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4 août 2008 1 04 /08 /août /2008 03:39


INCROYABLE : L’IRLANDE DEMANDE A LA FRANCE D’ORGANISER UNE NOUVELLE ELECTION PRESIDENTIELLE !

Par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP)


C’est avec stupeur que les Français ont appris que le Premier ministre irlandais, Monsieur Brian Cowen, venait de demander l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle en France. Celle qui s’est tenue en 2007, et qui a vu l’élection de Monsieur Sarkozy comme président de la République française, n’est pas jugée suffisamment conforme aux standards de l’Union européenne. C’est pourquoi le Premier ministre irlandais se rendra en France prochainement, afin de rencontrer les milieux industriels, financiers et médiatiques de l’Hexagone, mais aussi des représentants de la majorité et de l’opposition.

Bien sûr, cette information est fausse ! Mais elle a exactement la même signification que le déplacement, le 21 juillet dernier, de Monsieur Sarkozy à Dublin.

Montrer ses petits muscles

Le président de la République française, voulant montrer ses petits muscles à ses vingt-six collègues, a déclaré : « Les Irlandais devront revoter et je mettrai le veto à tout élargissement (de l’Union européenne) tant qu’il n’y aura pas de nouvelles institutions » (Le Figaro, 16 juillet 2008). En droit international, en effet, un traité, pour être valable, doit être ratifié dans les mêmes termes par tous les pays concernés. C’est pourquoi la situation irlandaise est une grosse épine dans le pied de ceux qui veulent poursuivre cette course folle à l’eurolibéralisme.

Cette décision correspond exactement à ce que prévoyait le M’PEP dans son communiqué du 14 juin : « Le NON irlandais va-t-il passer à la trappe ? »


Nicolas Sarkozy et ses collègues du système de Bruxelles n’ont aucune raison, pour l’instant, de ne pas continuer leur harcèlement anti-démocratique, puisque les expériences passées leur donnent raison. Après l’échec du référendum sur le traité de Nice, en 2001, il n’avait fallu que seize mois à Dublin pour venir à bout du peuple irlandais et trouver un moyen de le faire revoter. A l’époque, la participation n’ayant été que de 34 %, l’argument pour justifier un nouveau référendum était tout trouvé. On y avait ajouté la question de la neutralité de l’Irlande qui avait été identifiée commue la principale raison du « non ».

C’est pourquoi Nicolas Sarkozy a rencontré 18 responsables politiques, syndicaux, associatifs, dont 11 pour le « oui » et 7 pour le « non ». Résultat : le Premier ministre irlandais a demandé du temps. Traduction : les Irlandais ne sont pas encore mûrs pour avaler l’idée d’un nouveau référendum. Nicolas Sarkozy et Brian Cowen vont donc se revoir en septembre. D’ici-là, il faudra « Comprendre les préoccupations qui avaient influé sur l’issue de ce référendum », c’est-à-dire proposer un bidouillage juridique justifiant un nouveau référendum.

Bidouillage juridique

En misant sur l’isolement des Irlandais, les hiérarques de Bruxelles ont un schéma tout prêt. En effet, le traité de Lisbonne précise que le nombre de commissaires européens sera égal aux deux tiers du nombre d’Etats membres à partir de 2014, sauf si les dirigeants européens en décident autrement à l’unanimité. Voilà la porte de sortie pour les Irlandais : chacun des Vingt-Sept garderait donc son commissaire. D’autres garanties pourraient être données aux Irlandais dans une déclaration annexée au traité de Lisbonne : le respect de leur neutralité et de leurs positions sur des sujets comme l’interruption volontaire de grossesse, encore interdite dans l’Ile, ou les questions de fiscalité qui continueraient à être réglées à l’unanimité. Ces propositions pourraient être débattues au Sommet européen d’octobre.

Le peuple d’Irlande a dit « non » au traité de Lisbonne. Le président de l’UE, N. Sarkozy, en demandant un nouveau référendum, et le Parlement européen, en votant le refus de la prise en compte du résultat irlandais, bafouent la souveraineté de ce peuple.

De la même façon, les gouvernements de la France et des Pays-Bas, dont les peuples avaient dit « non » au traité constitutionnel européen (TCE) en 2005, sont passés outre leurs peuples et ont décidé de déléguer l’adoption du traité de Lisbonne à leurs parlements.

Comment est-il encore possible d’envisager une quelconque possibilité de révision de ce traité constitutionnel simplifié modificatif, ou bien l’organisation d’une constituante européenne, face à cette crapuleuse alliance politique que livrent à nouveau la droite et une partie de la gauche, pour faire aboutir cette union soi disant européenne, autour du plus grand pacte atlantiste contemporain ?

Trahison

Pourtant, le 9 mai 2004, N. Sarkozy, affirmait à la Convention nationale de l’UMP : « A chaque grande étape de l’intégration européenne il faut donc solliciter l’avis du peuple. Sinon, nous nous couperons du peuple (...) Je le dis comme je le pense, simplement. Je ne vois pas comment il serait possible de dire aux Français que la Constitution européenne est un acte majeur et d’en tirer la conséquence qu’elle doit être adoptée entre parlementaires, sans que l’on prenne la peine de solliciter directement l’avis des Français (...) Je crains dans ce cas (vote parlementaire) une réaction d’incompréhension sévère de nos compatriotes. »

L’Union européenne se coupe des peuples. Elle fabrique à grande échelle du nationalisme, de la xénophobie, du repli sur soi. Les peuples doivent donc consommer cette cassure avec cette union de façade afin de pouvoir envisager autrement un vrai projet de société internationaliste.

Le peuple français, berceau d’origine des Droits de l’homme et du citoyen se doit, dans la période ou un de ses représentants assure la responsabilité de la présidence de l’Union européenne, de dénoncer ces forfaitures et de proposer une issue possible à ce lamentable jeu de saute mouton au-dessus de la souveraineté populaire.

Un mouvement général de défiance vis-à-vis des peuples

Cette actualité irlandaise n’est pas isolée du reste des évènements de ces derniers jours : révision constitutionnelle en France et négociations à Genève au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans ces trois cas, qui pourtant ne semblent pas avoir de lien entre eux, on retrouve pourtant une même logique : la peur des peuples et l’autoritarisme pour y faire face.

Ce que les oligarques européens veulent remettre en cause en Irlande, c’est le droit du peuple irlandais à disposer de lui-même ; avec la révision constitutionnelle en France, le peuple est interdit de parole alors qu’il s’agit de modifier la loi fondamentale ; avec les négociations à l’OMC, 30 pays s’arrogent le droit de débattre en secret pour les 123 autres.

C’est pourquoi le M’PEP, parmi ses six objectifs principaux, considère qu’il convient de mettre la souveraineté populaire au centre du débat politique


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3 août 2008 7 03 /08 /août /2008 03:35


La volonté du peuple est méprisée

 

La Constitution de la France vient d’être profondément bouleversée. Il s’est agit là, en fait, d’un nouveau coup de force, préparé dans des enceintes feutrées, au prétexte de modifications techniques nécessaires, venant après celui qui a imposé le traité européen le 4 février 2008 contre la volonté du peuple exprimée le 29 mai 2005.

Qui plus est, cette révision constitutionnelle, une des plus importantes depuis 1958 puisqu’elle concerne l’équilibre des pouvoirs, a été, par une propagande grossière, présentée comme accroissant les pouvoirs du Parlement. Bien au contraire, elle accroît en fait la place d’un Président de la République sans contrôle et renforce un bipartisme, celui des deux familles partisanes du oui au référendum de 2005, affaiblissant encore ainsi les rares espaces d’expressions contradictoires. Et l’initiative des lois émanera de plus en plus d’un pouvoir autonome, les directives européennes étant transcrites dans le droit national par des parlementaires réduits, pour l’essentiel, à ce rôle.

La Constitution est l’ensemble des règles qui régissent l’organisation de la République. Elle doit affirmer des principes clairs, ayant pour objet principal de permettre la vie en commun par la mise en œuvre de la volonté du peuple dans son ensemble. Elle n’est pas octroyée par les puissants et ne peut émaner que du peuple lui-même. Or, la révision qui vient de se produire, et qui est en fait un changement radical, a été avalisée par un Parlement qui n’était pas élu pour cela. Le fait que, de plus, le vote ait été marqué par des marchandages indignes de la démocratie montre une nouvelle fois l’incapacité du régime à gouverner le pays en fonction des seuls intérêts de la Nation.

Comme le proclame la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics. Une Constitution doit donc être établie par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants, à travers une assemblée constituante, indépendante, élue dans ce but et dissoute ensuite. Elle doit être approuvée par référendum.

C’est pourquoi les signataires de ce texte affirment avec force que la situation exige la convocation d’une assemblée Constituante élue au suffrage universel direct dans les délais les plus brefs. Ils appellent les citoyens et élus dans toutes les communes à se réunir pour exprimer et participer à la fédération de cette volonté dans les formes qu’ils décideront eux-mêmes.

 

 

Association pour une Constituante                                             

13 rue du Pré Saint Gervais

75019 Paris

pouruneconstituante@yahoo.fr

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2 août 2008 6 02 /08 /août /2008 03:15

Pour une république qui crée les conditions de la transformation politique

Sur Alter M

La république n’est pas un concept abstrait. Elle ne se résume pas à un ensemble de valeurs qui peuvent très bien être invoquées par ceux qui travaillent à sa destruction. La république est indissociable d’une exigence de démocratie réelle et d’une promesse d’améliorations sociales pour ceux qui n’appartiennent pas à la minorité des nantis. L’acceptation par tous des règles de vie en commun repose sur des contre-parties visibles.

Mais aujourd’hui, la logique économique met en péril les solidarités nationales. Dans les pays développés, l’expansion du capitalisme mondialisé fragilise le lien social, nourrit le sentiment d’insécurité et fragmente les identités collectives.

Côté sud, le néocolonialisme convoite les ressources naturelles de nombreux pays et répand partout le désir d’un modèle de consommation qui renforce le capitalisme transnational. L’occidentalisation à marche forcée alimente un sentiment de dépossession et, parfois, les pires replis identitaires.

Ainsi, au Nord comme au Sud, le malaise social est orienté vers l’exacerbation des identités aux dépens de la construction d’un projet collectif à dimension sociale et politique, pouvant rassembler des populations diverses.

Cette dérive n’est pas nouvelle. Au début du XXè siècle, la question sociale était détournée par les forces conservatrices vers l’exaltation des identités nationales (ce qui favorisa l’éclatement du premier conflit mondial). Aujourd’hui l’art de la fragmentation s’est affiné. La société doit devenir une juxtaposition de groupes se tolérant mais se concurrençant pour obtenir reconnaissance symbolique et part du gâteau économique.

Une telle conception du vivre ensemble entretient des conflits d’intérêts entre groupes, ce qui protège les véritables rapports de domination et ne favorise en rien l’épanouissement et l’émancipation des personnes. Elle défie le principe de laïcité. Elle ouvre la porte à des politiques de poids et mesures (discrimination positive, immigration choisie) aux conséquences périlleuses.

Nous n’avons encore que les prémisses de ce scénario. Comment le nommer ?

L’idéologie néolibérale veut croire en l’avènement d’un humanoïde parfaitement individualiste dans ses comportements sociaux et économiques, tournant le dos aux tragédies de l’histoire pour vivre dans l’éternel présent de la consommation et de la communication.

En fait, les adeptes du néolibéralisme n’y croient pas eux-mêmes. Ils ont bien compris qu’un marché planétaire indifférencié, venu à bout de la diversité culturelle et de l’histoire ne peut advenir rapidement. En attendant, notre surclasse mondialisée n’hésite plus à jouer la carte du communautarisme ethnique et religieux, objet très ambigu de ses invectives et de ses soins. Les poussées de mondialisation provoquent des réactions identitaires qui, en servant de repoussoir, présentent l’intérêt de discréditer toute remise en cause du modèle dominant. Les peuples se voient ainsi proposer une situation sans issue : celle qui relève d’un scénario à la fois libéral et communautariste.

Source de conflits perpétuels, ce scénario dément nous conduit vers des formes encore inconnues de barbarie. Mais comment le déjouer ? En le prenant à contre-pied par une transformation des règles du jeu économique (voir le texte d’Alter sur la croissance) et par la revitalisation d’une république qui crée les conditions d’une transformation politique et permette de donner du sens à nos choix de vivre ensemble.


I Le scénario libéral-communautariste

Pour les néolibéraux, la dégradation de nos sociétés n’est nullement reliée aux avatars du capitalisme mondialisé. Sous les vocables de réforme ou de rupture ils prônent une politique conservatrice combinant la libéralisation économique (casser les « rigidités » des Etats, les « lourdeurs » de leurs systèmes de protection sociale) et un ordre moral qui s’appuie sur le renforcement du communautarisme ethnique ou religieux.

Et quand les néolibéraux les plus ouverts, rejoints par une partie de la gauche, insistent sur la nécessité de libérer la société de discriminations racistes ou sexistes, cela permet encore de légitimer le développement des inégalités. L’invocation permanente de la « diversité » affaiblit les revendications sociales partagées, au profit d’une multitude de combats pour la défense des particularismes.

1) Sous le couvert politiquement correct d’un nécessaire respect des différences, réapparaît ainsi une sorte d’ethnicisation du politique et des conflits sociaux.

L’exaltation de la fierté des minorités, au nom du pluralisme et de la tolérance, est déformante. Sous des allures vertueuses, c’est un véritable piège qui est offert à toutes les personnes qui sont à la recherche de leur place dans les mouvements incohérents du monde.

Car le respect des différences peut aussi devenir un moyen de rogner la liberté de jugement personnel. Comme le nationalisme xénophobe, le communautarisme finit toujours par avoir une action corrosive sur la liberté de penser. Les préférences du groupe, énoncées par quelques leaders communautaires, affaiblissent la capacité d’autonomie, déforment les choix individuels et favorisent des réflexes normés. Pluralisme et tolérance se retrouvent cul par-dessus tête quand le discours identitaire induit l’idée que ce qui est bien, ce qui est juste, est finalement ce qui est «de notre côté».

Chaque minorité agit alors pour lutter contre les exclusions ou les discriminations dont elle se sent victime. La concurrence des groupes de victimes entraînés dans une logique d’autodéfense communautaire dissout la notion de bien commun, réfrène les sentiments de solidarité avec des humains qui se rattachent à d’autres communautés.

En France, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat avait précisément pour but de protéger chacun dans sa liberté de conscience, de penser et de s’exprimer. Après un siècle de stabilisation imparfaite de ce principe, la tendance récente à sa remise en cause prend de la vitesse : la tentation est forte chez de nombreux dirigeants conservateurs de vouloir substituer l’espérance religieuse à l’espérance sociale, de confier aux communautés de quasi prérogatives de puissance publique (sécurité, éducation), quitte à rétablir un délit de blasphème. Et que dire d’une partie des forces «progressistes» quand, tétanisées par l’idée de donner prise à des accusations de racisme, elles sont disposées à ménager l’islamisme politique, à voir dans ces forces réactionnaires des alliés fréquentables dans « le combat commun contre l’impérialisme »?

Dans un tel remue-ménage, il n’est guère étonnant que s’imposent dans le débat public de fausses solutions quantitatives pour répondre à un dysfonctionnement qualitatif de nos sociétés.

2) Le traitement quantitatif des discriminations

Les milieux conservateurs nous ont habitués à des solutions faussement rationnelles, imposées sans concertation approfondie. Par inclination communautariste, ils souhaitent valoriser la discrimination positive. Au nom de l’efficacité économique, ils optent pour l’immigration choisie.

La discrimination positive consisterait à réserver des emplois, des formations, des mandats à des citoyens en raison de leurs origines ethniques, culturelles ou religieuses. Les promus, composant la petite élite de chaque minorité, se sentiraient, en échange d’une réussite sociale, en charge de favoriser l’ordre parmi les leurs. Non seulement la discrimination positive enferme les individus dans le carcan de leurs origines, mais derrière la réparation superficielle d’une injustice, elle sert de paravent au maintien des conditions réelles de la discrimination. Simple recomposition des élites de chaque pays, elle ne change rien au sort de la grande majorité des membres d’une communauté discriminée comme le montre le sort des noirs aux USA. Il s’agit finalement d’un alibi qui a pour fonction d’éviter que soient mises en œuvre les politiques sociales, éducatives et territoriales susceptibles de réduire toutes les discriminations, qu’elles soient sociales ou liées aux origines.

Autre nouveauté du scénario libéral-communautariste, l’idée de mettre en place une immigration choisie fait plus que jamais de l’étranger une créature rentable pour nos économies. Ramener le sort des migrants à des considérations purement utilitaristes équivaut à confier la gestion des cartes de séjour au patronat. C’est une catastrophe programmée pour les pays pauvres qui assistent déjà à une hémorragie de leurs médecins, de leurs infirmières et de leurs enseignants de haut niveau. La Banque mondiale peut se tranquilliser en constatant que les émigrés transfèrent des milliards de dollars à leurs familles, faisant vivre 500 millions de personnes dans le monde. Mais qui peut nier que cette situation ne favorise nullement le développement des pays d’origine ?

Les cerveaux en provenance du sud, même s’ils sont décemment rémunérés, sont tout aussi utiles à nos sociétés actuelles que les bras des esclaves l’étaient pour les champs de coton d’antan. Une telle politique va au-delà du cynisme. Elle traduit un parfait mépris à l’égard des peuples du sud et renoue avec les riches heures de l’aventure coloniale.

L’offensive du modèle libéral-communautariste est aujourd’hui d’une telle audace qu’il est urgent que les partisans d’une république sociale et solidaire dépassent une conception figée des principes républicains et prennent en considération les enseignements de l’histoire des deux derniers siècles.


II La république à l’épreuve de la « diversité »

Ce sont les conditions de vie de ses maillons les plus faibles qui reflètent l’état d’une société. Certes, la république accorde l’égalité à tous les citoyens, mais les incantations égalitaristes peuvent aussi être proférées pour mieux masquer la réalité des inégalités sociales. C’est parce que la république n’a pas assez permis au peuple d’exercer sa souveraineté qu’elle s’est accommodée de situations sociales indignes comme elle s’accommode d’une école laïque qui peine à intégrer les jeunes immigrés.

Pour contrer le danger d’une société fragmentée en communautés concurrentes, la république ne peut s’arrimer à des principes qui resteraient déconnectés des réalités. Considérons ainsi trois legs de l’histoire récente qui interrogent aujourd’hui la valeur des principes républicains et méritent une clarification.

1) La république et ses quartiers populaires

Le premier concerne le sort d’une partie des populations qui vivent à la périphérie de nos villes. Elles subissent à la fois des ségrégations urbaines, sociales et raciales particulièrement violentes : échec scolaire, chômage massif des jeunes peu diplômés, précarisation sans issue, destruction familiale, racisme ordinaire. Les discriminations à l’embauche et au logement le montrent assez : elles n’ont pas qu’un caractère social. Le patronyme et la couleur de la peau s’y ajoutent. Le patronyme et la couleur de peau constituent même un fait social. A l’image des classes dangereuses que la bourgeoisie stigmatisait au XIXè siècle, «les jeunes des quartiers» sont associés par les médias aux clichés de la délinquance quand ce n’est pas à ceux du terrorisme international.

Parqués dans des ghettos urbains ou scolaires qui leur lèguent une représentation dévalorisante d’eux-mêmes, ces jeunes vivent dans l’humiliation et la soif de reconnaissance. La violence physique qu’ils opposent à la violence sociale qui les enferme peut encore être interprétée comme un désir de devenir des enfants de la république à part entière et non entièrement à part. Mais jusqu’à quand ? Le sentiment de rejet pourrait demain nourrir des actes de désespoir absolu.

Puisque de jeunes parias sont couramment désignés par leur origine, cette notion de citoyens de seconde zone affaiblit sérieusement le principe de l’égalité républicaine. Ce phénomène rappelle en premier lieu que la république ne peut être que sociale. Qu’il est absurde que la présence de l’Etat soit moindre sur les territoires les plus déshérités. Mais il montre aussi que les pouvoirs publics, les syndicalistes, les politiques n’ont pas su intégrer la spécificité de cette situation qui dépasse le champ social traditionnel. Tous doivent même reconnaître le caractère réel de ces discriminations pour éviter qu’une part croissante de la population de nos pays ne s’enferme dans un statut de victime.

Mais il faut aussi que les premiers concernés aient à l’esprit que rien ne justifie une violence contre d’autres composantes du peuple. Que la forme de leur révolte sert souvent les médias dominants et ne leur vaut pour retombées que des paillettes empoisonnées. Que dans leur grande majorité, les enfants d’immigrés sont aussi des enfants d’ouvriers. Que les révoltes sans lien avec un mouvement revendicatif élargi font toujours le jeu du pouvoir. Qu’ils doivent aussi savoir dénoncer le consumérisme, la fascination pour l’argent facile, l’ultra violence à l’encontre des services publics, le mépris pour les femmes et toutes les formes de racisme, autant de représentations véhiculées, certes, par une minorité, mais dont les médias raffolent.

2) La république et les colonies

La seconde interrogation concernant les principes traditionnels de la république est qu’ils ont coexisté avec le fait colonial. Certes, le colonialisme, en refusant aux peuples colonisés la maîtrise de leur destin fut une négation des principes républicains ; certes, les valeurs républicaines ont participé aux combats d’émancipation nationale dans les pays du sud ; certes, ce n’est pas la république qui lança l’aventure coloniale, mais les besoins d’expansion du capitalisme européen. Cependant, le moins que l’on puisse dire est que la république bourgeoise, y compris dans sa composante sociale-démocrate, fut plus que complice. Elle fut agissante. Elle doit assumer les millions de morts des guerres coloniales, les razzias meurtrières du XIXè siècle, la spoliation de masse pour l’acquisition des meilleures terres, le code de l’indigénat, la torture en Algérie, le racisme d’Etat au nom d’une «mission civilisatrice».

La moindre frilosité à l’égard de ce passé serait mortifère pour la république. L’antisémitisme n’a pas été anéanti dans notre pays, mais, de l’affaire Dreyfus au Vel’ d’Hiv’, la lourde histoire de la France avec ses populations juives a fini par faire l’objet d’une reconnaissance. Bien que les griefs soient de nature très différente, le constat est indéniable : la mauvaise conscience de la France tarde à remonter sur la question coloniale. Il est temps que par une parole officielle, par une parole forte de son autorité politique, «le pays des Droits de l’Homme» reconnaisse qu’il a imposé un terrible régime d’exception dans ses territoires coloniaux. Et que cette parole soit prolongée par un devoir de mémoire, associé à un devoir de réconciliation.

Il ne s’agit nullement d’instrumentaliser le passé pour mettre à bas l’idée de république, de ramener les difficultés de la société française à leur dimension post-coloniale et, finalement, d’apporter de l’eau au moulin libéral-communautariste. La reconnaissance ne doit pas être une déclaration de repentance qui consisterait à tourner le dos à l’estime de soi dont une nation a besoin pour affronter l’avenir. Elle doit au contraire ranimer le désir de construire une perspective impliquant tous ceux qui, au-delà du passé de leurs aïeux, ont une communauté de destin.

3) La république dans un contexte de rivalité des antiracismes

Le troisième élément de mise à l’épreuve des principes républicains réside dans la tendance à la fragmentation de l’antiracisme. Au jeu malsain de l’antiracisme spécialisé, la surenchère s’impose.

Certes, les raisons persistent pour que les femmes, les homosexuels, les handicapés, les musulmans, les juifs et les noirs poursuivent leur combat contre toutes les formes de stigmatisation ou discrimination. Mais aujourd’hui, la république n’a plus la force d’empêcher l’invocation d’une douleur contre une autre. Alors que les énergies devraient converger vers la nécessité de démocratiser la société, de combler le fossé entre les élites et le peuple ou de remettre en marche l’ascenseur social, la concurrence des victimes oriente le débat public à contre sens.

On ne mondialise plus les textes mais les images et les symboles. Le nuancier d’un texte évitait les méprises. Un geste, un mot, une image, pris de façon isolée, suffisent aujourd’hui à provoquer des ressentiments. L’humour n’a plus l’autorisation de jouer avec les symboles. Une parodie de l’extrémisme, quel que soit la qualité ou la stupidité de sa forme, est immédiatement vouée aux gémonies cathodiques, judiciaires et religieuses. Il est toujours possible de pointer des déséquilibres : abjecte judéophobie chez un humoriste et liberté de création artistique pour un dessinateur s’attaquant à l’islam. Ou l’inverse. Chacun y va de ses poids et mesures.

Pour éviter cette impasse, nous devons inlassablement réaffirmer que la république est laïque, que la liberté de conscience est inaliénable. Que le blasphème est autorisé. Qu’un combat vigilant s’impose contre tous les racismes, contre tous les antisémitismes, d’où qu’ils viennent, ainsi que contre tous les intégrismes. Qu’il est urgent de redonner de l’imaginaire collectif et de la culture commune, là où guette le renvoi de chacun à ses origines.


III Au service de la démocratie, des principes républicains revitalisés

L’ascendant de la démocratie sur le marché, du projet politique sur les mécanismes économiques, est la seule issue possible pour sortir des impasses dans lesquelles nos sociétés s’enfoncent. Cela suppose que, face à la logique du profit, la sphère politique puisse imposer des règles de fonctionnement choisies. C’est bien par le renforcement du politique que ce renversement est possible, et non une multiplication de revendications centrées sur des intérêts particuliers. La république, comme espace d’élaboration et de mise en œuvre d’un projet, devient alors une condition de l’efficacité de la démocratie.

Or, le «modèle républicain» est actuellement affaibli du fait de la fragilisation de trois de ses principes : l’égalité, la souveraineté populaire et la laïcité. Dans chacun de ces cas, le rappel des principes doit systématiquement être assorti des propositions politiques qui leur correspondent à un moment donné.

1) L’égalité républicaine ne saurait se réduire à l’égalité des chances.

L’égalité des chances s’accommode fort bien des privilèges. La promotion au mérite peut conduire à des inégalités réelles, humainement inacceptables. Elle ne devient un bon principe qu’associée au souci de dignité sociale et dissociée d’une idéologie dans laquelle les perdants sont entièrement responsables de leur défaite.

C’est l’égalité de conditions qui pourrait ôter à la république son caractère inachevé. Pour s’attaquer aux effets de la domination capitaliste, à ses dégâts humains qui s’ajoutent aux dégradations environnementales, il faudrait prendre en compte toute la réalité des inégalités sociales et territoriales et agir en conséquence. L’égalité républicaine, aujourd’hui, supposerait l’adoption de mesures globales telles qu’elles sont développées dans les textes d’orientation d’Alter concernant la croissance, l’habitat, les femmes, les médias, la culture ou l’éducation. A titre d’exemple, mentionnons :
  • La même école pour tous et, puisque les inégalités se creusent entre la sortie de l’école et le retour en classe, que l’éducation soit complétée par un service public de soutien scolaire sur tout le territoire national,
  • Que la télévision ravale sa drogue publicitaire, que la culture soit assortie d’un vrai travail d’émancipation par les pratiques artistiques,
  • Réaliser des investissements prioritaires dans l’urbanisme ou contre la désertification des campagnes avec des services publics de proximité,
  • Une politique de logement reposant sur le désengorgement des métropoles, de fortes sanctions à l’encontre des communes qui refusent la mixité sociale et un encadrement plus strict des prix de l’immobilier,
  • Puisque le libre échange nous éloigne de l’égalité par la mise en concurrence de systèmes sociaux, le protectionnisme solidaire s’impose,
  • Adopter une législation ferme sur les discriminations racistes ou sexistes, que ce soit à l’embauche, au travail ou à l’habitat.

2) Souveraineté populaire et droit du sol

Une égalité de conditions ne peut se réaliser que dans l’exercice effectif de la souveraineté populaire. Dans une république, le sentiment d’appartenance s’attache à la collectivité nationale dans laquelle se bâtit démocratiquement un projet politique. Effrayés par toute perspective de mise en œuvre d’un «projet politique», les adeptes du libéralisme économique s’empressent alors d’y dénoncer une entreprise de nivellement des différences. C’est là que la république doit savoir répondre que la participation à la construction d’une maison commune n’empêche nullement de stimuler le pluralisme culturel, source de vie et de diversité. A l’opposé d’un universalisme abstrait, la vitalité d’une nation passe par la reconnaissance des cultures traditionnelles, d’où qu’elles viennent, par les inévitables frottements entre elles et les métamorphoses qui en résulteront. Dans une société plurielle qui ne cède rien au communautarisme, la confrontation aux questions d’aujourd’hui et la construction collective des réponses à y apporter se chargeront de transcender les différences sans les nier. Et s’il faut que les jeunes femmes et les jeunes hommes aient l’obligation d’offrir quelques mois de leur temps à des activités civiques dans les domaines environnemental ou social pour confronter les repères que chacun(e) a élaboré dans son milieu d’origine à d’autres réalités, nous devons considérer qu’un tel brassage au service du bien collectif est salutaire. Nous sommes favorables à un service civil obligatoire.

Telles sont les conditions d’un exercice assumé de la souveraineté populaire. Mais de quel peuple parle-t-on ? Avec le droit du sol, ceux qui naissent ou qui vivent dans un pays en obtiennent la nationalité quelle que soit leur origine. Pour les étrangers qui résident sur le territoire national, le droit de vote aux élections locales est une évidence. Le droit du sol, qui s’oppose au droit du sang, devrait également induire une naturalisation rapide pour tous les résidents étrangers qui le souhaitent. Cinq années de résidence peuvent suffire si elles sont assorties d’un temps d’instruction citoyenne pour acquérir les principaux repères concernant l’histoire, la vie sociale et les institutions du pays d’accueil (un service d’apprentissage de la langue, d’information juridique et de mise en relation avec le tissu associatif local est indispensable). En résulteraient le droit de participer aux élections nationales, un encouragement à l’implication citoyenne et la suppression de barrières à l’emploi public.

Les vertus de la pluralité n’imposent pas pour autant une invitation infinie aux migrations. Sans attendre, chaque pays développé doit doubler le montant financier de l’aide aux pays pauvres en basant la coopération sur une rupture avec les principes du libre échange. Le protectionnisme solidaire qui taxe les produits en provenance de pays qui ne respectent pas la dignité de leurs salariés, tire vers le haut les modèles sociaux des autres et limite les migrations. Dans le même temps, la lutte contre le travail au noir impose une régularisation des sans papiers. Au-delà de ces propositions concrètes, il n’existe aucune vérité absolue sur les politiques de migration. Dans un contexte de dégradation économique mondiale, une part doit être laissée à l’improvisation. Nous savons tous qu’une liberté totale de circulation et de résidence ne serait compatible ni avec la mise en œuvre d’une politique sociale ambitieuse, ni avec le développement des pays les plus pauvres.

3) Sans laïcité, point de salut

La laïcité n’est pas une valeur, c’est un principe. Un principe de séparation qui marque une distinction entre l’espace public et l’espace privé. Dans l’espace public, on travaille pour l’intérêt commun avec une exigence de neutralité et les mêmes droits pour tous. Dans l’espace privé, individuel ou collectif, peuvent se manifester, dans le respect des lois, la foi et les pratiques religieuses qui l’accompagnent. Sans qu’elle nie l’influence des convictions intimes sur le comportement public, cette séparation est d’autant plus appréciable que les migrations diversifient les références morales et religieuses dans chaque société. La promotion de la laïcité est le meilleur antidote au «choc des civilisations».

La démocratie reste l’outil principal dont disposent les dominés pour acquérir des moyens d’agir sur le monde. La vie démocratique ne doit pas être déformée par une relation malsaine entre pouvoir et religion. Elle ne peut être que consolidée par l’extension de la laïcité. En France, par exemple, le principe de laïcité n’a pas été conquis contre le christianisme, mais contre le cléricalisme catholique qui prétendait dicter la loi au nom de la foi. La démocratie exige que chaque personne se sente libre à l’égard d’un groupe communautaire, à la fois autonome et solidaire à l’égard de tous. Les «bonnes valeurs» ne peuvent être celles d’un lieu particulier, d’une ethnie ou d’une tradition particulière. En garantissant le sentiment de libre arbitre, la laïcité constitue un ciment. Dans une république, l’esprit critique et la liberté d’expression n’ont d’autre limite que les atteintes aux personnes et les propos racistes qui restent tributaires de la loi. Telles sont les clefs d’une société dynamique et inventive qui serait apte à affronter les défis fondamentaux, qu’ils soient environnementaux, sociaux ou géopolitiques qui s’imposent à nous.



Le risque de basculer vers un monde quadrillé par l’ordre mercantile, par des communautés ethniques ou religieuses, par des milices privées au service d’intérêts privés, un monde de conflits permanents et de concurrence exacerbée, n’est plus à écarter. Il s’agit même d’une de ces tendances lourdes qui appellent une riposte vive et forte.

Cette riposte doit s’appuyer sur une solidarité entre les continents, la relocalisation des économies, une égalité qui dépasse l’égalité des droits à l’intérieur de chaque société, une laïcité qui ne serait pas à défendre mais à promouvoir, une fermeté sans concession à l’encontre du racisme et des intégrismes, la reconnaissance des blessures du passé comme préalable à l’engagement de tous sur un projet commun.

Les enjeux actuels sont d’une telle ampleur qu’ils nous enjoignent d’effectuer en un temps bref de vrais choix de société. Le temps où de simples négociations entre partenaires sociaux suffisaient à humaniser nos économies est derrière nous. La primauté des choix politiques sur une logique économique qui devient folle est une nécessité démocratique. Un tel scénario passe par une république s’appuyant sur des principes revivifiés, une république qui ne s’accommode plus jamais du non respect de la dignité de tous les humains.
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31 juillet 2008 4 31 /07 /juillet /2008 03:26


Tribune de Evo Morales, président de la République de Bolivie.

« Le commerce international peut jouer un rôle important dans la promotion du développement économique et la diminution de la pauvreté. Nous reconnaissons la nécessité que tous nos peuples bénéficient de l’augmentation des opportunités et des progrès du bien-être que génère un système multilatéral du commerce. La majorité des membres de l’OMC sont des pays en développement. Nous prétendons mettre leurs besoins et intérêts au centre du programme de travail adopté dans la présente déclaration. »
DÉCLARATION MINISTÉRIELLE DE DOHA DE L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, 14 NOV. 2001.

C’est par ces paroles qu’a débuté le cycle de négociations de l’OMC, il y a sept ans. Le développement économique, la diminution de la pauvreté, les besoins de tous nos peuples, l’augmentation des opportunités pour les pays en développement sont-ils réellement au centre des actuelles négociations de l’OMC ?
La première chose que je dois dire c’est que, si tel était le cas, les 153 pays membres et plus encore la large majorité des pays en développement devraient être les principaux acteurs des négociations de l’OMC. Mais ce à quoi nous assistons est qu’une poignée de 35 pays sont invités par le directeur général à des réunions informelles pour avancer substantiellement dans la négociation et préparer les accords de ce « cycle pour le développement  » de l’OMC.
Les négociations de l’OMC se sont converties en une lutte des pays développés pour ouvrir les marchés des pays en développement en faveur de leurs grandes entreprises.
Les subventions agricoles du Nord, qui reviennent principalement aux firmes agroalimentaires étatsuniennes et européennes, non seulement continueront mais augmenteront, comme le démontre la loi agricole américaine Farm Bill 2008 (1) . Les pays en développement baisseront les droits de douanes pour leurs produits agricoles pendant que les subventions réelles (2) des États-Unis et de l’Union européenne à leurs produits agricoles ne diminueront pas. Concernant les produits industriels au sein des négociations de l’OMC, elles cherchent à ce que les pays en développement réalisent des coupes dans leurs droits de douane de 40 % à 60 % tandis que les pays développés diminueront en moyenne leurs droits de douane de 25 % à 33 %.
Pour des pays comme la Bolivie, l’érosion des préférences douanières pour la distribution généralisée des droits de douane aura des effets négatifs sur la compétitivité de nos exportations. La reconnaissance des asymétries, le traitement spécial et différencié réel et effectif en faveur des pays en développement est limité et entravé par les pays développés.
Dans les négociations, on encourage la libéralisation des nouveaux secteurs des services alors que ce qu’il faudrait faire serait d’exclure définitivement du texte de l’accord général sur le commerce des services de l’OMC les services de base que sont l’éducation, la santé, l’eau, l’énergie, et les télécommunications. Ces services sont des droits humains qui ne peuvent être objets de commerce privé et de règles de libéralisation qui conduisent à la privatisation. La dérégulation et la privatisation des services financiers, entre autres, sont la cause de l’actuelle crise financière mondiale. Plus de libéralisation des services ne mènera pas à un plus grand développement, mais à plus de possibilités de crise spéculative sur des sujets vitaux comme l’alimentation.

Le régime de propriété intellectuelle établi par l’OMC a bénéficié surtout aux transnationales qui monopolisent les brevets, renchérissant le prix des médicaments et des autres produits essentiels, encourageant la privatisation et la marchandisation de la vie même, comme le prouvent les divers brevets sur les plantes, animaux et jusqu’aux gènes humains. Les pays les plus pauvres seront les principaux perdants. Les projections économiques d’un potentiel accord de l’OMC, effectuées y compris par la Banque mondiale (3), indiquent que les coûts accumulés en termes de perte d’emplois, restrictions dans la définition des politiques nationales et perte de revenus douaniers seront plus importants que les « bénéfices » du cycle de Doha.

Après sept ans, le cycle de Doha est ancré dans le passé et dépassé par des phénomènes plus importants que nous vivons aujourd’hui : la crise alimentaire, la crise énergétique, le changement climatique et l’élimination de la diversité culturelle. On fait croire au monde que l’on a besoin d’un accord pour résoudre un agenda mondial et cet accord ne représente pas cette réalité. Ses bases ne sont pas adéquates pour faire face à ce nouvel agenda mondial.
Des études de la FAO signalent que les actuelles forces de production agricoles sont capables de nourrir 12 milliards d’êtres humains, c’està- dire quasiment le double de la population mondiale actuelle. Pourtant, on assiste à une crise alimentaire, car on ne produit pas en vue du bien-être de l’humanité mais en fonction du marché, de la spéculation et de la rentabilité des grands producteurs et distributeurs d’aliments. Pour faire face à la crise alimentaire, il est nécessaire de renforcer l’agriculture familiale, paysanne et communautaire. Les pays en développement doivent récupérer le droit de réguler (4) leurs importations et exportations pour garantir l’alimentation de leur population.
Nous devons en finir avec le consumérisme, le gaspillage et le luxe. Dans la partie la plus pauvre de la planète, des millions d’êtres humains meurent de faim tous les ans. Dans la partie la plus riche de la planète, on gâche des millions de dollars pour combattre l’obésité. Nous consommons excessivement, gaspillons les ressources naturelles, et produisons des déchets qui polluent la Terre Mère.
Nous devons mettre en priorité la consommation de ce que nous produisons localement. Un produit qui traverse la moitié de la planète est souvent moins cher que celui qui se produit nationalement, mais, si l’on tient compte des coûts environnementaux du transport de cette marchandise, la consommation d’énergie et la quantité d’émissions de carbone que cela génère, nous arrivons à la conclusion qu’il serait plus sain pour la planète et l’humanité d’encourager la consommation de ce qui se produit localement. Le commerce extérieur doit être un complément de la production locale. Nous ne devons privilégier d’aucune façon le marché externe sur la production nationale. Le capitalisme veut tous nous uniformiser pour nous transformer en de simples consommateurs. Pour le Nord, il y a un seul modèle de développement, le sien. Les modèles uniques au niveau économique sont accompagnés de processus d’acculturation généralisée qui nous impose une seule culture, une seule mode, une seule façon de penser et de voir les choses. Détruire une culture, attenter à l’identité d’un peuple est le dommage le plus grave que l’on peut faire à l’humanité. Le respect et la complémentarité pacifique et harmonique des diverses cultures et économies sont essentiels pour sauver la planète, l’humanité et la vie.

Pour que ce cycle de négociations soit effectivement du développement et ancré dans le présent et le futur de l’humanité et de la planète, il devrait :

  • garantir la participation des pays en développement dans toutes les réunions de l’OMC et mettre fin aux réunions exclusives de la « salle verte » (5) ;
  • mettre en place de véritables négociations asymétriques en faveur des pays en développement dans lesquelles les pays développés octroient des concessions conséquentes  ;
  • respecter les intérêts des pays en développement sans limiter leur capacité de définition et de mise en place des politiques nationales au niveau agricole, industriel et des services ;
  • réduire effectivement les mesures protectionnistes et les subventions des pays développés (6) ;
  • assurer le droit des pays en développement à protéger le temps qu’il faudra leurs industries naissantes comme l’ont fait les pays industrialisés par le passé ;
  • garantir le droit des pays en développement de réguler et définir leurs politiques en matière de services, en excluant de manière explicite les services de base de l’accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC ;
  • limiter les monopoles des grandes entreprises sur la propriété intellectuelle, promouvoir le transfert de technologie et interdire le brevetage de toute forme de vie ;
  • garantir la souveraineté alimentaire des pays en éliminant toute limitation à la capacité des États à réguler les exportations et importations d’aliments ;
  • assumer les mesures qui contribuent à l’élimination des gaz à effet de serre et à limiter le consumérisme, le gaspillage des ressources naturelles et la production de déchets qui portent préjudice à la Terre Mère.

Au XXIe siècle, un « cycle pour le développement » ne peut plus être de « libre-échange » mais doit au contraire promouvoir un commerce qui contribue à l’équilibre entre les pays, les régions et la Mère Nature, en établissant des indicateurs qui permettent d’évaluer et de corriger les règles du commerce en fonction du développement durable. Les gouvernements ont une énorme responsabilité envers nos peuples. Des accords comme ceux de l’OMC doivent être largement connus et débattus par tous les citoyens et non seulement par des ministres, des entrepreneurs et des « experts ». Nous, les peuples du monde, devons arrêter d’être des victimes passives de ces négociations et devenir des protagonistes de notre présent et de notre futur.

_ [1] _ [2] _ [3] _ [4] _ [5] _ [6]

Notes :

[1] Le Farm Bill 2008 a été approuvé le 22 mai par le Congrès des États-Unis. Il autorise à réaliser des dépenses qui incluent des subventions à l’agriculture jusqu’à 307 milliards de dollars en cinq ans. De cela approximativement 208 milliards de dollars pourront être dépensés en programmes alimentaires.

[2] Le texte actuel concernant l’agriculture propose de baisser les subventions des États-Unis entre 13 et 16,4 milliards de dollars par an. Pourtant les subventions réelles qu’appliquent actuellement les États- Unis sont approximativement de 7 milliards par an. D’autre part, l’Union européenne propose dans le cadre des négociations de l’OMC la réforme qu’elle a réalisée en 2003 de sa politique agricole commune (PAC), sans proposer de plus grandes ouvertures.

[3] Les pays en développement ont peu à gagner dans le cycle de Doha : les gains projetés seront de 0,2 % pour ces pays, la réduction de la pauvreté sera de 2,5 millions (moins de 1% des pauvres dans le monde) et les pertes pour droits de douane non perçus seront d’au moins 63 milliards de dollars. (« Market and Welfare Implications of Doha Reform Scenarios », in Agricultural Trade Reform and the Doha Development Agenda. World Bank, Anderson, Martin et Van der Mensbrugghe. Back to the Drawing Board : No Basis for Concluding the Doha Round of Negotiations, Kevin P. Gallagher et Timothy.)

[4] Cette régulation doit inclure le droit à mettre en place des impôts sur les exportations, baisser les droits de douane pour favoriser les importations, interdire des exportations, subventionner les productions locales, établir des franges de prix, et enfin toute mesure qui selon la réalité de chaque pays serve le mieux l’objectif de garantir l’alimentation de la population.

[5] « Green room meeting » ou « réunion dans la salle verte » est le nom des réunions informelles de négociation à l’OMC auxquelles participe un groupe de 35 pays élus par le directeur général.

[6] Une coupe réelle des États-Unis devrait représenter moins de 7 milliards de dollars par an.

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22 juillet 2008 2 22 /07 /juillet /2008 03:46
Appel à la constitution de listes communes pour que le non de gauche soit représenté au prochain parlement européen


Signer cet appel


Nous, signataires de cet appel, sommes des citoyens de gauche, partisans d'une Europe sociale qui protège les peuples. Face au Traité Constitutionnel Européen qui entérinait le dogme du libéralisme économique, nous avons mené campagne et voté non au référendum du 29 mai 2005. Nous représentons 31,3 % des suffrages qui se sont exprimés lors de ce scrutin.


Nous sommes aujourd'hui inquiets : alors que ce désir d'une véritable Europe sociale est la plus importante force d'opinion qui se soit exprimée en mai 2005, il y a fort à craindre qu'elle ne soit pas représentée au parlement européen qui sera élu lors des prochaines européennes en Juin 2009.

La tentative de rassemblement des collectifs du 29 Mai, fin 2006, a été un échec : elle nécessitait en effet la désignation d'un candidat unique pour l'ensemble des tendances de notre front. La conséquence de cet échec a été l'absence de traduction politique à la hauteur de notre mouvement : les deux candidats au second tour de l'élection présidentielle soutiennent la construction libérale de l'Europe. Pire ! Le 4 février 2008, loin d'entériner le résultat du référendum, Nicolas Sarkozy et les parlementaires soutenant l'Europe libérale bafouent la souveraineté populaire en adoptant un traité identique sous une forme prétendument « simplifiée ».


Nous ne voulons pas ajouter à ce déni de démocratie une absence de représentation au parlement européen à l'issu des élections européennes de Juin 2009.


Rappelons les faits : Pour le scrutin des européennes de Juin 2009, la France sera divisée en 8 grandes circonscriptions où il faudra déposer des listes de candidats. Le nombre de sièges par circonscription, fixé par le décret n°2004-396 du 6 mai 2004, est de 12 pour le Nord-ouest, 10 pour l'Ouest, 10 pour l'Est, 10 pour le Sud-ouest, 6 pour le Massif central-Centre, 13 pour le Sud-est, 14 pour l'Ile-de-France et 3 pour l'Outre mer. Soit un total de 78 sièges de députés européens pour la France.

Il se trouve que les élections européennes sont des élections proportionnelles à seuil. Ce qui veut dire que Les candidats ne peuvent espérer obtenir un siège s'ils ne franchissent pas la barre fatidique des 5 %.

Mais ce n'est pas tout. Ces élections sont aussi des élections à la proportionnelle.

Ce qui veut dire que le nombre de sièges obtenus dépendra du nombre des votes exprimés en fonction du nombre de sièges disponibles dans une circonscription. Il y a donc un second seuil qui dépend, quant à lui, du calcul de proportionnalité. Ce pourcentage minimum de voix nécessaires pour espérer obtenir un seul siège varie de 7% des suffrages dans la circonscription d'île de France, à plus de 9% dans celle du Massif central-Centre !

Pour exemple : dans le Massif central-Centre, lors des dernières européennes en 2004, la dernière liste a avoir obtenu un unique siège avait reçu 9,96 % des suffrages exprimés. Sur les 18 listes présentées, seules trois ont obtenu des sièges ! Or, aux présidentielles, les résultats obtenus par les candidats dispersés, défendant le non au TCE, sont, à gauche, de 4,1 % pour la LCR, 1,9% pour le PCF, 1,3% pour José Bové et LO et 0,3% pour M. Schivardi. Les conclusions sont implacables : aucune des formations politiques défendant l'Europe sociale n'est en mesure d'obtenir le moindre siège aux prochaines européennes si la dispersion est encore de mise.


Que les candidats représentant le non de gauche fassent ce rapide calcul : ils s'apercevront très vite que désunis, ils n'ont aucune chance. Tout le monde sera perdant, alors que rassemblés au sein de listes communes, 31,3 % des suffrages correspond à un minimum de 24 sièges de députés sur les 78 auxquels la France a droit.

Notre appel n'est pas un énième appel à la recomposition des partis politiques de gauche. Sa finalité est beaucoup plus modeste : il s'agit d'un appel à représenter l'Europe sociale dans les instances européennes. Comme toute force d'opinion, nous avons le droit d'être représentés au niveau européen ! Nous appelons solennellement toutes les forces politiques qui, en mai 2005, ont dit non au TCE et oui à l'Europe sociale de constituer dès à présent des listes communes que nous pourrons défendre comme nous l'avons fait lors que la campagne de 2005.


Nous demandons la formation d'un front unitaire entre toutes les tendances politiques qui ont mené conjointement la grande campagne populaire face au TCE et aux défenseurs de l'Europe Libérale. Le peuple du non de gauche ne peut accepter l'idée qu'il ne sera pas représenté au prochain parlement européen alors que le non au TCE l'a emporté et que ce non était majoritairement un non de gauche !

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19 juillet 2008 6 19 /07 /juillet /2008 03:36
Référendum en Irlande - Le "non" passe en tête. Et alors ?

L’Union européenne   la soumettre ou la démettre

 Christophe Ventura (Politis, 3-9 juillet 2008, n 1009)

 

L’Union européenne  UE)  persiste  et  signe.  Elle  se  fera  contre  les  peuples.  Et  désormais,  sa stratégie à moyen terme est fixée. Si le traité « n’entrera pas en vigueur au 1er  janvier 2009 », Nicolas  Sarkozy1 a  néanmoins  dévoilé,  vendredi  20  juin,  les  réponses  de  l’UE  au  « Non » irlandais.

Non renégociation, contre l’avis écrasant des électeurs du « Non » en Irlande, du traité - « une renégociation du traité est exclue. On ne va pas refaire un traité simplifié bis  …). Le traité de Lisbonne existe.» - et poursuite du processus de ratification dans tous les Etats membres dans le cadre du calendrier initial  avant juin 2009). 

 

C’est dans ce cadre, juridiquement irrégulier et politiquement sourd à toute intrusion réelle de la voix des peuples dans la construction européenne, que Nicolas Sarkozy a affirmé, les yeux dans les yeux, que « le Non irlandais est une réalité politique qu’il faut respecter ».  La  voix  des  élites  a  parlé.  Dans  un  contexte   toutes  les  études  de  sciences  sociales  et politiques  dévoilent  que  les  peuples  européens    -  en  particulier  leurs  classes  populaires  -, « acceptent »  la  construction  européenne  plus  qu’ils  n’y  « adhèrent »,  le  vote  du  12  juin indique,  malgré  plusieurs  facteurs  spécifiques,  un tronc  commun avec  le  « Non » français  et néerlandais de 2005. 

 

On  peut  au  moins  identifier  deux  éléments  partagés.  Tout  d’abord,  l’Union  européenne  est assimilée  à  une  machine  infernale  dont  la  fonction  est  la  destruction  des  modèles  sociaux nationaux  et  leur  mise  en  concurrence.  Peut-être  plus  que  la  conscience  d’un  engagement contre  un  modèle  -  le  néolibéralisme  en  tant  que  tel  -,  les  votes  indiquent  une  aspiration  à défendre des droits dans des situations vécues et concrètes.

D’autre  part,  ce  phénomène  se  conjugue  à  l’attachement  à  l’appartenance  nationale,  ce  qui explique, dans le champ politique, le poids, dans les secteurs progressistes et conservateurs  y compris nationalistes), des formations et des courants qui défendent, à travers des conceptions très opposées, les principes de souveraineté.

 

Comment, dans ces conditions, et sur la base d’une recherche de construction d’alliances avec les peuples, faire de l’Europe un véritable « partenariat entre les Etats et les peuples »2  dont la  vie  démocratique  se  déroule,  encore,  dans  le  cadre  stato-national ?  Comment  soumettre l’Union européenne, avant de la démettre si sa remise à plat s’avère impossible ?

 

C’est aujourd’hui cette question qu’il nous faut poser et formuler - dans son intégralité - dans le débat public avec lucidité et responsabilité. Un nouveau débat émerge au sein des fronts qui ont  constitué,  en France  comme  ailleurs,  les coalitions  du « Non » aux traités  de  cette  Union européenne  anti-démocratique  et  anti-sociale.  Processus  constituant  au  niveau  des  27  avec élection d’une assemblée européenne spécifique - ou mandat donné au Parlement européen en 2009  -  et  référendum  dans  tous  les  pays ?  Organisation  par  l’ensemble  des  Parlements nationaux de grands débats nationaux sur un nouveau texte fondateur ? Solutions combinées ? 

Quels  objectifs ?  Construction  d’une  Europe  sociale  et  démocratique  dans  le  cadre  des « libertés fondamentales »  c’est-à-dire néolibérales) des traités et du marché unique européen ?  Construction de  nouveaux espaces  de  coopération entre  pays,  travaillant  à  leur  unité,  dans une Europe à géométrie variable et sans suprématie des règles du marché unique ?

 

Que  ce  débat  soit  mené  sans  restrictions,  dans  les  associations,  syndicats,  et  partis.  Ces derniers  affronteront  de  nouveaux  les  électeurs  en  2009,  puis  en  2012.  Mère  de  toutes  les batailles, la question européenne continuera désormais de surplomber toutes les autres. Ainsi, le nécessaire développement de mobilisations sociales à l’échelle nationale et européenne doit nourrir  la  construction,  dans  nos  cadres  nationaux,  d’une  gauche  radicale  de  gouvernement3 capable d’assumer le dépassement de l’Europe réellement existante.

 

Qu’il  soit  permis  à  l’auteur  d’indiquer  une  intuition. Une  autre  Europe  possible  ne  pourra  se construire  dans  le  cadre  juridique  et  politique  de  l’Union  européenne.  C’est  à  une Confédération  des  Etats  d’Europe  qu’il  faut  s’atteler  avec  le  maximum  de  politiques communes, le cas échéant dans des configurations à géométrie variable.

 

 

1

Les citations de Nicolas Sar ozy sont tirées de la conférence de presse que le chef de l’Etat, en sa qualité de président en exercice du Conseil européen, a donné à la fin de la réunion du Conseil à Bruxelles : http://www.elysee.fr/webtv/index.php?intChannelId=13&intVideoId=609

2

 Expression de Mary Lou McDonald, députée européenne irlandaise et membre du Sinn Féin  composante de la coalition du « Non ») dans L’Humanité dimanche, n°116, 19-25 juin 2008.

3

L’association Mémoire des luttes et la revue internationale Utopie critique travaillent à l’élaboration d’un Manifeste pour un socialisme du 21è siècle  http://www.medelu.org/ et http://utopie-critique.fr).

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18 juillet 2008 5 18 /07 /juillet /2008 03:46
Afrique : le rapport de Christiane Taubira embarrasse l'Elysée

Par Ludovic Lamant

Mediapart.fr

 

 

C'est un rapport que Nicolas Sarkozy regrette sans doute déjà d'avoir commandé. Dès le départ, la mission confiée à Christiane Taubira en avril dernier semblait périlleuse : définir la position française à l'égard des négociations de libre-échange menées depuis plus de cinq ans, dans un climat électrique, entre la Commission européenne et les 76 pays dits ACP, ces anciennes colonies pour la plupart, d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui comptent parmi les Etats les plus pauvres au monde.

 

Remis en toute discrétion le 15 juin au soir à l'Elysée, dans une première version électronique, le rapport sur ces très controversés Accords de partenariat économique (APE) n'a toujours pas obtenu le feu vert présidentiel en vue d'une publication. L'exécutif aurait demandé à la députée de Guyane de revoir sa copie. Pour l'instant, en vain. Contacté à maintes reprises par Mediapart, l'Elysée reste silencieux. Alors que la France s'apprête à prendre les rênes de l'Union européenne pour six mois, l'affaire pourrait prendre de l'ampleur.

 

 

En vert, les pays membres de l'Union européenne. En orange, les pays ACP signataires des Accords de Cotonou.
En jaune, les non-signataires. Source : La Documentation française, 2007.

 

Que dit ce document de 191 pages, téléchargeable en intégralité ici, malicieusement sous-titré «Et si la politique se mêlait enfin des affaires du monde» ? D'une tonalité plus politique que technique, il opère de fait un virage marqué de la position française, reprenant à son compte bon nombre de critiques et d'exigences des ONG qui, du coup, se frottent les mains.

 

En vrac, Christiane Taubira propose de redéfinir intégralement le mandat confié à la Commission dans le cadre de ces négociations, de placer le développement au cœur des APE, de revoir le calendrier et l'ampleur des secteurs en passe d'être libéralisés et même, au passage, d'annuler la dette extérieure des pays les plus pauvres. Bref, l'ancienne candidate à l'élection présidentielle pour le Parti radical de gauche, à grand renfort de citations, ici d'Amartya Sen, là de Victor Hugo, propose ni plus ni moins qu'un grand chambardement.

 

De Lomé à Cotonou

 

Pour comprendre le rapport Taubira, il faut remonter à Cotonou. Signés en juin 2000, ces accords de partenariat marquent une rupture en matière de partenariat entre l'Union et les ACP. Auparavant, les conventions de Lomé défendaient un principe simple : puisque les deux zones, l'une au Nord, l'autre au Sud, n'en sont pas au même stade de développement, elles ne peuvent avoir les mêmes obligations économiques.

 

Ce système de «préférences non réciproques» a permis à de nombreux produits venus des ACP d'entrer sur le marché européen avec des droits de douane bien plus faibles que ceux acquittés par d'autres pays en développement. Permettant, par exemple, aux bananes du Cameroun de faire jeu égal, sur les marchés européens, avec celles d'Amérique centrale, pourtant beaucoup plus compétitives.

 

Ces façons de faire, c'était prévisible, ont déclenché l'ire de l'OMC. Au fil des ans, au nom de la sacro-sainte concurrence pure et parfaite, l'institution, poussée par de nouveaux géants du Sud comme le Brésil, a défendu une autre approche des choses. Un «système de préférences généralisées» : d'accord pour des régimes tarifaires préférentiels, à condition qu'ils profitent à l'ensemble des pays en développement, ACP ou pas ACP.

 

L'une des raisons d'être des Accords de Cotonou était d'apporter une réponse à la grogne de l'OMC. S'ouvrent donc, en 2002, des négociations entre la Commission européenne et les pays ACP visant à libéraliser davantage leurs économies. Au 31 décembre 2007, date butoir fixée par l'OMC pour régler ce différend, le bilan est pratiquement catastrophique pour l'Union. Sur les 76 pays ACP en discussion, 41 ont opposé un refus catégorique à ces projets.

 

Parmi les 35 autres, la situation est pour le moins contrastée : les 14 pays de la région Caraïbes ont conclu des Accords de partenariat économique «complets», qui concernent l'ensemble de l'économie, des biens aux services, passant par les investissements. Les autres (21), comme la Côte d'Ivoire ou le Nigeria, se sont contentés d'accords intérimaires et limités, à la construction juridique douteuse, signés dans la précipitation des toutes dernières semaines. Pour le moment, rien n'a été définitivement entériné.

UE-ACP : un double désaccord

 

Bruxelles n'a pas démissionné pour autant. Nouveau calendrier avancé : octobre 2009, date de la fin du mandat de l'actuelle Commission Barroso. Exactement comme pour le dossier de la Politique agricole commune (PAC), la présidence française de l'UE, à partir du 1er juillet, intervient donc à un moment crucial.

 

Avec, dans la ligne de mire, le grand raout organisé les 20 et 21 octobre à Paris, consacré aux migrations et au développement. D'ici là, Paris dispose d'une fenêtre d'opportunité pour faire avancer le dossier, et inciter la Commission à plus de souplesse. Seul hic : le rapport Taubira, qui devait préparer le terrain, ne semble pas tout à fait correspondre aux premières volontés de l'exécutif français... La députée, qui avait refusé d'entrer dans le gouvernement Fillon, n'a pas hésité, dans son élan, à s'attaquer à d'autres maux du continent africain, quitte, diront certains, à frôler le «hors sujet» : annulation de la dette, fonds vautours...

 

 

USAID.jpg

 

Repicage du riz au Mali (source : Usaid). Les paysans africains pourraient être les premiers touchés
par une libéralisation très rapide des échanges.

 

Les desseins bruxellois sont à peu près connus. La Commission veut, d'ici un an, des accords «complets» (portant non seulement sur les marchandises, mais aussi sur les biens et services), «régionaux» (au niveau de l'Afrique de l'Ouest, de l'Est, etc.) et «réciproques» (les pays ACP doivent à leur tour accepter de laisser les importations européennes sans droits de douane). D'après l'exécutif européen, les difficultés des derniers mois sont avant tout liées à des problèmes de compréhension et de pédagogie...

 

Pourtant, en l'état, deux désaccords de fond entre Bruxelles et les pays ACP interdisent tout espoir d'avancée. Le premier est affaire de jurisprudence. Conformément à l'article 24 du Gatt, «l'essentiel des échanges» doit être libéralisé «dans un délai raisonnable». Cette exigence extrêmement vague de l'OMC fait l'objet d'une myriade d'interprétations, que la Commission estime avoir tranchées pour de bon. Pour «l'essentiel des échanges», il faut comprendre 90% – ce qui donne un marché européen ouvert à 100% et des marchés ACP ouverts à 80%. Pour le «délai raisonnable», Bruxelles fixe la date butoir à 2020. La plupart des pays africains, évidemment, crient au scandale et rejettent cette interprétation pour le moins partiale.

 

L'autre difficulté est d'ordre budgétaire. Les Etats africains savent que la suppression des revenus douaniers prévue dans le cadre de ces accords de libre-échange entraînerait une forte baisse de leurs entrées budgétaires. «Après suppression des recettes fiscales douanières qui constituent parfois près de 40% des ressources budgétaires des Etats, les APE vont procéder durablement sinon définitivement au désarmement des Etats et à l'institution de leur impuissance en tant que puissance publique», prévient Christiane Taubira dans son rapport.

 

Vers des APE «au service du développement» ?

 

C'est bien là l'inquiétude : si ces APE ne devraient pas changer grand-chose aux équilibres de l'économie européenne, ils pourraient en revanche aggraver un peu plus la situation de nombreux pays africains. Non seulement parce que leurs recettes budgétaires diminueront fortement, mais aussi parce que les producteurs locaux, exposés à de nouveaux concurrents, pourraient être rapidement évincés du marché...

 

D'autant que, comme le rappelle Christiane Taubira, les obstacles au libre accès des produits africains en Europe n'auront pas tout à fait disparu dans les faits : «Les barrières non tarifaires, telles que les normes sanitaires, phytosanitaires et autre standards sur lesquels les ACP n'ont ni moyens ni pouvoirs de contrôle, faute de laboratoires agréés par l'Union européenne, constituent des remparts bien plus efficaces que les tarifs douaniers.»

 

Face à ces profonds désaccords, que prône le rapport Taubira ? Au-delà d'une quinzaine de préconisations, dont l'avenir est loin d'être assuré (lire sous notre onglet Prolonger), la députée revient longuement sur les ambiguïtés des APE et la difficile cohabitation entre logiques économiques et politiques de développement.

 

 

USAID.jpg

Dans une coopérative en Guinée (Source Usaid).

 

Au fil des ans, afin d'arrondir les angles, le commissaire européen au Développement Louis Michel s'est en effet impliqué dans le projet. Les APE sont ainsi devenus des accords de partenariat économiques «au service du développement», sans doute pour mieux faire passer la pilule auprès des populations africaines. Mais le changement est, pour l'heure, purement rhétorique, tant Peter Mandelson, commissaire au Commerce, continue de dominer les débats. Catégorique, il persiste depuis des mois : «Il s'agit d'accords de commerce, pas du volet commerce dans des Accords.»

 

L'avis de Taubira : «Il convient donc, à l'échelon politique, de dire clairement si les APE s'inscrivent dans l'Accord de Cotonou, si l'Accord de Cotonou reste l'engagement réciproque de l'Union européenne et des pays ACP, ou s'il s'agit (...) d'abandonner le développement comme un dangereux mirage et d'inviter les pays ACP à se jeter dans la grande kermesse du libre commerce.»

 

C'est à coup sûr le premier mérite du rapport Taubira : relancer ce débat autour du développement et de la coopération économique envers l'Afrique, à la veille de six mois de présidence française de l'Union.

 



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5 juillet 2008 6 05 /07 /juillet /2008 03:55

L’effondrement de la social-démocratie

et la question de l’Alternative. (1)

 par Philippe Zarifian

 

Introduction

    Nous vivons, depuis plus d’un quart de siècle, un véritable effondrement de la social-démocratie en Europe, non seulement en tant que doctrine politique, corps d’idées, mais aussi réformes institutionnelles, réalisations pratiques,  projet et pratique de gouvernement.

    Le début de cet effondrement date, approximativement, du milieu des années 70, lorsque la période dite des Trente Glorieuses (1945 – 1975) s’est définitivement close. Au départ, il s’est agi davantage d’un affaiblissement que d’un effondrement. Mais à partir du début des années 80 (sous la présidence de François Mitterrand et un gouvernement à majorité socialiste en France), se met en marche un véritable effondrement, qui, actuellement, sous la présidence de Sarkozy, s’achève. Nous vivons, en direct, les derniers soubresauts de cette social-démocratie, sous ses différentes formes, qui affectent toute la gauche française, LO et LCR comprises.

    Pour comprendre ce qui se passe et voir en parallèle, l’émergence, encore largement souterraine, mais forte d’une nouvelle pensée et pratique politique, de nouvelles aspiration, que l’on peut réunir sous le thème de l’Alternative (révolutionnaire), il faut faire un détour historique.

 

La création de la matrice social-démocrate.

    C’est incontestablement la naissance de la social-démocratie allemande, à la fin du 19e siècle, qui va servir de matrice commune, aux courants « révolutionnaires de gauche », qui vont, ultérieurement se scinder entre un courant qui maintiendra une rhétorique et des aspirations se réclamant d’une révolution (PCF et la majorité des courants trotskistes) et un courant qui deviendra officiellement réformiste, tout en se réclamant du socialisme (SFIO, puis PS, avec le cas particulier du PSU).

    Dès le programme d’Erfurt, en 1891, programme fondateur de la social-démocratie allemande, après celui de  Gotha, l’essentiel est dit. A cette époque, il faut le rappeler, la social-démocratie est clairement anticapitaliste et révolutionnaire. Elle met en avant l’antagonisme entre exploiteurs et exploités, dénonce une aggravation incessante de la situation du prolétariat (et plus largement des « non-possédants »), prône une prise de pouvoir politique, met en avant le thème de la propriété sociale des moyens de production, identifiées à la propriété du peuple, exercée par le peuple. Elle prône l’internationalisme. Elle affirme combattre « non seulement l’exploitation et l’oppression des travailleurs salariés, mais toute espèce d’exploitation et d’oppression qu’elle soit dirigée contre une classe, un parti, un sexe ou une race » (programme d’Erfurt).

    Si, aujourd’hui, on fait une comparaison, à la fois sur le fond des idées et sur le langage utilisé, entre la récente contribution de la LCR à la réunion des 28 et 29 juin 2008 et le programme d’Erfurt de 1891, on ne peut être que frappé par la proximité entre ces deux textes. Tout se passe comme si la LCR était, en France, l’expression restée la plus authentique de cette social-démocratie, née en Allemagne il y a plus d’un siècle (mis à part un féminisme plus affirmé qu’il ne l’était à l’époque et quelques références à la question écologique). C’est aussi bien vrai d’ailleurs pour le programme revendicatif immédiat que réclame la social-démocratie de l’époque et qui n’est pas éloigné des « revendications » que portent actuellement la LCR. Personnellement, je prends avec un certain humour, le titre du texte actuel proposé par la LCR : « Pour un anticapitalisme et un socialisme du XXI° siècle ». Il aurait été plus exacte de dire : « Pour un socialisme du XX° siècle » (remarquons qu’aussi bien dans le programme d’Erfurt que dans le texte de la LCR, la question du communisme est totalement écartée, ce qui est en soi une prise de position majeure).

 

    Mais il nous faut reconsidérer, en une analyse rapide, toute la trajectoire, sans nous fixer, bien entendu, sur le cas de la LCR.

    Le programme de Gotha et celui d’Erfurt ont fait l’objet d’une critique acerbe et directe de la part de Marx et d’Engels, qui reste toujours importante à connaître. En particulier la remarquable critique que réalise Marx du programme de Gotha.

    Il est bon d’indiquer que Marx a toujours été opposé à une quelconque politique social-démocrate, même accompagnée d’une phraséologie révolutionnaire et ceci pour des raisons de fond. Marx, en réalité, dans tous ses textes politiques, a soutenu des initiatives, voire des insurrections, qui étaient révolutionnaires dans leur mouvement même, qui abolissaient, en pratique, l’ « ancien ordre des choses », selon son expression. C’est probablement dans ses lettres adressées aux Communards (réunies dans le recueil : La guerre civile en France), que l’on perçoit le mieux la conception qu’il a de l’action et du projet politiques. La pensée de Marx y est très proche de la pensée anarchiste et il est certain que Marx (à la différence de Engels) s’est senti beaucoup plus proche du courant anarchiste et libertaire que de la social-démocratie. C’est une évidence qu’il est bon de rappeler, tant la pensée propre de Marx est actuellement méconnue et caricaturée.

 

    Le cheminement de la social-démocratie va emprunter différentes voies, selon les pays.

    En Allemagne, après l’écrasement sanglant d’une véritable insurrection révolutionnaire en 1919 et, bien entendu, l’arrivée au pouvoir d’Hitler et la chasse aux communistes et aux socialistes qui s’en est suivie, il faudra attendre l’après-guerre mondiale pour que commence à se constituer un « grand » (numériquement parlant et en terme d’influence) parti social-démocrate.

En France, lors du Congrès de Tours de 1920, congrès de fondation du Parti Communiste, deux courants s’affrontent, qui prendront ensuite, après le départ de la minorité la forme d’un affrontement (avec des périodes d’alliances) entre communistes et socialistes. Mais le mot « communiste » ne doit pas faire illusion. Ici, comme ailleurs, il ne faut pas se fier aux effets d’affichage. Lorsqu’on étudie le compte rendu intégral du congrès de Tours, on y voit certes l’influence directe de la révolution soviétique – nous sommes en 1920 et sont présents au Congrès des délégués qui avaient été envoyés à Moscou – et du clivage que la référence à cette révolution provoque, mais on voit vite que cette référence reste superficielle[1][1]. Jamais, dans le PCF, une véritable réflexion et pratique sur la question du communisme et le rôle des soviets n’ont été constituées, contrairement au cas de l’Italie avec les conseils ouvriers d’usines et contrairement à la tentative allemande de 1919, animée par Rosa Luxembourg (qui y laissera, comme bien d’autres, sa vie). D’entrée de jeu, quitte à choquer par cette affirmation, le PCF se constitue sur un terreau et autour d’une idéologie pratique qui sont clairement sociale-démocrates.

    Et voici bien le grand paradoxe, qu’on a rarement eu le courage d’énoncer. Dans le cas français, le véritable parti social-démocrate sera le PCF : c’est déjà vrai lors du Front Populaire. Cela sera évident avec sa forte contribution à l’élaboration du programme du CNR (programme de la résistance) et, bien entendu, son influence sur toutes les grandes réformes institutionnelles réalisées dans l’immédiat après-guerre. Une fois passé dans l’opposition – en partie pour cause de guerre froide – le caractère social-démocrate de la pensée, du projet, des revendications du PCF ne cessera de s’affirmer, la question du communisme et du rôle des conseils ouvriers disparaissant totalement, à la fois des prises de position du PCF et de la culture des militants. Très vite, le PCF s’est affirmé, dans les prises de positions pratiques, y compris dans ses courts passages au gouvernement, comme un parti clairement réformiste, seule restant une certaine phraséologie (avec, soit dit en passant, une disparition complète de la culture marxiste, non seulement pour les militants de base mais aussi pour les dirigeants). La question de la révolution a disparu dans la pratique et le programme de « réformes » présentées et défendues par le PCF depuis  nombre d’années, est typiquement social-démocrate (adossé, comme en Allemagne ou en Suède, aux revendications syndicales). Plus encore : le PCF deviendra, selon une tendance déjà clairement présente chez Maurice Thorez dans les années 30 (on peut renvoyer à la publication de ses œuvres en trois volumes), un parti ouvertement nationaliste. L’influence de Moscou, qui ira en s’atténuant, ne doit pas masquer le fond profondément nationaliste de l’idéologie de ce parti (qui avait une signification pratique positive pendant la Résistance : on résistait à l’occupant).

    Le paradoxe est donc que la pensée et la politique sociale-démocrates seront incarnées par un parti dit « communiste » (alors que du communisme, il n’en est plus question depuis longtemps, mis à part chez quelques intellectuels comme Lucien Sève), alors que le parti socialiste, quant à lui, ne sera jamais social-démocrate.

Dans sa version SFIO, mais surtout depuis sa transformation en parti socialiste, le PS s’est affirmé de fait comme « social-libéral » ou plutôt comme « social-opportuniste », au sens rigoureux de ce terme. A la différence du projet social-démocrate du PCF – assez sophistiqué dans ses justifications théoriques, avant son actuel effondrement – le PS n’élaborera aucun projet politique digne de ce nom, avec aucun soubassement théorique. Il ne cessera de surfer sur les opportunités et les changements du système capitaliste lui-même, en y ajoutant une dose de « justice sociale ».

    Si nous prenons l’exemple du programme commun de gouvernement (à l’élaboration duquel j’ai participé, pendant la courte période où j’ai été membre du PCF), on voit que tout le côté étatiste social-démocrate, dont le programme de nationalisation et l’importance donnée à la planification, est porté par le PCF, le PS ne s’y ralliant que contraint et forcé par la nécessité de passer alliance. L’année 1981 sera l’épreuve de réalité : tout ce qu’il y avait encore de social-démocrate dans la politique du gouvernement Maurois, sera abandonné en 1982, année qui présente le grand et définitif tournant du PS vers qu’on appelle aujourd’hui le social-libéralisme.

 

    Il est important de comprendre la différence concernant la France d’un côté, l’Allemagne et la Suède de l’autre.

    Si l’on se pose la question : qu’est-ce donc qu’une politique social-démocrate ?, la réponse est simple : c’est ce qui a été conçu et appliqué en Suède pendant plusieurs décennies et avec un fort soutien populaire. Ce ne sont pas des mots sur un morceau de papier : ce sont des réalités tangibles et d’importantes réformes institutionnelles.

Encore aujourd’hui, la Suède est sans doute le pays le plus avancé au monde en termes de droits sociaux et de sécurité sociale, au sens large du terme, de réduction des inégalités, de droits pour les femmes, et même de pacifisme. L’État s’appuie sur un solide mouvement syndicale et de solides associations, qui « intègrent »  pour partie les aspirations et revendications des citoyens dans les mesures décidées (de l’Etat central jusqu’à l’équivalent de la commune et, bien sûr, dans l’entreprise). Mais personne n’a jamais eu l’idée saugrenue de considérer que la Suède était un pays socialiste et moins encore communiste !

    Cette longue période de gouvernement social-démocrate en Suède n’a laissé aucune place pour l’influence d’un  parti communiste (sinon comme « œil de Moscou »), ni pour ce qui les accompagne en général : une « extrême gauche » radicalisée, mais semblable au parti communiste dans ses revendications principales et sa vision de la société.

Cela n’empêche pas la social-démocratie suédoise d’être entrée aujourd’hui dans une phase, elle-aussi, d’effondrement, avec un alignement progressif sur les nouvelles caractéristiques du capitalisme mondialisé.

    L’Allemagne est un cas plus intermédiaire. La social-démocratie, comme mouvement politique et syndicale (et régionale) s’y est largement développé, mais avec une expérience pratique gouvernementale nettement moins avancée qu’en Suède. Là aussi, elle a étouffé l’existence d’un parti communiste influent, cassé, il est vrai, dès l’origine par l’écrasement sanglant de 1919 et la longue période de répression et de chasse aux communistes que l’Allemagne a connue. Là aussi, nous sommes actuellement entrés dans une période de décomposition de cette social-démocratie. La récente création de la Gauche, nouveau parti issu d’une fusion entre la gauche du SPD et l’ex-parti communiste de l’Allemagne de l’Est ne doit pas faire illusion : c’est comme si on tentait de faire revivre une social-démocratie radicale, dans sa rhétorique, mais tout aussi arriérée et passéiste que le sont devenus les partis communistes des autres pays européens. Seul le contexte propre à l’Allemagne (l’effondrement d’un vrai parti social-démocrate influent sur la politique gouvernementale pendant une longue période, ce que le PCF n’a jamais représenté en France) permet à ce nouveau parti de se forger une certaine place sur la scène politique et un semblant de virginité. Tout ceci sent le passé à pleines narines !

 

    La crise que connaissent les social-démocraties partout dans le monde me semble définitive. Je l’ai dit : c’est à un effondrement durable qu’on assiste.

    Il y a de multiples raisons à cela :

-         elles ont fait leur œuvre. Personne ne peut nier qu’elles ont apporté des progrès, mais uniquement pour les travailleurs des pays où elles étaient puissantes. Toutes, en réalité, ont occupé des positions nationalistes (et, dans le cas du PCF français, franchement chauvine, voire raciste : rappelons nous du « produisons français » et des pratiques racistes de certaines municipalités PCF).  Toutes ont bénéficié, même si elles n’y étaient pas politiquement engagées, du colonialisme, puis du néo-colonialisme, donc du « pillage » du Tiers Monde. Toutes ont pratiqué l’ambiguïté, voire pire, vis-à-vis de l’immigration et du métissage. L’idéal du bon socio-démocrate est un travailleur (ou travailleuse, construite à l’image « égalitaire » de l’homme, comme c’est le cas en Suède), blanc, national, pacifique, vivant une vie confortable, très matérialiste, au sens courant de ce terme, mais vivant aussi dans une société étouffante et très étatisée (en intégrant dans l’Etat l’omniprésence des relais syndicaux et municipaux) et sans idéal, avec une tendance assez marquée… à un état personnel dépressif et au suicide. Il suffit de regarder le cinéma suédois pour s’en imprégner !

-         Après avoir fait œuvre et engendré une mélancolie de masse (mélancolie est le terme exact pour parler d’un état dépressif), ces social-démocraties, à l’heure actuelle, soit gèrent au gouvernement, soit subissent, dans l’opposition, une destruction progressive de tous les acquis institutionnel de l’Etat Social keynésien (de l’Etat Providence) et la fin progressive de toutes les entreprises publiques ou situées en cogestion (soit du fait de leur privatisation, soit à cause de leur alignement sur une gestion capitaliste pure et simple, en général ouverte sur la mondialisation). La seule touche originale est que la social-démocratie est, par tradition et à cause de son ancrage syndical, assez réticente vis-à-vis de la financiarisation ; donc les entreprises qu’elle influence, tentent de rester à l’écart de ce mouvement. Mais c’est et ce sera de moins en moins vrai : dès que ces entreprises sont introduites en bourse, le capital de placement financier mondialisé y prend place, comme en France (rappelons au passage que la majorité des grandes entreprises « françaises » sont passées sous contrôle d’investisseurs anglo-saxons).

-         Bien entendu, là comme ailleurs, la situation sociale des « travailleurs » (terme typique de la social-démocratie historique) se dégradent, les acquis de la protection sociale se dégradent eux-aussi et l’attachement des « travailleurs » (et chômeurs) aux partis et aux politiques sociale-démocrates fond comme neige au soleil. Cette déception et dégradation laissent une certaine place pour une version radicalisée (et nostalgique, quant à ses positions de fond) de petits partis sociaux démocrates, comme la LCR en France ou la Gauche en Allemagne.

-         Mais la cause la plus profonde de cet effondrement réside, bien entendu, dans le changement de période du capitalisme. Après une étape de flottement durant les années 70 (marquée par diverses crises nouvelles : hausse brutale du prix du pétrole, décomposition du système monétaire international de l’après guerre, baisse du taux de profit moyen, adaptation à la décolonisation, première montée des déficits publics, etc.), le capitalisme entre dans une réelle nouvelle période à partir du début des années 80 (le tournant se prend en France à partir de 1982). Nous connaissons tous ses caractéristiques, mais il est bon de les lister :

o       Création de firmes directement mondialisées, dans leur stratégie comme dans leur localisation et relocalisations incessantes,

o       Concurrence oligopolistique à ce niveau, avec une vague ininterrompue de rachats, regroupements, démantèlements, fusions….

o       Création et domination d’un capital de placements financier presque totalement liquide et mobile, qui fonctionne sur une seule bourse mondiale (avec, il est vrai, des variations selon les régions du monde et les places financières). Ce capital de placement agit triplement : comme spéculateur, comme prenant le contrôle de grandes firmes productives, et comme apte à drainer l’épargne de centaines de millions de personnes (à travers les systèmes de retraites, d’assurance vie, de placement en bourse, de crédit, etc.)

o       Vaste mouvement de repartage de la « valeur ajoutée » au bénéfice des profits et au détriment, à la fois de la rémunération salariale et des impôts sur les sociétés, mouvement amorcé fortement au milieu des années 80 (la rupture en France se situe vers 1984) et qui perdure aujourd’hui, aggravé par une reprise de l’inflation,

o       Entrée – par entrée d’un capital privé ou privatisation d’une entreprise publique – du capitalisme « pur et dur » dans les secteurs des grandes fonctions de services qui étaient, dans la politique social-démocrate, propriété d’Etat, donc « publics ». La soit disant montée du « libéralisme » n’est pas autre chose que l’entrée de ces secteurs auparavant étatisés dans l’espace mondialisé de la valorisation du capital des grandes firmes monopolistes (qu’elles soient de statut public ou privé, peu importe sur le fond), et donc un nouveau territoire ouvert à la concurrence oligopolistique.

o       Enfin, retrait des États vis-à-vis d’une intervention économique directe et vaste repositionnement, à la fois sur un régime sécuritaire (coûteux) en interne, comme en politique étrangère, régime du à l’inévitable montée des tensions sociales et politiques de la part de la grande majorité des habitants du globe, qui subissent les dégradations dues à l’entrée dans cette nouvelle période, et sur la création d’un « filet » récupérateur au plan social – selon le principe d’un minimum commun de bas niveau et d’une sélectivité individuelle culpabilisante dans l’accès à ce qui reste des droits sociaux qu’avait créés la social-démocratie).

 

    En clair, l’effondrement de la social démocratie vient à la fois d’une usure et d’une perte de crédit vis-à-vis de ses soutiens populaires (une partie des acquis sociaux des sociales démocraties ayant résulté de vraies mobilisations populaires, menées en leur temps, d’où le terme, assez exacte, de « conquêtes sociales »), d’une rébellion, latente ou ouverte, contre la bureaucratisation étatique et l’étouffement de la liberté qui en résultait, et, peut être surtout, de son caractère totalement dépassé vis-à-vis de l’entrée dans une nouvelle période du capitalisme.

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5 juillet 2008 6 05 /07 /juillet /2008 03:50


L’effondrement de la social-démocratie

et la question de l’Alternative. (2)

 par Philippe Zarifian


 

 

La création d’une idéologie et de propositions politiques réactives.

    Que cet effondrement des régimes et des institutions sociales démocrates pose problème, et en premier lieu aux « travailleurs, aux précaires et aux chômeurs », qui ont constitué la base sociale de soutien populaire à ces régimes, c’est l’évidence même. Strictement personne ne peut voir ses droits sociaux, sa sécurité sociale pour lui-même et sa famille et son niveau de vie régresser sans vouloir réagir.

    Mais nous sommes à un tournant et face à des choix politiques difficiles, mais clairs à effectuer.

    Si je laisse de côté les différentes versions, de droite ou de gauche ou du centre d’accompagnement de l’actuelle transformation du capitalisme, transformation qui, qu’elle soit politiquement conduite par le PS, par Sarkozy, par Bayrou ou par d’autres, ne peut que dégrader les conditions du vivre de la majorité de la population en France (et dans le monde), il n’y a en réalité que deux voies. Croire qu’on puisse éviter le choix entre l’une de ces deux voix est à mon avis une illusion. La dernière campagne présidentielle l’a montré.

    La première voie est logique : elle vise à prolonger ou refaire vivre la social-démocratie.

    C’est une orientation nostalgique, passéiste, mais parfaitement compréhensible. On sait immédiatement pour quoi on se bat et ce n’est pas un hasard si ceux qui proposent cette voie utilisent :

-         une position réactive, une position « anti » : antilibéralisme, anticapitalisme, anti-privatisation et tous les « anti » que l’on peut poser sur des situations concrètes qui se dégradent, mais avec une pensée politique et des référents du passé et strictement aucune chance d’un succès un tant soit peu durable. Le fait que de nouveaux thèmes majeurs aient surgi dans le domaine politique et deviennent incontournables – je pense bien entendu à l’écologie – ne change pas la posture. Il existe une posture social-démocrate face à la question écologique et elle possède un nom : le développement durable (ou soutenable). Elle emprunte les mêmes formes d’exercice du pouvoir que celles que l’Etat Providence avait instauré et peut susciter les mêmes (formellement parlant) mouvements de revendications. Que l’on puisse d’ailleurs parler de « revendications » en matière écologique est la preuve de cette reproduction à l’identique d’une posture passée, au moment où elle entre en échec durable.

Sans vouloir être inutilement polémique, je dois dire que la dernière phrase du texte de la LCR en vue de la réunion des 28 et 29 juin est un véritable chef d’œuvre :

« Unis autour de la nécessité de défendre un plan d’action anticapitaliste intégrant revendications sociales, démocratiques, féministes, écologiques, antiracistes et anti-impérialistes, nous pouvons construire ensemble un nouveau parti ».

Sans commentaires !

-         et une déformation de ce qu’ont été réellement les Trente Glorieuses.

Sans contester les apports, dans le cas français, de la sécurité sociale, de la hausse régulière des salaires, des entreprises publiques, d’un niveau élevé d’emploi, etc., il faut malgré tout indiquer les faces sombres de cette période.

D’abord, et ce n’est pas rien, la question première de ce que Marx appelait le communisme, et qu’on peut appeler l’Alternative aujourd’hui a été, pendant cette période, refoulée et enterrée, au point d’en faire disparaître, non pas la nécessité et l’aspiration profonde (ce qui est impossible), mais l’idée même, l’idéal. Il s’est produit ce qu’il faut bien appeler un véritable embourgeoisement de la pensée commune « de gauche » (toutes gauches confondues).

Ensuite le prix à payer pour ces « acquis sociaux » a été lourd. Il a pour nom :

o       le développement d’une taylorisation du travail, qui, dans le cas français, a été particulièrement dure et violente, avec, on le sait, un recours massif à l’immigration et à l’exode rurale,

o       une étatisation en profondeur des rapports sociaux, certes autour des institutions d’Etat, mais au-delà, à travers tous les relais locaux, associatifs et thématiques de l’Etat central. Étatisation que l’on appelle pudiquement : institutionnalisation…

o       le maintien ou la pénétration d’un nationalisme assez infecte, qui a pris, dans de nombreux domaines, la forme d’un pur et simple chauvinisme sur le plan idéologique, mais qui, surtout, a installé la référence à « l’étranger » dans un état d’infériorité et de suspicion (l’étranger n’est acceptable que comme travailleur immigré et aussi longtemps que le chômage reste faible). Bref, pour être clair : une posture raciste et d’enfermement sur l’identité française, qui, si elle émerge au grand jour aujourd’hui, a été installée déjà pendant toute la période de l’après-guerre,

o       une vision des femmes comme pures « travailleuses », avec des tentatives jamais abouties d’arriver à l’égalité professionnelle. Bref : des femmes qui ne pouvaient s’émanciper qu’en se masculinisant…

o       Enfin, ne l’oublions pas, une société étouffante, convenue, dogmatique, sans idéal ni horizon, l’équivalent de ce qui a fait sombrer une partie des Suédois dans la mélancolie.

N’oublions pas que Mai 68 a été mené en rébellion contre ce que ces Trente Glorieuses avaient produit (et au moment où elles se poursuivaient).

N’oublions pas que l’essentiel de ce qui a été acquis en matière d’émancipation des femmes, l’a été après cette période : dans  les années 70.

N’oublions que les fameux « services publics » fonctionnaient comme des administrations bureaucratisées, la bureaucratie normative tenant lieu de taylorisme (c’était vrai dans tous les organismes de la sécurité sociale par exemple).

N’oublions pas que les grandes entreprises publics étaient fondées sur un rapport capitaliste (les cheminots, les postiers, etc., étant avant tout des salariés, inscrit dans un rapport salarial, avec pour seul avantage réel la sécurité de l’emploi) et qu’elles se foutaient royalement des usagers (c’est les fonctionnaires de l’Etat qui définissaient ce qu’étaient les besoins de la population en matière de services publics, avec la vision uniformisatrice de tout bon haut fonctionnaire !).

N’oublions pas enfin que des questions majeures de notre époque n’ont jamais été abordées, ont été littéralement étouffées. Je pense à la question écologique bien sûr (pensons seulement à la façon dont la voix de René Dumont a été étouffée), je pense à la question d’un renouvellement profond de la démocratie (pourtant déjà présente dans les débats et pratiques sur l’autogestion, dans l’œuvre de Castoriadis et de bien d’autres), je pense à la question de la misère dans le monde (que, vivant dans une bulle sécurisée, on voulait ignorer en France).

Je pourrais allonger la liste.

 

Cette première voie, faire revivre la social-démocratie – bien représentée par les positions d’Yves Salesse dans la campagne présidentielle et reprise, avec plus de dynamisme, par la direction actuelle de la LCR – conduit non seulement dans une impasse, est fondamentalement réactive et défensive, sans avenir, mais elle nous empêche de réapprendre à penser, à imaginer, à voir tout ce que la social-démocratie a éliminé et ignoré. Elle nous enferme dans toutes les tares de la social-démocratie et surtout : elle nous empêche de nous projeter dans l’avenir. J’ajouterai, et ce n’est pas un mince problème à gauche, que social-démocratie d’un côté, dans une version réactive et donc radicalisée, et social opportunisme de l’autre (ou social libéralisme : peu importe l’étiquette) sont comme les deux faces d’une même pièce. Ils s’entretiennent l’un l’autre. Ils excluent toute pensée et pratiques alternatives. A force de radoter, en montrant du doigt le « ralliement au PS », comme le danger majeur, comme Besancenot ne cesse de le rappeler, on tourne en rond et perd son temps.

 

La question de l’Alternative.

    La seconde voie est celle de l’Alternative, non pas alternative à la gauche ou alternative à gauche, mais alternative au capitalisme. Pour moi, elle a un nom : le communisme. Je n’ai aucune raison, à titre personnel, de ne pas penser avec ce concept, forgé à la fois par certains socialistes utopiques, par Marx et le courant qu’il incarnait et par les anarchistes. Je n’ai aucune raison de nier un héritage et des acquis conceptuels. Mais je sais, comme tout le monde, le discrédit qui s’est abattu sur ce terme. Je parlerai donc d’Alternative, avec d’autant plus de facilité que j’ai participé à la fondation, dans les années 80, de la FGA (Fédération pour une gauche alternative), l’un des tout premiers mouvements politiques à porter ce nom.

Quitte à étonner, je pense que la pensée théorique et politique sur l’Alternative est déjà largement constituée. Elle existe. Il suffit de s’en saisir dans la clarté, donc sans confusion avec la voie de la social-démocratie radicalisée. C’est comme dans une pièce trop encombrée : il faut faire le vide, trouver et retrouver l’essentiel et jeter le reste.

     

    Une pensée politique n’est jamais entièrement nouvelle. Elle se nourrit toujours de pensées élaborées dans le passé.     Néanmoins, il est bon de se dire qu’aucune pensée ne se développe, sans être influencée, voire provoquée, par les mutations et les potentialités qui affectent les conditions concrètes du vivre humain. Il s’agit ici de ce que l’on peut appeler : les émergences, qui engagent, au présent de la réalité vécue, des devenirs possibles. Une pensée politique alternative, c’est d’abord cela : une pensée qui se saisit des tensions et des émergences, celles déjà actuelles que l’on peut distinguer dans la vie réelle, pour les projeter dans le futur.

    Parmi les assertions de Marx, une des meilleures à mon avis, écrite dans l’Idéologie Allemande, est celle-ci :

« Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devrait se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes » (Marx, L’Idéologie allemande, éditions sociales, p. 38).

 

    Pour aller l’essentiel : ce qui condense toutes les émergences porteuses d’une alternative peut être dénommé émancipation humaine et émancipation sociale. Il faut ajouter : émancipation humaine, comme étant au fondement de l’émancipation sociale et comme lui donnant sa véritable portée. Tout tient dans ces deux expressions. Émancipation, c'est-à-dire mouvement qui porte en lui un gain permanent en liberté, tout en abolissant les états actuels d’oppression. L’émancipation est processuelle. On n’est jamais entièrement libre. Et de nouveaux facteurs d’oppression, que nous ne connaissons pas, peuvent apparaître. La liberté en soi est un mot creux, une généralité vide. On le devient, on gagne en liberté en menant une lutte d’émancipation. Il n’existe aucune « fin de l’Histoire ». Il serait tout aussi absurde de faire d’une société communiste une société idéale qui serait constituerait cette fin, que de faire du capitalisme cette fin, comme certains tentent de le présenter aujourd’hui. Toute tentative de se projeter sur une « fin finale » est dogmatique, irréelle et, par elle-même, emprunte de totalitarisme. C’est ce que laisse entendre Marx dans sa critique du programme de Gotha, en montrant que continueront de subsister, dans le socialisme, des inégalités et des facteurs d’oppression et que le programme de Gotha, en idéalisant le socialisme, provoque les pires illusions. C’est pourquoi il est tellement important de raisonner et de parler de manière processuelle, de raisonner sur des développements d’émergences et des tensions, sur des déplacements, en admettant parfaitement qu’il y a de multiples choses que nous ne pouvons pas aujourd’hui connaître, dont nous ne pouvons pas parler, car elles n’ont, pour l’instant, aucune réalité, même émergente. Pour moi, parler de la « liberté » en soi, autrement dit d’un état de complète liberté est une aberration, qui, à sa manière, provoque son contraire : l’oppression par rapport à une utopie sans base concrète, l’enfermement dans cette utopie, à la manière dont des sectes religieuses le pratiquent

Précisons.

    Marx, mais il serait trop long de le démontrer, avait déjà vu que, sur le fond, c’est bel et bien l’émancipation humaine qui se jouait, l’émancipation sociale (par rapport au capital) n’étant qu’un détour et une condition.

L’émancipation humaine est une : elle ne se découpe pas en rondelles. Par contre, elle se joue sur plusieurs terrains à la fois, avec des historicités et des maturités différentes. Un même individu peut avoir progressé sur tel terrain, tout en restant très aliéné sur un autre. Son émancipation ne sera que partielle. Il lui importe de le savoir.

    Les terrains actuels, ceux de notre époque et de notre vie actuelle, nous les connaissons et s’est déjà accumulée une foultitude d’expériences et de réflexions.

    Nommons-les :

-         l’émancipation des femmes,

-         l’émancipation à l’égard de l’oppression capitaliste (qui pousse à revenir sur la question dite de l’autogestion, de l’association d’hommes libres et à redéfinir les finalités de l’activité des entreprises autour de la notion de « service », notion sur laquelle des progrès importants ont été faits ces dernières années),

-         l’émancipation à l’égard de la misère (qui pousse à penser la question du partage, non des richesses, mais des capacités - les « capabilities » pour reprendre l’expression d’Amartya Sen - à assurer pour tout humain les conditions d’une vie décente et digne, le partage des richesses ou des biens ayant déjà amplement montré à quelles impasses dramatiques il menait),

-         l’émancipation à l’égard du temps contraint (que Marx appelait : le développement du temps disponible et de la multi-activité),

-         l’émancipation à l’égard de toutes les formes de pouvoir politique structurellement inégalitaire (qu’on peut qualifier aujourd’hui de déploiement de la démocratie active et d’exercice direct de la citoyenneté),

-         l’émancipation écologique.

 

    Je me limiterai à cette dernière, pour une raison simple : nous avons toutes les raisons de penser qu’elle est fondamentale, puisque s’y joue l’existence humaine elle-même.

Sur la question écologique, on voit immédiatement comment se distingue un point de vue alternatif d’un point de vue social-démocrate revendicatif.

    On peut, comme cela est généralement fait, partir des dégradations dites écologiques et de leur gravité, pour rechercher le coupable. Et le coupable est tout trouver : c’est le capitalisme. On retombe en terrain connu : l’anticapitalisme devient une lutte écologique ! L’émancipation sociale conditionne l’émancipation humaine. La revendication s’installe. Ce n’est pas faux d’un simple point de vue logique : il est vrai que le capitalisme industriel a provoqué une nette augmentation de l’émission de CO2, un gaspillage des ressources, une montée des déchets non dégradables, etc. Mais prendre le problème sous cet aspect, c’est à la fois :

-         afficher, pour des décennies, son impuissance : personne ne peut sérieusement affirmer que nous sommes proches de nous débarrasser du capitalisme, et donc de supprimer ce que l’on croit être la cause dernière des actuelles dégradations. Il s’agit là d’une impuissance proprement insoutenable !!! Car il y a urgence ! Tous les récents rapports scientifiques le montrent (sur l’effet de serre, sur la biodiversité, sur l’accès à l’eau potable, etc.).

-         et prendre la question écologique par la négative.

    Or c’est un chemin très différent qu’une démarche alternative nous pousse à emprunter. La question écologique n’est pas négative, mais positive. S’émanciper, c’est, comme sur tout terrain, partir de l’affirmatif et du positif, et non pas du réactif. C’est se battre à partir de ce point d’ancrage affirmatif, actif (ce que les luttes pour l’émancipation des femmes ont démontré et font dans leur domaine, s’affranchissant au passage du simple égalitarisme social-démocrate).

Le mot « écologie » signifie, en grec, la connaissance de la maison, du lieu où l’on habite. On peut élargir et préciser cette définition en disant que l’écologie désigne les connaissances et les pratiques qui permettent de construire et maintenir un milieu favorable au déploiement d’une vie bonne pour les humains et, de manière plus générale, pour tous les êtres vivants.

    L’éthique de la vie bonne a déjà été définie, en son temps, par Aristote. Bonne pour le corps, bonne pour le psychisme, bonne pour la vie sociale tissée autour de liens d’amitié. Une vie bonne et heureuse, ajoutait Aristote.

    Dans les conditions actuelles, on peut préciser les aspects suivants :

-         dans le rapport homme / nature, il ne faut jamais oublier que l’homme est, pour partie, un être de nature (et pas seulement un être de culture). Il est un être de nature par son corps et l’ensemble des affects qui y sont directement associés. Chacun sait, par expérience, ce que signifie « se sentir bien dans son corps » et en possession de tous ses moyens. L’éthique de la vie bonne, c’est d’abord cela, tout simplement.

-         mais l’éthique de la vie bonne ne concerne pas seulement chacun d’entre nous, personnellement. Elle concerne aussi la vie commune et les conditions globales de vie sur Terre. De ce second point de vue, la préoccupation écologique conduit à penser un milieu naturel et un cadre de vie qui assurent, durablement, aux humains, dans leur globalité, les conditions propices à une vie commune pacifique et heureuse. Le souci écologique ne peut agir que sur les « conditions propices à ». Mais c’est déjà énorme.

    Ces deux aspects soulignent le lien étroit qui existe entre la santé du corps (la vie au sens organique et corporel, en considérant l’humain comme un être de nature) et les valeurs de vie commune d’un point de vue éthique (en considérant l’homme comme un être social).

 

    Prendre l’écologie de manière résolument positive et alternative ne conduit pas à sous-estimer la gravité des problèmes que nous devons affronter. Mais elle modifie fortement la posture politique. C’est en transformant notre manière d’envisager la vie et en luttant pour faire advenir une vie bonne dans ses différents aspects, que l’on peut, sans attendre (et malgré la domination du capitalisme), avancer des prises de position politiques, prendre des initiatives pratiques et agir auprès de l’opinion publique pour attaquer, à la racine, les dégradations que nous subissons, lesquelles altèrent, jusqu’à pouvoir la détruire, notre capacité de vivre.

 

Conclusion

    L’effondrement de la social-démocratie s’opère sous nos yeux. Une des causes en est un changement profond dans le développement, désormais mondialisé, du capitalisme et le basculement dans une politique qui, tout à la fois, favorise le plein développement d’un capital financier prédateur et spéculatif, avec son cortège d’effets négatifs sur les conditions de vie des peuples et engendre un régime, interne et externe, guerrier et sécuritaire. Le sarkozisme en est l’expression en France.

Ce contexte peut conduire à des formes radicalisées de revendications sociale-démocrates, dont la LCR en France veut être, en soutenant la création d’un parti anticapitaliste, le fer de lance. Mais, outre le caractère profondément passéiste, voire archaïque, de ce programme revendicatif, il est d’avance voué à l’échec.

    Nous avons la possibilité de reprendre le flambeau d’une alternative révolutionnaire, renouant avec les analyses et les idéaux des fondateurs des principes du communisme, mais en tenant pleinement compte des caractères de la période actuelle, de ses nouveaux défis, en plaçant au centre, la question écologique, tout en envisageant la pluralité nécessaire des terrains de lutte.

    Une lutte « pour » avant d’être une lutte « contre ». L’élément essentiel de la politique alternative est l’émancipation humaine. C’est à partir d’elle que doit être reconsidérée la nécessaire émancipation sociale.

Nous ne partons pas de rien, loin de là. Les acquis, en termes de réflexion théorique et d’expériences pratiques, sont déjà nombreux. Au stade actuel, il s’agit plutôt de les clarifier et d’en proposer une synthèse. Cela pourrait représenter la partie essentielle d’un nouveau projet politique.

 

Paris, le 13 juin 2008  





[1][1] Il faut le dire et le savoir : l’influence du léninisme, au sens rigoureux de la pensée et de la pratique politiques impulsées par Lénine, a été très faible en France. Toutes les études sérieuses l’attestent. Parler donc d’une matrice « marxiste léniniste » n’est en aucun cas sérieux. C’est de la pure rhétorique. On pourrait par contre parler d’une « stalino social-démocratie », dont George Marchais aura été le modèle !



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4 juillet 2008 5 04 /07 /juillet /2008 03:19

 

Une autre histoire de la présidentielle

Que s’est-il donc passé le 6 mai 2007 ?
Moins d’un an après la nette victoire de M. Nicolas Sarkozy, les Français ont massivement accordé leurs suffrages aux candidats de gauche lors des municipales de mars 2008. Les électeurs seraient-ils versatiles ? Faut-il désespérer de la démocratie ? Une relecture des événements conduisant à la présidentielle de 2007 fait apparaître d’autres éléments d’explication. Ils éclairent les dysfonctionnements d’un système politique à bout de souffle, qui ne sait plus représenter la réalité de la société.
Par Anne-Cécile Robert

« Les municipales ne sont pas le troisième tour de l’élection présidentielle », avertissait le ministre du budget Eric Woerth, dimanche 16 mars 2008, face à des responsables socialistes réjouis par les résultats de leur parti. Quelques semaines auparavant, le 28 février 2008, l’hebdomadaire Marianne publiait un sondage (CSA) un peu inattendu : si l’élection avait lieu aujourd’hui, Mme Ségolène Royal l’emporterait sur M. Nicolas Sarkozy avec 51 % des voix contre 49 %...

Un persistant soupçon d’illégitimité semble, en effet, peser sur le résultat de la présidentielle 2007. Pourtant, la consultation s’est déroulée selon les canons de la démocratie dite « moderne ». Le taux de participation a même été particulièrement élevé, atteignant 84 %, un record depuis vingt ans pour ce type de scrutin ; les émissions de télévision spécialisées ont obtenu des taux d’audience remarquables ; l’augmentation ponctuelle des tirages de la presse écrite a confirmé l’engouement des Français pour la compétition suprême. Alors quoi ?

Evidemment, les partisans des candidats battus, notamment Mme Royal et M. François Bayrou, peuvent se montrer amers. Non seulement leurs champions respectifs ont échoué, mais M. Sarkozy paraît avoir dépassé les frontières de l’acceptable dans le champ politique républicain : propos sur l’origine génétique de la pédophilie, positions sur l’immigration aux limites de la xénophobie (tests ADN), idéologie ultrarépressive assumée, etc. Durant la campagne, les textes les plus alarmistes ne circulaient-ils pas sur Internet, comparant le candidat de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) à... Arturo Ui ?

Les électeurs sont-ils donc devenus fous, incapables de reconnaître le danger qui les guette ? Certains observateurs dénoncent ainsi une « opinion publique émotive et versatile (1) », dangereuse pour elle-même et la collectivité (2).

Comment en est-on arrivé là ? C’est l’histoire d’un système politique à bout de souffle qui ne peut plus que s’autoparodier, sommant des électeurs captifs de choisir entre les candidats du conformisme imposés par les institutions et les grands partis. Car toutes les élections sont régies par un principe simple dont on sous-estime la portée : elles se concluent toujours par la désignation de quelqu’un. Or cette loi s’applique même quand l’« offre » est médiocre. Qu’on imagine un instant un Charles de Gaulle, un Pierre Mendès France ou même un François Mitterrand dans cette compétition. Question d’époque ? Peut-être. Mais le doute ne vient-il pas à l’énoncé de l’interrogation ? Le problème se déplace alors : comment deux personnes manquant autant d’envergure historique que M. Sarkozy et Mme Royal ont-elles pu accéder au second tour d’une présidentielle en France ?

Certes, M. Sarkozy est un habile politicien, aidé par de puissants relais médiatiques, qui sait mettre à profit les évolutions de ce qu’on appelle l’« opinion publique ». Mais tout le monde à droite connaissait les limites du personnage, comme l’a révélé l’ancien ministre François Léotard, évoquant même des comportements un peu inquiétants (3). Les irresponsables seraient-ils alors les responsables de l’UMP, incapables de préserver la nation d’un homme politique paraissant dangereux ? Et il ne s’agit plus ici de simples divergences d’opinion sur l’Alliance atlantique ou la libéralisation de l’économie... M. Sarkozy fut aisément investi par le parti unique de la droite, avec un score « soviétique » (98 %).

« Entre un voyou et une folle »

A gauche, le bilan paraît à peine meilleur, la candidate du Parti socialiste (PS) accumulant les bourdes : dossiers mal maîtrisés, propos inattendus sur les performances de la justice chinoise ou interprétations erronées des obligations de l’Iran au regard du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) (4). A cela s’ajoutaient les rapports conflictuels de Mme Royal avec son parti, qui ne la soutenait pas vraiment et dont, réciproquement, elle ne suivait pas le programme. Elle désavouera d’ailleurs, après la campagne, quelques propositions-phares du PS, comme la hausse du salaire minimum.

Mais, tout aussi absurde qu’il fut, l’affrontement Sarkozy-Royal semblait souhaité et célébré par les taux d’écoute, les sondages, la classe politique, les médias et les observateurs les plus en vue. La plupart des candidats de gauche (Mmes Marie-George Buffet, Arlette Laguiller et Dominique Voynet, M. José Bové) avaient même pris soin de préciser qu’ils se rallieraient à Mme Royal au second tour, effectuant ainsi une sorte de démonstration de leur inutilité électorale. Jean-Marie Colombani, alors directeur du Monde, publia un éditorial, la veille du premier tour, qui qualifiait d’« impératif démocratique » le fait d’assurer l’opposition PS-UMP au second tour, face à un Bayrou menaçant. Et ce malgré les « ambiguïtés », les « déceptions » et les « confusions » (5). Les rumeurs les plus folles circulaient — est-ce un hasard ? —, l’une donnant M. Jean-Marie Le Pen devant M. Bayrou et peut-être Mme Royal. Une pétition signée par des « intellectuels et gens de culture », parue dans Libération, conjurait les électeurs d’« assumer [leur] responsabilité historique (6)  ». En quelque sorte, il fallait « sauver le soldat Royal »...

Le résultat fut logique : les « petits » candidats de gauche obtinrent des scores exceptionnellement bas, M. Sarkozy et Mme Royal furent qualifiés ; M. Bayrou, nettement distancé. La campagne du second tour fut surréaliste, avec un débat télévisé où le niveau des échanges ne dépassa pas celui d’une conférence interministérielle. Les internautes s’amusaient, quant à eux, à relever les erreurs de chiffres et approximations des deux candidats, M. Sarkozy n’étant pas plus précis que Mme Royal. Avant d’aller voter, le 6 mai 2007, un électeur manifestait, avec excès, sa perplexité devant le devoir d’arbitrer « entre un voyou et une folle... ».

Vrai vainqueur du scrutin : le bipartisme. Jusqu’à une période récente, la France était un des rares pays à mettre en compétition quatre grands partis lors de scrutins nationaux. Une anomalie que les observateurs semblaient ne plus vouloir tolérer, fût-ce au prix de l’élection de M. Sarkozy. Car pas de Sarkozy sans Royal ; pas d’UMP sans PS. Ce qui ne veut pas dire que les opinions des uns valent celles des autres, mais que ces partis se cooptent et se légitiment réciproquement, captant, à tour de rôle, la colère des électeurs. A l’intérieur des grandes formations, des minorités politiques, parfois très importantes, rongent leur frein en attendant qu’un espace se libère. Mais le système politique et les accords européens ne sont-ils pas précisément faits pour que cela n’arrive jamais ?

Et, au bout du compte, comment expliquer que des gaullistes « historiques » associés à une certaine vision de l’Etat se retrouvent dans le même parti que des ultralibéraux européistes ? Comment comprendre que des socialistes attachés à une « république sociale » côtoient des adeptes du traité de Lisbonne, c’est-à-dire, aux yeux des premiers, d’une supranationalité marchande ?

Là aussi, les institutions jouent à plein. Si tout ce petit monde reste regroupé, c’est parce qu’il partage l’idée qu’un grand parti fort est nécessaire à la prise du pouvoir. Tant pis si l’unité des formations en question tourne à la cacophonie, comme les congrès du PS en donnent le spectacle ; comme l’illustrent aussi les petites phrases d’un Dominique de Villepin (ancien premier ministre) ou d’un Jean-Louis Debré (président du Conseil constitutionnel, tout de même) envers le chef de l’Etat. La logique de l’élection présidentielle achève d’atrophier la représentation politique en réduisant, à l’aide des médias, les enjeux politiques à de squelettiques questions de personne (7).

Comme l’UMP, le PS est avant tout une machine électorale, conçue pour prendre le pouvoir suprême. Peu importent les idées. On sait d’ailleurs le rôle déterminant que joua, dans le choix des candidats, la capacité supposée de ceux-ci à gagner l’élection, leurs programmes étant finalement secondaires. Ainsi, Mme Royal fut désignée au terme de primaires tranchées par des « militants », dont une part significative avait adhéré pour l’occasion grâce à des cotisations à tarif réduit (8).Ils se prononcèrent alors que les sondages la donnaient seule à même de l’emporter face à la droite.

De son côté, pour s’imposer dans son camp, le maire de Neuilly, passé maître dans l’art d’utiliser les sondages, se taillait l’image d’un homme nouveau alors qu’il exerçait depuis des années des fonctions ministérielles. Il donnait ainsi à son parti la possibilité de faire oublier son bilan. En novembre 2006, le sociologue Patrick Champagne mettait en garde : « Avec les sondages préélectoraux effectués plusieurs mois avant une élection, c’est, en fait, la logique de l’Audimat qui est appliquée à la vie politique. On mesure des applaudissements sans nécessairement savoir à quoi les gens applaudissent. On pousse les candidats potentiels à faire le cirque devant les caméras pour tenter d’agir sur un score largement illusoire dans l’espoir de se faire plébisciter par leurs troupes (9). »

Durant plusieurs années, l’extrême droite a joué le rôle commode du repoussoir, disciplinant les électeurs (il ne fallait pas « faire le jeu du Front national »). Et le spectre du 21 avril 2002 ne fut pas sans influence sur le score de Mme Royal au premier tour (25,87 %). Loin d’être aussi effrayant que M. Le Pen, M. Bayrou n’en vit pas moins fondre sur lui les foudres du système politico-médiatique. Au-delà de l’appréciation des programmes politiques — celui du député béarnais était pour le moins énigmatique —, l’impératif de préserver le bipartisme et de placer la « gauche » au second tour de la présidentielle imposait d’éliminer un « intrus » dont les opinions ne sortaient pourtant pas du champ balisé par la classe dirigeante.

Une convergence frappante apparaît entre la logique de la Constitution de la Ve République et la mécanique de la mondialisation, en particulier dans son versant européen. En effet, dans tous les cas, la réalité sociale est gommée au profit d’un jeu de représentation qui évite les questions de fond. Le partage des richesses ou les conflits sociaux disparaissent des échanges politiques. En fait, c’est l’espace politique lui-même qui se désintègre. D’un côté, la mondialisation comme la construction européenne amoindrissent le pouvoir des élus nationaux ; de l’autre, les institutions de la Ve République cooptent au sommet de l’Etat une caste de personnalités qui pensent à peu près la même chose sur nombre de questions essentielles.

Le régime politique (appuyé sur le scrutin majoritaire) ne sélectionne plus que les personnalités les plus conformes et les plus aptes à défendre les intérêts dominants. « On n’imagine pas, estime André Bellon, ancien président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le nombre d’élus et de cadres militants qui, découragés, ont abandonné la vie politique depuis vingt-cinq ans, ou qui ont été éliminés par leur parti parce qu’ils ne rentraient plus dans le cadre (10).  »

La « peopolisation » paraît dès lors inéluctable tandis qu’on tente de départager les candidats sur leur « compétence », leur « caractère », leur sexe ou leur charisme. Et les journalistes n’ont plus qu’à se contenter de commenter les sondages en évitant de se confronter à la réalité par des enquêtes de terrain. La démocratie, surtout dans un système présidentiel, se résume à choisir, dans l’abstrait, un chef qui régnera sur un peuple d’enfants.

« C’était dans le programme du candidat Sarkozy », répondaient, un peu sur la défensive, les députés UMP partisans de la ratification parlementaire du traité de Lisbonne. Certes. Comme mille autres choses. L’argument est d’ailleurs brandi chaque fois qu’une mesure gouvernementale est contestée (ici, le refus de recourir au référendum utilisé en 2005). C’est peut-être la nature de l’élection présidentielle de ramasser les enjeux au risque d’être interprétée comme un blanc-seing. Le 6 octobre 1848, à l’Assemblée constituante, Jules Grévy, opposé à l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel, soulignait : « Ce que n’avait pas le roi, et qui mettra le président de la République dans une position bien autrement formidable, c’est qu’il sera l’élu du suffrage universel. C’est qu’il aura la force immense que donnent des millions de voix... L’échec des candidats se réclamant du « non » au traité constitutionnel européen de 2005 confirme les limites de l’incarnation providentielle d’une opinion collective. Il eût peut-être été plus logique pour eux de refuser une compétition biaisée et de réclamer, par exemple, l’inversion du calendrier électoral (les législatives avant la présidentielle) ou l’élection d’une Assemblée constituante destinée à changer les règles du jeu. Car la prétendue versatilité des électeurs n’est pas la conséquence des carences intrinsèques de la démocratie, mais celle de son absence. Le système politique ne représente plus la réalité du corps social. Il se révèle même incapable d’exprimer ce que pensent vraiment les électeurs.

Anne-Cécile Robert.

(1) Brice Couturier, France Culture, http://franceculture-blogs.com/bric...

(2) L’humoriste Guy Bedos évoque, mi-figue, mi-raisin, la nécessité d’instaurer un « permis de voter ». Lire « C’est mon dernier combat », Le Nouvel Observateur, 13 décembre 2007.

(3) Lire François Léotard, Ça va mal finir, Grasset, Paris, 2008.

(4) Mme Royal, en violation du TNP, voulait interdire à l’Iran toute politique nucléaire, y compris civile.

(5) Le Monde, 20 avril 2007.

(6) « Le 22 avril, assumer notre responsabilité », Libération, Paris, 19 avril 2007.

(7) Lire « Peu(ple) leur chaut ! », Le Monde diplomatique, novembre 2003, et André Bellon, « Changer de président ou changer de Constitution ? », Le Monde diplomatique, mars 2007.

(8) La grande majorité de ces nouveaux adhérents n’aurait pas renouvelé cette cotisation l’année suivante. Selon M. François Hollande, premier secrétaire du PS, le parti compterait cent cinquante mille adhérents en 2008, contre deux cent cinquante mille en 2007.

(9) Patrick Champagne, « En finir avec les faux débats sur les sondages ? », Acrimed, 8 novembre 2006.

(10) Lire André Bellon, Une nouvelle vassalité. Contribution à une histoire politique des années 1980, Mille et une nuits, Paris, 2007.

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