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En campagne

14 avril 2010 3 14 /04 /avril /2010 03:09
carte postale de Martine Mougin

"Restes"

Photographie de Martine Mougin
Série / Nourritures 2005
Mois de l'Image, Dieppe F

Sur The cARTed Picture Show
Sculpture Amicale - Friendly Sculpture

En finir avec le chantage de la dette publique

http://goudouly.over-blog.com/article--en-finir-avec-le-chantage-de-la-dette-publique-48395041.html


par Damien Millet et Sophie Perchellet et Eric Toussaint

Sur mondialisation.ca

 

Dans les pays les plus industrialisés, épicentre de la crise mondiale déclenchée en 2007-2008, le contraste est saisissant : les peuples font face à une détérioration de leurs conditions de vie, alors que les gouvernements et leurs amis à la tête des grandes banques se félicitent du sauvetage du secteur financier et de la timide reprise conjoncturelle. En plus des plans de relance de l’économie pour plus de 1000 milliards de dollars, les grands établissements financiers ont reçu des aides gouvernementales sous forme de garanties, de prêts ou encore de prises de participation, mais sans que l’Etat ne prenne ensuite part à la gestion de l’entreprise et n’en profite pour réorienter de manière radicale les décisions prises.


La voie choisie par les gouvernements pour sortir de la crise financière privée provoquée par les banquiers a fait exploser la dette publique. Pendant de longues années, ce brutal accroissement de la dette publique va être utilisé par les gouvernants comme un moyen de chantage pour imposer des reculs sociaux et pour prélever sur les revenus de « ceux d’en bas » les sommes nécessaires au remboursement de la dette publique détenue par les marchés financiers. Comment ? Les impôts directs sur les hauts revenus et sur les sociétés baissent, les impôts indirects comme la TVA augmentent. Or la TVA est surtout supportée par les foyers modestes, ce qui en fait un impôt très injuste : dans le cas d’une TVA à 20%, un foyer pauvre qui consacre tout son revenu à la consommation pour sa survie paie l’équivalent d’un impôt de 20% sur son revenu, alors qu’un foyer aisé, qui place 90% de son revenu et n’en consomme que 10%, paie l’équivalent d’un impôt de 2% sur son revenu.


De la sorte, les plus riches sont doublement gagnants : ils contribuent moins à l’impôt, et avec les sommes ainsi économisées, ils achètent des titres de la dette publique et font davantage de profits avec les intérêts que paie l’Etat. Inversement, les salariés et les retraités sont doublement pénalisés : leurs impôts augmentent pendant que les services publics et leurs protections sociales se dégradent. Le remboursement de la dette publique constitue donc un mécanisme de transfert des revenus de « ceux d’en bas » vers « ceux d’en haut » ainsi qu’un efficace moyen de chantage pour poursuivre de plus belle les politiques néolibérales qui profitent à « ceux d’en haut ».


Ce n’est pas tout : d’ores et déjà, les profits et les distributions de bonus (pour 2009, 1,75 milliards d’euros de primes pour les traders des banques françaises, 20,3 milliards de dollars par les sociétés de Wall Street – en augmentation de 17% par rapport à 2008 !) ont repris leur course folle pendant que les populations sont appelées à se serrer la ceinture. De surcroît, avec l’argent facile que leur prêtent les banques centrales, banquiers et autres investisseurs institutionnels se sont lancés dans de nouvelles opérations spéculatives hautement dangereuses pour le reste de la société, comme on l’a vu avec la dette grecque par exemple, sans parler du cours des matières premières et du dollar. Silence radio du côté du Fonds monétaire international (FMI) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et refus du G20 de prendre des mesures sur les bonus et la spéculation. Tous sont d’accord pour amplifier la course au profit sous prétexte que cela finira par relancer l’emploi.


L’objectif mondial des grands argentiers est le retour à la croissance, même si elle se révèle très inégalitaire et destructrice de l’environnement. De leur part, aucune remise en question d’un système qui a fait la preuve de son échec. Si l’on ne réagit pas, le démantèlement de l’Etat sera poussé à son terme et le coût de la crise sera supporté en totalité par les populations qui en sont les victimes, alors que les responsables en sortiront plus puissants que jamais. Aujourd’hui, banques et fonds spéculatifs ont été sauvés avec de l’argent public sans la moindre contrepartie réelle.


En fait, le discours devrait être le suivant : « Vous, grands créanciers, avez grassement profité de la dette publique, mais les droits humains fondamentaux sont gravement menacés et les inégalités s’accroissent de manière vertigineuse. Notre priorité est maintenant de garantir ces droits fondamentaux et c’est vous, grands créanciers, qui allez payer pour cela. On va vous taxer à hauteur du montant qu'on vous doit, l'argent n'a pas à sortir de votre poche, mais la créance disparaît. Et estimez-vous heureux qu’on ne vous réclame pas les intérêts qu’on vous a déjà versés au mépris de l’intérêt des citoyens ! ». Voilà pourquoi nous soutenons l’idée de taxer les grands créanciers (banques, assurances, fonds spéculatifs… mais aussi particuliers fortunés) à hauteur des créances qu’ils détiennent. Cela permettrait aux pouvoirs publics d’augmenter les dépenses sociales et de créer des emplois socialement utiles et écologiquement soutenables. Cela remettrait les compteurs financiers à zéro pour les dettes publiques au Nord, sans mettre à contribution les populations victimes de cette crise, tout en faisant porter l’intégralité de l’effort sur ceux qui ont causé ou aggravé la crise, et qui ont déjà grassement profité de cette dette.


Il s’agirait en fait d’un virage radical vers une politique de redistribution de la richesse en faveur de ceux qui la produisent et non pas de ceux qui spéculent dessus. Accompagnée de l’abolition de la dette extérieure publique des pays en développement et d’une série de réformes (notamment une réforme fiscale de grande ampleur, une réduction radicale du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, le transfert du secteur du crédit au domaine public avec contrôle citoyen…), cette mesure pourrait permettre une véritable sortie de la crise dans la justice sociale et dans l’intérêt des peuples. Une telle revendication, étrangement peu médiatisée, mérite d’être ardemment défendue.



Les auteurs :  Respectivement porte-parole, vice-présidente du CADTM France et président du CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org). Damien Millet et Eric Toussaint sont coauteurs de La Crise. Quelles crises ?, CADTM-Aden-CETIM, 2001

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12 avril 2010 1 12 /04 /avril /2010 03:23

 

Noam CHOMSKY

Noam Chomsky : intervention à l’Assemblée Générale des Nations Unies lors du débat sur la « Responsabilité de Protéger »

 

http://goudouly.over-blog.com/article-responsabilite-de-proteger-48280891.html

Sur le Grand Soir

 


Les débats sur la Responsabilité de Protéger (Responsability to Protect – R2P), ou sur son cousin « l’intervention humanitaire », sont régulièrement perturbées par la présence d’un cadavre dans le placard, la question taboue, à savoir l’histoire telle qu’elle s’est déroulée jusqu’à nos jours.

Dans l’histoire des relations internationales, il y a toujours eu quelques principes qui s’appliquent d’une manière générale. Un d’entre eux est la maxime de Thucydides, qui dit que les forts agissent comme ils l’entendent alors que les faibles sont condamnés à subir. Un corollaire à cela est ce qu’Ian Brownie appelle « l’approche hégémonique du droit » : c’est la volonté des puissants qui détermine la jurisprudence.


Un autre principe vient de l’analyse d’Adam Smith sur le fonctionnement de la politique en Angleterre : les « principaux architectes » de la politique - à son époque il s’agissait des « commerçants et industriels » - font en sorte de voir leurs propres intérêts « particulièrement bien défendus » quels qu’en soient les « effets négatifs » sur les autres, y compris le peuple anglais – mais plus encore sur les populations soumises à la « justice sauvage des Européens » - notamment celle de l’Inde colonisée à laquelle Adam Smith pensait en priorité.

Un troisième principe est celui-ci : en matière de politique internationale, pratiquement tous les recours à la force ont été justifiés par la « responsabilité de protéger », y compris par les pires monstres.


Afin d’illustrer mon propos, prenons Sean Murphy qui, dans son étude universitaire « l’intervention humanitaire », cite trois exemples entre le pacte Kellogg Briand et la Charte des Nations Unies : l’attaque du Japon sur la Mandchourie, l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini, l’occupation d’une portion de la Tchécoslovaquie par Hitler. Toutes ont été accompagnées par de pompeux discours sur le devoir sacré de protéger des populations opprimées et d’autres justifications du même genre. Ce principe s’applique encore de nos jours.

Lorsqu’on entend « la responsabilité de protéger », ou son cousin, décrits comme la « norme émergeante » en matière de relations internationales, il convient de faire un rappel historique. On constate alors qu’elles ont toujours été la norme, aussi loin que l’on remonte en arrière. La fondation de ce pays (les Etats-Unis – NdT) en est un exemple. En 1629, la Colonie de Massachusetts Bay s’est vue accorder sa Charte par le Roi qui a déclaré que « la principale raison d’être de cette colonie » était de sauver les indigènes de leur triste destin de païens. Le Grand Sceau de la Colonie représente un Indien qui dit « Venez nous aider ». Les colonisateurs anglais, lorsqu’ils se sont lancés, selon leurs propres termes, dans « l’extirpation » et « l’extermination » des indigènes – et pour leur propre bien, comme l’ont expliqué leurs honorables successeurs - accomplissaient donc un devoir de protection. En 1630, John Winthrop a prononcé un célèbre sermon qui décrivait la nouvelle nation « ordonnée par Dieu » comme une « cité sur la colline », une rhétorique d’illuminé qui est constamment employée pour justifier les pires « écarts » de cette noble mission de la R2P.


Il serait facile de donner d’autres exemples avec d’autres empires au sommet de leur puissance. On comprend dés lors que les puissants préfèrent oublier l’histoire et regarder vers l’avenir. Mais les faibles auraient tort de les suivre.

Il y a 60 ans, le cadavre est sorti du placard lors du premier procès de la Cour Internationale de Justice (CIJ), dans l’affaire du détroit de Corfou.

Selon le jugement, « La Cour ne peut admettre un tel système de défense. Le prétendu droit d’intervention ne peut être envisagé par elle que comme la manifestation d’une politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait, quelles que soient les déficiences présentes de l’organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international. L’intervention est peut-être moins acceptable encore dans la forme particulière qu’elle présenterait ici, puisque, réservée par la nature des choses aux États les plus puissants, elle pourrait aisément conduire à fausser l’administration de la justice internationale elle-même. » (traduction officielle de l’arrêté de la CIJ, avril 1949 – NdT)


C’est dans ce même esprit que s’est tenu en avril 2000 le premier sommet des pays du Sud, auquel ont participé 133 états. Sa déclaration, qui avait très certainement en mémoire le récent bombardement de la Serbie, a rejeté le « soi-disant « droit » d’intervention humanitaire qui n’a aucun fondement juridique que ce soit dans la Charte des Nations Unies ou dans les principes généraux du Droit International. » Les termes de la déclaration confirment celles de l’importante Déclaration sur les Relations d’Amitié des Nations Unies (UNGA, Res 2625, 1970). Ces termes ont été confirmés depuis par la réunion des ministres du Mouvement des Pays Non-alignés en Malaisie en 2006, entre autres, qui une fois encore représentait les victimes habituelles de ces interventions en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans le monde arabe.

La même conclusion a été tirée en 2004 par un haut comité des Nations Unies sur les Menaces, les Défis et le Changement. Le Comité a rejoint les positions de la Cour Internationale de Justice et le Mouvement des Non-alignés en concluant que « l’article 51 ne nécessite ni extension ni limitation de son domaine d’application qui a toujours été clair pour tous. » Le Comité a ajouté que « pour ceux qui seraient insatisfaits par cette réponse, il convient de rappeler que dans un monde rempli de menaces potentielles, le risque posé à l’ordre international et la norme du non-interventionnisme sur lequel il repose est tout simplement trop grand pour accepter une action préventive unilatérale, qui se distingue d’une action décidée collectivement. L’accepter pour un reviendrait à l’accepter pour tous » - ce qui, bien sûr, est impensable.


Et le même principe fut adopté par le Sommet Mondial de l’ONU en 2005.


Tout en réaffirmant des positions qui avaient déjà été entérinées, le Sommet a aussi confirmé la volonté « d’entreprendre des actions collectives, à travers le Conseil de Sécurité et en accord avec la Charte… si les moyens pacifiques se révèlent inadaptés et les autorités nationales manifestement incapables de protéger les populations » de crimes commis à leur encontre. Au pire, la phrase précise la formulation de l’article 42 sur l’autorisation du Conseil de Sécurité de recourir à la force.

Et c’est ainsi que le cadavre est maintenu enfermé dans le placard et la question taboue évitée - dans l’hypothèse, et c’est une grosse hypothèse, où le Conseil de Sécurité serait un arbitre impartial, insensible aux maximes de Thucydides ou d’Adam Smith - mais j’y reviendrai.


Il y a bien eu quelques efforts, aussi louables soient-ils, pour distinguer la « responsabilité de protéger » de l’intervention humanitaire, mais rien dans les faits ne le démontre. Ce n’est pas pour rien que « le droit à l’intervention humanitaire » a été fermement critiqué et qu’il a provoqué un schisme principalement entre les pays du Nord et ceux du Sud, alors même que la « responsabilité de protéger » avait été adoptée – ou re-confirmée pour être plus précis – par consensus lors du Sommet : tout simplement parce que l’acceptation par le sommet de la terminologie sur la « responsabilité de protéger » ne change pas grand-chose sur le fond.

Les droits énoncés dans les paragraphes cruciaux 138 et 139 de la déclaration n’ont pas été sérieusement remis en cause. En fait, ils ont même été confirmés et appliqués, par exemple, dans le cas de l’apartheid en Afrique du Sud. De plus, le Conseil de Sécurité avait déjà prévu dans le Chapitre VII qu’il pouvait recourir à la force pour faire cesser des violations massives de droits de l’homme, les guerres civiles et les violations de droits civiques : résolutions 925, 929, 940, juin-juillet 1994.


Comme le remarque J. L. Holzgrefe, « la plupart des états sont déjà signataires de conventions qui les obligent par la loi à respecter les droits de l’homme de leurs citoyens. » Les rares succès à mettre au crédit de la R2P , comme au Kenya, n’avaient pas besoin de la résolution du Sommet, même si la terminologie de la R2P fut employée à cette occasion. Concrètement, la R2P, telle qu’elle est formulée par le Sommet, n’est qu’un sous-ensemble du « droit d’intervention humanitaire », sauf pour la partie contestée, c’est-à-dire le droit de recourir à la force sans l’autorisation du Conseil de Sécurité.

Ceci ne signifie pas que l’accent mis sur les droits, qui sont déjà largement admis, soit insignifiant. Mais sa véritable signification est déterminée par sa mise en application sur le terrain. Et sur ce plan là, il n’y pas de quoi se réjouir.

Les restrictions définies par l’affaire du Détroit de Corfou et celles qui ont suivi ont parfois été ignorées. L’acte constitutif de l’Union Africaine déclare « le droit de l’Union d’intervenir dans un état membre … en cas de circonstances graves . » Ce qui diffère nettement de la Charte de l’Organisation des Etats d’Amérique (O.E.A.), qui interdit toute intervention « pour quelque motif que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre état. » La raison d’une telle différence est évidente. La Charte de l’O.E.A. a pour objectif d’empêcher toute intervention de la part du « voisin géant du Nord » - ce en quoi elle a échoué, bien sûr. Mais après la chute des états de l’apartheid, l’Union Africaine n’était pas confrontée à ce genre de problème.


Si la doctrine de l’Union Africaine devait être appliquée à l’O.E.A. ou à l’OTAN, ces dernières seraient en droit d’intervenir au sein même de leur alliance. Une idée qui nous mènerait à des conclusions intéressantes et révélatrices sur l’O.E.A. et l’OTAN qu’il est inutile de développer ici. De toute façon, ces conclusions resteraient lettre morte, comme il l’a été démontré dans un passé récent, grâce à la maxime de Thucydides.

Je ne connais qu’une seule proposition faite à un haut niveau pour étendre la R2P au-delà du consensus du Sommet et de l’extension de l’Union Africaine, c’est celle du Rapport du Commission Internationale sur l’Intervention et la Souveraineté des Etats sur la R2P (2001). Dans ce rapport, la Commission envisage une situation dans laquelle « le Conseil de Sécurité rejetterait une proposition ou s’abstiendrait d’intervenir dans un délai raisonnable. » Dans ce cas, le Rapport autorise « une action dans le cadre de la juridiction des organisation régionales ou sous-régionales sous le Chapitre VIII de la Charte, sous condition d’obtenir l’autorisation du Conseil de Sécurité » ((3), E, II).


A ce stade, la présence du cadavre dans le placard commence à se faire sentir. Une des raisons à cela est que les puissants décident seuls de leur « zone de juridiction ». L’O.E.A. et l’U.A. ne peuvent pas le faire mais l’OTAN le peut et ne s’en prive pas. L’OTAN a décidé de manière unilatérale que les Balkans faisaient partie de « sa zone de juridiction » - mais pas l’OTAN elle-même, où de graves crimes ont été commis contre les Kurdes dans le sud-est de la Turquie dans les années 90. Certains états sont donc concernés et d’autres pas, selon le soutien militaire et diplomatique qu’ils reçoivent de l’administration US et d’autres états membres de l’OTAN.


L’OTAN a décidé aussi que sa « zone de juridiction » s’étendait jusqu’en Afghanistan et au-delà. Le Secrétaire général Jaap de Hoop Scheffer a déclaré lors d’une réunion de l’OTAN au mois de juin 2007 que « les troupes de l’OTAN doivent protéger les oléoducs et gazoducs destinés à l’Occident » et d’une manière plus générale protéger les voies maritimes empruntées par les pétroliers et autres « infrastructures cruciales » du réseau énergétique. Les droits étendus accordés par la Commission Internationale sont, dans la pratique, exclusivement réservés à l’OTAN, ce qui constitue une violation des principes énoncés dans l’affaire du détroit de Corfou et confirmés depuis, et ouvre la voie à une justification par la R2P de toute intervention impériale qu’elle déciderait d’entreprendre.


Le principe du détroit de Corfou permet de mieux comprendre à la fois l’enchaînement des événements et les invocations rhétoriques relatives à la R2P et à l’intervention humanitaire, ainsi que leur application sélective sous couvert de cette nouvelle incantation. La « révolution normative » annoncée par les commentateurs occidentaux a commencé dans les années 90, au lendemain de la chute de l’Union Soviétique qui avait servi jusqu’à là de prétexte systématique à toutes les interventions.

L’administration Bush (père) avait réagi à la chute du Mur de Berlin en annonçant officiellement la nouvelle politique de Washington : en en mot comme en cent, tout allait être comme avant, mais avec de nouveaux prétextes. Nous avons toujours besoin d’un énorme appareil militaire, mais pour une nouvelle raison : « la sophistication technologique » des puissances du tiers monde. Nous devons préserver « notre industrie militaire de base » - un euphémisme qui désigne une industrie high-tech soutenue par l’état. Nous devons maintenir des forces d’intervention dirigées vers les régions pétrolifères du Moyen-Orient – là où les menaces qui exigeaient nos interventions militaires ne sont plus représentées par « le Kremlin », contrairement aux prétextes avancés depuis des décennies. De nouveaux prétextes étaient donc nécessaires, et la « révolution normative » est entrée en scène, une fois de plus.


Cette interprétation des événements est confirmée par la manière sélective avec laquelle la R2P est appliquée. Il n’était évidemment pas question d’appliquer ce principe dans le cas des sanctions imposées par le Conseil de Sécurité à l’Irak, sanctions qualifiées de « génocidaires » par deux anciens directeurs du programme « nourriture contre pétrole », Denis Halliday et Hans von Sponeck, qui ont tous deux démissionné en guise de protestation. L’étude détaillée de von Sponeck sur les terribles effets de ces sanctions a été virtuellement censurée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, qui sont les principaux auteurs du programme de sanctions.


De même, il n’est nullement envisagé de l’invoquer pour protéger la population de Gaza, autre responsabilité des Nations Unies, avec toutes les autres « populations protégées » (par les Conventions de Genève), à qui on nie les droits humains fondamentaux. Rien de sérieux n’est envisagé non plus pour la pire catastrophe en Afrique, sinon du monde : le Congo oriental où, il a seulement quelques jours encore, et selon la BBC, les sociétés multinationales étaient accusées encore une fois de violer une résolution des Nations Unies contre le trafic illicite des précieux minerais et de financer ainsi le conflit meurtrier.


Dans un tout autre domaine, il n’est même pas envisagé d’invoquer ne serait-ce que les mesures les plus anodines prévues par la R2P pour répondre à la faim dans les pays pauvres.

L’ONU a récemment estimé que le nombre de personnes qui souffrent de faim a dépassé le milliard, alors que le Programme Alimentaire de l’ONU vient d’annoncer de fortes restrictions budgétaires parce que les pays riches sont en train de réduire leurs maigres contributions pour se consacrer au sauvetage des banques.


Il y a quelques années, l’UNICEF avait annoncé que 16.000 enfants mourraient chaque jour de faim ou de maladies facilement curables. Ce chiffre a augmenté depuis. Rien que dans le sud de l’Afrique, l’hécatombe se déroule au même rythme que le génocide du Rwanda, sauf qu’il ne se déroule pas sur une période de 100 jours, mais se répète tous les jours. Ces données sont connues et pourtant aucune initiative n’est prévue au nom de la R2P, ce qui serait assez facile à faire avec un peu de volonté.

Dans tous ces exemples et dans de nombreux autres cas, la sélectivité s’applique avec une cruelle précision selon la maxime de Thucydides, et confirment les craintes exprimées par la Cour Internationale de Justice, il y a 60 ans.


L’exemple le plus frappant de cette sélectivité extrême et systématique pourrait être l’année 1999, lorsque l’OTAN a bombardé les Serbes, une attaque présentée en Occident comme le joyau de la couronne de la « norme émergente » de l’intervention humanitaire, à l’époque où les Etats-Unis étaient « au sommet de leur puissance » à la tête des « pays civilisés », lorsque « le Nouveau Monde idéaliste, décidé à mettre fin à l’inhumanité » avait ouvert une nouvelle ère en agissant selon « des principes et des valeurs », pour ne citer que quelques uns des propos tenus à l’époque par les intellectuels occidentaux.

Cet autoportrait flatteur se ternit sous l’examen. D’abord parce que les victimes habituelles des interventions occidentales ont vigoureusement protesté. J’ai déjà cité la position du Mouvement des Pays Non-alignés ; Nelson Mandela fut particulièrement sévère dans sa condamnation. Mais ça n’a posé aucun problème, parce que l’opinion des gueux peut être facilement ignorée.

De plus, le bombardement a ouvertement violé la Charte des Nations Unies, encore un problème dont ils se sont facilement débarrassé. Certains se sont livrés à des contorsions juridiques, mais comme l’a formulé la Commission Goldstone, le bombardement était « illégal mais légitime », une conclusion à laquelle ils sont parvenus en inversant la chronologie des bombardements et des atrocités.


Ce qui nous amène à un troisième problème : les faits. Les faits sont parfaitement documentés, et par des sources occidentales fiables. Et ce que les faits révèlent est incontestable. Le bombardement de l’OTAN n’a pas mis fin aux atrocités mais a plutôt provoqué les pires d’entre elles, comme cela avait été prévu par le commandement de l’OTAN et la Maison Blanche. Les conclusions qui sont si bien documentées par les archives occidentales sont confirmées lorsque l’on constate que l’inculpation de Milosevic fut prononcée par le Tribunal Pénal International en pleine campagne de bombardements.

A une exception prés, toutes les accusations portées contre Milosevic concernaient la période qui a suivi le déclenchement des bombardements. Et nous pouvons affirmer que la seule accusation relative à la période précédent les bombardements – à savoir le massacre de Racak – n’avait en réalité aucune importance aux yeux des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ne serait-ce que parce qu’à la même époque ils étaient eux-mêmes en train de soutenir activement des crimes bien pires commis au Timor Oriental, où les atrocités étaient sans commune mesure avec celles commises dans les Balkans.

Là aussi, le problème fut réglé assez facilement : par la censure.


Le cas du Timor Oriental est particulièrement instructif. J’ai personnellement témoigné devant le 4ème Comité en 1978, lorsque les atrocités avaient atteint un niveau « d’extermination assimilable à un crime contre l’humanité commis contre la population du Timor Oriental, » selon les propos de la future Commission Vérité parrainée par les Nations Unies. Dans leur soutien aux atrocités, les Etats-Unis ont été rejoints par la Grande-Bretagne et la France, puis par l’Australie et d’autres pays, et ils ont continué en 1999, lorsque les atrocités ont repris de plus belle. Après le paroxysme final du terrorisme d’état de Septembre 1999, qui a détruit la majeure partie de ce qui restait du pays, le Conseiller à la Sécurité Nationale, Sandy Berger, a déclaré que les Etats-Unis allaient continuer d’apporter leur soutien aux agresseurs, en expliquant que « je ne pense pas que quelqu’un ait jamais énoncé une doctrine qui stipule que nous devons intervenir partout où se pose un problème humanitaire. » Entre-temps, la R2P avait disparu, comme d’habitude.


Dans ce cas précis, pour mettre une fin aux atrocités, il n’y avait nulle besoin de bombardements, de sanctions, ou de quoi que ce soit sinon de la décision de ne plus y participer. Chose qui fut démontrée peu de temps après la déclaration de Berger sur la politique occidentale lorsque, suite à de fortes pressions internes ainsi que de l’étranger, Clinton a formellement mis fin à la participation des Etats-Unis. Les envahisseurs se sont immédiatement retirés et la force de maintien de la paix des Nations Unies a pu entrer sans difficulté. Les Etats-Unis auraient pu se retirer à n’importe quel moment au cours des 25 années qui ont précédé. De façon incroyable, cette histoire horrible a été rapidement présentée comme un succès à mettre au compte de la R2P. Une telle distorsion des faits est si scandaleuse que les mots me manquent pour la qualifier.


J’ai déjà dit que le consensus du Sommet Mondial ne respectait le principe de Corfou et ses suites qu’à condition de présumer que le Conseil de Sécurité est neutre. A l’évidence, ce n’est pas le cas. Le Conseil de Sécurité est contrôlé par ses cinq membres permanents, et tous ne sont pas égaux en termes d’interventions. Une idée nous en est fournie par l’examen de l’exercice du droit de veto qui est la manière la plus radicale de violer une résolution du Conseil de Sécurité. La période significative démarre au milieu des années 60, lorsque la décolonisation et la reconstruction de l’après-guerre ont donné à l’ONU ne serait-ce qu’un semblant de représentativité de l’opinion mondiale. Depuis cette époque, les Etats-Unis détiennent le record absolu, la Grande-Bretagne arrive en deuxième position et tous les autres suivent loin derrière. Au cours des 25 dernières années, la Chine et la France ont opposé leur veto à trois reprises, la Russie quatre, la Grande-Bretagne dix, et les Etats-Unis 43, y compris contre des appels au respect du Droit International. Le cadavre dans le placard pousse un soupir de soulagement tandis que la maxime de Thucydides s’impose une fois de plus.


Une manière de corriger ce défaut dans le consensus du Sommet Mondial serait d’abolir ce droit de veto, ce qui, soi dit en passant, correspondrait à la volonté de la majorité des Américains qui pensent que les Etats-Unis devraient respecter la volonté de la majorité et que ce sont les Nations Unies, et non les Etats-Unis, qui devraient se charger de régler les crises internationales. Et c’est là que nous nous heurtons à la maxime d’Adam Smith, qui rend de telles hérésies impensables, et nous interdit ne serait-ce que d’imaginer une application de la R2P à ceux qui en ont désespérément besoin mais qui ont le malheur de ne pas plaire aux puissants.


Ce qui soulève une autre question. Les maximes qui s’imposent dans les affaires internationales ne sont pas immuables et, en fait, s’appliquent même avec moins de rigueur depuis quelques années grâce aux effets civilisateurs des mouvements populaires. Pour ce projet à long terme et essentiel, la R2P peut se révéler un outil précieux, à l’instar de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH).


Même si les états n’adhèrent pas à la DUDH, et certains même, comme les Etats-Unis, vont jusqu’à en rejeter une bonne partie, il sert néanmoins de référence aux militants dans leurs activités d’organisation et d’éducation, souvent avec efficacité.

Mon sentiment est que si un grand débat s’instaurait, avec un minimum de participation, à laquelle malheureusement les puissants ne semblent pas prêts, la R2P pourrait jouer un rôle similaire et avoir un effet tout à fait significatif.


Noam Chomsky
Juillet 2009
http://www0.un.org/ga/president/63/...

Traduction VD pour le Grand Soir

URL de cet article
http://www.legrandsoir.info/Noam-Chomsky-intervention-a-l-Assemblee-Generale-des-Nations-Unies-lors-du-debat-sur-la-Responsabilite-de-Proteger.html
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11 avril 2010 7 11 /04 /avril /2010 03:12
carte postale de Alain-Marc

"Paysage habité"
Diégo-Suarez, Madagascar
Transfert Polaroïd sur papier

Photographie Alain-Marc

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Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites

http://goudouly.over-blog.com/article-faire-entendre-les-exigences-citoyennes-sur-les-retraites-48200772.html

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Le gouvernement français s’apprête à engager une nouvelle réforme qui risque de porter un coup fatal au système de retraite par répartition en jurant une fois de plus que c’est pour le sauver. Le bilan des réformes menées depuis 1993 est déjà catastrophique car toutes les dispositions prises (calcul sur les 25 meilleures années, indexation sur les prix et non plus sur les salaires des actifs, allongement de la durée de cotisation sous peine de décote...) ont déjà fait baisser le niveau des pensions d’environ 20 %. Elles ont aggravé les inégalités déjà fortes entre les pensions des hommes et des femmes. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) prévoit que le taux de remplacement moyen - niveau de la retraite par rapport au salaire, passerait de 72 % en 2007 à 59 % en 2050. Cette dégradation continuera donc de frapper les actuels retraités et touchera également les générations suivantes.

Malgré ce bilan désastreux, le gouvernement veut aller encore plus loin en supprimant l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans en le portant à 62, voire 65 ou 67 ans, comme le demande le Medef, et en remettant en cause le calcul sur les six derniers mois d’activité des retraites du secteur public. Jumelées avec un nouvel allongement de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein, ces mesures condamneraient à la pauvreté la plupart des futurs retraités, surtout les femmes et tous ceux et celles qui ont connu et connaîtront des périodes de chômage et de précarité importantes. Ce sont les salarié-es les plus jeunes qui subiraient les effets cumulés de ces orientations au moment de partir à la retraite.

Le gouvernement et le patronat persistent à vouloir durcir les conditions de départ en retraite alors même que les entreprises continuent de se débarrasser des salariés âgés avant qu’ils aient acquis la totalité de leurs droits. Exiger que les salariés travaillent et cotisent plus longtemps, alors que l’âge moyen de cessation d’activité est de 59 ans, ne vise qu’à baisser le niveau des pensions. De plus, cette logique remet en cause la solidarité intergénérationnelle. Il n’y a aucun sens à augmenter l’âge de la retraite alors que le chômage de masse sévit pour les jeunes. Au lieu de voir dans la retraite par répartition une transmission perpétuelle et solidaire de la prise en charge d’une génération par la suivante, le gouvernement et le patronat, afin d’attiser la division, la stigmatisent comme un fardeau pour la seule génération à venir.

Le danger ne s’arrête pas là. Le COR dessine les contours d’une réforme pour remplacer notre système par un autre « par points » ou « par comptes notionnels ». Dans les deux cas, il s’agirait de ne plus avoir à assurer un taux de remplacement du salaire défini à l’avance et de faire de la variation du niveau des pensions le moyen d’équilibre financier des régimes. Cela aggraverait encore la baisse du niveau des pensions et contraindrait les salariés, particulièrement les salarié-es pauvres et effectuant les travaux pénibles, à travailler toujours plus longtemps.

La vraie raison des mesures qui s’annoncent n’est pas liée à la démographie. La crise financière a provoqué une récession et donc une flambée des déficits publics. Les États continuent benoîtement à financer leurs déficits en empruntant sur ces mêmes marchés financiers qui ont provoqué la crise. Réduire ces déficits pourrait se faire par une taxation du capital. Mais les spéculateurs refusent évidemment cette solution, demandent que les États donnent des gages et exigent une réduction des dépenses publiques.

Une alternative à cette régression sociale existe pourtant. A moins de décréter la paupérisation des retraité-es, il est normal de couvrir les besoins sociaux liés à l’augmentation de leur part dans la population par un accroissement des prélèvements sur la richesse produite. Les déficits des caisses de retraite sont essentiellement dus au refus obstiné de le faire. Pourtant, le besoin supplémentaire de financement nécessaire aux retraites est réalisable puisqu’il a été chiffré en 2007 par le COR entre 1 et 2 points de PIB jusqu’en 2050, à comparer avec la chute de la part de la masse salariale de 8 points au cours des dernières décennies et avec l’explosion correspondante des dividendes, qui sont passés de 3,2 % du PIB en 1982 à 8,5 % en 2007. Il est donc juste d’augmenter la part des salaires et des pensions dans la richesse produite en s’attaquant aux profits. Le financement des retraites est possible à condition d’en finir avec l’actuel partage éhonté de la richesse au bénéfice des revenus financiers. C’est ce partage qui constitue le tabou à faire sauter, et non l’âge de départ. Il s’agit là d’un choix politique de justice et de solidarité.

La question des retraites pose celle de la société dans laquelle nous voulons vivre. Nous ne pouvons accepter la paupérisation programmée des futurs retraité-es, l’idéologie absurde du « travailler toujours plus » et la destruction des solidarités sociales. Nous souhaitons contribuer à une vaste mobilisation citoyenne (réunions publiques, appels locaux…) pour stopper cet engrenage.

 

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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 03:29
 
carte postale de Sandra Gil

Sandra Gil
Zona de obras - 2008

Sur cARTed Network


 
2012 : le programme avant les candidatures

http://goudouly.over-blog.com/article-2012-le-programme-avant-les-candidatures-47280360.html

Jacques Sapir / Directeur d’études à l’EHESS et directeur du CEMI-EHESS

Sur  Mémoire des luttes 

Telle qu’elle se dessine aujourd’hui, l’élection présidentielle de 2012 risque d’être marquée par un trop-plein de candidats, compensé par une pénurie de programme. Pourtant, nous sommes depuis l’été 2007 dans la plus grave crise économique que l’on ait connue depuis celle de 1929. Elle se double d’une crise géostratégique et d’une crise environnementale qui, l’une et l’autre, ont des conséquences considérables. Les timides éléments de reprise que l’on constate dans les pays développés depuis la fin de 2009 ne doivent pas faire illusion. Ils ne sont pas durables où, pour reprendre un mot à la mode, « soutenable ».

Cette situation appelle des réponses radicales, et qui pourtant sont de bon sens. Aujourd’hui, être extrémiste c’est être réaliste. Il convient donc de laisser le choc des ego aux magazines people et apparentés. Non que l’on sous-estime la question des personnalités. Elle a sa place dans la définition de ce que devrait être un candidat idéal. Mais elle passe après la question du programme. De cette question, nous avons à peu près un an pour discuter.

 

  1. - De « l’inévitable » et pourtant fort contestable austérité.

 

De toute part, on nous présente l’austérité comme un choix inévitable. L’argument du déficit budgétaire, qui nous a déjà été servi ad nauseam, sert bien évidemment de prétexte. Alors même que la démographie connaît en France un redressement notable, on veut aussi tailler dans les retraites. Enfin, la précarisation du travail, dans le secteur privé comme dans le secteur public, est plus que jamais à l’ordre du jour. Tous ces choix nous sont présentés comme le produit d’évolutions inéluctables. Pourtant, ils sont tous extrêmement contestables.

Sur la question du déficit budgétaire, il faut savoir que son augmentation est, pour une large part, due à ce qu’il nous faut emprunter à plus de 3% (3,45% en moyenne) alors que l’on n’attend pas, même dans les rêves les plus fous de Mme Christine Lagarde, une croissance supérieure à 2%. Or, dans le même temps, les banques se refinancent auprès de la Banque centrale européenne (BCE), comme d’ailleurs auprès de la Réserve fédérale américaine et des autres banques centrales des pays développés), à des taux oscillant entre 1% et 0,5%. Serait-ce du fait de la meilleure qualité des dettes privées par rapport à la dette publique ? Poser cette question, c’est y répondre, et par un immense éclat de rire.

Les dettes détenues par les banques sont en général de très mauvaise qualité, et le FMI lui-même estime à plus de 3 trillions de dollars les mauvaises créances dans ce secteur. C’est avant tout un choix qui, pour certains, s’explique par des raisons idéologiques et, pour d’autres, par leurs intérêts privés.

Assurément, il y a des pays plus mal lotis que la France. La Grèce, en particulier, doit emprunter à 6%. Son gouvernement devra bientôt choisir entre un appauvrissement généralisé de la population et une sortie de l’euro. D’autres pays connaîtront le même sort d’ici 2012, du Portugal à l’Espagne en passant par l’Italie et l’Irlande. Mais, cela ne change rien au problème.

Non seulement l’euro ne protège pas de la tourmente monétaire, ce que l’on constate aujourd’hui avec les écarts grandissants des taux sur la dette publique (les « spreads »), mais les règles de financement de la BCE transforment en un problème social en apparence insoluble ce qui serait, sous d’autres règles, parfaitement maîtrisable.


Tableau 1
État de la dette publique dans les principaux pays de la zone euro.

 

2007

2008

2009*

2010**

Taux d’accroissement
depuis 2007.

Autriche

59,4%

62,5%

70,4%

75,2%

26,6%

Belgique

84,0%

89,6%

95,7%

100,9%

20,1%

Finlande

 

33,4%

39,7%

45,7%

36,8%

France

63,8%

68,0%

75,2%

81,5%

27,7%

Allemagne

65,1%

65,9%

73,4%

78,7%

20,9%

Grèce

94,8%

97,6%

103,4%

115,0%

21,3%

Irlande

25,0%

43,2%

61,2%

79,7%

218,8%

Italie

103,5%

105,8%

113,0%

116,1%

12,2%

Pays-Bas

45,6%

58,2%

57,0%

63,1%

38,4%

Portugal

63,5%

66,4%

75,4%

81,5%

28,3%

Espagne

36,2%

39,5%

50,8%

62,3%

72,1%

EUROZONE

66,0%

69,3%

77,7%

83,6%

26,7%

* Estimation.
** Prévision
Source  : Eurostat. Pour la Finlande, le taux d’accroissement est calculé sur 2008.

 

Il faut par ailleurs rappeler que la dette publique n’est qu’une partie de la dette totale de l’économie, et qu’il faudrait, en bonne logique, y ajouter la dette des ménages et celle des entreprises. Le taux d’endettement total réserve alors quelques surprises, comme celle de révéler la France comme un des pays les MOINS endettés parmi les grands pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).


Tableau 2
Endettement global prévu pour fin 2010

 

France

Allemagne

Espagne

Royaume- Uni

Italie

États-Unis

Administrations

81,5%

78,7%

62,3%

63,0%

116,1%

69,0%

Ménages

43,0%

64,0%

100,0%

102,0%

39,0%

96,0%

Entreprises

75,0%

60,0%

107,0%

90,0%

66,0%

75,0%

Total

199,5%

202,7%

269,3%

255,0%

221,1%

240,0%

Source : Comptabilités nationales des divers pays.

 

Il ne fait pourtant aucun doute que la machine à produire de l’austérité, c’est-à-dire du chômage et de la misère, se mettra en route à partir de 2011 ou de 2012.

La précarisation du travail et de nouvelles coupes dans les retraites seront, il n’en faut pas douter, justifiées par la « compétitivité » internationale de la France et par des arguments plus ou moins ad hoc sur la démographie.
Pourtant, le mouvement d’enrichissement des plus riches est incontestable dans le long terme. C’est ce qui explique pourquoi la majorité des revenus est aujourd’hui comprimée, au point de ne pouvoir maintenir son pouvoir d’achat que par l’endettement.


Figure 1
Part du revenu avant impôt perçus par les 1% plus riches
Comparaison internationales

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Part du revenu avant impôt perçus par les 1% plus riches

Source : OCDE

 

Ceci permet de comprendre la grande peur qui a saisi les classes moyennes vers la fin des années 1980 et par la suite. Voyant le fonctionnement de l’« ascenseur social » progressivement s’interrompre devant elles, elles ont alors acquiescé à des politiques anti-sociales dont elles espéraient être épargnées afin de tenter de maintenir la part relative de leurs revenus dans le partage global de la richesse. Mais, aujourd’hui, il est clair que même les classes moyennes sont frappées. Certes, elles ne le sont pas encore autant que les classes populaires, qui ont été les grandes perdantes des trois dernières décennies. Mais on peut constater, sur la base des statistiques, que les transferts fiscaux se sont fait à leur détriment parce que les classes les plus riches ont été progressivement libérées d’une taxation en rapport avec leurs revenus.

Le gouvernement a réussi, pour un temps, à convaincre les classes moyennes que leur ennemi était les classes populaires, que l’on qualifiait alors de « budgétivore » et de dévoreur d’allocations sociales. Cependant, la part des allocations sociales n’a fait que compenser la disparition de revenus du travail. Classes populaires et classes moyennes se sont ainsi entre-déchirées autour d’un gâteau qui se réduisait sans cesse, et cela pour la plus grande satisfaction des plus riches… Il faut toute l’impudence d’un Alain Minc, dans son entretien au Figaro du 4 janvier dernier, pour affirmer : « Si la France a bien traversé la crise, c’est parce qu’il n’y en pas eu pour 90% de la population  ».

Le discours qui tend sciemment à opposer les travailleurs les uns contre les autres, en présentant certains comme des « privilégiés », est démenti par les statistiques de l’INSEE. Ce petit marquis n’en a cure car c’est très consciemment qu’il pratique le « diviser pour régner ». De fait, c’est dans une nouvelle alliance des classes populaires et des classes moyennes que se forgeront les armes de la défaite de ceux qu’Alain Minc représente, les plus riches et les plus repus.

D’où les demandes croissantes pour plus de justice fiscale que l’on peut entendre désormais. Indiscutablement, ces demandes vont dans la bonne direction. Mais elles seront loin d’être suffisantes. En effet, les revenus les plus élevés disposent de centaines de niches fiscales sur lesquelles ils peuvent jouer. Une grande « Nuit du 4 août » fiscale ne pourra avoir lieu, du moins pas à court terme, et pas sans des limites drastiques à la circulation des capitaux. Il est indiscutable qu’il faudra progressivement éliminer ces niches et autres privilèges, mais il ne faut pas attendre de résultats spectaculaires dans l’immédiat. C’est dans la production, et donc au niveau de la formation des revenus, qu’il faudra agir.

De ce point de vue, deux phénomènes apparaissent décisifs. Le premier est le découplage entre les gains de productivité et le salaire moyen.


Figure 2

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Comparaison des gains de productivité et de salaires

Source : INSEE

 

La courbe des salaires nets a bien été déconnectée de celle des gains de productivité, qui se sont poursuivis de manière régulière sur toute la période comprise entre 1980 et 2007. Mais ceci n’est que l’un des deux phénomènes. L’autre est constitué par l’écart entre l’évolution du salaire médian (celui qui partage en deux parties égales l’échantillon) et le salaire moyen (ou masse salariale globale que divise le nombre de salariés).
La différence est ici très significative aussi.

 

 

Figure 3

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Salaire moyen et médian


Source : INSEE

 

Ainsi, alors que le salaire moyen a augmenté de 12,3% de 1996 à 2006, le salaire médian n’a progressé que de 3,5% sur la même période. Il semble d’ailleurs bloqué entre 3% et 4% depuis 1999. Ainsi, les salaires des 50% des Français les plus mal payés n’ont pas progressé depuis 1999.

Les causes de cette situation sont bien connues.
Nous avons, d’une part, la pression que les pays à bas salaires, mais au taux de productivité comparable, exercent sur l’emploi en France. C’est le cas à l’intérieur de l’Europe des nouveaux entrants.


Tableau 3
Caractéristiques du salaire moyen suivant la date d’adhésion

 

Salaire moyen horaire (Euro)

Part des CDD

Part du revenu lié aux heures supplémentaires

République Tchèque

3,0

12,0%

46,5%

Slovaquie

2,4

9,6%

21,9%

Lettonie

1,5

7,1%

2,3%

Lituanie

1,5

10,5%

3,0%

Portugal

5,8

21,4%

7,4%

Espagne

8,6

26,8%

6,9%

Italie

11,0

3,5%

36,6%

Belgique

17,1

4,0%

2,3%

Source : F. Rycx, I. Tojerow, D. Valsamis, Wage Differentials Across Sectors in Europe : an East-West Comparison, WP 2008.05, ETUI, Bruxelles, 2008.

 

Mais, c’est aussi le cas hors de l’Europe de pays tels la Chine, l’Inde ou la Corée du Sud. On a estimé, dans une note datant de 2009, que près d’un chômeur sur deux en France était la victime ce phénomène, et il s’agit ici, il faut le souligner, de chiffres nets et non bruts, soit incluant les créations d’emploi sur le territoire français que le libre-échange a permis.

C’est aussi le produit de la politique monétaire, telle qu’elle a été conduite depuis la fin des années 1980 dans la perspective de l’entrée dans la zone euro, puis avec la matérialisation de cette dernière. Le taux de change actuel de l’euro, entre 1,385 USD et 1,415 USD, et ce en dépit de la pression baissière qu’exercent les événements de Grèce, joue un rôle à l’évidence très négatif.

Nous voici pris au piège d’une nouvelle période d’austérité, au moment où la concurrence internationale se renforce par le biais du libre-échange et de l’euro. Cela, nos dirigeants l’admettent à demi-mot, comme l’attestent les déclarations de Nicolas Sarkozy sur le départ de France de certaines activités. Mais ils sont bien décidés à ne pas agir.

  1. - L’Europe épuisée…

 

Pour toute justification, nos dirigeants nous parlent de l’Europe. L’opposition socialiste n’a pas d’autre discours. Les deux convergent donc vers cette nouvelle cure d’austérité que l’on veut nous imposer.
Et pourtant, l’Europe est épuisée.
Elle l’est en tant que mythe. Qui peut encore croire en un approfondissement de sa dimension fédérale, alors que l’on s’apprête à abandonner les pays les plus endettés. Mais elle l’est aussi, et très profondément, dans son projet et dans son action. Pour s’en convaincre, détaillons.

Si tout le monde a actuellement les yeux rivés sur la Grèce, on peut remarquer, sur la figure 4, que les titres d’assurances sur les défauts de crédit connaissent une forte hausse de leurs taux dans 3 autres pays, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. En fait, depuis le début de la crise des liquidités en octobre 2008, jamais le calme n’est revenu sur ce marché. La hausse actuelle est très significative car elle a lieu à un moment où les liquidités ont été reconstituées. Le fait d’appartenir à la zone euro, qui avait effectivement entraîné un alignement des conditions du placement des dettes de ces pays sur l’Allemagne, ne joue plus aujourd’hui.

Avec la crise, l’endettement public a explosé, comme nous l’avons vu. Mais, plus encore, c’est la crédibilité de la zone euro qui a volé en éclats. Or, le traité de Maastricht exclut toute solidarité entre les pays de la zone. Nous trouvons ici le premier paradoxe européen. On institue un système monétaire qui est, dans son essence, fédéral, mais on se refuse à fédéraliser les budgets.

On peut par ailleurs comprendre les réticences de pays comme l’Allemagne devant un budget fédéral. L’Allemagne n’entend pas payer pour les autres, même si, sur le fond, une partie de sa croissance récente s’explique par le fait que les autres pays ont mené des politiques budgétaires expansionnistes alors que l’Allemagne misait tout sur ses capacités d’exportation. Seulement, connaissant la position de l’Allemagne, pourquoi avoir accepté le principe de la monnaie unique ?

 

Figure 4
Écart des taux sur les Credit Default Swaps souverains

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Écart des taux sur les Credit Default Swaps souverains


Source  : Bloomberg

 

Le maintien de taux de change entre les monnaies nationales et l’euro aurait permis de jouer sur leur ajustement. Le système d’une monnaie commune, établissant une barrière face au reste du monde, mais ne fixant pas définitivement les parités de change pour les pays membres, était et reste, de loin le plus logique.

Devant la crise qui menace, on peut craindre qu’il ne soit trop tard et qu’il nous faudra passer par un éclatement de l’euro pour pouvoir revenir vers cette solution de bon sens. Il faut ici noter que la perte de la coordination monétaire n’est pas souhaitable. Le problème n’est pas le principe de la coordination, mais son application de manière ne tenant absolument pas compte de la réalité des structures économiques des différents pays. En cela, la solution de la monnaie commune permettait de concilier la coordination avec une souplesse relative dans les ajustements entre pays de la zone.

L’épuisement de l’Europe peut se constater par ailleurs dans les négociations à l’OMC et dans la fiction que l’on nous sert de manière régulière selon laquelle l’Europe nous protègerait de la mondialisation.

L’indice de Balassa de l’économie française, que l’on a représenté dans la figure 5, se calcule comme la somme du commerce extérieur (exportations + importations) en pourcentage du PIB. C’est une indication du taux d’ouverture internationale d’une économie. Ce taux était resté relativement stable jusqu’au début de 1988 où commence un premier mouvement d’accélération de l’ouverture économique. Puis, à partir de 1994, on assiste à un second mouvement, encore plus impressionnant. Il est directement lié aux conséquences du traité de Maastricht et au poids renouvelé pris par les directives européennes dans la gestion du commerce international français.

Ainsi peut-on comprendre la dynamique de cette ouverture, impulsée essentiellement par des négociations dans lesquelles l’Europe a joué un rôle majeur, et dont on voit aujourd’hui qu’elle est nettement excessive.

 

Figure 5

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Indice de Balassa de l’économie française


Sources : INSEE, comptes nationaux.

 

Loin de constituer un écran et une protection, les directives européennes ont souvent été en avance sur l’OMC. En fait, nous nous sommes ouverts massivement du fait de l’Europe, et nous en payons aujourd’hui le prix avec le processus de désindustrialisation et avec les diverses formes de délocalisation. Par ailleurs, cette ouverture n’a nullement profité à l’économie française. Le solde commercial, qui s’était un instant redressé au début des années 1990, a ensuite replongé, phénomène largement dû à la surévaluation de l’euro, mais pas uniquement.

En effet, la France et les autres pays européens ont aussi souffert à partir de 2002 de la politique de l’Allemagne qui a transféré une partie des coûts de la protection sociale des entreprises vers les travailleurs (ce que l’on a proposé en France sous le nom de TVA sociale). Par cette politique, l’Allemagne n’a pas seulement fait baisser ses coûts de production d’environ 10% ; elle a aussi contracté sa demande intérieure. Cette politique lui a permis de réaliser des gains commerciaux impressionnants, mais au détriment de ses voisins.
On constate alors (figure 7) qu’une telle politique qualifiée d’« exploitation du voisin » - ou, en anglais, Beggar thy neigbours - est parfaitement possible dans le cadre de l’Union européenne et de la zone euro !


Figure 6

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Solde commercial en % du PIB


Source : Base de données INSEE

Figure 7

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Balance des paiements courants


Source : Comptes nationaux.

 

Les banques ont aussi été dérégulées. Certes, le processus a été moindre qu’aux États-Unis, mais pas de beaucoup.
Ne trouvant pas d’occasions de placement suffisamment rémunératrices en Europe, du fait de la politique monétaire de la BCE, elles se sont précipitées sur les titres américains. Nous sommes devenus ainsi partie prenante de la crise aux Etats-Unis. À cet égard, si l’on a beaucoup glosé sur l’état des banques britanniques, il faut constater qu’un pays que l’on décrivait comme « vertueux », tel l’Allemagne, a été au moins autant touché par les créances dites « toxiques ».

L’Union européenne non seulement n’a pas été un instrument de protection face à la crise, mais, par sa politique macroéconomique comme par sa politique structurelle, elle a été un facteur puissant de son importation.

Une responsabilité particulière revient à la zone Euro et à la BCE qui, tant du fait de l’appréciation de l’euro - qui n’a pas été combattue et qui a même été souhaitée comme mécanisme de lutte contre l’inflation - que de celui des politiques de réglementation et de supervision des banques. Dramatiquement insuffisantes, elles ont largement contribué à propager la crise américaine et à en faire une crise mondiale.


 

Figure 7
Taux de change du dollar face à l’euro (dollars pour 1 euro)

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Taux de change du dollar face à l’euro (dollars pour 1 euro)

 

L’épuisement de l’Europe se voit aussi dans les réactions face à la crise. Il n’y a pas eu de plan de relance commun, mais la simple addition des plans nationaux. Les discours ronflants sur ce point ne changent rien.
Les pays de l’Union européenne se sont d’ailleurs contentés de jouer sur la dépense publique, et de manière en réalité relativement limitée à l’exception de l’Espagne et de l’Irlande, pour ce qui concerne les plans de relance. Ils n’ont introduit quasiment aucune mesure de politique industrielle, alors que le besoin en est pressant.
Il faut ajouter que la Commission a veillé à ce qu’il en soit ainsi, en s’opposant à tout ce qui pouvait ressembler à de telles politiques. L’application des directives européennes sur la concurrence et les services publics va se traduire par ailleurs par un nouveau choc déflationniste sur nos économies.

 

Tableau 4
Ampleur des plans de relance en Europe

 

PIB nominal en milliards d’Euros

Taille du plan de relance en % du PIB

Taille des stabilisateurs automatiques en % du PIB

Total de l’action gouvernementale

France

1995,0

1,0%

0,53%

1,53%

Allemagne

2566,4

2,6%

0,51%

3,11%

Danemark

243,4

2,2%

0,59%

2,79%

Royaume-Uni

1890,2

1,5%

0,45%

1,95%

Italie

1621,4

0,2%

0,53%

0,73%

Espagne

1117,6

4,6%

0,44%

5,04%

Source : A. Watt (avec l’assistance de M. Nikolova), « A Quantum of Solace ? An assessment of fiscal stimulus packages by EU Members States in response to the economic crisis », ETUI Working Paper 2009.05, Bruxelles, 2009.

 

D’ores et déjà, la division entre Réseau Ferré de France et la SNCF, entre EDF et le Réseau d’électricité, sont la cause d’incidents multiples et généralement d’une baisse dramatique des investissements en infrastructures. Nous ne pouvons même plus jouer sur cette variable, qui a pourtant l’immense avantage d’assurer que la dépense que l’on fait bénéficie aux entreprises employant de la main d’œuvre nationale.

Dernier exemple, le Sommet de Copenhague où l’Europe a été incapable de peser d’un poids quelconque en raison de ses divisions. Il est vrai que définir une position commune à 27 tenait de la gageure. Nous avons payé au prix fort le processus de l’élargissement, et sans en avoir de réelles retombées politiques comme on l’a vu lors des dernières élections au Parlement européen.

L’Union européenne n’est plus le cadre nécessaire ni même efficace de la croissance. La politique de la BCE, entièrement tournée vers la stabilité des prix, entrave cette dernière. Elle le fait au nom du dogme qui veut que la stabilité des prix soit un préalable nécessaire à la croissance, alors que nous savons depuis des années, d’une part, qu’un certain niveau d’inflation peut être nécessaire à la croissance et, d’autre part, que ce niveau d’inflation diffère suivant les pays.
Telle était le constat que l’on pouvait tirer avant la crise. Il s’appliquera avec encore plus de force pour la sortie de la crise.

 

  1. - Quelles politiques ?

 

Nous sommes donc confrontés à la perspective d’une période relativement longue de faible croissance et d’accélération du processus de déconstruction sociale dont nous pouvons déjà voir les effets de nos jours. Le dérapage de la dirigeante socialiste, Mme Martine Aubry, sur la question de l’age de la retraite indique bien que, sur nombre de problèmes, il y a un accord de fond entre le gouvernement actuel et une partie de l’opposition. Ce dérapage n’est d’ailleurs pas le premier que commet un dirigeant socialiste dans le domaine de la politique économique. C’est cette situation qui engendre le remplacement du débat politique par la querelle des ego.

On va dès lors lancer des noms en supputant leurs chances de battre Nicolas Sarkozy en 2012. On avancera des noms, tel aujourd’hui et tel autre demain. Mais on ne posera jamais la seule véritable question qui est « pour quelle autre politique ? ».

Pourtant, une autre voie est possible. Elle est surtout nécessaire si nous ne voulons pas nous résigner à la régression sociale et au démantèlement du modèle social français et de ce qu’il apporte, y compris au-delà de nos frontières.

Il faut ici évacuer l’une des solutions qui est le plus souvent proposée et qui, en réalité, est une solution fausse : l’alignement de la politique économique et sociale de la France sur ce qui est qualifié de « modèle scandinave » (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède). Les pays censés composer ce modèle ne sont en effet ni homogènes entre eux ni comparables aux pays de l’Europe occidentale.

Il y a tout d’abord un effet d’échelle. Aucun de ces pays ne dépasse les 10 millions d’habitants, et certains sont même très en dessous de ce chiffre. On ne transpose pas des solutions, seraient-elles réellement miraculeuses, d’un pays de 10 millions à un pays de plus de 65 millions d’habitants. La complexité des problèmes sociaux et économiques, le degré d’hétérogénéité de l’économie croissent avec la taille démographique et, en réalité, avec le carré de celle-ci.

L’incompréhension de ces effets d’échelle et le parti pris théorique de ne pas en tenir compte invalident radicalement, mais sûrement, les comparaisons en la matière.

Par ailleurs, ces pays sont très largement différents quant à leurs dynamiques économiques. L’un, l’Islande, a fait faillite avec la crise et ne s’en remettra pas avant longtemps. Un autre, la Norvège, est en réalité un émirat pétrolier du cercle polaire. Le fait qu’il gère fort astucieusement ses ressources n’y change rien. Abusivement classée dans les pays scandinaves, la Finlande, quant à elle, a largement bénéficié de la croissance russe des années 2000, qui a eu un puissant effet de traction sur son économie. La Danemark bénéficie d’une ancienne, et durable, spécialisation sur des produits de l’agro-alimentaire, ainsi que sur quelques niches. Il peut se le permettre, étant donné sa petite taille. Vouloir cependant transposer cette politique, qui finance la fameuse et tant vantée « flex-sécurité » à un pays dont la population est pratiquement dix fois plus nombreuse relève de la folie pure. Quant à la Suède - le plus grand des pays scandinaves -, outre le fait que son modèle social est profondément en crise, il faut ajouter qu’elle n’est pas membre de la zone euro, ce qui n’est pas sans importance. Elle bénéficie aussi d’une dotation en facteurs très avantageuse (on le voit avec l’importance de l’électricité hydraulique dans sa balance énergétique).

Il est ainsi parfaitement vain de parler d’un « modèle scandinave » comme si nous étions en présence d’un ensemble économique homogène. De plus, pris un par un, ces pays sont bien trop petits pour pouvoir nous fournir une base de comparaison et d’imitation. Il faut abandonner le recours à ce « modèle » qui doit être compris comme une facilité de langage bien plus que comme une réalité.

Ceci nous renvoie donc à notre problème initial : la définition d’une politique économique et sociale en mesure de sortir la France de son marasme. En théorie, une autre politique européenne serait possible, car ce que l’Europe a défait, elle pourrait, idéalement, le refaire. On peut imaginer une autre politique de la BCE qui, en particulier, accepterait alors de financer la dette publique induite par la crise au même taux que celui auquel elle refinance les banques, et qui adopterait un objectif de plein-emploi en concurrence avec son objectif d’inflation. On peut imaginer un euro évoluant de la monnaie unique à la monnaie commune.

On peut imaginer cette Europe introduisant des droits de douane fondés sur les différences de situation sociale et écologique avec les autres pays, et rétablissant, pour une période transitoire, l’équivalent des montants compensatoires monétaires entre les anciens et les nouveaux membres, ici encore au service d’une harmonisation sociale et écologique.

On peut enfin imaginer une harmonisation des règles sociales à l’échelle européenne avec une convergence progressive sur le modèle social le plus avancé.

Il n’est pas interdit de rêver ni d’imaginer. D’une certaine manière, cela représente la meilleure des situations possibles. Mais la réalité nous impose de regarder les choses en face. Toucher au statut de la BCE implique, d’une part, un affrontement avec l’Allemagne et, d’autre part, de convaincre les 14 autres pays membres. Enfin, cela fait plus de vingt ans que l’on parle d’une « Europe sociale » et elle reste toujours dans les limbes.

On doit donc considérer que de telles réformes ne seront pas possibles à 27 et, même dans le cadre d’une Europe réduite aux 15 membres d’avant le processus d’élargissement de 2004 et 2006, elle se heurtera à la règle de l’unanimité. Accepter de s’y plier, c’est accepter tout ce que l’on a décrit au début de ce texte. C’est la pire des situations possibles. C’est pourquoi il nous faut, sur la base de l’expérience, récuser toute politique qui ne donnerait que l’Europe comme solution à la crise de l’Europe.

Il existe pourtant une situation qui, sans être la « meilleure », nous assure au moins de ne pas nous résigner au pire. L’Europe ne se changera pas sans un affrontement, voire un éclatement. Nous ne ferons pas l’économie d’une épreuve de force. Il faut s’en convaincre et s’y préparer afin d’en tirer le meilleur parti. Nous n’avons pas à la redouter. Ce sera l’occasion de remettre à plat l’architecture de la construction européenne. Il n’est pas d’autre choix possible que d’avancer, pour un temps, seul. Mais, l’ébranlement que provoqueraient des actions unilatérales de la France aurait comme effet immédiat d’ouvrir un immense débat en Europe. Si nous aurons à prendre nos premières décisions seuls, gageons que nous ne le resterons pas longtemps.

Disons le tout de suite, cette épreuve de force a pour but de faire évoluer nos partenaires. Une occasion a été perdue en 2005. À la suite du référendum sur le TCE, il aurait été possible d’avancer dans une autre direction. Tout s’y prêtait, entre autres, la légitimité que confère un vote aux résultats nets. Ceci n’a pas été le choix de Jacques Chirac, et il en porte l’entière responsabilité. Mais il est également vrai que tout ce qui pouvait être dit à l’époque s’est depuis vérifié. Nous pouvons désormais faire le tri des discours et des expériences.

Une politique alternative devra alors, au départ, être conçue pour être exécutée par la France de manière unilatérale. Elle devra s’inscrire simultanément dans une perspective de long terme et de court terme. Elle devra se fixer comme objectif de reconstituer l’alliance indispensable entre les classes populaires et les classes moyennes.

Un tel objectif implique une confrontation directe avec le sommet des couches aisées et, en particulier, avec celles qui se sont dénationalisées dans la mesure où leurs revenus et leurs conditions de vie ne sont plus liés au territoire national.

Elle aura donc des éléments structurels. Une autre politique fiscale est nécessaire et elle implique, pour être efficace, un strict contrôle de la circulation des capitaux à court terme. Ceci aura pour effet de mettre entre parenthèses la zone euro, mais sans toucher pour l’instant à l’essentiel. Dans la mesure où la France est un exportateur net de capitaux, ce contrôle ne peut être que bénéfique.

Cette politique fiscale devra s’accompagner d’importantes et ambitieuses mesures concernant nos infrastructures. Elles viseront à accroître l’efficacité énergétique et réduire l’impact écologique, à améliorer le réseau de transports et à mettre fin à l’appauvrissement de nos services publics, et en premier lieu de l’éducation.

La reconstruction de nos villes, en vue d’en améliorer l’écologie sociale et environnementale, sera aussi une priorité. De telles mesures ne sont pas compatibles avec les directives européennes sur ce point. Ces dernières devront être suspendues sine die.

Ces mesures cependant s’inscrivent dans le long terme. Elles posent le problème de leur financement et ne répondent qu’imparfaitement aux urgences de l’heure.

La dimension conjoncturelle de cette politique alternative devra avoir deux volets : l’un concernant la taxation des importations et l’autre concernant le domaine de la monnaie.

Il conviendra donc, dans un premier temps, d’introduire immédiatement l’équivalent de ce que l’on appelle dans le mouvement syndical européen une « taxe sociale et écologique aux frontières ». Elle pourrait prendre deux noms, « taxe » pour les pays hors de l’UE et « montant compensatoire social et écologique » pour les pays membre de l’UE. Son principe est simple. Il s’agit de prélever sur tout produit entrant en France, pour y être consommé ou utilisé, la différence qui existe entre la productivité du pays d’origine et la France pour les biens de la branche, et le coût salarial total (incluant le salaire direct et les salaires indirects).

Le produit de cette taxe serait utilisé temporairement (et cela a beaucoup d’importance) à subventionner certaines de nos exportations. En effet, dans la situation actuelle il ne suffit pas de faire monter les coûts de nos importations mais il faut aussi faire baisser ceux de nos exportations, du moins pour certains produits industriels. Ce faisant, nous ne ferions, sous une autre forme, que répondre à la politique allemande du début de la décennie. Il est clair que l’utilisation de cette taxe peut être différente. Quand nous arriverons à un accord avec nos partenaires, il est probable que le produit de cette taxe sera affecté à un fonds social et écologique européen. Mais ceci devra être l’un des résultats du débat que nous aurons impulsé à travers la mise en œuvre unilatérale de cette taxe.

Dans le même temps, il conviendra de modifier le statut de la Banque de France pour, d’une part, l’autoriser à prendre unilatéralement toute mesure réglementaire conservatoire et, d’autre part, pour l’autoriser à acheter des bons du Trésor. Nous avons ainsi la condition de financement de la politique structurelle évoquée plus haut. Notons que l’on se place toujours dans le cadre de l’euro. La Banque de France émettrait ainsi des euros par un simple jeu d’écritures, droit quelle peut parfaitement s’arroger. Cela aurait pour effet de faire baisser le taux de change de l’euro rapidement.

Mais, il est évident que ceci met en cause la zone euro, et implique des négociations rapides sur son futur. Notons que, dans ce cas, nous serions relativement protégés par un contrôle strict sur les mouvements de capitaux, déjà évoqué dans le cadre des mesures structurelles. Dès lors, deux solutions se dessinent. Soit nos partenaires de la zone admettent que la BCE doit changer et doit porter sa part de l’endettement public consenti en contrepartie de sa politique restrictive de la période précédente et du soutien à l’économie durant la crise. C’est donc la BCE qui prendra alors le relais de la Banque de France ainsi ressuscitée. Soit aucun accord n’est possible. Dans ce cas, nous assisterons à l’éclatement de la zone euro et au retour à la souveraineté monétaire qui, désormais, retrouve son plein exercice avec le contrôle des capitaux aboutissant à rendre sa liberté à la Banque de France en matière de taux d’intérêt.

Cette solution présente pour certains bien plus de dangers que pour la France. La probabilité d’une forte réévaluation de la monnaie allemande se profile alors, dans la mesure où elle ne peut plus compter sur les prétendus « mauvais élèves » de la zone euro pour compenser les effets de son excédent commercial. Cette appréciation risque de condamner à terme le modèle allemand, et ce d’autant plus si elle est accompagnée d’une taxe aux frontières. La logique voudrait donc que l’Allemagne accepte une refonte de la zone euro.

Tel est le cadre technique dans lequel devrait s’inscrire une politique économique alternative. Un certain nombre de mesures ont été volontairement laissées dans l’ombre. Il est clair qu’une telle politique provoquera, au départ, de fortes tensions et qu’il convient ne pas dévoiler la totalité des mesures qui pourraient être prises. Cependant, le cadre ainsi fixé est clair. Il faut, à court terme, jouer sur des doits de douane et sur la dimension monétaire pour retrouver le cadre d’une expansion économique tout en provoquant une réduction du poids relatif de la dette. Il faut, à long terme, réorienter l’investissement en le dégageant de la pression des marchés financiers (d’où le rôle stratégique du contrôle des capitaux) afin de le diriger vers les infrastructures, ce qui implique la mise en sommeil de certaines des directives européennes (mais pas de toutes).

Une telle politique est la seule pouvant offrir un réel espoir aux classes populaires, qui ont vu leurs revenus stagner depuis maintenant dix ans, mais aussi aux classes moyennes auxquelles elle ouvre la perspective d’un rééquilibrage de la pression fiscale et, via le retour à une forte croissance, d’une reprise de l’ascenseur social. C’est donc autour de cette politique que doit se construire l’alternative politique faisant écho à l’alternative économique.
Dès lors, la question du choix du candidat est relativement secondaire. Elle doit donc être posée après, et non avant le choix d’une politique, et lui être subordonnée.

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28 mars 2010 7 28 /03 /mars /2010 03:53

carte postale de Malcolm Payne


FIN DE SIECLE A JOHANNESBURG
NANTES 17-25 OCTOBRE 1997

Arborescence Sud-Africaine. Des artistes en fin de siècle.
South African Arborescence. End of the century's artists.
CRDC NANTES - FRANCE

Malcolm PAYNE
Title in progress (détail).
Installation vidéo. 1996.
Programmation : Kendell Geers
Photo © Mark Lewis

Avec le soutien du Crédit Municipal de Nantes

 

 

Sur cARTed Network



L’Appel du 22 mars
Changer la politique pour changer de politique
http://goudouly.over-blog.com/article-l-appel-du-22-mars-47153108.html

par Daniel Cohn-Bendit


Cest un tournant historique. Des européennes aux régionales, l’écologie politique s’installe désormais comme un espace autonome dans le paysage politique français. Mais devant l’ampleur des défis auxquels doivent répondre nos sociétés, la consolidation est une nécessité absolue. Il faut nous inscrire dans la durée et honorer ce rendez-vous avec l’histoire sous peine de disqualifier notre critique de l’irresponsabilité de ceux qui ne font rien, à Copenhague ou ailleurs, parce qu’ils sont incapables de dépasser leur petits intérêts particuliers.
Nous avons besoin d’une structure pérenne et souple à la fois, capable d’élaborer des positions collectives et de porter le projet écologiste, sans s’abîmer dans la stérilité des jeux de pouvoir ou la folle tempête des égos en compétition.


 

Soyons clair : il est hors de question d’abandonner aux appareils de parti, cette dynamique de renouvellement politique et social. Cela reviendrait à nous installer au cimetière, déjà bien encombré, des espérances déçues. Je reconnais d’ailleurs que sous la pression des échéances électorales, nous avons trop longtemps repoussé la question de la forme de notre mouvement, au point de laisser le rêve en friche. Entre simple marque électorale et réseau purement virtuel, Europe Écologie est restée une projection, où chacun pouvait voir midi à sa porte. D’ailleurs, les résultats contrastés de nos listes au premier tour des régionales soulignent le succès de ceux qui ont respecté l’esprit du rassemblement face à ceux qui se sont contentés d’en appliquer formellement la lettre, le réduisant à une simple tactique d’ouverture. Sans en renier l’histoire récente, il est temps d’incarner l’écologie politique dans un corps nouveau, une forme politique largement inédite, décloisonnée, pour mener la transformation de la société

Abstention, populismes, clientélisme… Cette élection le prouve encore : depuis des décennies, le fossé n’a cessé de se creuser entre la société et le politique. Le divorce démocratique est profond entre des logiques partidaires complètement déracinées qui fonctionnent en hors-sol et une société active, diverse, créative mais sans illusion sur la nature et les formes du pouvoir qui s’exerce sur elle. Les partis politiques d’hier étaient de véritables lieux de socialisation et d’apprentissage de la cité. Mais aujourd’hui ils se réduisent le plus souvent à des structures isolées de la société, stérilisées par de strictes logiques de conquête du pouvoir, incapables de penser et d’accompagner le changement social, encore moins d’y contribuer.
Parti de masse caporalisé ou avant-garde éclairée de la révolution, rouge voire verte : ça, c’est le monde d’hier. Celui de la révolution industrielle et des partis conçus comme des machines désincarnées, sans autre objet que le pouvoir. Comme des écuries de Formule 1, ces belles mécaniques politiques peuvent être très sophistiquées et faire de belles courses entre elles, mais elles tournent en rond toujours sur le même circuit, avec de moins en moins de spectateurs.

Le mouvement politique que nous devons construire ne peut s’apparenter à un parti traditionnel. Les enjeux du 21e siècle appellent à une métamorphose, à un réagencement de la forme même du politique. La démocratie exige une organisation qui respecte la pluralité et la singularité de ses composantes. Une biodiversité sociale et culturelle, directement animée par la vitalité de ses expériences et de ses idées. Nous avons besoin d’un mode d’organisation politique qui pense et mène la transformation sociale, en phase avec la société de la connaissance. J’imagine une organisation pollinisatrice, qui butine les idées, les transporte et féconde d’autres parties du corps social avec ces idées. En pratique, la politique actuelle a exproprié les citoyens en les dépossédant de la Cité, au nom du rationalisme technocratique ou de l’émotion populiste. Il est nécessaire de « repolitiser » la société civile en même temps que de « civiliser » la société politique et faire passer la politique du système propriétaire à celui du logiciel libre.
Je n’oublie pas l’apport important des Verts pendant 25 ans pour défendre et illustrer nos idées dans la vie politique française. Néanmoins, non seulement la forme partidaire classique est désormais inadaptée aux exigences nouvelles de nos sociétés, mais je crois en outre que tôt ou tard, elle entre en contradiction avec notre culture anti-autoritaire, principe fondamental de la pensée écologiste. Ni parti-machine, ni parti-entreprise, je préférerais que nous inventions ensemble une « Coopérative politique » – c’est à dire une structure capable de produire du sens et de transmettre du sens politique et des décisions stratégiques. J’y vois le moyen de garantir à chacun la propriété commune du mouvement et la mutualisation de ses bénéfices politiques, le moyen de redonner du sens à l’engagement et à la réflexion politique.

Si cette Coopérative a évidemment pour objectif de décider collectivement aussi bien des échéances institutionnelles d’ici 2012 que des grandes questions de société, sa forme définitive n’est pas encore fixée. Il reviendra à ses membres d’en définir les contours, la structure et la stratégie. Ce débat doit être ouvert. Pour cela, j’appelle à la constitution de Collectifs Europe-Ecologie-22-mars. Constitués sur une base régionale ou locale pour éviter tout centralisme anti-démocratique, ces collectifs seront de véritables Agoras de l’écologie politique, modérées sur www.europeecologie22mars.org.

Leur principale mission étant de penser la structuration du mouvement, ils resteront une étape transitoire, qui devra céder la place à la Coopérative qu’ils auront contribué à construire. Pendant toute la durée de leur existence, ils respecteront un principe de double appartenance, pour les associatifs, les syndicalistes et même ceux qui sont encartés dans un parti politique. Parce qu’on peut être vert, socialiste, cap21, communiste, que sais-je encore, et partie prenante de cette dynamique collective. Encore une fois, l’important est moins d’où nous venons, mais où nous voulons aller, ensemble. C’est l’esprit même du rassemblement qui a fait notre force, cette volonté de construire un bien commun alternatif.
Le moment venu, chaque membre de la Coopérative votera pour en consacrer démocratiquement la naissance. Jusqu’ici, Europe Écologie s’est contenté d’être un Objet politique assez inclassable. L’enjeu de la maturité, c’est sa métamorphose en véritable Sujet politique écologiste autonome, transcendant les vieilles cultures politiques.

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21 mars 2010 7 21 /03 /mars /2010 03:11
carte postale de Mire Association


Mire
CINÉMA EXPÉRIMENTAL

Projection "Lyrisch Nitrate" de Peter Delpeut - Nantes - butte Ste-Anne, 14 mai 94
photo Laurent Moriceau

cARTed Network
The cARTed Picture Show

Capitalisme contre démocratie

http://goudouly.over-blog.com/article-capitalisme-contre-democratie-46617137.html


Thomas Coutrot,


Revue du MAUSS permanente

http://www.journaldumauss.net/spip.php?article663

 

Contrairement à l’idée dominante que la convergence entre capitalisme, libéralisme et démocratie serait inéluctable et souhaitable, Thomas Coutrot montre que leurs relations ne cessent d’être contradictoires et délétères : tandis que le capitalisme des monopoles contredit l’idéal concurrentiel, le libéralisme économique sape le libéralisme politique, et la démocratie formelle va dérivant loin de la démocratie substantielle, qui signifie l’exercice effectif de la souveraineté populaire.

 

 

La démocratie capitaliste libérale constituerait la forme supérieure et définitive de l’organisation des sociétés humaines. Telle est la doxa qui s’est imposée à l’échelle mondiale après la chute de l’URSS. Cette « pensée unique » postule la convergence inéluctable entre des principes d’organisation de l’économie (le capitalisme), de l’État (le libéralisme) et de la souveraineté (la démocratie). Ses arguments sont bien connus : la liberté d’entreprendre, la libre concurrence et le libre marché, bref, le capitalisme, sont des aspects intangibles de la liberté humaine. La démocratie est le seul mode de gouvernement qui suppose et développe la liberté des citoyens. Elle n’est enfin que l’application au marché politique des lois du capitalisme : libre choix du consommateur-électeur, libre concurrence, loi de l’offre et de la demande... La synergie entre capitalisme, libéralisme et démocratie fait du modèle occidental la « fin de l’Histoire » et le destine à gagner l’ensemble de la planète du fait de son dynamisme économique sans équivalent (version Francis Fukuyama) ou à susciter la haine et l’envie des autres « civilisations » (version Samuel Huntington).


Le recul quasi général de la participation électorale, la montée du populisme de droite, l’effritement des solidarités sociales, le recul des libertés civiles depuis le 11 septembre 2001, pourraient avoir fissuré ce bel édifice idéologique. Mais, aussi fragilisé soit-il dans la réalité, le modèle de la démocratie capitaliste libérale conserve son hégémonie intellectuelle.


Pourtant la supériorité prétendue de la démocratie capitaliste libérale repose sur des fondations théoriques particulièrement précaires. Dans le discours dominant, capitalisme, libéralisme et démocratie sont devenus des synonymes quasiment interchangeables. En réalité ces trois concepts ont des histoires et des significations très différentes. Leurs rapports mutuels sont traversés de graves tensions dont l’exacerbation éclaire l’actuelle crise de la démocratie.


Les rapports ambigus du capitalisme et du libéralisme

On connaît les deux visages du libéralisme. Sa face politique - liberté d’expression, d’association, de presse ou de religion - est séduisante et fait quasiment l’unanimité, même si elle passe sous silence que ces droits « libéraux » sont devenus réalité grâce aux luttes sociales. Sa face économique est plus controversée : les vertus du laissez-faire, de la main invisible du marché, le caractère sacré de la propriété privée, sont des croyances certes ancrées dans l’idéologie dominante mais aucunement consensuelles.


Malgré l’apparente aversion du libéralisme politique pour la concentration du pouvoir économique, « qui est à la société économique ce que le despotisme est à la société politique » selon Adam Smith, le capital n’a cessé de se concentrer. Marx a décrit mieux que quiconque cette tendance inexorable qui ne s’est pas interrompue une seconde depuis son époque. Le « capitalisme réellement existant » ne vit que par et pour la concentration et les rentes de monopole. Par le jeu incessant des fusions-acquisitions, sous la pression de la finance, grande amatrice de positions dominantes, le monopoly mondial s’accélère aussi, reconstituant à l’échelle globale les oligopoles un moment déstabilisés par la concurrence. Le libéralisme économique accélère la concentration capitaliste et renforce les féodalités de l’argent. Il sape par là même les bases du libéralisme politique, l’égalité des citoyens devant la loi et la chose publique. La tendance séculaire à la concentration du capital rend sans cesse plus aiguë la contradiction entre les droits des citoyens et ceux des propriétaires, aujourd’hui les actionnaires et leurs chargés de pouvoir. Qu’on pense par exemple à la concentration dans le secteur des médias et de l’édition, ou aux pressions que les transnationales font peser sur les décideurs politiques.


Cette aporie du libéralisme, qui semble condamné à s’autodétruire, renvoie à la contradiction entre libéralisme politique et libéralisme économique. « Le libéralisme conçoit l’État comme État de droit autant que comme État minimal » (Norberto Bobbio, Libéralisme et démocratie, Cerf, 1996). L’État de droit est supposé protéger le citoyen de la violence et de l’arbitraire. Mais l’État minimal laisse les propriétaires du capital accumuler des pouvoirs illimités ; en même temps, pour les protéger des protestations des opprimés, il use de son monopole de la violence légitime, selon la définition que Max Weber donnait de l’État. Quand les inégalités s’accroissent et quand l’insécurité se répand, l’État minimal devient autoritaire et commence à mettre à mal l’État de droit : en France les réformes « Sarkozy » de 2003-2006, aux États-Unis le Patriot Act ou Guantanamo... L’état de guerre permanent devient le meilleur argument électoral, pour Bush, Poutine et leurs nombreux émules.


Capitalisme et démocratie : mariage tumultueux ou divorce consommé ?

Les rapports entre capitalisme et démocratie sont eux aussi conflictuels. Tocqueville s’inquiétait de cette contradiction : « Pense-t-on qu’après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois, la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches ? ». Le sociologue américain Robert Dahl parle de « mariage tumultueux » pour décrire les rapports du capitalisme et de la démocratie. Si tumultueux que le divorce a souvent été prononcé : le fascisme, le nazisme, le franquisme et bien d’autres régimes autoritaires ont été instaurés pour sauver le capitalisme en sacrifiant la démocratie...


Après la Seconde Guerre mondiale, les luttes sociales imposent le compromis keynésien - l’État-providence - dans bien des nations occidentales : les substantielles concessions faites au plus grand nombre permettent de redonner une légitimation à un capitalisme aux abois. Mais la crise et l’offensive néolibérale mettent fin à cette alliance éphémère entre démocratie et capitalisme, reconduisant la profonde division...


La mondialisation néolibérale finit par vider les institutions démocratiques de leur substance, n’en conservant que la forme. La mobilité du capital lui donne un pouvoir coercitif sans équivalent. Si les politiques d’un gouvernement ne satisfont pas les exigences des investisseurs, ces derniers le sanctionnent immédiatement en retirant leurs capitaux. Le développement du chômage finit par démoraliser les couches populaires et convaincre les électeurs de consentir sans violence aux mesures exigées : réduction des dépenses publiques, lutte prioritaire contre l’inflation, privatisation des services publics, flexibilité des contrats et du travail... La constitutionnalisation des politiques néo-libérales, sanctuarisant les intérêts de la finance au dessus du politique, s’inscrit dans les traités internationaux, dans les statuts des Banques centrales « indépendantes », dans les autorités « indépendantes » de régulation...


Démocratie ou libéralisme

Cette tension entre capitalisme et démocratie apparaît ainsi irréductible et en voie d’aggravation. La démocratie est elle aussi un concept à deux visages. Comme le capitalisme des monopoles contredit l’idéal concurrentiel, comme le libéralisme économique sape le libéralisme politique, la démocratie formelle va dérivant loin de la démocratie substantielle, qui signifie l’exercice effectif de la souveraineté populaire.


Car, selon Bobbio, le terme de démocratie recouvre au moins deux concepts distincts : d’une part, la « démocratie formelle » qui consiste dans le respect des règles - suffrage universel, droits civiques et politiques...- visant à ce que « le pouvoir fasse l’objet d’une distribution touchant la majorité des citoyens » ; d’autre part, la « démocratie substantielle » fondée sur l’idéal d’égalité et de participation des citoyens aux décisions collectives. La démocratie formelle est une condition absolument nécessaire, mais pas suffisante : la démocratie substantielle exige aussi une certaine égalité des conditions économiques, des capacités réelles de compréhension et d’intervention des citoyens.


La différence de point de vue entre libéralisme et démocratie est claire : les libéraux sont partisans d’un État qui gouverne le moins possible et assure la sécurité. La démocratie formelle leur suffit. Les démocrates veulent un état où le gouvernement soit le plus possible entre les mains des citoyens, et revendiquent la démocratie substantielle.


Dans la mondialisation actuelle, coexistent une extension géographique inédite des procédures démocratiques et une explosion des injustices sociales. Avec la dérégulation et les privatisations, les capacités d’action des dominants creusent l’écart avec celles des dominés. D’un côté la démocratie formelle progresse, et cela contribue indiscutablement à la légitimité du système ; mais de l’autre la capacité effective des dominés à se faire entendre recule, ce qui affaiblit la démocratie substantielle. Il y a une étroite cohérence entre ce recul de la capacité d’action des dominés et l’indifférence (au mieux) des politiques publiques à la question des inégalités. Car seule la démocratie substantielle produit des orientations politiques qui reflètent la volonté bien informée de la majorité de la population. Elle seule peut garantir que les orientations retenues seront justes aux yeux de cette population.


Sortir du libéralisme par le haut

Les grands penseurs modernes de la démocratie étaient assez lucides sur les contradictions entre capitalisme et démocratie. Qu’auraient-ils dit alors s’ils avaient pu voir à quel point la mondialisation néolibérale aggrave ces tensions ! Certains ne sont pas loin d’envisager des alternatives non capitalistes plus compatibles avec la démocratie. Ainsi John Rawls, un des plus importants penseurs libéraux de notre époque, juge conforme à sa Théorie de la justice un « régime socialiste libéral », où « les moyens de production sont propriété publique et les entreprises dirigées par des conseils ouvriers ». Autrement dit, un socialisme démocratique autogestionnaire, où les décisions économiques n’échapperaient plus à l’emprise de la délibération démocratique.

Plus que des raisons théoriques bien fondées, c’est à mon sens le recul de la critique anticapitaliste jusqu’à la fin du XXe siècle qui explique l’actuel discrédit politique de la perspective autogestionnaire. Pendant des décennies de guerre froide, l’opposition frontale entre libéralisme et communisme a limité l’espace vital de la pensée socialiste démocratique. L’alternative entre dictature du marché ou dictature du parti unique n’a pu être dépassée. Pourtant, au lieu du triangle incohérent capitalisme-libéralisme-démocratie, on peut identifier deux figures assez cohérentes : un « triangle néolibéral » (capitalisme de monopoles - libéralisme économique - démocratie formelle), auquel pourrait s’opposer un « triangle post-libéral » (socialisme autogestionnaire - libéralisme politique - démocratie substantielle). Dans le premier triangle, le libéralisme impulse la concentration et l’interpénétration des pouvoirs économiques et politiques ; la démocratie formelle légitime le tout, s’appuyant sur la démobilisation populaire, la manipulation médiatique et la logique sécuritaire. Dans le second, la répartition égalitaire des pouvoirs économiques et politiques s’appuie sur et renforce les libertés positives, à travers la participation directe des citoyens aux affaires de l’économie et de l’Etat.


Eric Olin Wright (« Taking the social in socialism seriously ») définit le socialisme démocratique comme un ordre social où la société civile contrôle démocratiquement l’Etat et l’économie. Le développement du mouvement altermondialiste exprime la réaction de la société civile aux menaces de plus en plus graves que la logique du capital financier fait peser sur les droits civils et sociaux, la démocratie, l’environnement, la paix... Faits nouveaux : la convergence inédite de mouvements sociaux classistes (les syndicats) et non classistes (les ONG) ; le caractère d’emblée international, voire mondial, de l’alliance qui se dessine. Ce mouvement refuse la marchandisation systématique des activités humaines, et exige que les populations et leurs représentants élus puissent maîtriser les grands choix économiques, sociaux et écologiques, aujourd’hui pris dans des enceintes privées ou « indépendantes ». Il apparaît aujourd’hui porteur d’exigences fortes de contrôle citoyen sur l’Etat et sur l’économie : les mobilisations sociales contre l’OMC, le G8 ou le FMI, le développement des formes de démocratie participative, le harcèlement des transnationales (Nike, Monsanto, Total...) par les ONG, les mouvements de commerce équitable et de consommation responsable, l’essor de l’économie solidaire, tous ces traits saillants du mouvement social signalent l’exigence d’un renouveau profond de la démocratie et de son extension à des domaines qui lui échappent encore. Dans la vie économique, en particulier en France, l’opinion publique manifeste régulièrement sa désapprobation massive de la gestion néo-libérale des entreprises, qui précarise, licencie et délocalise en fonction du seul critère de la rentabilité financière. Les citoyens veulent pouvoir peser sur les décisions majeures concernant la production, les conditions de travail et de rémunération, l’emploi, les relations de travail, etc. A l’inverse des politiques de privatisation et de déréglementation, la maîtrise collective du développement économique devient aussi un enjeu majeur avec l’aggravation de la crise écologique globale. L’extension du champ d’action de la démocratie, sa revitalisation par le développement de la participation populaire à tous les niveaux, constituent à la fois la finalité majeure et le moyen d’action privilégié du mouvement social. A terme, ce mouvement devra reposer la question du socialisme autogestionnaire comme le prolongement du processus de démocratisation des sociétés modernes engagé par le libéralisme et les Lumières.


Thomas Coutrot est économiste et statisticien.

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20 mars 2010 6 20 /03 /mars /2010 03:21


Savoir dire NON

No Sarkozy Day : Oui mais !
http://goudouly.over-blog.com/article-no-sarkozy-day-oui-mais-46262208.html


A l'invitation de mon ami Rimbus, je viens très attentivement de visionner l'interview réalisée par Fulgurance de Benjamin Ball, un des membres actif du No Sarkozy Day.


Je continue de penser que l'idée d'une journée consacrée à dire NON à Sarkozy répond à une nécessité compte tenu de ce dont Sarkozy est le nom et qui en soit représente un danger pour la Démocratie, la République et une certaine conception du vivre ensemble.


Je continue de penser que nous avons, en tant que citoyens, le devoir de manifester notre vigilance, notre opposition et notre colère face à la gangrène sarkozyste.


Cependant, je ne veux pas non plus taire ma grande méfiance face à la phraséologie employé par Benjamin Ball et qu'on retrouve assez largement dans l'appel que lui et ses petits camarades (une demi-douzaine) ont rédigé et diffusé - et qui est plus que probablement à l'origine de la désapprobation un peu trop empressée émise par mespropres petits camarades.


La démission - Il est évident qu'il est légitime dans une démocratie de pouvoir réclamer la démission d'un élu, là n'est pas la question. Il est même évident que lors d'une manifestation de masse organisée en opposition au sarkozysme, la démission deviendra un des, sinon le mot d'ordre, le cri du coeur qui se fera entendre. Le point est que rédiger un appel à se rassembler et manifester autour de ce mot d'ordre correspond d'entrée à une perte de crédibilité. Car ce n'est pas le coeur du sujet.


Le coeur du sujet, selon moi, est d'abord de dire NON à Sarkozy, dire à Sarkozy que nous n'acceptons pas ni sa politique de casse sociale ni sa conception autoritariste et liberticide du pouvoir, lui dire que tout ne lui est pas permis et que nous nous opposons et nous opposerons à ce qu'il aille trop loin - ce qui est largement fait -, lui rappelant avec force l'existence du peuple et de sa souveraineté, qui s'impose à lui.


Le cri de la démission ne serait que la conséquence de tout cela, sa traduction, une manière d'exprimer ce NON - et sans doute la plus vaine des manières, et probablement la plus désespérée. En ce sens on pourrait même dire qu'elle serait un aveu de faiblesse. En faire d'entrée un mot d'ordre est dès lors tout simplement une erreur politique.


Il aurait été pourtant... il serait pourtant assez simple de décrire le sarkozysme en quelques points, puis de conclure à un No Sarkozy Day... le 27 mars 2010... pour dire NON à Sarkozy et pondre ainsi un appel qui soit un peu moins dérisoire, un poil moins empreint de gaminerie.



La récupération - Et le voilà revenu, une fois de plus, comme à chaque fois, le discours démagogique sur les dangers de la récupération, sous-entendu par les tant méchants partis politiques. Mais bordel ! Manifester contre Sarkozy et sa politique c'est faire quoi sinon faire de la politique ?! C'est quoi cette idée que pour qu'un mouvement soit populaire, il faudrait absolument qu'il soit apolitique, surtout lorsque que de toute évidence il l'est, politique ?


On veut un maximum de gens dans la rue ? Que toutes les bonnes volontés soient alors les bienvenues, y compris la force de frappe des partis politiques. Le Front de Gauche veut en être ? Qu'il en soit. Le Parti Socialiste aussi ? Tant mieux. Et j'espère que le NPA ne fera pas sa mijaurée et en sera également. Et ce sera même une occasion pour les militants du Modem de démontrer leurs antisarkozysme, ça leur fera du bien. Il y a paraît-il, plus à droite encore, des personnalités qui souhaitent dire NON à Sarkozy. Qu'ils viennent, nous verrons bien jusqu'où les Villepin et les Dupont-Aignan sont eux-aussi anti-sarkozystes...


La récupération ? Mais j'espère bien qu'au bout du compte un tel mouvement puisse se récupérer dans les urnes. Quel sens ça aurait de beugler à la démission de Sarkozy en 2010 pour le voir réélu en 2012 ?

Le fait est que, de toute façon, faire un No Sarkozy Day est déjà faire de la politique. Le fait est que dire NON ne saurait être que le début d'un OUI - sauf à se complaire dans la sodomie de coléoptères.


Je crois qu'on n'a jamais raison de contribuer à la réthorique du tous pourris qui ne sont intéressés que par le pouvoir et vont récupérer les gentils mouvements apolitiques du gentils peuple qui a toujours raison - et à ce propos, même si je ne veux pas m'étendre ici sur la thématique des "assemblées générales populaires", il serait de bon ton tout de même de reconnaître que nous savons d'expérience que toute assemblée de ce genre fera nécessairement la part belle à des orateurs aguerris et surpolitisés, généralement formés à la dialectique par les mouvements trotskistes, spécialistes s'il en est de la récupération des mouvements de masses (c'est même leur raison d'être)... Mais passons.


Assumons plutôt un fait simple : La fin durable du sarkozysme, qui est un populisme médiatique, passe par un retour du peuple à la chose politique.

Les Partis politiques ne sont pas ce que nous voudrions qu'ils soient ? Il suffirait qu'au lendemain du No Sarkozy Day, 50 000 personnes adhèrent au Parti Socialiste pour que celui-ci ne soit plus du tout le même. Il en faudrait cinq ou dix fois moins pour transformer radicalement le Modem ou le Front de Gauche. Il est là le pouvoir du peuple, dans le fait de se saisir du politique. Car si dire NON ensemble c'est faire de la politique, faire chacun de la politique c'est créer les conditions de son propre OUI.


Le No Sarkozy Day se veut initiateur de quelque chose de nouveau. Qu'on évite donc les facilités et les démagogies. Qu'on évite de revenir aux vieux discours d'un mouvement qui serait populaire et apolitique, usant de slogans aussi réducteurs que mal taillés. Faisons plutôt de la politique, ça changera...

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18 mars 2010 4 18 /03 /mars /2010 03:12
carte postale de Matthias Olmeta

Hygiène :
service administratif chargé de faire peur de ce qui est sale.

"Pour mon spectacle, mon concept est d'envoyer de la merde partout mais j'attends le feu vert de l'hygiène"

(J. Ginde, Crème action, p.29)

Extrait du "Fictionnaire" de Tartar(e)
Foto © Matthias Olmeta

Sur cARTed Network

The cARTed Picture Show


Les politiques locales de l’économie sociale et solidaire à la croisée des chemins
http://goudouly.over-blog.com/article-les-politiques-locales-de-l-economie-sociale-et-solidaire-a-la-croisee-des-chemins--46511325.html

Par Laurent Fraisse

Revue du Mauss permanente

 

 

A propos des politiques locales de l’économie sociale et solidaire, du rôle des élus en charge de ce portefeuille, des difficultés qu’ils peuvent rencontrer et des futurs défis que ces politiques locales devront relever pour participer à la construction d’une économie plurielle.

Les politiques territoriales de l’économie sociale et solidaire sont relativement récentes en France. Historiquement c’est d’abord au niveau national, à travers notamment la création de la Délégation à l’économie et l’innovation sociale (DIES) au début des années 80, puis d’un Secrétariat d’Etat à l’économie solidaire (2000-2002), que les premiers contours d’une politique publique en faveur de l’économie sociale et solidaire ont été définis.
La nomination de délégués régionaux et l’organisation en 1999 de consultations régionales de l’économie sociale avaient donné une première impulsion. Mais c’est la désignation d’élus à l’économie sociale et solidaire, après les élections municipales, cantonales et régionales des années 2000, qui a permis de franchir un seuil dans la visibilité et la structuration de l’ESS (économie sociale et solidaire) comme nouveau champ de l’action publique territoriale.

Si les politiques territoriales de l’ESS peuvent être considérées comme une innovation institutionnelle des dix dernières années, il est difficile encore d’en évaluer l’ampleur et les impacts. Par exemple, il n’existe pas à ce jour de recensement exhaustif des centaines d’élus qui, dans les municipalités, agglomérations, départements et régions, ont fait reconnaître et développer une compétence en économie sociale et solidaire. Pourtant, les signes tangibles de dynamiques locales en faveur l’ESS existent. Citons le développement du Réseau des Territoires pour l’Economie solidaire (RTES)[1], qui regroupe aujourd’hui une cinquantaine d’élus, ou encore le « Manifeste des régions pour l’économie sociale et solidaire » de l’Association des Régions de France (ARF)[2].

Bien entendu, ces premières politiques sont concomitantes d’une consolidation des regroupements d’acteurs collectifs sur les territoires. La transformation des Groupements régionaux de la Coopération, de la Mutualité et des associations (GRCMA) en Chambres Régionales de l’Economie Sociale (CRES) à la fin des années 90 a marqué la volonté de faire des représentants de l’économie sociale de véritables partenaires territoriaux. C’est également dans la seconde partie des années 90 que se sont constitués les premiers regroupements d’acteurs de l’économie solidaire sur plusieurs territoires[3].

Si l’économie sociale et solidaire est un domaine récent des politiques publiques territoriales, cela ne veut pas dire que les coopératives, les mutuelles, les associations et, plus largement, l’ensemble des initiatives d’économie sociale et solidaire n’étaient pas jusqu’à présent soutenues par les collectivités territoriales. Elles l’étaient, mais de manière irrégulière et cloisonnée. Surtout, ce qui fait leur spécificité, leur double finalité économique et sociale, leur fonctionnement socio-économique collectif et participatif et plus largement leur prétention à faire de l’économie autrement, était rarement intégré comme un atout pour le développement local.


Les politiques territoriales de l’ESS en France, une trajectoire institutionnelle singulière ?

Comment expliquer l’affirmation de politiques régionales alors même que les politiques nationales de l’ESS se trouvent souvent réduites à la portion congrue, laissant les acteurs et les initiatives dépendre des aléas de politiques d’emplois aidés et d’insertion qui ne tiennent que trop rarement compte de la variété des activités de l’ESS et de leur utilité sociale ?

Plusieurs facteurs peuvent être ici avancés.

Il y a d’abord une dimension partisane, qui n’est pas négligeable. Les politiques territoriales de l’ESS ont été à l’origine portées par des coalitions « gauche plurielle », au sein desquelles les élus Verts ont souvent eu un rôle prépondérant dans la revendication et la construction de compétences territoriales en ESS. Ce marquage politique initial n’a pas été sans préoccuper les acteurs locaux soucieux de généraliser et d’élargir le portage politique de l’ESS à d’autres composantes de la gauche, et plus largement à l’ensemble des élus d’une collectivité locale. Toutefois, le renouvellement ou le changement d’un certain nombre d’élus à l’ESS dans les collectivités territoriales, à l’occasion des dernières élections municipales, témoigne d’une diffusion plus large de la compétence ESS, même s’il est encore trop tôt pour évaluer les impacts sur le contenu et « l’institutionnalisation » de ce nouveau domaine de l’action publique.

Il y a ensuite les dynamiques des acteurs et des réseaux, qui ont été relativement hétérogènes dans les différents territoires. Si le poids des initiatives socio-économiques joue, si la représentation que l’ESS constitue une forme d’entrepreneuriat différent, sinon un autre modèle économique, a progressivement fait son chemin dans le débat d’idées, l’émergence de l’ESS est moins le fruit d’une alliance avec le mouvement social, comme au Brésil (Laville et al., 2005), que des engagements et des profils particuliers des premiers élus à l’ESS[4]. Entrés tardivement en politique après un parcours militant ou syndical non sans incidence sur leur orientation professionnelle, ils ont souvent été praticiens de l’économie sociale et solidaire avant d’être élus. Cette expérience de terrain est un atout dans la mesure où ils savent à quel genre d’obstacles les entrepreneurs sociaux et porteurs de projets sont confrontés dans le montage d’activités solidaires.

Enfin, il faut mentionner des dimensions institutionnelles. De manière générale, la reconnaissance territoriale de l’ESS s’inscrit dans un mouvement de décentralisation, notamment des compétences en matière de développement économique et d’action sociale, avec une intégration croissante des initiatives socio-économiques de la société civile à la création de biens, de services et d’emplois répondant aux besoins des populations locales et au renforcement de la cohésion sociale. Pour autant, il y a comme un paradoxe français à voir émerger des politiques de l’ESS dans un pays qui a historiquement dénié aux corps intermédiaires la reconnaissance et le droit de participer à la production de l’intérêt général. La prégnance d’une culture politique où les élus et l’administration incarnent la volonté générale explique sans doute la nécessité d’avoir un élu, voire une administration dédiée, pour qu’un problème s’impose dans l’agenda politique et le débat public.


Un positionnement progressif dans le développement économique local

L’ambition des politiques de l’économie sociale et solidaire, mises en place sur les territoires dans les années 2000, est de s’afficher d’emblée comme transversale, c’est-à-dire à la fois comme intersectorielle et interstatutaire. Nombre d’élus tentent d’inscrire leur action au-delà de la gestion d’un (tiers) secteur de réparation sociale et d’insertion de publics cibles en affichant la volonté d’agir pour l’ensemble de la population d’une collectivité. Une politique transversale ne vise pas non plus un simple accroissement numérique des coopératives, des mutuelles, des associations et des autres entreprises sociales sans prendre en considération les autres acteurs économiques du territoire et les priorités du développement local. Enfin, une politique transversale ne se réduit pas à une addition de soutiens à quelques initiatives, filières ou secteurs clés comme le commerce équitable, la finance solidaire, l’insertion par l’activité économique, le développement des services aux personnes, etc.

Faut-il encore définir et faire la démonstration auprès des acteurs de l’économie sociale et solidaire, des élus et de l’opinion publique, de la nécessité et de l’efficacité d’une action transversale ? La constitution d’enjeux politiques communs en termes de connaissance et de valorisation, de soutien aux réseaux, de création d’emplois et d’activités, de financements et d’arbitrages budgétaires, d’accès aux marchés publics, etc. s’avère alors déterminante pour rassembler autour d’un projet de développement des acteurs et des réseaux dont la cohérence idéologique et économique est parfois questionnée.

Dans le prolongement des premières recherches menées sur l’action publique et l’économie solidaire[5], notamment les études du MES et du RTES[6], nous insisterons ici sur les quatre enjeux majeurs que sont la visibilité et la structuration locale de l’ESS, l’appui et l’accompagnement des initiatives, les financements et la régulation des aides et des marchés publics.


La mise en visibilité et la structuration locale, une étape incontournable de reconnaissance

Le nouvel élu à l’ESS est confronté à l’obligation de préciser son domaine de compétence auprès de ses collègues et d’une administration qui connaissent mal ou peu l’ESS. Qu’est-ce que l’économie sociale et solidaire ? A quels types d’acteurs et d’entreprises cette politique s’adresse-t-elle ? Quels sont les enjeux communs aux différents acteurs et réseaux ? Avec quels interlocuteurs légitimes dialoguer et agir ? Telles sont les questions difficilement contournables auxquelles il doit s’atteler.

Etant donné le déficit de compréhension et de visibilité des initiatives et activités de l’ESS, la connaissance, la sensibilisation et la promotion de l’ESS sont un axe transversal et prioritaire des politiques régionales.
Concrètement, l’action des élus régionaux a permis une déclinaison territoriale des statistiques officielles (INSEE) sur le poids de l’ESS en termes de nombre d’établissements, d’emplois, de CA, de secteurs d’activité à l’échelle d’une région. Etablir statistiquement que l’ESS représente entre 10 et 15% des emplois, selon les régions, est crucial compte tenu de la force performative des chiffres dans la rhétorique politique et médiatique. Par ailleurs, la multiplication d’événementiels (conférences, rencontres, forums, visites et parcours itinérants, à l’exemple du « mois de l’économie sociale et solidaire » dans les régions) a permis de couvrir cette année une large partie du territoire français. Durant le mois de novembre 2008, plus de 700 événements auraient été organisés dans 20 régions françaises[7]. Les régions ont aussi permis la rédaction et la diffusion de multiples guides sur les initiatives de l’ESS, la finance solidaire, le commerce équitable, la consommation éthique, l’achat public responsable, etc.

Une politique régionale de l’économie sociale et solidaire peut difficilement être conduite sans les acteurs et les structures qui s’en réclament. La recherche de légitimité des élus auprès de leurs collègues et des services techniques, des acteurs de l’ESS auprès des autres acteurs économiques privés comme publics, doit normalement conduire à une reconnaissance et une implication mutuelles. Cette politique d’appui à la structuration a pris deux formes. D’abord, elle a pris la forme d’un soutien à la structuration de réseaux existants comme les Chambres régionales de l’économie sociale (CRES) ou les regroupements d’économie solidaire, et plus largement un soutien aux structures intermédiaires (agences locales, chargés de mission ESS) à même d’animer territorialement les dynamiques ESS. Ensuite, elle a également consisté en la mise en place de processus ou d’instances consultatives, parfois participatives (séminaire permanent, comité de suivi, etc.), d’élaboration, de mise en place et de suivi des politiques de l’ESS.

Notons que ces tentatives de co-production de politiques publiques ne relèvent pas uniquement d’un éthos démocratique des élus qui voudraient faire de la politique autrement, mais d’une nécessité stratégique de s’appuyer sur la mobilisation des acteurs pour compenser une faiblesse des réseaux et des ressources politiques et administratives des élus récents. Là encore, en se replaçant quelques années en arrière, ce maillage régional des acteurs n’existait pas compte tenu des rivalités existantes entre représentants de l’économie sociale et de l’économie solidaire, des intérêts parfois divergents entre familles coopérative, mutualiste et associative, des réticences des réseaux existants (IAE) déjà bien implantés et structurés territorialement à épouser une nouvelle cause.


L’enjeu stratégique des dispositifs d’appui aux initiatives locales


L’appui stratégique aux initiatives locales d’économie sociale et solidaire relève autant du souci économique d’adapter les dispositifs d’aide et de financement à la création d’activités aux singularités de l’entrepreneuriat social, que d’un enjeu de visibilité, qui passe par l’exemplarité et le nombre d’initiatives sur un territoire.
La mise en place d’une politique d’appui aux initiatives répond d’abord à une revendication des acteurs et des organisations qui estiment que les critères des dispositifs d’aide et les modalités d’accompagnement à la création d’entreprise sont inadaptés, voire parfois discriminants. Les projets de l’économie sociale et solidaire seraient trop souvent jugés atypiques et donc mal appréhendés dans leur singularité. La prime à l’innovation sociale, la dynamique collective de l’entrepreneuriat, l’utilité sociale, le multi-sociétariat, une solvabilisation qui ne passe pas uniquement par le marché, la mobilisation de ressources militantes ou bénévoles, la mixité des financements, sont autant de dimensions qui cadrent mal avec les mesures habituelles de soutien de l’activité économique par les collectivités locales.

La mise en place d’une politique d’appui aux initiatives tient ensuite à des raisons politiques de visibilité et de légitimité d’un nouveau domaine d’action publique mal connu et pas toujours compris, tant par les élus et l’administration que par les autres acteurs économiques et la population locale. La mobilisation des acteurs de l’économie sociale et solidaire et l’exemplarité des initiatives sont des vecteurs importants de reconnaissance. Valoriser et appuyer les initiatives dans leur diversité sectorielle et statutaire est d’abord une manière de se compter et de faire la démonstration du poids de l’économie sociale et solidaire sur un territoire. C’est une stratégie pour définir et consolider le périmètre de l’économie sociale et solidaire, dont la cohérence est parfois mise à mal par son hétérogénéité. La valorisation des initiatives a une vertu pédagogique non négligeable. « Pour la Région Haute-Normandie, favoriser le développement de l’économie sociale et solidaire en donnant à voir des initiatives concrètes se révèle, à l’expérience, la meilleure façon de sensibiliser, de convaincre et de mobiliser »[8]. Elle est enfin un élément tangible d’évaluation d’une politique de l’économie sociale et solidaire. Tant d’initiatives soutenues, tant d’activités viables et consolidées, tant d’emplois créés, tant d’usagers de nouveaux services, etc. sont autant d’indicateurs qui compteront en fin de mandat.

La mise en place de dispositifs dédiés à l’économie sociale et solidaire est sans doute la voie le plus fréquemment empruntée. Elle prend souvent la forme d’un appel à projets avec des procédures et des critères d’attribution et de financements spécifiques. Elle peut également se concrétiser par différentes aides à la création d’activité qui, selon les collectivités, distinguent les phases d’élaboration du projet, de démarrage, de développement avec différentes modalités financières pour chaque étape. Citons par exemple l’appel à projets ESS de Nantes Métropole (40 actions soutenues, 350 000€ cumulés en 2006-2008) dont l’originalité tient à la participation des acteurs de l’ESS dans le processus d’identification, de pré-instruction et de suivi des projets, avec la constitution de groupes d’appuis partenariaux pour les pérenniser. Autre dispositif intéressant, Creactives de la Région PACA, qui soutient la création et la consolidation d’activités de l’ESS répondant à des critères de développement durable. Son intérêt est aussi de mettre en place des conventions pluriannuelles intégrant une évaluation annuelle des projets sur la base d’une démarche de progrès. Enfin, les dispositifs dédiés à l’ESS se veulent parfois plus ciblés, en privilégiant un type d’entreprises ou un espace de création spécifiques. C’est le cas de programmes d’appui à la création de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), aux couveuses d’activités ou à la reprise d’entreprises sous forme coopérative. Citons également la création de pépinières d’entreprises solidaires ou de plates-formes de commercialisation qui visent, non seulement à faciliter l’hébergement et la mutualisation de moyens entre entrepreneurs sociaux, mais aussi à créer des synergies économiques et des projets communs. Pour autant, définir les critères pertinents d’un appel à projets et obtenir un budget propre ne suffisent pas à favoriser l’innovation socio-économique sans changements politico-administratifs dans les manières d’instruire, d’évaluer et de sélectionner les projets, d’accompagner et de former les entrepreneurs, de prendre en compte la mixité des ressources comme de renforcer les capacités d’auto-financement des initiatives.

Par ailleurs, les collectivités territoriales en charge de l’économie sociale et solidaire n’appuient pas seulement les porteurs de projets ou les organisations déjà existantes, mais construisent également les cadres d’une coopération élargie entre acteurs et entreprises souhaitant s’investir dans des initiatives économiques socialement et écologiquement soutenables. Contrairement et parfois complémentairement à une politique qui postule l’existence d’un réservoir de projets intéressants qu’il suffirait de mieux accompagner et financer, certains élus et conseillers techniques participent plus activement à la définition des besoins non satisfaits d’un territoire mais aussi des réponses à y apporter. Ils se font alors facilitateurs et médiateurs entre parties prenantes.


De l’encadrement social et écologique du marché aux limites de la mise en concurrence

La première génération des politiques de l’ESS a souvent consisté, soit à créer des dispositifs spécifiques de l’ESS, soit à faire entrer l’ESS dans les politiques de droit commun en ouvrant les dispositifs d’aide à la création d’entreprise et au développement économique à l’ESS. Aller plus loin suppose, comme l’affirment certains élus, d’infléchir les politiques territoriales sur la base des valeurs et des principes portés par l’ESS ou de généraliser les dispositifs ESS à l’ensemble des acteurs économiques d’un territoire. Produire du général à partir du spécifique suppose de s’attaquer aux contenus des priorités politiques d’une collectivité locale, notamment en matière de développement économique. Conditionner les aides aux entreprises sur la base de critères sociaux et environnementaux, introduire les clauses sociales et environnementales dans les marchés publics, infléchir la politique d’achat public, favoriser la reprise ou la relocalisation d’entreprises sous forme coopérative, construire de nouveaux services d’intérêt général par l’investissement des collectivités locales dans des SCIC, etc., sont autant de pistes évoquées lors des entretiens et mises en œuvre sur certains territoires.

L’expérience des dernières années en matière de clauses sociales indique les stratégies pour faire de l’ESS un levier d’une économie plurielle. Saisir les opportunités qu’offre le code des marchés publics en matière de clauses d’insertion (article 14, 30, 53) suppose un long travail de connaissance et de persuasion politique auprès des élus mais aussi des différents services techniques des collectivités territoriales. La volonté des élus et l’engagement d’un ou deux techniciens s’avèrent décisifs. Les expériences existantes montrent qu’une des stratégies de gouvernance efficaces pour l’ESS tient (1) à la co-construction de l’offre et de la demande en amont, lors de la définition du cahier des charges, visant selon les filières (2) à l’adaptation de la commande publique à la taille des entreprises de l’ESS (allotissement) et (3) à un changement d’échelle de l’offre ESS par un accompagnement technique et un soutien aux regroupements de producteurs (cf. note sur les regroupements d’entreprises d’économie solidaire) ou (4) au montage de partenariats avec d’autres entreprises locales en tenant compte des besoins de recrutement des bassins d’emploi. Bref, il s’agit d’introduire du débat public sur l’organisation du marché et des coopérations entre l’ensemble des acteurs économiques du territoire, pour tenter de juguler les stratégies habituelles de rapports de force et de lobbying. Parmi les expériences pionnières, citons l’introduction de la clause commerce équitable dans le marché traiteur de la ville de Lyon.

Du côté de la conditionnalité des aides économiques aux entreprises, plusieurs initiatives régionales méritent que l’on s’y intéresse. Ainsi en région PACA, c’est en partie sous l’impulsion de l’élu en charge de l’ESS et du fait de la participation de la CRES à l’élaboration du Schéma Régional de Développement Economique (SRDE) qu’il a notamment été décidé de sortir d’une logique d’aide aux grandes entreprises, considérant que cela faisait rarement levier en matière d’emplois, pour passer à une logique de prêts. Citons également la région Limousin qui a introduit début 2007 une modulation du taux d’aide aux entreprises (du simple au double) en fonction de critères économiques, sociaux et environnementaux. Cette approche a été renforcée à partir du 1er janvier 2009. Toutes les entreprises sont alors invitées à valoriser leurs pratiques en matière de gouvernance, de redistribution des résultats aux salariés, d’insertion durable ou encore d’implication dans des actions de développement local et régional.

Mais au-delà des enjeux de taille et de types de marché, la question des limites à la mise en concurrence se pose de manière urgente. Dans un contexte où les entreprises de l’ESS sont de plus en plus, au nom des vertus de la concurrence, mises sur un pied d’égalité avec l’ensemble des opérateurs public et privé sans tenir compte, ni des différences de leurs finalités, ni de leurs modes d’organisation, faire la démonstration que le marché n’est pas l’horizon indépassable du développement économique local s’avère primordial. Pris entre marginalité institutionnelle et utopie de transformation, les élu(e)s et acteurs locaux sauront-ils mobiliser les ressources pour ne pas rabattre le projet politique de l’économie sociale et solidaire à l’unique reconnaissance des entreprises sociales sur le marché ? L’affirmation d’une nécessaire régulation de l’économie plurielle face au processus croissant de marchandisation en dépend. Préserver les possibilités d’achat direct de prestations sans mise en concurrence, se prémunir des logiques de subvention juridiquement coincées entre une logique d’encadrement social du marché et une logique de délégation de service public, est primordial pour assurer les conditions d’un financement de l’innovation sociale où les entreprises de l’ESS ne sont pas considérées comme de simple prestataires de services.


Vers une seconde génération de politiques publiques territoriales de l’ESS


Les actions décrites précédemment vont se poursuivre, d’autant que nombre d’élus à l’ESS viennent d’être nommés suite aux dernières élections municipales, et en sont donc à la première étape de construction de ce nouveau domaine de l’action publique. Pour autant, l’expérience accumulée par d’autres collectivités territoriales invite à aller plus loin dans les préfigurations d’une seconde génération des politiques locales de l’ESS. Si la préservation d’une niche institutionnelle est sans doute nécessaire, l’enjeu est de savoir si la consolidation des dispositifs et la structuration du milieu de l’ESS sont suffisamment solides pour faire des politiques spécifiques de l’ESS un marchepied vers une régulation d’une économie plurielle. C’est autant dans la perpétuation de dispositifs d’appui spécifique aux initiatives solidaires que dans la diffusion des valeurs et critères de l’économie sociale et solidaire dans l’ensemble des politiques des collectivités locales qu’un autre modèle de développement territorial est envisageable. Promouvoir l’ESS auprès des médias et du grand public, élargir le portage politique et technique des politiques de l’ESS, passer d’une politique d’appui aux initiatives solidaires de régulation de l’économie plurielle, tels sont les défis à venir.

 

Références

ARF, Les régions s’engagent pour l’économie sociale et solidaire
CRIDA/RTES, Les politiques publiques d’économie solidaire, un enjeu pour les initiatives locales , 2007
Collectif SSIG, Guide pratique sur les services sociaux d’intérêt général en direction des collectivités territoriales
Fraisse, L, « Les enjeux de l’action publique en faveur de l’économie sociale et solidaire », in Carvalho de Franca, G., Laville, J-L,Action publique et économie solidaire, éditions Eres, mai 2005.
Fraisse, L, « Le soutien des initiatives sur les territoires au cœur des politiques de l’économie sociale et solidaire », in CRIDA/RTES,Les politiques publiques d’économie solidaire, un enjeu pour les initiatives locales, 2007, pp.44-56.
Jérôme V. « Les politiques d’économie sociale et solidaire, un combat d’élu/e/s engagé/e/spour un autre développement économique » in CRIDA/RTES, Les politiques publiques d’économie solidaire, un enjeu pour les initiatives locales, 2007, pp.57-66.
Laville, J-L., Magnen, J-P., Carvalho de Franca, G Meideros A., Action publique et économie solidaire, éditions Eres, mai 2005.
« L’économie sociale et solidaire : un autre développement économique. Comment se situe-t-elle aujourd’hui et quelle sera sa place dans l’économie de demain ? ». Etude pilotée par Claude Alphandéry avec la collaboration de Laurent Fraisse et Tarik Ghezali. Rapport phase 1, décembre 2008.
Le mois de l’économie sociale et solidaire
Mouvement pour l’économie solidaire, Avec les régions, l’économie sociale et solidaire en mouvement, Regards et implications des acteurs et réseaux dans la construction des politiques régionales d’économie sociale et solidaire , en collaboration avec le RTES.
Nantes-Métroplole, Appel à projet
Région Provence-Alpes-Côte d’Azur
Ressources solidaires
RTES

Notes

[1] Réseau des Terrritoires pour l’Economie Solidaire
[2] les_regions_s_engagent_pour_une_economie_sociale_et_solidaire
[3] Par exemple, l’Agence Provençale d’économie alternative et solidaire (APEAS) existe depuis 1995 en région Provence Alpes Côte d’Azur, l’Agence pour le Développement de l’économie solidaire (ARDES) en Basse Normandie prend corps en 1996, l’Assemblée permanente de l’économie solidaire (APES) en région Nord Pas-de-Calais voit le jour en 2000.
[4] Voir à ce sujet l’article de Vanessa Jérôme, « Politiques publiques d’économie sociale et solidaire : un combat d’élu/e/es engagé/e/s pour un autre développement économique », chapitre 6.
[5] Laville J-L., De França Filho G., Magnen J-P., Medeiros A., Action publique et économie solidaire, Erès, Ramonville, 2005.
[6] Fraisse L., Berger J. et al., Avec les régions, l’économie sociale et solidaire en mouvement , Mouvement pour l’Economie Solidaire, 2006 ; RTES- CRIDA, Les politiques publiques d’économie solidaire, un enjeu d’avenir pour les initiatives locales .
[7] Pour une présentation générale des manifestations du mois de l’économie sociale et solidaire
[8] Cyril Moreau, chargé de mission auprès de Claude Taleb, Vice-Président en charge de l’économie sociale et solidaire et de la coopération décentralisée à la région Haute-Normandie. Intervention lors du séminaire RTES du 20 juin 2007.


Laurent Fraisse est chercheur au LISE (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique), CNAM-CNRS.

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17 mars 2010 3 17 /03 /mars /2010 03:22

carte postale de Les Plasticiens Guerriers de l'Afrique de l'Ouest

extrait de ITINERAIRE PEUL EN F.I.A.C.R.E.

par Les Plasticiens Guerriers de l'Afrique de l'Ouest

Oumar N'diaye de Padalal et Gérard H. Esmèrian

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2010 : le programme avant les candidatures
http://goudouly.over-blog.com/article--2010-le-programme-avant-les-candidatures-46465022.html

Jacques Sapir   

Directeur d’études à l’EHESS et directeur du CEMI-EHESS
Sur Utopie-Critique


Telle qu’elle se dessine aujourd’hui, l’élection présidentielle de 2012 risque d’être marquée par un trop-plein de candidats, compensé par une pénurie de programme. Pourtant, nous sommes depuis l’été 2007 dans la plus grave crise économique que l’on ait connue depuis celle de 1929. Elle se double d’une crise géostratégique et d’une crise environnementale qui, l’une et l’autre, ont des conséquences considérables. Les timides éléments de reprise que l’on constate dans les pays développés depuis la fin de 2009 ne doivent pas faire illusion. Ils ne sont pas durables où, pour reprendre un mot à la mode, « soutenable ».
Cette situation appelle des réponses radicales, et qui pourtant sont de bon sens. Aujourd’hui, être extrémiste c’est être réaliste. Il convient donc de laisser le choc des ego aux magazines people et apparentés. Non que l’on sous-estime la question des personnalités. Elle a sa place dans la définition de ce que devrait être un candidat idéal. Mais elle passe après la question du programme. De cette question, nous avons à peu près un an pour discuter.

 



1 - De « l’inévitable » et pourtant fort contestable austérité.

De toute part, on nous présente l’austérité comme un choix inévitable. L’argument du déficit budgétaire, qui nous a déjà été servi ad nauseam, sert bien évidemment de prétexte. Alors même que la démographie connaît en France un redressement notable, on veut aussi tailler dans les retraites. Enfin, la précarisation du travail, dans le secteur privé comme dans le secteur public, est plus que jamais à l’ordre du jour. Tous ces choix nous sont présentés comme le produit d’évolutions inéluctables. Pourtant, ils sont tous extrêmement contestables.

Sur la question du déficit budgétaire, il faut savoir que son augmentation est, pour une large part, due à ce qu’il nous faut emprunter à plus de 3% (3,45% en moyenne) alors que l’on n’attend pas, même dans les rêves les plus fous de Mme Christine Lagarde, une croissance supérieure à 2%. Or, dans le même temps, les banques se refinancent auprès de la Banque centrale européenne (BCE), comme d’ailleurs auprès de la Réserve fédérale américaine et des autres banques centrales des pays développés), à des taux oscillant entre 1% et 0,5%. Serait-ce du fait de la meilleure qualité des dettes privées par rapport à la dette publique ? Poser cette question, c’est y répondre, et par un immense éclat de rire.

Les dettes détenues par les banques sont en général de très mauvaise qualité, et le FMI lui-même estime à plus de 3 trillions de dollars les mauvaises créances dans ce secteur. C’est avant tout un choix qui, pour certains, s’explique par des raisons idéologiques et, pour d’autres, par leurs intérêts privés.

Assurément, il y a des pays plus mal lotis que la France. La Grèce, en particulier, doit emprunter à 6%. Son gouvernement devra bientôt choisir entre un appauvrissement généralisé de la population et une sortie de l’euro. D’autres pays connaîtront le même sort d’ici 2012, du Portugal à l’Espagne en passant par l’Italie et l’Irlande. Mais, cela ne change rien au problème.

Non seulement l’euro ne protège pas de la tourmente monétaire, ce que l’on constate aujourd’hui avec les écarts grandissants des taux sur la dette publique (les « spreads »), mais les règles de financement de la BCE transforment en un problème social en apparence insoluble ce qui serait, sous d’autres règles, parfaitement maîtrisable.


Tableau 1
État de la dette publique dans les principaux pays de la zone euro.



 

2007

2008

2009*

2010**

Taux d’accroissement
depuis 2007.

Autriche

59,4%

62,5%

70,4%

75,2%

26,6%

Belgique

84,0%

89,6%

95,7%

100,9%

20,1%

Finlande

 

33,4%

39,7%

45,7%

36,8%

France

63,8%

68,0%

75,2%

81,5%

27,7%

Allemagne

65,1%

65,9%

73,4%

78,7%

20,9%

Grèce

94,8%

97,6%

103,4%

115,0%

21,3%

Irlande

25,0%

43,2%

61,2%

79,7%

218,8%

Italie

103,5%

105,8%

113,0%

116,1%

12,2%

Pays-Bas

45,6%

58,2%

57,0%

63,1%

38,4%

Portugal

63,5%

66,4%

75,4%

81,5%

28,3%

Espagne

36,2%

39,5%

50,8%

62,3%

72,1%

EUROZONE

66,0%

69,3%

77,7%

83,6%

26,7%

* Estimation.
** Prévision
Source  : Eurostat. Pour la Finlande, le taux d’accroissement est calculé sur 2008.

Il faut par ailleurs rappeler que la dette publique n’est qu’une partie de la dette totale de l’économie, et qu’il faudrait, en bonne logique, y ajouter la dette des ménages et celle des entreprises. Le taux d’endettement total réserve alors quelques surprises, comme celle de révéler la France comme un des pays les MOINS endettés parmi les grands pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Tableau 2
Endettement global prévu pour fin 2010

 

France

Allemagne

Espagne

Royaume- Uni

Italie

États-Unis

Administrations

81,5%

78,7%

62,3%

63,0%

116,1%

69,0%

Ménages

43,0%

64,0%

100,0%

102,0%

39,0%

96,0%

Entreprises

75,0%

60,0%

107,0%

90,0%

66,0%

75,0%

Total

199,5%

202,7%

269,3%

255,0%

221,1%

240,0%

Source : Comptabilités nationales des divers pays.

Il ne fait pourtant aucun doute que la machine à produire de l’austérité, c’est-à-dire du chômage et de la misère, se mettra en route à partir de 2011 ou de 2012.

La précarisation du travail et de nouvelles coupes dans les retraites seront, il n’en faut pas douter, justifiées par la « compétitivité » internationale de la France et par des arguments plus ou moins ad hoc sur la démographie.
Pourtant, le mouvement d’enrichissement des plus riches est incontestable dans le long terme. C’est ce qui explique pourquoi la majorité des revenus est aujourd’hui comprimée, au point de ne pouvoir maintenir son pouvoir d’achat que par l’endettement.

 

Ceci permet de comprendre la grande peur qui a saisi les classes moyennes vers la fin des années 1980 et par la suite. Voyant le fonctionnement de l’« ascenseur social » progressivement s’interrompre devant elles, elles ont alors acquiescé à des politiques anti-sociales dont elles espéraient être épargnées afin de tenter de maintenir la part relative de leurs revenus dans le partage global de la richesse. Mais, aujourd’hui, il est clair que même les classes moyennes sont frappées. Certes, elles ne le sont pas encore autant que les classes populaires, qui ont été les grandes perdantes des trois dernières décennies. Mais on peut constater, sur la base des statistiques, que les transferts fiscaux se sont fait à leur détriment parce que les classes les plus riches ont été progressivement libérées d’une taxation en rapport avec leurs revenus.

Le gouvernement a réussi, pour un temps, à convaincre les classes moyennes que leur ennemi était les classes populaires, que l’on qualifiait alors de « budgétivore » et de dévoreur d’allocations sociales. Cependant, la part des allocations sociales n’a fait que compenser la disparition de revenus du travail. Classes populaires et classes moyennes se sont ainsi entre-déchirées autour d’un gâteau qui se réduisait sans cesse, et cela pour la plus grande satisfaction des plus riches… Il faut toute l’impudence d’un Alain Minc, dans son entretien au Figaro du 4 janvier dernier, pour affirmer : « Si la France a bien traversé la crise, c’est parce qu’il n’y en pas eu pour 90% de la population  ».

Le discours qui tend sciemment à opposer les travailleurs les uns contre les autres, en présentant certains comme des « privilégiés », est démenti par les statistiques de l’INSEE. Ce petit marquis n’en a cure car c’est très consciemment qu’il pratique le « diviser pour régner ». De fait, c’est dans une nouvelle alliance des classes populaires et des classes moyennes que se forgeront les armes de la défaite de ceux qu’Alain Minc représente, les plus riches et les plus repus.

D’où les demandes croissantes pour plus de justice fiscale que l’on peut entendre désormais. Indiscutablement, ces demandes vont dans la bonne direction. Mais elles seront loin d’être suffisantes. En effet, les revenus les plus élevés disposent de centaines de niches fiscales sur lesquelles ils peuvent jouer. Une grande « Nuit du 4 août » fiscale ne pourra avoir lieu, du moins pas à court terme, et pas sans des limites drastiques à la circulation des capitaux. Il est indiscutable qu’il faudra progressivement éliminer ces niches et autres privilèges, mais il ne faut pas attendre de résultats spectaculaires dans l’immédiat. C’est dans la production, et donc au niveau de la formation des revenus, qu’il faudra agir.

De ce point de vue, deux phénomènes apparaissent décisifs. Le premier est le découplage entre les gains de productivité et le salaire moyen.

 

La courbe des salaires nets a bien été déconnectée de celle des gains de productivité, qui se sont poursuivis de manière régulière sur toute la période comprise entre 1980 et 2007. Mais ceci n’est que l’un des deux phénomènes. L’autre est constitué par l’écart entre l’évolution du salaire médian (celui qui partage en deux parties égales l’échantillon) et le salaire moyen (ou masse salariale globale que divise le nombre de salariés).
La différence est ici très significative aussi.

 

 

Ainsi, alors que le salaire moyen a augmenté de 12,3% de 1996 à 2006, le salaire médian n’a progressé que de 3,5% sur la même période. Il semble d’ailleurs bloqué entre 3% et 4% depuis 1999. Ainsi, les salaires des 50% des Français les plus mal payés n’ont pas progressé depuis 1999.

Les causes de cette situation sont bien connues.
Nous avons, d’une part, la pression que les pays à bas salaires, mais au taux de productivité comparable, exercent sur l’emploi en France. C’est le cas à l’intérieur de l’Europe des nouveaux entrants.

Tableau 3
Caractéristiques du salaire moyen suivant la date d’adhésion

 

Salaire moyen horaire (Euro)

Part des CDD

Part du revenu lié aux heures supplémentaires

République Tchèque

3,0

12,0%

46,5%

Slovaquie

2,4

9,6%

21,9%

Lettonie

1,5

7,1%

2,3%

Lituanie

1,5

10,5%

3,0%

Portugal

5,8

21,4%

7,4%

Espagne

8,6

26,8%

6,9%

Italie

11,0

3,5%

36,6%

Belgique

17,1

4,0%

2,3%

Source : F. Rycx, I. Tojerow, D. Valsamis, Wage Differentials Across Sectors in Europe : an East-West Comparison, WP 2008.05, ETUI, Bruxelles, 2008.

Mais, c’est aussi le cas hors de l’Europe de pays tels la Chine, l’Inde ou la Corée du Sud. On a estimé, dans une note datant de 2009, que près d’un chômeur sur deux en France était la victime ce phénomène, et il s’agit ici, il faut le souligner, de chiffres nets et non bruts, soit incluant les créations d’emploi sur le territoire français que le libre-échange a permis.

C’est aussi le produit de la politique monétaire, telle qu’elle a été conduite depuis la fin des années 1980 dans la perspective de l’entrée dans la zone euro, puis avec la matérialisation de cette dernière. Le taux de change actuel de l’euro, entre 1,385 USD et 1,415 USD, et ce en dépit de la pression baissière qu’exercent les événements de Grèce, joue un rôle à l’évidence très négatif.

Nous voici pris au piège d’une nouvelle période d’austérité, au moment où la concurrence internationale se renforce par le biais du libre-échange et de l’euro. Cela, nos dirigeants l’admettent à demi-mot, comme l’attestent les déclarations de Nicolas Sarkozy sur le départ de France de certaines activités. Mais ils sont bien décidés à ne pas agir.

1 - L’Europe épuisée…

Pour toute justification, nos dirigeants nous parlent de l’Europe. L’opposition socialiste n’a pas d’autre discours. Les deux convergent donc vers cette nouvelle cure d’austérité que l’on veut nous imposer.
Et pourtant, l’Europe est épuisée.
Elle l’est en tant que mythe. Qui peut encore croire en un approfondissement de sa dimension fédérale, alors que l’on s’apprête à abandonner les pays les plus endettés. Mais elle l’est aussi, et très profondément, dans son projet et dans son action. Pour s’en convaincre, détaillons.

Si tout le monde a actuellement les yeux rivés sur la Grèce, on peut remarquer, sur la figure 4, que les titres d’assurances sur les défauts de crédit connaissent une forte hausse de leurs taux dans 3 autres pays, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. En fait, depuis le début de la crise des liquidités en octobre 2008, jamais le calme n’est revenu sur ce marché. La hausse actuelle est très significative car elle a lieu à un moment où les liquidités ont été reconstituées. Le fait d’appartenir à la zone euro, qui avait effectivement entraîné un alignement des conditions du placement des dettes de ces pays sur l’Allemagne, ne joue plus aujourd’hui.

Avec la crise, l’endettement public a explosé, comme nous l’avons vu. Mais, plus encore, c’est la crédibilité de la zone euro qui a volé en éclats. Or, le traité de Maastricht exclut toute solidarité entre les pays de la zone. Nous trouvons ici le premier paradoxe européen. On institue un système monétaire qui est, dans son essence, fédéral, mais on se refuse à fédéraliser les budgets.

On peut par ailleurs comprendre les réticences de pays comme l’Allemagne devant un budget fédéral. L’Allemagne n’entend pas payer pour les autres, même si, sur le fond, une partie de sa croissance récente s’explique par le fait que les autres pays ont mené des politiques budgétaires expansionnistes alors que l’Allemagne misait tout sur ses capacités d’exportation. Seulement, connaissant la position de l’Allemagne, pourquoi avoir accepté le principe de la monnaie unique ?

 

Le maintien de taux de change entre les monnaies nationales et l’euro aurait permis de jouer sur leur ajustement. Le système d’une monnaie commune, établissant une barrière face au reste du monde, mais ne fixant pas définitivement les parités de change pour les pays membres, était et reste, de loin le plus logique.

Devant la crise qui menace, on peut craindre qu’il ne soit trop tard et qu’il nous faudra passer par un éclatement de l’euro pour pouvoir revenir vers cette solution de bon sens. Il faut ici noter que la perte de la coordination monétaire n’est pas souhaitable. Le problème n’est pas le principe de la coordination, mais son application de manière ne tenant absolument pas compte de la réalité des structures économiques des différents pays. En cela, la solution de la monnaie commune permettait de concilier la coordination avec une souplesse relative dans les ajustements entre pays de la zone.

L’épuisement de l’Europe peut se constater par ailleurs dans les négociations à l’OMC et dans la fiction que l’on nous sert de manière régulière selon laquelle l’Europe nous protègerait de la mondialisation.

L’indice de Balassa de l’économie française, que l’on a représenté dans la figure 5, se calcule comme la somme du commerce extérieur (exportations + importations) en pourcentage du PIB. C’est une indication du taux d’ouverture internationale d’une économie. Ce taux était resté relativement stable jusqu’au début de 1988 où commence un premier mouvement d’accélération de l’ouverture économique. Puis, à partir de 1994, on assiste à un second mouvement, encore plus impressionnant. Il est directement lié aux conséquences du traité de Maastricht et au poids renouvelé pris par les directives européennes dans la gestion du commerce international français.

Ainsi peut-on comprendre la dynamique de cette ouverture, impulsée essentiellement par des négociations dans lesquelles l’Europe a joué un rôle majeur, et dont on voit aujourd’hui qu’elle est nettement excessive.

Loin de constituer un écran et une protection, les directives européennes ont souvent été en avance sur l’OMC. En fait, nous nous sommes ouverts massivement du fait de l’Europe, et nous en payons aujourd’hui le prix avec le processus de désindustrialisation et avec les diverses formes de délocalisation. Par ailleurs, cette ouverture n’a nullement profité à l’économie française. Le solde commercial, qui s’était un instant redressé au début des années 1990, a ensuite replongé, phénomène largement dû à la surévaluation de l’euro, mais pas uniquement.

En effet, la France et les autres pays européens ont aussi souffert à partir de 2002 de la politique de l’Allemagne qui a transféré une partie des coûts de la protection sociale des entreprises vers les travailleurs (ce que l’on a proposé en France sous le nom de TVA sociale). Par cette politique, l’Allemagne n’a pas seulement fait baisser ses coûts de production d’environ 10% ; elle a aussi contracté sa demande intérieure. Cette politique lui a permis de réaliser des gains commerciaux impressionnants, mais au détriment de ses voisins.
On constate alors (figure 7) qu’une telle politique qualifiée d’« exploitation du voisin » - ou, en anglais, Beggar thy neigbours - est parfaitement possible dans le cadre de l’Union européenne et de la zone euro !

Les banques ont aussi été dérégulées. Certes, le processus a été moindre qu’aux États-Unis, mais pas de beaucoup.
Ne trouvant pas d’occasions de placement suffisamment rémunératrices en Europe, du fait de la politique monétaire de la BCE, elles se sont précipitées sur les titres américains. Nous sommes devenus ainsi partie prenante de la crise aux Etats-Unis. À cet égard, si l’on a beaucoup glosé sur l’état des banques britanniques, il faut constater qu’un pays que l’on décrivait comme « vertueux », tel l’Allemagne, a été au moins autant touché par les créances dites « toxiques ».

L’Union européenne non seulement n’a pas été un instrument de protection face à la crise, mais, par sa politique macroéconomique comme par sa politique structurelle, elle a été un facteur puissant de son importation.

Une responsabilité particulière revient à la zone Euro et à la BCE qui, tant du fait de l’appréciation de l’euro - qui n’a pas été combattue et qui a même été souhaitée comme mécanisme de lutte contre l’inflation - que de celui des politiques de réglementation et de supervision des banques. Dramatiquement insuffisantes, elles ont largement contribué à propager la crise américaine et à en faire une crise mondiale.

 

L’épuisement de l’Europe se voit aussi dans les réactions face à la crise. Il n’y a pas eu de plan de relance commun, mais la simple addition des plans nationaux. Les discours ronflants sur ce point ne changent rien.
Les pays de l’Union européenne se sont d’ailleurs contentés de jouer sur la dépense publique, et de manière en réalité relativement limitée à l’exception de l’Espagne et de l’Irlande, pour ce qui concerne les plans de relance. Ils n’ont introduit quasiment aucune mesure de politique industrielle, alors que le besoin en est pressant.
Il faut ajouter que la Commission a veillé à ce qu’il en soit ainsi, en s’opposant à tout ce qui pouvait ressembler à de telles politiques. L’application des directives européennes sur la concurrence et les services publics va se traduire par ailleurs par un nouveau choc déflationniste sur nos économies.

 

Tableau 4
Ampleur des plans de relance en Europe

 

PIB nominal en milliards d’Euros

Taille du plan de relance en % du PIB

Taille des stabilisateurs automatiques en % du PIB

Total de l’action gouvernementale

France

1995,0

1,0%

0,53%

1,53%

Allemagne

2566,4

2,6%

0,51%

3,11%

Danemark

243,4

2,2%

0,59%

2,79%

Royaume-Uni

1890,2

1,5%

0,45%

1,95%

Italie

1621,4

0,2%

0,53%

0,73%

Espagne

1117,6

4,6%

0,44%

5,04%

Source : A. Watt (avec l’assistance de M. Nikolova), « A Quantum of Solace ? An assessment of fiscal stimulus packages by EU Members States in response to the economic crisis », ETUI Working Paper 2009.05, Bruxelles, 2009.

D’ores et déjà, la division entre Réseau Ferré de France et la SNCF, entre EDF et le Réseau d’électricité, sont la cause d’incidents multiples et généralement d’une baisse dramatique des investissements en infrastructures. Nous ne pouvons même plus jouer sur cette variable, qui a pourtant l’immense avantage d’assurer que la dépense que l’on fait bénéficie aux entreprises employant de la main d’œuvre nationale.

Dernier exemple, le Sommet de Copenhague où l’Europe a été incapable de peser d’un poids quelconque en raison de ses divisions. Il est vrai que définir une position commune à 27 tenait de la gageure. Nous avons payé au prix fort le processus de l’élargissement, et sans en avoir de réelles retombées politiques comme on l’a vu lors des dernières élections au Parlement européen.

L’Union européenne n’est plus le cadre nécessaire ni même efficace de la croissance. La politique de la BCE, entièrement tournée vers la stabilité des prix, entrave cette dernière. Elle le fait au nom du dogme qui veut que la stabilité des prix soit un préalable nécessaire à la croissance, alors que nous savons depuis des années, d’une part, qu’un certain niveau d’inflation peut être nécessaire à la croissance et, d’autre part, que ce niveau d’inflation diffère suivant les pays.
Telle était le constat que l’on pouvait tirer avant la crise. Il s’appliquera avec encore plus de force pour la sortie de la crise.

1 - Quelles politiques ?

Nous sommes donc confrontés à la perspective d’une période relativement longue de faible croissance et d’accélération du processus de déconstruction sociale dont nous pouvons déjà voir les effets de nos jours. Le dérapage de la dirigeante socialiste, Mme Martine Aubry, sur la question de l’age de la retraite indique bien que, sur nombre de problèmes, il y a un accord de fond entre le gouvernement actuel et une partie de l’opposition. Ce dérapage n’est d’ailleurs pas le premier que commet un dirigeant socialiste dans le domaine de la politique économique. C’est cette situation qui engendre le remplacement du débat politique par la querelle des ego.

On va dès lors lancer des noms en supputant leurs chances de battre Nicolas Sarkozy en 2012. On avancera des noms, tel aujourd’hui et tel autre demain. Mais on ne posera jamais la seule véritable question qui est « pour quelle autre politique ? ».

Pourtant, une autre voie est possible. Elle est surtout nécessaire si nous ne voulons pas nous résigner à la régression sociale et au démantèlement du modèle social français et de ce qu’il apporte, y compris au-delà de nos frontières.

Il faut ici évacuer l’une des solutions qui est le plus souvent proposée et qui, en réalité, est une solution fausse : l’alignement de la politique économique et sociale de la France sur ce qui est qualifié de « modèle scandinave » (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède). Les pays censés composer ce modèle ne sont en effet ni homogènes entre eux ni comparables aux pays de l’Europe occidentale.

Il y a tout d’abord un effet d’échelle. Aucun de ces pays ne dépasse les 10 millions d’habitants, et certains sont même très en dessous de ce chiffre. On ne transpose pas des solutions, seraient-elles réellement miraculeuses, d’un pays de 10 millions à un pays de plus de 65 millions d’habitants. La complexité des problèmes sociaux et économiques, le degré d’hétérogénéité de l’économie croissent avec la taille démographique et, en réalité, avec le carré de celle-ci.

L’incompréhension de ces effets d’échelle et le parti pris théorique de ne pas en tenir compte invalident radicalement, mais sûrement, les comparaisons en la matière.

Par ailleurs, ces pays sont très largement différents quant à leurs dynamiques économiques. L’un, l’Islande, a fait faillite avec la crise et ne s’en remettra pas avant longtemps. Un autre, la Norvège, est en réalité un émirat pétrolier du cercle polaire. Le fait qu’il gère fort astucieusement ses ressources n’y change rien. Abusivement classée dans les pays scandinaves, la Finlande, quant à elle, a largement bénéficié de la croissance russe des années 2000, qui a eu un puissant effet de traction sur son économie. La Danemark bénéficie d’une ancienne, et durable, spécialisation sur des produits de l’agro-alimentaire, ainsi que sur quelques niches. Il peut se le permettre, étant donné sa petite taille. Vouloir cependant transposer cette politique, qui finance la fameuse et tant vantée « flex-sécurité » à un pays dont la population est pratiquement dix fois plus nombreuse relève de la folie pure. Quant à la Suède - le plus grand des pays scandinaves -, outre le fait que son modèle social est profondément en crise, il faut ajouter qu’elle n’est pas membre de la zone euro, ce qui n’est pas sans importance. Elle bénéficie aussi d’une dotation en facteurs très avantageuse (on le voit avec l’importance de l’électricité hydraulique dans sa balance énergétique).

Il est ainsi parfaitement vain de parler d’un « modèle scandinave » comme si nous étions en présence d’un ensemble économique homogène. De plus, pris un par un, ces pays sont bien trop petits pour pouvoir nous fournir une base de comparaison et d’imitation. Il faut abandonner le recours à ce « modèle » qui doit être compris comme une facilité de langage bien plus que comme une réalité.

Ceci nous renvoie donc à notre problème initial : la définition d’une politique économique et sociale en mesure de sortir la France de son marasme. En théorie, une autre politique européenne serait possible, car ce que l’Europe a défait, elle pourrait, idéalement, le refaire. On peut imaginer une autre politique de la BCE qui, en particulier, accepterait alors de financer la dette publique induite par la crise au même taux que celui auquel elle refinance les banques, et qui adopterait un objectif de plein-emploi en concurrence avec son objectif d’inflation. On peut imaginer un euro évoluant de la monnaie unique à la monnaie commune.

On peut imaginer cette Europe introduisant des droits de douane fondés sur les différences de situation sociale et écologique avec les autres pays, et rétablissant, pour une période transitoire, l’équivalent des montants compensatoires monétaires entre les anciens et les nouveaux membres, ici encore au service d’une harmonisation sociale et écologique.

On peut enfin imaginer une harmonisation des règles sociales à l’échelle européenne avec une convergence progressive sur le modèle social le plus avancé.

Il n’est pas interdit de rêver ni d’imaginer. D’une certaine manière, cela représente la meilleure des situations possibles. Mais la réalité nous impose de regarder les choses en face. Toucher au statut de la BCE implique, d’une part, un affrontement avec l’Allemagne et, d’autre part, de convaincre les 14 autres pays membres. Enfin, cela fait plus de vingt ans que l’on parle d’une « Europe sociale » et elle reste toujours dans les limbes.

On doit donc considérer que de telles réformes ne seront pas possibles à 27 et, même dans le cadre d’une Europe réduite aux 15 membres d’avant le processus d’élargissement de 2004 et 2006, elle se heurtera à la règle de l’unanimité. Accepter de s’y plier, c’est accepter tout ce que l’on a décrit au début de ce texte. C’est la pire des situations possibles. C’est pourquoi il nous faut, sur la base de l’expérience, récuser toute politique qui ne donnerait que l’Europe comme solution à la crise de l’Europe.

Il existe pourtant une situation qui, sans être la « meilleure », nous assure au moins de ne pas nous résigner au pire. L’Europe ne se changera pas sans un affrontement, voire un éclatement. Nous ne ferons pas l’économie d’une épreuve de force. Il faut s’en convaincre et s’y préparer afin d’en tirer le meilleur parti. Nous n’avons pas à la redouter. Ce sera l’occasion de remettre à plat l’architecture de la construction européenne. Il n’est pas d’autre choix possible que d’avancer, pour un temps, seul. Mais, l’ébranlement que provoqueraient des actions unilatérales de la France aurait comme effet immédiat d’ouvrir un immense débat en Europe. Si nous aurons à prendre nos premières décisions seuls, gageons que nous ne le resterons pas longtemps.

Disons le tout de suite, cette épreuve de force a pour but de faire évoluer nos partenaires. Une occasion a été perdue en 2005. À la suite du référendum sur le TCE, il aurait été possible d’avancer dans une autre direction. Tout s’y prêtait, entre autres, la légitimité que confère un vote aux résultats nets. Ceci n’a pas été le choix de Jacques Chirac, et il en porte l’entière responsabilité. Mais il est également vrai que tout ce qui pouvait être dit à l’époque s’est depuis vérifié. Nous pouvons désormais faire le tri des discours et des expériences.

Une politique alternative devra alors, au départ, être conçue pour être exécutée par la France de manière unilatérale. Elle devra s’inscrire simultanément dans une perspective de long terme et de court terme. Elle devra se fixer comme objectif de reconstituer l’alliance indispensable entre les classes populaires et les classes moyennes.

Un tel objectif implique une confrontation directe avec le sommet des couches aisées et, en particulier, avec celles qui se sont dénationalisées dans la mesure où leurs revenus et leurs conditions de vie ne sont plus liés au territoire national.

Elle aura donc des éléments structurels. Une autre politique fiscale est nécessaire et elle implique, pour être efficace, un strict contrôle de la circulation des capitaux à court terme. Ceci aura pour effet de mettre entre parenthèses la zone euro, mais sans toucher pour l’instant à l’essentiel. Dans la mesure où la France est un exportateur net de capitaux, ce contrôle ne peut être que bénéfique.

Cette politique fiscale devra s’accompagner d’importantes et ambitieuses mesures concernant nos infrastructures. Elles viseront à accroître l’efficacité énergétique et réduire l’impact écologique, à améliorer le réseau de transports et à mettre fin à l’appauvrissement de nos services publics, et en premier lieu de l’éducation.

La reconstruction de nos villes, en vue d’en améliorer l’écologie sociale et environnementale, sera aussi une priorité. De telles mesures ne sont pas compatibles avec les directives européennes sur ce point. Ces dernières devront être suspendues sine die.

Ces mesures cependant s’inscrivent dans le long terme. Elles posent le problème de leur financement et ne répondent qu’imparfaitement aux urgences de l’heure.

La dimension conjoncturelle de cette politique alternative devra avoir deux volets : l’un concernant la taxation des importations et l’autre concernant le domaine de la monnaie.

Il conviendra donc, dans un premier temps, d’introduire immédiatement l’équivalent de ce que l’on appelle dans le mouvement syndical européen une « taxe sociale et écologique aux frontières ». Elle pourrait prendre deux noms, « taxe » pour les pays hors de l’UE et « montant compensatoire social et écologique » pour les pays membre de l’UE. Son principe est simple. Il s’agit de prélever sur tout produit entrant en France, pour y être consommé ou utilisé, la différence qui existe entre la productivité du pays d’origine et la France pour les biens de la branche, et le coût salarial total (incluant le salaire direct et les salaires indirects).

Le produit de cette taxe serait utilisé temporairement (et cela a beaucoup d’importance) à subventionner certaines de nos exportations. En effet, dans la situation actuelle il ne suffit pas de faire monter les coûts de nos importations mais il faut aussi faire baisser ceux de nos exportations, du moins pour certains produits industriels. Ce faisant, nous ne ferions, sous une autre forme, que répondre à la politique allemande du début de la décennie. Il est clair que l’utilisation de cette taxe peut être différente. Quand nous arriverons à un accord avec nos partenaires, il est probable que le produit de cette taxe sera affecté à un fonds social et écologique européen. Mais ceci devra être l’un des résultats du débat que nous aurons impulsé à travers la mise en œuvre unilatérale de cette taxe.

Dans le même temps, il conviendra de modifier le statut de la Banque de France pour, d’une part, l’autoriser à prendre unilatéralement toute mesure réglementaire conservatoire et, d’autre part, pour l’autoriser à acheter des bons du Trésor. Nous avons ainsi la condition de financement de la politique structurelle évoquée plus haut. Notons que l’on se place toujours dans le cadre de l’euro. La Banque de France émettrait ainsi des euros par un simple jeu d’écritures, droit quelle peut parfaitement s’arroger. Cela aurait pour effet de faire baisser le taux de change de l’euro rapidement.

Mais, il est évident que ceci met en cause la zone euro, et implique des négociations rapides sur son futur. Notons que, dans ce cas, nous serions relativement protégés par un contrôle strict sur les mouvements de capitaux, déjà évoqué dans le cadre des mesures structurelles. Dès lors, deux solutions se dessinent. Soit nos partenaires de la zone admettent que la BCE doit changer et doit porter sa part de l’endettement public consenti en contrepartie de sa politique restrictive de la période précédente et du soutien à l’économie durant la crise. C’est donc la BCE qui prendra alors le relais de la Banque de France ainsi ressuscitée. Soit aucun accord n’est possible. Dans ce cas, nous assisterons à l’éclatement de la zone euro et au retour à la souveraineté monétaire qui, désormais, retrouve son plein exercice avec le contrôle des capitaux aboutissant à rendre sa liberté à la Banque de France en matière de taux d’intérêt.

Cette solution présente pour certains bien plus de dangers que pour la France. La probabilité d’une forte réévaluation de la monnaie allemande se profile alors, dans la mesure où elle ne peut plus compter sur les prétendus « mauvais élèves » de la zone euro pour compenser les effets de son excédent commercial. Cette appréciation risque de condamner à terme le modèle allemand, et ce d’autant plus si elle est accompagnée d’une taxe aux frontières. La logique voudrait donc que l’Allemagne accepte une refonte de la zone euro.

Tel est le cadre technique dans lequel devrait s’inscrire une politique économique alternative. Un certain nombre de mesures ont été volontairement laissées dans l’ombre. Il est clair qu’une telle politique provoquera, au départ, de fortes tensions et qu’il convient ne pas dévoiler la totalité des mesures qui pourraient être prises. Cependant, le cadre ainsi fixé est clair. Il faut, à court terme, jouer sur des doits de douane et sur la dimension monétaire pour retrouver le cadre d’une expansion économique tout en provoquant une réduction du poids relatif de la dette. Il faut, à long terme, réorienter l’investissement en le dégageant de la pression des marchés financiers (d’où le rôle stratégique du contrôle des capitaux) afin de le diriger vers les infrastructures, ce qui implique la mise en sommeil de certaines des directives européennes (mais pas de toutes).

Une telle politique est la seule pouvant offrir un réel espoir aux classes populaires, qui ont vu leurs revenus stagner depuis maintenant dix ans, mais aussi aux classes moyennes auxquelles elle ouvre la perspective d’un rééquilibrage de la pression fiscale et, via le retour à une forte croissance, d’une reprise de l’ascenseur social. C’est donc autour de cette politique que doit se construire l’alternative politique faisant écho à l’alternative économique.
Dès lors, la question du choix du candidat est relativement secondaire. Elle doit donc être posée après, et non avant le choix d’une politique, et lui être subordonnée.
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16 mars 2010 2 16 /03 /mars /2010 03:22
carte postale de Hervé Brunaux & Bruno Guiot

Bagatélé vous manipule, épisode n°1
Hervé BRUNAUX / Bruno GUIOT
© éditions Féroce Marquise

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« il faut fermer la Bourse ! »
http://goudouly.over-blog.com/article-il-faut-fermer-la-bourse--46328134.html


Frédéric Lordon


Frédéric Lordon dresse un constat froid et lucide du fonctionnement des marchés financiers. Destruction de valeur, vampirisation des entreprises par les établissements financiers, le chercheur au CNRS en déduit une solution radicale mais aux conséquences positive. Chiche : qui osera lui répondre ?

 



Dans un long papier paru dans le Monde Diplomatique vous préconisez la fermeture de la Bourse. Est-ce vos options politiques de dangereux gauchiste désireux de couper des têtes, ou vos motivations s'inspirent-elles d'une argumentation compatible avec un monde capitaliste ?

Les idéologues libéraux, qui ont l'amnésie intéressée, voudraient faire oublier cette période du fordisme dans laquelle la finance a été cadenassée, la Bourse inexistante… et la croissance étincelante. Or que je sache, le fordisme, ça n'était pas le Gosplan ni les soviets mais bien le capitalisme. Mais la vraie réponse à cette question est ailleurs. Elle consiste à dire que, dans la logique même des entreprises d'aujourd'hui, la Bourse est une aberration :

1) les entreprises vont moins s'approvisionner en capital à la Bourse qu'elles n'y vont s'en faire dépouiller, puisque ce que les actionnaires leur extorquent (en dividendes et en rachat d'actions) finit par l'emporter sur ce qu'ils leur apportent, de sorte que ce n'est plus la Bourse qui finance les entreprises mais les entreprises qui financent la Bourse ;

2) la contrainte actionnariale censure une part de plus en plus importante de l'investissement en écartant les projets jugés insuffisamment rentables (et l'« insuffisance » commence à 10% voire 15%...), par conséquent la Bourse est un frein au développement économique ;

3) les entreprises sont soumises par l'actionnaire à des contraintes de gestion (modes managériales successives, court-termisme…) incompatibles avec la conduite de moyen-long terme de projets industriels ;

4) et le comble du paradoxe est atteint lorsque les actionnaires finalement découragent eux-mêmes le financement par action puisque les nouvelles émissions ont des propriétés dilutives…

La Bourse n'est pas sortie du cul d'une poule

Mais la Bourse s'est imposée dans le paysage, tout comme la météo ?

F.L. : C'est là typiquement le genre d'énoncé qui offre un concentré pur de l'idéologie néolibérale : la naturalisation des faits sociaux. Alain Minc n'est pas capable de bâtir un « argument » économique sans invoquer la loi de la pesanteur. Or la Bourse est une forme institutionnelle, elle n'est pas sortie du cul d'une poule ni tombée du ciel. Elle a été faite de main d'homme. Par conséquent elle peut être défaite s'il apparaît qu'on y a plus d'avantages que d'inconvénients – ce qui me semble notoirement le cas. Il y a eu un moment où on s'est dit que l'institution « monarchie de droit divin » était pénible. Elle a fini dans le même panier que la tête du roi et depuis ça va mieux. On pourrait dire cependant que c'est bien la loi de la pesanteur qui a fait tomber le couteau de la guillotine… Mutatis mutandis bien sûr – on n'est pas des sauvages – il se pourrait, vu sous cet angle, que MM. Minc & Co découvrent un jour un aspect de la loi de la pesanteur qui ne leur était pas apparu.

Il est urgent de remettre des limites au capital actionnarial qui n'en connaît aucune

La Bourse de Paris n'est-elle pas déjà fermée ? Le palais Brongniard n'est-il pas depuis longtemps transformé en mini palais des Congrés ?

C'est la seule chose vraiment regrettable puisque ça rend plus difficile sa destruction physique, dont les bonnes propriétés symboliques et carnavalesques ne devraient pas être méconnues. Au moins, mai 68 avait eu la possibilité de mettre le feu au palais Brongniart… Mais vous-même feignez l'innocence et savez bien que la Bourse existe, simplement sous la forme moins spectaculaire de très gros serveurs informatiques bien planqués quelque part – où d'ailleurs ? Question intéressante, n'est-il pas ?

Les évolutions techniques en matière de finance que vous évoquez ont-elles profondément modifié le rapport de force entre la finance et l'économie productive ?

C'est bien peu de le dire. Et c'est précisément parce que ce rapport de force s'est renversé du tout au tout qu'il est urgent de remettre des limites au capital actionnarial qui n'en connaît aucune et, de lui-même, ne s'en imposera aucune. C'est pourquoi les appels à la modération qui ont pour nom « moralisation du capitalisme » sont d'une indigence qui partage entre le rire et les larmes. L'emprise acquise sur les firmes par le capital actionnarial au travers de la configuration présente du capitalisme est un fléau que l'on ne réduira que par les mêmes moyens qui l'ont imposé : une transformation radicale de structures.

Des contraintes de gestion aberrantes et des effets d'anti-financement résument ce fléau qui naît bien moins de la dépendance financière des entreprises aux apporteurs de capitaux (les capitaux, les « apporteurs » les leurs prennent !) que du contrôle des équipes dirigeantes par le cours de Bourse : si les actionnaires sont mécontents, des ventes font baisser le cours, l'entreprise devient opéable… et le patron éjectable. L'histoire récente du capitalisme est (en partie) l'histoire d'une lutte de puissance entre deux fractions du capital : le capital financier et le capital industriel, le premier ayant reçu de la modification des structures un pouvoir inédit qui lui a permis de déposséder le second de son ancienne souveraineté. Et de lui imposer tout et n'importe quoi. Et à la fin le capital industriel passe le mistigri au salariat…

Oui, on peut fermer la Bourse dans un seul pays !

Les promesses faites par la finance, en réalité celles issues de la libéralisation des marchés, avec à la clé plus de croissance, plus de richesse, n'ont-elles donc pas été tenues ? Après tout, sans la Bourse, pas de Google, non plus de Microsoft ?

C'est vous qui le dites et il faudrait un ou deux arguments pour le soutenir. Que des Google ou des Microsoft soient apparus pendant la période de déréglementation financière ne prouve nullement que celle-ci soit la cause sine qua non de ceux-là. La seule chose dont on soit certain est que, sans Bourse, pas de Bill Gates et de Larry Page multi-milliardaires…

On ne peut pas dire que ce soit un avantage économique indéniable. Il est vrai cependant que le financement des start-ups technologiques est l'argument de dernier recours pour justifier la finance actionnariale mais au travers de ce compartiment très spécial et en fait très étroit de l'amorçage et du venture capital. La perspective de l'introduction en Bourse y est présentée comme stratégique précisément du fait que le financement de l'innovation radicale est hautement incertain, finit mal neuf fois sur dix, et qu'il faut décrocher le pompon sur la dixième pour rattraper les neuf autres. Mais une telle économie de la péréquation est très concevable hors de la Bourse et on pourrait parfaitement l'imaginer opérée au travers d'instruments de dette un peu sophistiqués à base de taux d'intérêt variables indexés sur les profits des start-ups par exemple.

Rien dans leur financement ne justifie incontestablement de maintenir un passage par la Bourse, à part le désir de l'enrichissement hors de proportion de créateurs d'entreprise et de business angels mus au moins autant par le projet de faire fortune que par celui de créer quelque chose. Pour ce qui est de la contribution de la finance à la croissance, je vous suggère de comparer le taux de croissance moyen des trente glorieuses, donc sans finance dérégulée et avec une Bourse croupion (5% l'an en moyenne), et celui de la période de hourrah-dérégulation depuis deux décennies. L'affaire est vite vue. Et ceci n'est nullement un plaidoyer passéiste mais simplement l'idée – logique – qu'un contre-exemple suffit à ruiner une généralité. Dont nous ne devrions donc plus être prisonniers.

La fermeture de la Bourse peut elle s'envisager dans un seul pays ?

Pour le coup oui ! Ce sont toutes les mesures « intermédiaires » qui font hurler au péril de la fuite des capitaux. Mais en fermant la Bourse, c'est nous qui mettons les capitaux à la porte ! Et pour autant ceci ne signifie nullement une économie privée de fonds propres. L'idéologie actionnariale a fini par faire oublier que les capitaux propres, ce sont les entreprises qui les sécrètent par leurs profits… dont elles vont se faire dépouiller à la Bourse. L'autofinancement, le crédit bancaire et éventuellement des marchés obligataires constituent un mode de financement tout à fait viable de l'économie.

Faire fuir les traders

Une fois la bourse fermée, ou iraient les cerveaux bien formés que les super rémunérations issues de la finances attirent dans les salles de marché ?

De deux choses l'une, ou bien ils foutraient le camp et iraient exercer leurs nuisances ailleurs, ou ils mettraient leurs supposées intelligences au service d'activité socialement plus utiles et dans les deux cas on ne s'en porterait que mieux. Il est grand temps de se désintoxiquer de l'idéologie des « compétents », dont l'incompétence est pourtant spectaculairement démontrée jour après jour, mais dont il faudrait néanmoins satisfaire toutes les exigences sous la menace de les voir partir. La question des bonus et des rémunérations est entièrement captive de cette grande illusion. Je dis que le départ des « meilleurs » traders est une bénédiction :

1) ne resteront que les moins finauds auxquels il faudra ne confier que les produits les moins sophistiqués… donc les moins risqués ;

2) si le problème économique posé par les bonus ne doit pas être sur-estimé, le problème politique de justice sociale et d'inégalités obscènes est lui de première importance, c'est pourquoi, non pas limiter mais interdire les bonus, et éventuellement faire fuir les traders, est une solution à envisager très sérieusement car ces extravagantes rémunérations ont le caractère d'un trouble à l'ordre public ;

3) la finance est un pôle d'attraction qui a profondément distordu l'allocation du capital humain dans la division du travail en captant des esprits qui seraient infiniment mieux employés ailleurs. Quant aux « compétents » non traders, s'ils savaient… Il y en a quinze derrière eux qui feraient le travail aussi bien qu'eux.

En fait, ce n'est pas vraiment la fermeture de la Bourse que vous prônez, mais une sorte de ralentissement de son cours, que vous décrivez comme infernal. En quoi, la fin de la cotation permanente, c'est à dire en continue des titres est-elle apte à redistribuer les cartes ?

Mais si mon bon monsieur, c'est bel et bien la fermeture de la Bourse que je prône ! Je concède que c'est un peu rude à avaler… Cependant pour les petits estomacs, j'ai une sorte de formule à la carte, avec un étagement de recettes anti-actionnariales rangées dans l'ordre de l'épicé croissant. En amuse-bouche, je propose, en effet, de commencer par une formule de « ralentissement » en abolissant la cotation en continu, remplacée par un fixing mensuel (ou plurimestriel). Puis on entre dans le roboratif avec le SLAM (Shareholder Limited Authorized Margin) qui est un impôt non pas sur les profits d'entreprise (comme on le lit parfois) mais sur la rentabilité actionnariale, et qui plus est un impôt de plafonnement : c'est-à-dire qui prend tout au-delà d'un certain seuil maximal autorisé de rentabilité, le but de la manœuvre étant de cisailler les incitations actionnariales à pressurer toujours davantage les entreprises puisque tout ce qu'elles leur feront cracher en plus pour les actionnaires leur sera confisqué. Le plat de résistance bien sûr, c'est la fermeture de la Bourse elle-même. Chacun puisera là dedans selon son appétit politique et la conjoncture du moment.

Pensez-vous que les partis de gauche de gouvernement soient capables d'intégrer vos arguments ?

Les partis de gauche de gouvernement mangent des graines et font à peine cuicui.

 

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