social Mondial, le premier endroit que j’ai visité fut la réunion de Via Campesina, une organisation internationale de paysans. C’était très vivant, très enthousiasmant. Elle représente la majeure partie de la population dans le monde, et c’était très excitant d’être là. Le Forum Social Mondial, aussi. Il s’agit là d’une authentique globalisation. Ce sont des gens qui viennent de partout dans le monde, de toutes les couches, qui échangent, qui discutent, puis qui rentrent chez eux pour tenter de mettre en œuvre les idées sur le changement social.

La nouvelle Internationale sera peut-être un échec, je ne sais pas. Mais un échec rehaussera la barre du niveau des actions à mener pour une nouvelle tentative. Ce que vous dites a donc un sens. Nous pourrions voir les prémisses de la première véritable Internationale, constituée par les classes populaires de partout, qui tenteraient de surmonter l’aliénation extraordinaire que les gens ressentent partout, aux Etats-Unis comme ailleurs, le sentiment que les institutions n’agissent pas pour nous mais pour quelqu’un d’autre. Ces groupes pourraient mobiliser et organiser, profiter des libertés dont nous jouissons. C’est une perspective très importante.

VN : une chose qui est très préoccupante est l’américanisation de la politique européenne que l’on constate partout, je crois. Même la gauche européenne a perdu son langage. Par exemple, même les dirigeants de gauche ne parlent plus de classe ouvrière, mais de classe moyenne. La lutte des classes a complètement disparu du discours de gauche. C’est une tendance très préoccupante. Le langage politique étatsunien fait son apparition en Europe en même temps que la gauche connait un énorme affaiblissement. Cette américanisation de la vie politique européenne paraît paradoxale parce qu’elle intervient au moment où l’influence des Etats-Unis est en déclin dans le monde. L’Europe devient de plus en plus comme les Etats-Unis. Les partis politiques, par exemple, ont perdu leur puissance et leur utilité. Plutôt que des partis politiques, on voit plutôt des réseaux médiatiques autour de dirigeants. Et la politique devient un spectacle, du théâtre. Comment expliquer, alors que l’influence des Etats-Unis est en déclin, que les valeurs culturelles et politiques de la classe dirigeante US deviennent de plus en plus dominantes en Europe ?

NC : C’est un vaste sujet. Mais examinons-en quelques aspects. Si vous examinez les choses sur une période plus longue, l’Europe a été, pendant des siècles, la région la plus sauvage et brutale du monde. L’instauration du système d’état-nation en Europe s’est accompagnée de meurtres et de destructions en masse. Au 17eme siècle, 40 % probablement de la population en Allemagne avait disparu à cause des guerres.

Dans ce processus de sauvagerie et de brutalité, l’Europe a crée une culture de sauvagerie et de sauvagerie technologique qui lui a permis de conquérir le monde. Par exemple, la Grande Bretagne est une petite île au large de l’Europe, mais elle a dominé le monde. Et le reste des pays de l’Europe n’avaient pas à proprement parler des pratiques politiques très gentilles. Un petit pays comme la Belgique a été capable de tuer probablement 10 millions de personnes au Congo. Ceci, bien sûr, était associé à une arrogance raciste des plus extrêmes, pour finalement culminer par deux guerres mondiales.

Depuis la 2eme guerre mondiale, l’Europe est en paix. Pas parce que les Européens sont devenus des pacifistes, mais parce qu’ils ont réalisé que s’ils continuaient à jouer au jeu traditionnel de massacres réciproques, c’est le monde entier qui risquait de disparaître. Ils ont crée une telle culture de sauvagerie et une technologie de destruction qu’il leur a fallu arrêter de jouer.

La seconde guerre mondiale a aussi vu un transfert du pouvoir mondial. Les Etats-Unis étaient déjà la plus puissante économie du monde, depuis longtemps déjà, bien plus que l’Europe, mais ne jouaient pas un rôle majeur dans les affaires internationales. Les Etats-Unis dominaient le continent et avaient quelques positions dans le Pacifique, mais étaient derrière l’Angleterre et même la France.

La deuxième guerre mondiale a tout changé. Les Etats-Unis ont énormément profité de la guerre alors que le reste du monde s’est retrouvé sérieusement abîmé. La guerre mit fin à la Dépression et la production industrielle quadrupla. A la sortie de la guerre, les Etats-Unis se retrouvèrent en possession de la moitié des richesses du monde et des forces militaires et de sécurité incomparables. Les décideurs le savaient. Ils décidèrent d’imposer une domination globale où l’expression de souveraineté des autres pays ne serait pas tolérée.

Les plans furent développés et mis en œuvre. En Europe, à la fin de la guerre, il y eût une vague de démocratie radicale, d’antifascisme, de résistance, de contrôle par les travailleurs – et certains n’étaient pas insignifiants – et la première tâche des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, les vainqueurs, furent d’écraser ces mouvements.

C’est ainsi que, un pays après l’autre, y compris au Japon, la première tâche des libérateurs fut d’écraser la résistance au fascisme et de restaurer l’ordre traditionnel. Peut-être pas sous le même nom, mais souvent avec les mêmes dirigeants. Cela ne se fit pas du jour au lendemain. Par exemple, l’Italie fut probablement la principale cible de la subversion de la CIA, au moins jusqu’aux années 70 selon les documents disponibles. Il fallait empêcher l’expression de la démocratie en Italie parce que le monde du travail risquait d’y tenir un rôle important, ce qui était intolérable.

Petit à petit, les élites européennes ont finit par intégrer l’idée qu’ils devaient céder aux Etats-Unis le rôle de diriger le monde par la sauvagerie et la barbarie, et se contenter d’une partie des bénéficies tirées de la domination mondiale par les Etats-Unis.

Les démocrates radicaux n’avaient pas totalement perdu en Europe car ils ont gagné une dose de social-démocratie. En fait, par bien des aspects, les Européens vivent mieux que les étatsuniens : ils sont en meilleur santé, ils sont plus grands, ils ont plus de loisirs. Les Etats-Unis, surtout depuis les années 70, ont en gros la plus longue durée du travail du monde industrialisé, les salaires les plus bas, le moins d’avantages sociaux, le plus mauvais système de santé. Si on ne tient compte que de la taille, la première chose qui frappe un étatsunien en Europe c’est la taille des gens, et c’est vrai. L’Europe a donc largement tiré profit de sa position de subordonnée - laissant aux Etats-Unis le soin de prendre la tête des destructions, des massacres, etc. L’Europe s’est en quelque sorte confortablement adaptée à sa position. Il y a pratiquement eu un soupir de soulagement car, après des siècles de sauvagerie et de barbarie, l’Europe pouvait se détendre et suivre quelqu’un d’autre qui ferait le travail, et se contenter de profiter de la situation. Ce qui ne dérange pas la moins du monde les classes politiques, les milieux d’affaires, etc. Ce que vous appelez « américanisation » est en réalité une extension du contrôle exercé par les milieux d’affaires. Ces derniers sont tout à fait heureux. Même s’il y a quelques conflits, ils sont étroitement intégrés aux Etats-Unis.

Il est intéressant d’examiner ces conflits. La doctrine officielle nous dit que nous avons un marché libre. En fait, nous avons un système basé sur une économie d’état. Le dynamisme de l’économie Hi-Tech est largement généré par le secteur public, dans des endroits comme celui-ci où nous sommes (Massachusetts Institute of Technology), puis on en fait cadeau au secteur privé qui l’exploite. Parfois ça frise le comique. Un de nos principaux secteurs d’exportation est l’aviation. L’industrie aéronautique est actuellement dominée par deux compagnies, Airbus et Boeing, qui se livrent constamment des batailles au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce pour savoir qui reçoit le plus de subventions. En réalité, les deux compagnies sont des branches du pouvoir d’état. Aux Etats-Unis, l’aviation commerciale est largement une branche de l’armée de l’air et de l’industrie spatiale, et n’existerait pas sans ces dernières.

En Europe, l’industrie aéronautique civile reçoit massivement des aides de l’état. Aux Etats-Unis récemment, on a entendu des cris d’horreur lorsqu’Airbus a remporté un contrat pour le ravitaillement des avions de l’Armée de l’air US. En examinant le contrat on se rend compte qu’il s’agit d’une opération conjointe entre une entreprise US et Airbus. Et c’est ça que nous appelons un marché libre : des industries d’état intégrés les unes aux autres. Mais pour les milieux d’affaires européens et étatsuniens, cet arrangement est acceptable et puisqu’ils dominent largement leurs sociétés, tout va bien. C’est ce que la propagande et la doctrine officielle nous disent aussi.

Je pense que, sous la surface des apparences, il y a toujours une lutte de classes en cours, qu’elle est bien comprise comme telle, et qu’elle est prête à exploser à tout moment. Il est vrai qu’on n’est pas censé en parler. Une de mes filles enseigne dans un établissement scolaire public et ses étudiants sont originaires de milieux relativement modestes. La plupart ont comme aspiration de devenir infirmière ou policier, ou quelque chose comme ça.

Lors de la première journée, elle leur demande de s’identifier, d’indiquer leur « classe » d’origine, de la qualifier. La plupart n’en avaient jamais entendu parler. On n’est pas censé utiliser ce mot. La plupart des réponses sont « classe défavorisée » ou « classe moyenne ». Si le père travaille comme agent d’entretien, la réponse sera « classe moyenne ». S’il est en prison, ce sera « classe défavorisée ». Voilà les deux classes. C’est un piège idéologique. La relation entre classes et rapports de pouvoir - qui donne les ordres et qui les reçoit - est une idée qui a été totalement effacée des consciences, du moins en apparence. Mais elle est toujours présente, sous la surface. Dés que vous parlez à des gens de la classe ouvrière, ils réagissent parce qu’ils la ressentent.

VN : Merci. J’avais promis de ne pas prendre trop de votre temps. Une dernière question personnelle. De nombreuses personnes dans le monde vous sont reconnaissantes pour le travail que vous faites, mais d’où tirez vous toute cette énergie ? Comme faites vous ? Vous êtes ici, au centre de l’Empire, vous parlez clairement aux puissances, tout en étant réduit au silence, ostracisé, marginalisé. Pendant ce temps, dans le reste du monde, les gens vous admirent, lisent vos travaux et les trouvent extrêmement utiles.

NC : je ne me sens pas marginalisé aux Etats-Unis. En arrivant à la maison ce soir je vais passer cinq heures à répondre aux courriers, dont plusieurs dizaines seront probablement des invitations.

VN : je voulais dire marginaliser par les structures du pouvoir.

NC : peu m’importent les structures de pouvoir, ce n’est pas là où je vis. Si je n’étais pas leur ennemi, je penserais que quelque chose ne va pas. C’est pour cela que j’ai cette couverture de magazine que je vous ai décrite affichée en bonne place.

VN : c’est la meilleure manière de savoir que vous ne faites pas fausse route.

NC : Oui, que je fais ce qu’il faut faire. C’est cela, en partie. Mais ce qui me fait avancer ce sont certaines choses illustrées par ces photos là-bas [il les désigne]. Une d’entre elles montre ce qui fut peut-être le pire massacre de travailleurs de l’histoire. Au Chili, il y a un siècle, a Iquique, les conditions de travail dans les mines étaient indescriptibles. Les travailleurs et leurs familles ont marché environ 30 km jusqu’à la ville pour demander une légère augmentation de salaire. Les propriétaires britanniques des mines les ont accueillis, les ont dirigé vers la cour d’une l’école, les ont autorisé à tenir un meeting. Puis ils ont fait venir des soldats et les ont tous fait mitrailler : hommes, femmes, enfants. Personne ne connait le nombre de morts – nous ne comptons pas le nombre de gens que nous tuons – peut-être des milliers. Il a fallu attendre un siècle pour voir la première commémoration de cet événement. Ca [dans la photo], c’est un petit monument, que j’ai vu l’année dernière. Il fut érigé par de jeunes gens qui commencent tout juste à se sortir de la poigne de fer de la dictature. Je ne parle pas uniquement de la dictature de Pinochet. Le Chili a une triste histoire de violence et de répression. Mais ils commencent à s’en libérer. Oui, cette atrocité a eu lieu, et ils commencent maintenant à en parler.

L’autre image là-bas [pointant du doigt] – vous savez ce que c’est bien sûr – est une peinture qui m’a été donnée par un prêtre jésuite. D’un côté, l’archevêque Romero, qui fut assassiné en 1980. Devant lui, six intellectuels éminents, des prêtres jésuites, qui furent abattus en 1989 par des forces terroristes dirigées par les Etats-Unis, des forces qui avaient déjà un palmarès macabre de massacres des victimes habituelles. Et puis il y a l’Ange de la Mort qui se tient au-dessus. L’ensemble résume Reagan – pas vraiment le joyeux luron qu’on nous présente.

Ca, c’était la réalité des années 80. Je l’ai mise là pour me souvenir du monde réel. Mais c’est un test de « Rorschach » intéressant car pratiquement personne aux Etats-Unis ne sait de quoi il s’agit. Nous ne sommes pas au courant du massacre parce que nous en sommes responsables. En Europe, ils sont peut-être 10 % à le savoir. En Amérique du Sud, je dirais que tout le monde le sait. Jusqu’à récemment. A présent, les jeunes sont souvent ignorants parce qu’à eux aussi on leur vide la tête de toute histoire. L’Histoire et la réalité sont trop dangereuses. D’un autre côté, elles sont en train de revenir. La commémoration d’Iquique fut principalement une initiative de jeunes, qui commencent à bouger, qui veulent retrouver le passé, retrouver un idéalisme, et faire quelque chose. C’est suffisant, je dirais même plus que suffisant, pour me faire avancer.

VN : Merci. C’était super. Vous êtes notre invité à Barcelone et en Catalogne, quand vous voulez. Merci au nom de millions de gens.

Interview with Noam Chomsky by Vicenç Navarro, at M.

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7 août 2008 4 07 /08 /août /2008 03:42
Albert Einstein : Pourquoi le socialisme ?

 
Est-il convenable qu’un homme qui n’est pas versé dans les questions économiques et sociales exprime des opinions au sujet du socialisme ? Pour de multiples raisons je crois que oui.


Considérons d’abord la question au point de vue de la connaissance scientifique. Il pourrait paraître qu’il n’y ait pas de différences méthodologiques essentielles entre l’astronomie, par exemple, et l’économie : les savants dans les deux domaines essaient de découvrir les lois généralement acceptables d’un groupe déterminé de phénomènes, afin de rendre intelligibles, d’une manière aussi claire que possible, les relations réciproques existant entre eux. Mais en réalité de telles différences existent. La découverte de lois générales en économie est rendue difficile par la circonstance que les phénomènes économiques observés sont souvent influencés par beaucoup de facteurs qu’il est très difficile d’évaluer séparément. En outre, l’expérience accumulée depuis le commencement de la période de l’histoire humaine soi-disant civilisée a été — comme on le sait bien — largement influencée et délimitée par des causes qui n’ont nullement un caractère exclusivement économique. Par exemple, la plupart des grands États dans l’histoire doivent leur existence aux conquêtes. Les peuples conquérants se sont établis, légalement et économiquement, comme classe privilégiée du pays conquis. Ils se sont attribués le monopole de la terre et ont créé un corps de prêtres choisis dans leur propre rang. Les prêtres, qui contrôlèrent l’éducation, érigèrent la division de la société en classes en une institution permanente et créèrent un système de valeurs par lequel le peuple fut dès lors, en grande partie inconsciemment, guidé dans son comportement social.

Mais la tradition historique date pour ainsi dire d’hier ; nulle part nous n’avons dépassé ce que Thorstein Veblen appelait “la phase de rapine” du développement humain. Les faits économiques qu’on peut observer appartiennent à cette phase et les lois que nous pouvons en déduire ne sont pas applicables à d’autres phases. Puisque le but réel du socialisme est de dépasser la phase de rapine du développement humain et d’aller en avant, la science économique dans son état actuel peut projeter peu de lumière sur la société socialiste de l’avenir.

En second lieu, le socialisme est orienté vers un but éthico-social. Mais la science ne peut pas créer des buts, encore moins peut-elle les faire pénétrer dans les êtres humains ; la science peut tout au plus fournir les moyens par lesquels certains buts peuvent être atteints. Mais les buts mêmes sont conçus par des personnalités animées d’un idéal moral élevé et — si ces buts ne sont pas mort-nés, mais vivants et vigoureux — sont adoptés et portés en avant par ces innombrables êtres humains qui, à demi inconscients, déterminent la lente évolution de la société.

Pour ces raisons nous devrions prendre garde de ne pas surestimer la science et les méthodes scientifiques quand il s’agit de problèmes humains ; et nous ne devrions pas admettre que les spécialistes soient les seuls qui aient le droit de s’exprimer sur des questions qui touchent à l’organisation de la société.

D’innombrables voix ont affirmé, il n’y a pas longtemps, que la société humaine traverse une crise, que sa stabilité a été gravement troublée. Il est caractéristique d’une telle situation que des individus manifestent de l’indifférence ou, même, prennent une attitude hostile à l’égard du groupe, petit ou grand, auquel ils appartiennent. Pour illustrer mon opinion je veux évoquer ici une expérience personnelle. J’ai récemment discuté avec un homme intelligent et d’un bon naturel sur la menace d’une autre guerre, qui, à mon avis, mettrait sérieusement en danger l’existence de l’humanité, et je faisais remarquer que seule une organisation supranationale offrirait une protection contre ce danger. Là-dessus mon visiteur me dit tranquillement et froidement : “Pourquoi êtes-vous si sérieusement opposé à la disparition de la race humaine ?”

Je suis sûr que, il y a un siècle, personne n’aurait si légèrement fait une affirmation de ce genre. C’est l’affirmation d’un homme qui a vainement fait des efforts pour établir un équilibre dans son intérieur et qui a plus ou moins perdu l’espoir de réussir. C’est l’expression d’une solitude et d’un isolement pénibles dont tant de gens souffrent de nos jours. Quelle en est la cause ? Y a-t-il un moyen d’en sortir ?

Il est facile de soulever des questions pareilles, mais il est difficile d’y répondre avec tant soit peu de certitude. Je vais néanmoins essayer de le faire dans la mesure de mes forces, bien que je me rende parfaitement compte que nos sentiments et nos tendances sont souvent contradictoires et obscurs et qu’ils ne peuvent pas être exprimés dans des formules aisées et simples.

L’homme est en même temps un être solitaire et un être social. Comme être solitaire il s’efforce de protéger sa propre existence et celle des êtres qui lui sont le plus proches, de satisfaire ses désirs personnels et de développer ses facultés innées. Comme être social il cherche à gagner l’approbation et l’affection de ses semblables, de partager leurs plaisirs, de les consoler dans leurs tristesses et d’améliorer leurs conditions de vie. C’est seulement l’existence de ces tendances variées, souvent contradictoires, qui explique le caractère particulier d’un homme, et leur combinaison spécifique détermine dans quelle mesure un individu peut établir son équilibre intérieur et contribuer au bien-être de la société. Il est fort possible que la force relative de ces deux tendances soit, dans son fond, fixée par l’hérédité. Mais la personnalité qui finalement apparaît est largement formée par le milieu où elle se trouve par hasard pendant son développement, par la structure de la société dans laquelle elle grandit, par la tradition de cette société et son appréciation de certains genres de comportement. Le concept abstrait de “société” signifie pour l’individu humain la somme totale de ses relations, directes et indirectes, avec ses contemporains et les générations passées. Il est capable de penser, de sentir, de lutter et de travailler par lui-même, mais il dépend tellement de la société — dans son existence physique, intellectuelle et émotionnelle — qu’il est impossible de penser à lui ou de le comprendre en dehors du cadre de la société. C’est la “société” qui fournit à l’homme la nourriture, les vêtements, l’habitation, les instruments de travail, le langage, les formes de la pensée et la plus grande partie du contenu de la pensée ; sa vie est rendue possible par le labeur et les talents de millions d’individus du passé et du présent, qui se cachent sous ce petit mot de “société”.

Il est, par conséquent, évident que la dépendance de l’individu de la société est un fait naturel qui ne peut pas être supprimé — exactement comme dans le cas des fourmis et des abeilles. Cependant, tandis que tout le processus de la vie des fourmis et des abeilles est fixé, jusque dans ses infimes détails, par des instincts héréditaires rigides, le modèle social et les relations réciproques entre les êtres humains sont très variables et susceptibles de changement. La mémoire, la capacité de faire de nouvelles combinaisons, le don de communication orale ont rendu possibles des développements parmi les êtres humains qui ne sont pas dictés par des nécessités biologiques. De tels développements se manifestent dans les traditions, dans les institutions, dans les organisations, dans la littérature, dans la science, dans les réalisations de l’ingénieur et dans les œuvres d’art. Ceci explique comment il arrive que l’homme peut, dans un certain sens, influencer sa vie par sa propre conduite et comment, dans ce processus, la pensée et le désir conscients peuvent jouer un rôle.

L’homme possède à sa naissance, par hérédité, une constitution biologique que nous devons considérer comme fixe et immuable, y compris les impulsions naturelles qui caractérisent l’espèce humaine. De plus, pendant sa vie il acquiert une constitution culturelle qu’il reçoit de la société par la communication et par beaucoup d’autres moyens d’influence. C’est cette constitution culturelle qui, dans le cours du temps, est sujette au changement et qui détermine, à un très haut degré, les rapports entre l’individu et la société. L’anthropologie moderne nous a appris, par l’investigation des soi-disant cultures primitives, que le comportement social des êtres humains peut présenter de grandes différences, étant donné qu’il dépend des modèles de culture dominants et des types d’organisation qui prédominent dans la société. C’est là-dessus que doivent fonder leurs espérances tous ceux qui s’efforcent d’améliorer le sort de l’homme : les êtres humains ne sont pas, par suite de leur constitution biologique, condamnés à se détruire mutuellement ou à être à la merci d’un sort cruel qu’ils s’infligent eux-mêmes.

Si nous nous demandons comment la structure de la société et l’attitude culturelle de l’homme devraient être changées pour rendre la vie humaine aussi satisfaisante que possible, nous devons constamment tenir compte du fait qu’il y a certaines conditions que nous ne sommes pas capables de modifier. Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, la nature biologique de l’homme n’est point, pour tous les buts pratiques, sujette au changement. De plus, les développements technologiques et démographiques de ces derniers siècles ont créé des conditions qui doivent continuer. Chez des populations relativement denses, qui possèdent les biens indispensables à leur existence, une extrême division du travail et une organisation de production très centralisée sont absolument nécessaires. Le temps, qui, vu de loin, paraît si idyllique, a pour toujours disparu où des individus ou des groupes relativement petits pouvaient se suffire complètement à eux-mêmes. On n’exagère pas beaucoup en disant que l’humanité constitue à présent une communauté planétaire de production et de consommation.

Je suis maintenant arrivé au point où je peux indiquer brièvement ce qui constitue pour moi l’essence de la crise de notre temps. Il s’agit du rapport entre l’individu et la société. L’individu est devenu plus conscient que jamais de sa dépendance de la société. Mais il n’éprouve pas cette dépendance comme un bien positif, comme une attache organique, comme une force protectrice, mais plutôt comme une menace pour ses droits naturels, ou même pour son existence économique. En outre, sa position sociale est telle que les tendances égoïstes de son être sont constamment mises en avant, tandis que ses tendances sociales qui, par nature, sont plus faibles, se dégradent progressivement. Tous les êtres humains, quelle que soit leur position sociale, souffrent de ce processus de dégradation. Prisonniers sans le savoir de leur propre égoïsme, ils se sentent en état d’insécurité, isolés et privés de la naïve, simple et pure joie de vivre. L’homme ne peut trouver de sens à la vie, qui est brève et périlleuse, qu’en se dévouant à la société.

L’anarchie économique de la société capitaliste, telle qu’elle existe aujourd’hui, est, à mon avis, la source réelle du mal. Nous voyons devant nous une immense société de producteurs dont les membres cherchent sans cesse à se priver mutuellement du fruit de leur travail collectif — non pas par la force, mais, en somme, conformément aux règles légalement établies. Sous ce rapport, il est important de se rendre compte que les moyens de la production — c’est-à-dire toute la capacité productive nécessaire pour produire les biens de consommation ainsi que, par surcroît, les biens en capital — pourraient légalement être, et sont même pour la plus grande part, la propriété privée de certains individus.

Pour des raisons de simplicité je veux, dans la discussion qui va suivre, appeler “ouvriers” tous ceux qui n’ont point part à la possession des moyens de production, bien que cela ne corresponde pas tout à fait à l’emploi ordinaire du terme. Le possesseur des moyens de production est en état d’acheter la capacité de travail de l’ouvrier. En se servant des moyens de production, l’ouvrier produit de nouveaux biens qui deviennent la propriété du capitaliste. Le point essentiel dans ce processus est le rapport entre ce que l’ouvrier produit et ce qu’il reçoit comme salaire, les deux choses étant évaluées en termes de valeur réelle. Dans la mesure où le contrat de travail est “libre”, ce que l’ouvrier reçoit est déterminé, non pas par la valeur réelle des biens qu’il produit, mais par le minimum de ses besoins et par le rapport entre le nombre d’ouvriers dont le capitaliste a besoin et le nombre d’ouvriers qui sont à la recherche d’un emploi. Il faut comprendre que même en théorie le salaire de l’ouvrier n’est pas déterminé par la valeur de son produit.

Le capital privé tend à se concentrer en peu de mains, en partie à cause de la compétition entre les capitalistes, en partie parce que le développement technologique et la division croissante du travail encouragent la formation de plus grandes unités de production aux dépens des plus petites. Le résultat de ces développements est une oligarchie de capitalistes dont la formidable puissance ne peut effectivement être refrénée, pas même par une société qui a une organisation politique démocratique. Ceci est vrai, puisque les membres du corps législatif sont choisis par des partis politiques largement financés ou autrement influencés par les capitalistes privés qui, pour tous les buts pratiques, séparent le corps électoral de la législature. La conséquence en est que, dans le fait, les représentants du peuple ne protègent pas suffisamment les intérêts des moins Privilégiés. De plus, dans les conditions actuelles, les capitalistes contrôlent inévitablement, d’une manière directe ou indirecte, les principales sources d’information (presse, radio, éducation). Il est ainsi extrêmement difficile pour le citoyen, et dans la plupart des cas tout à fait impossible, d’arriver à des conclusions objectives et de faire un usage intelligent de ses droits politiques.

La situation dominante dans une économie basée sur la propriété privée du capital est ainsi caractérisée par deux principes importants : premièrement, les moyens de production (le capital) sont en possession privée et les possesseurs en disposent comme ils le jugent convenable ; secondement, le contrat de travail est libre. Bien entendu, une société capitaliste pure dans ce sens n’existe pas. Il convient de noter en particulier que les ouvriers, après de longues et âpres luttes politiques, ont réussi à obtenir pour certaines catégories d’entre eux une meilleure forme de “contrat de travail libre”. Mais, prise dans son ensemble, l’économie d’aujourd’hui ne diffère pas beaucoup du capitalisme “pur”.

La production est faite en vue du profit et non pour l’utilité. Il n’y a pas moyen de prévoir que tous ceux qui sont capables et désireux de travailler pourront toujours trouver un emploi ; une “armée” de chômeurs existe déjà. L’ouvrier est constamment dans la crainte de perdre son emploi. Et puisque les chômeurs et les ouvriers mal payés sont de faibles consommateurs, la production des biens de consommation est restreinte et a pour conséquence de grands inconvénients. Le progrès technologique a souvent pour résultat un accroissement du nombre des chômeurs plutôt qu’un allégement du travail pénible pour tous. L’aiguillon du profit en conjonction avec la compétition entre les capitalistes est responsable de l’instabilité dans l’accumulation et l’utilisation du capital, qui amène des dépressions économiques de plus en plus graves. La compétition illimitée conduit à un gaspillage considérable de travail et à la mutilation de la conscience sociale des individus dont j’ai fait mention plus haut.

Je considère cette mutilation des individus comme le pire mal du capitalisme. Tout notre système d’éducation souffre de ce mal. Une attitude de compétition exagérée est inculquée à l’étudiant, qui est dressé à idolâtrer le succès de l’acquisition comme une préparation à sa carrière future.

Je suis convaincu qu’il n’y a qu’un seul moyen d’éliminer ces maux graves, à savoir, l’établissement d’une économie socialiste, accompagnée d’un système d’éducation orienté vers des buts sociaux. Dans une telle économie, les moyens de production appartiendraient à la société elle-même et seraient utilisés d’un façon planifiée. Une économie planifiée, qui adapte la production aux besoins de la société, distribuerait le travail à faire entre tous ceux qui sont capables de travailler et garantirait les moyens d’existence à chaque homme, à chaque femme, à chaque enfant. L’éducation de l’individu devrait favoriser le développement de ses facultés innées et lui inculquer le sens de la responsabilité envers ses semblables, au lieu de la glorification du pouvoir et du succès, comme cela se fait dans la société actuelle.

Il est cependant nécessaire de rappeler qu’une économie planifiée n’est pas encore le socialisme. Une telle économie pourrait être accompagnée d’un complet asservissement de l’individu. La réalisation du socialisme exige la solution de quelques problèmes socio-politiques extrêmement difficiles : comment serait-il possible, en face d’une centralisation extrême du pouvoir politique et économique, d’empêcher la bureaucratie de devenir toute-puissante et présomptueuse ? Comment pourrait-on protéger les droits de l’individu et assurer un contrepoids démocratique au pouvoir de la bureaucratie ?

Albert Einstein

Le text original en anglais fut publié dans le premier numéro de Monthly Review (Mai 1949).

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5 août 2008 2 05 /08 /août /2008 03:45

Salut,

Comme vous je suis extrêmement inquiet quant à notre avenir.

J'essaye d'informer, d'expliquer aux gens cette réforme, que ça les concerne!!!

Pourtant personne ne comprend vraiment, et beaucoup s'en foutent franchement, et c'est très frustrant.

Je crois sincèrement que les patients ont bien plus à perdre que nous.

Alors j'ai pensé qu'avec un court métrage, on pourrait mieux les sensibiliser, mieux les toucher.

Enfin je vous laisse regarder cette video, j'espère que ça vous aidera à mieux plaider notre cause.

http://fr.youtube.com/watch?v=4ub4dywd6Yg

PS: cette vidéo est juste un support, une intro à un discours pour bien argumenter de la part de chacun.


Spectrofluo

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27 juillet 2008 7 27 /07 /juillet /2008 03:05


Pour faire du fric, Bush conduit le capitalisme du désastre exploiteur de la souffrance du monde


Naomi Klein, 3 juillet 2008


​​​​Dès que le baril de pétrole a dépassé 140 dollars, même les animateurs les plus enragés des médias de droite ont dû faire ressortir leur image de marque populiste en consacrant une partie de chaque spectacle à dénigrer la grosse industrie pétrolière. Certains ont été jusqu'à m'inviter pour une conversation amicale sur un nouveau phénomène insidieux : « le capitalisme du désastre. » Ils vont d'habitude bien, jusqu'à ce que ça se gâte.


​​​​Par exemple, l'animateur de la radio « conservatrice indépendante » Jerry Doyle et moi avons eu une conversation parfaitement aimable sur les sordides compagnies d'assurance et les hommes politiques ineptes quand ça s'est produit : « Je crois que j'ai un moyen rapide de faire baisser les prix, » a annoncé Doyle. « Nous avons investi 650 milliards de dollars pour libérer une nation de 25 millions d'habitants. Ne devrions-nous pas tout simplement leur demander de nous donner le pétrole ? Ça devrait se faire tanker après tanker, comme l'embouteillage de circulation entrant dans le Tunnel Lincoln, le Lincoln puant, à l'heure de pointe avec des lettres de remerciement du gouvernement irakien. . . Pourquoi ne prenons-nous pas tout simplement le pétrole ? Nous avons investi pour libérer un pays. Je peux résoudre le problème de faire tomber le prix de l'essence en dix jours, pas dix ans. » Il y avait quelques problèmes avec le plan de Doyle, bien entendu. Le première est qu'il décrit le plus grand casse de l'histoire du monde. Le second est qu'il est trop tard : « Nous » sommes déjà en train de mettre à sac le pétrole de l'Iraq, ou du moins sur le point de le faire.


​​​​Dix mois se sont écoulés depuis la publication de mon livre La stratégie du choc : La montée d'un capitalisme du désastre, où je soutiens que la méthode favorite aujourd'hui pour remodeler le monde dans l'intérêt des compagnies multinationales est d'exploiter systématiquement l'état de peur et de désorientation qui accompagne les moments de grand choc et de crise. Avec le monde entier ébranlé par de multiples chocs, il semble que ce soit un bonne époque pour voir comment et où est appliquée la stratégie.


​​​​Et les capitalistes du désastre ont été occupés par les pompiers privés déjà sur les lieux dans incendies de forêt au nord de la Californie, jusqu'à la saisie des terres frappées par le cyclone en Birmanie, en passant par le projet de loi sur le logement se frayant un chemin au Congrès. Le projet de loi contient peu d'entrave au logement abordable, déplace la charge du prêt hypothécaire sur le contribuable, et fait en sorte que les banques qui ont fait des prêts douteux obtiennent quelques dividendes. Pas étonnant qu'il soit connu dans les couloirs du Congrès comme « Le plan de crédit suisse, » d'après l'une des banques qui l'ont généreusement proposé.



Désastre d'Iraq : Nous l'avons ruiné, nous l'avons (juste) acheté


​​​​Mais ces cas de catastrophes sont du capitalisme d'amateur par rapport à ce qui se déroule au Ministère du Pétrole irakien. Cela a commencé par des contrats de service annoncés sans appel d'offres pour ExxonMobil, Chevron, Shell, BP et Total (ils n'ont pas encore été signé, mais sont toujours en cours). Payer des multinationales pour leur expertise technique n'est pas inhabituel. Ce qui est étrange, c'est que ces contrats sont presque toujours destinés à des sociétés de services pétroliers, pas aux compagnies de première importance dont le travail est l'exploration, la production et la possession de la richesse carbonée. Comme le signale Greg Muttitt, l'expert pétrolier londonien, les contrats ont un sens seulement dans le contexte de procès-verbaux dans lesquels les pétroliers de première importance ont revendiqué leurs droits de premier refus sur les contrats ultérieurs distribués pour la gestion et la production des gisements pétroliers irakiens. Dit autrement, d'autres entreprises seront libres de faire une offre pour ces contrats futurs, mais ces entreprises gagneront.


​​​​Une semaine après que les marchés de services sans appel d'offre aient été annoncés, le monde a entrevu pour la première fois son prix réel. Après des années de pressions directes en coulisses, l'Iraq a officiellement ouvert tout grand six de ses principaux gisements pétroliers, constituant environ la moitié de ses réserves connues, à des investisseurs étrangers. Selon le Ministre du Pétrole irakien, les contrats à long terme seront signés d'ici un an. Bien qu'en apparence sous contrôle de l'Iraq National Oil Company, les entreprises étrangères garderont 75 pour cent de la valeur des contrats, ne laissant que 25 pour cent à leurs partenaires irakiens.


​​​​Ce genre de ratio est inconnu dans les riche États pétroliers arabes et perse, où obtenir la majorité du contrôle national sur le pétrole fut la définition même de la victoire dans les luttes anticolonialistes. Selon Muttitt, jusqu'à présent l'hypothèse est que les multinationales étrangères pourraient être introduites pour développer de tout nouveaux gisements en Iraq sans prendre la direction de ceux qui sont déjà en production, et qui n'exigent par conséquent qu'un minimum de support technique. « La politique a toujours été d'attribuer ces gisements à l'Iraq National Oil Company, » m'a-t-il dit. En ne donnant que 25 pour cent au lieu des 100 pour cent prévues à la compagnie irakienne, c'est un renversement complet de cette politique


​​​​Qu'est-ce qui a donc rendu possible un marché aussi dégueulasse dans un Iraq qui a déjà tant souffert ? Ironiquement, ce sont les souffrances de l'Iraq, sa crise sans fin, qui est avancée pour expliquer l'accord qui risque de priver sa trésorerie de sa principale source de revenus. La logique se présente ainsi : l'industrie pétrolières irakienne a besoins du savoir-faire étranger parce que des années de sanctions l'ont privé des nouvelles techniques et l'invasion et la poursuite des violences l'ont dégradée davantage. Et l'Iraq a besoin d'urgence de recommencer à produire du pétrole. Pourquoi ? À nouveau, à cause de la guerre. Le pays est brisé en plusieurs morceaux, et les milliards distribués aux firmes occidentales pour les contrats sans appel d'offre n'ont pas réussi à reconstruire le pays. Et c'est là que les nouveaux contrats sans appel d'offre ont un rôle à jouer : ils soulèveront plus d'argent, mais l'Iraq est devenu une telle place traîtresse, que les principales compagnies pétrolières doivent être amenées à prendre le risque d'investir. Ainsi, l'invasion de l'Irak a adroitement crée l'argument en faveur de son pillages.


​​​​Plusieurs des architectes de la guerre en Irak ne prennent même plus la peine de nier que le pétrole était un facteur important de motivation. Dans l'émission « Les faits » de la Radio Publique Nationale, Fadhil Chalabi, l'un des principaux conseillers irakiens aux préparatifs de l'invasion de l'administration Bush, décrivait dernièrement la guerre comme « un mouvement stratégique des États-Unis d'Amérique et du Royaume-Uni pour leur présence militaire dans le Golfe afin de sécuriser les fournitures de pétrole pour l'avenir. » Chalabi, qui a servi comme Vice-Ministre du pétrole irakien et a rencontré les principaux pétroliers avant l'invasion, a décrit cela comme « un objectif principal. »


​​​​L'invasion de pays pour s'emparer de leurs ressources naturelles est illégale en vertu des Conventions de Genève. Cela signifie que l'énorme tâche de reconstruction des infrastructure irakienne, dont son infrastructure pétrolière, est de la responsabilité financière des envahisseurs de l'Iraq. Ils devraient être forcés de payer des réparations. (Rappelons que le régime de Saddam Hussein a payé 9 milliards de dollars au Koweït en réparation pour son invasion en 1990.) Au lieu de cela, l'Iraq est contraint de vendre 75 pour cent de son patrimoine national pour payer la facture de l'invasion et de l'occupation hors-la-loi.



Choc pétrolier : Ou vous nous donnez l'Arctique, ou plus jamais vous ne conduirez


​​​​L'Irak n'est pas le seul pays au cœur d'une attaque à main armée liée au pétrole. L'administration Bush a activement recours à une crise apparentée, la montée en flèche du prix du carburant, pour relancer son rêve de forage dans l'Arctic National Wildlife Refuge (ANWR, refuge naturel national en Arctique). Et les forages offshore. Et dans le roc de schiste compact du Bassin de Green River. « Le Congrès doit faire face à une dure réalité, » a déclaré George W. Bush le 18 juin. « À moins que les membres soient disposés à accepter le niveau douloureux du prix actuel de l'essence, ou même encore plus élevé, notre pays doit produire plus de pétrole. »


​​​​C'est le Président en tant qu'Extorqueur en chef, avec le pistolet de la pompe à essence braqué sur la tête de son otage, qui se trouve être le pays tout entier. Donnez-moi l'ANWR, ou tout le monde passera ses vacances d'été dans son arrière-cour. Le dernier hold-up d'un Président fumiste.


​​​​Malgré les FOREZ LÀ-BAS, et les FOREZ MAINTENANT, distribuer moins d'autocollants en faveur des forages dans l'ANWR devrait avoir peu d'impact visible sur l'approvisionnement pétrolier mondial, comme le savent très bien les partisans du forage. L'argument : ça pourrait néanmoins faire baisser le prix du pétrole, ne se fonde pas sur des aspects économiques solides, mais sur de la psychanalyse de marché : forer « enverrait un message » aux spéculateurs en pétrole signalant qu'il y a davantage de pétrole en route, ce qui les amènerait à commencer à parier sur la baisser des prix .


​​​​Deux remarques découlent de cette approche. Tout d'abord, essayer de déstabiliser les hyperactifs spéculateurs en matières premières est ce qui se fait pour gouverner dans l'ère Bush, même au milieu d'une situation d'urgence nationale. Deuxièmement, ça ne marchera jamais. S'il y a une chose que nous pouvons prédire du comportement récent du marché pétrolier, c'est que le prix va continuer à monter sans se soucier du fait que de nouvelles sources sont annoncées.


​​​​Prenez l'énorme boom pétrolier en cours dans les sables bitumineux avérés en Alberta, au Canada. Pour les spéculateurs, les sables bitumineux (parfois appelé pétrole des sables) sont identiques aux propositions de sites de forage de Bush : ils sont à proximité et parfaitement sûrs, depuis que l'accord de libre-échange nord-américain contient une disposition interdisant au Canada de couper l'approvisionnement des États-Unis. Et, sans fanfare, le pétrole de cette source en grande partie inexploitée est déversé sur le marché, si bien que le Canada est maintenant le plus grand fournisseur pétrolier des États-Unis, surpassant même l'Arabie Saoudite. Entre 2005 et 2007, le Canada a augmenté ses exportations vers les États de près de 100 millions de barils. Pourtant, en dépit de cette importante augmentation dans la sécurité des approvisionnements, le prix du pétrole a tout le temps été en augmentation.


​​​​Ce ne sont pas les faits qui conduisent la poussée vers l'ANWR, mais la pure stratégie de la doctrine de choc : la crise pétrolière a créé des conditions rendant possible de vendre une politique auparavant irrecevable (mais très rentables).



Impact du prix des aliments : Les OGM ou la famine


​​​​Intimement liée au prix du pétrole, la crise alimentaire sévit dans le monde. Non seulement le prix élevé de l'essence fait grimper le coût des aliments, mais le boom des agro-carburants a brouillé la démarcation entre nourriture et carburant, écartant les producteurs vivriers de leurs terres et encourageant la spéculation galopante. Plusieurs pays d'Amérique Latine ont fait pressions pour réétudier la campagne en faveur des agro-carburants et faire reconnaître la nourriture comme un droit, et non pas comme une simple marchandise. John Negroponte, le Ministère des Affaires Étranges des États-Unis, a d'autres idées. Dans un même discours offrant l'engagement étasunien pour l'aide alimentaire d'urgence, il a demandé instamment aux pays de lever leurs « restrictions aux exportations et leurs droits de douane élevés » et d'éliminer les « obstacles au recours à de nouvelles techniques de production de plantes et d'animaux, notamment à la biotechnologie. » De l'aveu général, c'était encore une subtile arnaque, mais le message était clair : les pays pauvres feraient mieux d'ouvrir un peu leurs marchés agricoles aux produits étasuniens et aux semences génétiquement modifiées, sinon ils pourraient risquer de voir leurs aides coupées.


​​​​Les cultures génétiquement modifiées sont apparues comme la panacée à la crise alimentaire, du moins selon la Banque Mondiale, le président de la Commission Européenne (le temps de « prendre sur soi ») et le Premier Ministre britannique Gordon Brown. Et, bien entendu, les compagnies agro-alimentaires. « Vous ne pouvez aujourd'hui nourrir le monde sans organismes génétiquement modifiés, » a dit récemment Peter Brabeck, président de Nestlé, au Financial Times. Le problème avec cet argument, du moins pour l'instant, est qu'il n'existe aucune preuve que les OGM augmenteraient le rendement des cultures, et ils les diminuent souvent.


​​​​Mais, même s'il y avait une simple clé pour résoudre la crise alimentaire mondiale, voudrions-nous vraiment qu'elle soit entre les mains des Nestlé et Monsanto ? Que nous en coûterait-il de l'utiliser ? Au cours des derniers mois, Monsanto, Syngenta et BASF ont racheté frénétiquement des brevets de soi-disant semences de plantes « préparées pour le climat, » qui peuvent pousser dans la terre desséchée par la sécheresse et la salinité des inondations.


​​​​En d'autres termes, des plantes faites pour survivre dans un avenir de chaos climatique. Nous savons déjà jusqu'où ira Monsanto pour protéger sa propriété intellectuelle, espionnant et poursuivant les agriculteurs qui osent épargner des semences d'une année pour la prochaine. Nous avons vu les médicaments brevetés du SIDA refusés pour soigner des millions de gens en Afrique sub-saharienne. Pourquoi les cultures brevetées, « préparées pour le climat, » seraient-elles différentes ?


​​​​Pendant ce temps, parmi tous les discours enthousiasmants sur la nouvelle génétique et les techniques de forage, l'administration Bush a annoncé un moratoire de deux ans au maximum sur les nouveaux projets d'énergie solaire sur les terres fédérales, à cause, apparemment, de soucis environnementaux. C'est la dernière frontière du capitalisme du désastre. Nos dirigeants négligent d'investir dans les techniques qui préviendront réellement un avenir de désordres climatiques, choisissant plutôt de travailler main dans la main avec ceux qui complotent des plans novateurs pour tirer profit du chaos.


​​​​La privatisation du pétrole irakien, assure la domination mondiale des cultures génétiquement modifiés, en abaissant les dernières des barrières commerciales et en ouvrant les derniers refuges naturels . . . Il n'y a pas si longtemps, on cherchait à atteindre ces objectifs par des accords commerciaux courtois, sous le sobriquet anodin de « mondialisation. » Maintenant, cet ordre du jour disqualifié est forcé de rouler sur le dos d'une série de crises, se vendant lui-même comme une médecine qui sauve la vie d'un monde dans la souffrance.



​​​​Naomi Klein est une journaliste primée, chroniqueuse syndiquée à l'international et au New York Times, auteur du best-seller mondial, , d'un best-seller antérieur, , et de, entre autres, .La stratégie du choc : La montée d'un capitalisme du désastreNo LogoJournal d'une combattante : Nouvelles du front de la mondialisation


 

Original : http://www.thenation.com/doc/20080721/lookout
Traduction libre de Pétrus Lombard pour Alter Info

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26 juillet 2008 6 26 /07 /juillet /2008 03:03


Dans les profondeurs libérales de la crise pétrolière

Alors que l'augmentation du prix du pétrole occupe la une des médias depuis plusieurs semaines, le traitement par la grande presse de cette crise profonde reste encore une fois d'une pauvreté incroyable. Pourtant, à l'image de la crise alimentaire, le sujet permet de tirer bien des fils et met en cause les fondements mêmes du système économique international.


Comment donc expliquer l'envolée actuelle du prix du baril et des tarifs à la pompe? D'après les spécialistes de l'Institut français du pétrole (IFP), la raison principale est l'augmentation de la demande, en grande partie due au fait que la Chine et l'Inde n'en finissent plus d'émerger, ainsi qu'au comportement des pays producteurs qui se régalent d'un prix élevé. Or, si ces deux paramètres entrent bien en ligne de compte, ils sont loin de pouvoir tout justifier. En fait, le marché du pétrole présente différentes caractéristiques qui en font un formidable terrain de jeux pour les spéculateurs.

 

 

Le pétrole est la première valeur commercialisée sur la planète, avec près de 87 millions de barils (13,8 milliards de litres) par jour. La croissance économique mondiale dépassant les 5%, la demande augmente effectivement, même si l'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit un rééquilibrage par rapport à l'offre dans les touts prochains mois. S'agissant d'une énergie fossile, les réserves ne sont pas extensibles, et les craintes d'une pénurie à un horizon relativement proche sont connues. Mais les statistiques en la matière sont particulièrement imprécises. Les Etats membres de l'Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) publient leurs chiffres sur la production réelle avec un important décalage dans le temps. Une grande imprécision couvre également les capacités de production et les réserves prouvées de pétrole, qui ne sont vérifiées par aucun organisme indépendant. Bien-sûr, l'OPEP a tout intérêt à entretenir ce flou, qui leur permet de conserver un marché tendu et de bénéficier de prix élevés.


De leur côté, les compagnies pétrolières ont créé un entonnoir en limitant le développement des capacités de raffinage. Ainsi, aux Etats-Unis, aucune nouvelle raffinerie n'a été construite depuis 1976, alors que la consommation mondiale ne cesse d'augmenter. Curieux statu-quo pour des néolibéraux qui ne jurent que par la « loi » de l'offre et de la demande ! Mais ce faisant, les firmes comme Exxon Mobil, Shell, British Petroleum ou Total contrôlent un goulet d'étranglement par lequel le pétrole brut doit inévitablement passer et peuvent limiter d'autant les ambitions de l'OPEP. Actuellement, les capacités de raffinages permettent tout juste de répondre à la demande mondiale.


A ces problèmes posés par la production et la transformation, il faut ajouter bien-sûr les questions du transport et du stockage, qui font de la géopolitique du pétrole un puzzle extrêmement complexe. Les nombreux événements qui peuvent survenir tout au long de la chaîne jouent inévitablement sur le marché. Une guerre dans un pays producteur, un ouragan comme Katrina qui met hors service des raffineries aux Etats-Unis sont autant de phénomènes qui impactent directement le prix du baril de brut.


Le marché du pétrole, lui, ressemble comme deux gouttes d'eau aux marchés financiers. Il comprend des opération « physiques » à livraison immédiate ou différée, et des opérations « papier » qui permettent d'échanger des intentions d'achat ou de vente. Or, le marché « physique » ne représente au mieux que 10% des transactions. Le reste porte sur des mouvements fictifs, pour lesquels les contrats peuvent aller jusqu'à quinze ans. Dans cette ambiance hautement spéculative, de nouveaux intervenants sont apparus récemment : les fonds d'investissement. Ces derniers pesaient 13 % des transactions en 2004, contre 6 % seulement trois ans plus tôt. Le Sénat américain vient de s'emparer du rapport écrit par un financier indépendant, M. Michael Masters, constatant que ces institutions financières ont acheté un total de 848 millions de barils sur les cinq dernières années au travers d'indices boursiers de matières premières. Soit presque autant que l'accroissement des besoins de la Chine qui, sur la même période, s'élevait à 920 millions. Preuve que les pays émergents ont le dos large... Le dernier épisode en date est la reprise le 23 juin par le Wall Street Journal des résultats d'une enquête menée par le Congrès, qui chiffre le niveau de spéculation sur l'un des pétroles pris comme référence commerciale, le WTI (West Texas Intermediate). Les investissements des traders atteindraient maintenant 70% du marché.


En fait, le schéma est tout à fait prévisible. Dans leur recherche effrénée de rendement financier, les fonds boursicotent sur le pétrole de la même manière que sur les produits alimentaires, les crédits immobiliers, ou, depuis peu, les droits à polluer. Et plus les prix sont élevés, plus ces investisseurs sont attirés par le marché. Le plus étonnant est que certains spécialistes, comme les économistes de l'IFP, parviennent encore à le nier.


De la même manière, il devient difficile de contester l'augmentation des profits sur le raffinage et la distribution des produits pétroliers. Début juin, l'UFC-Que Choisir révélait que la marge de raffinage sur le gas-oil vendu en France a été multipliée par 2,4 en quatre mois et par plus de 6 en dix ans, pour approcher les 16 centimes par litre au mois de mai dernier. A elle seule, elle explique environ la moitié de l'envolée du prix à la pompe sur les six derniers mois. Rappelons qu'une firme comme Total dégage de tels profits qu'elle a pu augmenter de 64 % le versement des dividendes à ses actionnaires entre 2000 et 2004, et qu'elle dépense des sommes colossales pour racheter ses propres actions dans le but de faire grimper artificiellement son cours en Bourse.


Voici des paramètres qui mériteraient d'être mieux connus. Un marché hautement spéculatif... Des multinationales qui jouent de l'effet d'aubaine pour soutirer encore quelques profits supplémentaires... Et en bout de chaîne ? Des manifestations de pêcheurs et de transporteurs étranglés, des citoyens pris au piège d'une mondialisation destructrice, la crise pétrolière n'étant que l'un de ses derniers avatars.


En bons écologistes, nous pourrions nous réjouir de l'envolée du prix du baril, qui devrait théoriquement inciter aux économies. Mais ce serait oublier deux choses. D'une part, la consommation des ménages, qui est liée au chauffage et au transport, réagit très faiblement à la hausse du prix de l'énergie. Une augmentation de 10 % des tarifs génère une baisse de la consommation d'au maximum 1,5%. D'autre part, le drame de la situation pour les catégories les plus touchées tient au fait qu'elle combine et additionne plusieurs conséquences terribles des politiques néolibérales menées tambour battant depuis le début des années quatre-vingts.


Ainsi, le secteur de la pêche est l'exemple type d'un marché mondialisé pour le plus grand bénéfice des puissances financières. Durant la seule année 1992, les cours mondiaux du poisson ont chuté d'environ 20%, sous la pression des importations à faible prix en provenance des pays en développement. Mis en concurrence avec des ouvriers exploités pour un salaire de misère, les pêcheurs français sont devenus une proie facile pour la grande distribution. Alors qu'ils vendent actuellement à perte, le rapport entre le prix qui leur est payé et le prix de vente dans les grandes surfaces est de un à dix !


Le transport routier français, quant à lui, ne représente plus que 24% du transport international réalisé entre la France et l'étranger. Il en pesait 52 % en 1992. Là encore, la concurrence, au sein même de l'Union européenne, a été meurtrière. Et les dernières règles qui protégeaient encore les entreprises d'Europe de l'Ouest vont bientôt voler en éclats. L'Union a en effet décidé début juin d'autoriser le cabotage, qui consiste à transporter des marchandises entre deux villes d'un pays étranger. Sous couvert d'optimisation des consommations de carburant, la concurrence sera encore accrue, ce qui bénéficiera in fine aux Etats à faibles niveaux de salaire.


Pour ces deux secteurs, l'augmentation du prix du pétrole est donc dramatique, car elle vient s'ajouter à la montée d'une concurrence toujours plus acharnée, produite par des politiques maladivement libre-échangistes qui ne profitent qu'aux pouvoirs financiers. Mais le constat pour le salarié lambda va exactement dans le même sens. Entre 1983 et 2006, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) a baissé en France de 9,3 %. Ce qui signifie bien-sûr que la part du capital dans le PIB a augmenté d'autant. Nous assistons en fait à un transfert continu des richesses vers les propriétaires des grands moyens de production, qui ne cesse de creuser l'écart entre ceux qui vivent de leur travail et ceux qui vivent de leurs investissements. Si cette réalité était rappelée par les médias, nul doute que le débat sur le pouvoir d'achat prendrait de la hauteur et de la consistance.


L'augmentation du prix du pétrole est donc l'arbre qui cache la forêt d'un partage profondément inéquitable des richesses. Il n'est pas grave en soi que les tarifs des énergies fossiles augmentent. Il faudra même s'y habituer, puisque les réserves ne sont pas inépuisables, que la demande ne cesse de croître, et que leur utilisation pose de sérieux problèmes environnementaux. Mais la gravité tient au fait qu'il est de plus en plus difficile de vivre correctement de son travail, que l'on soit pêcheur, transporteur, ou salarié dans bien d'autres domaines d'activité.


Alors que le gouvernement ne propose que des mesurettes constituées pour l'essentiel d'exonérations fiscales, il faut au contraire frapper fort, en distinguant les mesures d'urgence des mesures visant à changer la structure de l'ordre économique.

 

Une taxe immédiate sur les profits des pétroliers doit être prélevée et utilisée pour aider les professions les plus touchées. Les sur-profits de Total réalisés en France, à savoir les profits qui vont au delà d'une rentabilité de référence de 15 %, ont atteint 1,2 milliard d'euros en 2005 et près de 4 milliards sur la période 2003-2006. Appliquons-leur une taxe de 100% et n'en parlons plus !

Dans le même temps, il faut absolument instaurer un tarif régulé des énergies, qui permette de contrôler les marges des transformateurs et des distributeurs, afin d'éviter l'effet d'aubaine observé actuellement.

 

Mais pour agir en profondeur, c'est encore une fois la fermeture de la Bourse et l'arrêt du libre-échange qu'il faut très sérieusement envisager.

Le moyen le plus sûr de casser la spéculation est d'exclure du marché les investisseurs privés qui ne recherchent que la rentabilité financière. C'est pourquoi les transactions sur le pétrole doivent être réservées aux seuls Etats, selon des principes définis dans une nouvelle charte internationale de l'énergie qui serait refondée sur des bases de coopération.

En matière de commerce extérieur, une taxe doit intervenir pour réintroduire le coût social et environnemental dans le prix des importations. Si la possibilité d'utiliser des droits de douane n'avait pas été systématiquement éliminée, au nom de la lutte contre le protectionnisme, par l'Organisation mondial du commerce, le Fonds monétaire international ou l'Union européenne, la concurrence entre pêcheurs français et pêcheurs chinois, entre chauffeurs français et chauffeurs roumains, ne serait pas à ce point faussée et destructrice.

Ces mesures apparaissent maintenant comme un point de passage obligé pour re-discipliner l'économie. Car avant de pouvoir engager de véritables politiques alternatives, dans le domaine de l'énergie comme ailleurs, il faut faire sauter ces verrous que les libéraux se sont appliqués à poser pendant près de trente ans.

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