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  • : Le blog de la rue Goudouly
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MÉMoire ClassÉE

En campagne

13 octobre 2009 2 13 /10 /octobre /2009 03:19


La grande invasion…

 

           C’est reparti à la hausse. Les mineurs étrangers isolés sont de retour, africains essentiellement, sous le ciel clément de l’Ariège en ce début d’automne. Chacun comprendra qu’un africain ce n’est pas nécessairement masochiste et que le soleil, les platanes, une assiette et un toit, c’est mieux que la « jungle de Calais » ou les marchands de sommeil à Paris.

 

           Le parcours légal et officiel, répondant aux lois de protection de l’enfance est presque toujours le même en cascade : signalement ou présentation à la Police ou la Gendarmerie qui communique au Procureur… qui prend une mesure de protection d’urgence et de placement… qui incombe à l’Aide Sociale à l’Enfance donc au Conseil général… qui paie… Et la note est salée puisque le prix de journée en établissement est au minimum de 150 € à la charge du contribuable local puisque depuis longtemps, l’Etat à fui ses responsabilités et imposé ces dépenses aux collectivités territoriales (vive la décentralisation !). On comprend la colère des élus locaux qui doivent expliquer à leurs administrés où passe l’argent de l’impôt. Mais, ne nous trompons pas de cible et ne faisons pas de ces gamins en errance les pestiférés, source de tous nos malheurs…

 

           Ils sont donc une vingtaine à avoir osé mettre les pieds ici depuis le début de l’année. De là à fantasmer sur les réseaux organisés qui s’acharneraient spécialement sur l’un des départements les plus pauvres de France, il n’y a qu’un pas…Les soupçons et les hypothèses partent dans tous les sens… De là à penser que tous ces miséreux pourraient bien aller se faire enregistrer ailleurs… Il y a un second pas de franchi et chacun  cherche comment on pourrait « refiler le bébé » au département d’à côté si possible sans le lui demander…

 

           Lors d’une récente réunion de travail sur le sujet nous avons d’abord insisté pour que les textes en vigueur sur la protection de l’enfance soient respectés, pour que les jeunes concernés ne soient pas les victimes de conflits institutionnels… Si les textes et les procédures doivent être changés, c’est un problème réglementaire ou législatif qui revient à qui de droit.

 

             Nous avons fait remarquer que si l’objectif était de mieux répartir les charges au niveau de la région (et pourquoi pas national) que chacun des intervenants avait un relais régional qui, saisi des demandes pourrait les orienter suivant les disponibilités et moyens de chaque département. Il existe au niveau régional : un procureur général, une Préfecture de région, un Conseil régional. Il existe aussi une plate-forme (Montauban – Toulouse), il existe aussi l’OFI (anciennement Anaem chargé des contrats d’intégration et surtout de percevoir des taxes de plus en plus élevées) Enfin, les premières  demandes d’asiles ne viennent-elles pas d’être centralisées sur Toulouse pour tous les départements de Midi-pyrénées…

 

           Malgré ce catalogue de possibilités, chaque institutionnel a campé  sur son « pré carré » renvoyant la responsabilité à l’autre et insistant un peu lourdement pour que des associations comme les nôtres règlent le problème (ce qui ne manque pas de sel quand on sait les ennuis rencontrés par Claudine Louis cet été !)… Laissons pour piètres, les propos laissant sous-entendre que nous serions complices ou responsables de cette « invasion » et cherchons ensemble comment nous pouvons améliorer la situation dans l’intérêt prioritaire des adolescents concernés.

 

           Nos associations, composées de bénévoles, fonctionnent sur leurs fonds propres et  viennent en aide d’abord aux intéressés (aide matérielle, accompagnement juridique et accès au Droit…). Elles n’ont d’autres moyens d’action que la bonne volonté, la générosité et la pugnacité de leurs adhérents… Elles peuvent dresser un état des lieux, formuler des revendications et faire des propositions mais elles n’ont pas pour vocation de suppléer les carences législatives et institutionnelles, carences qu’elles se doivent de dénoncer auprès des citoyens au nom de la solidarité et de la fraternité.

 

 

PITCHOU en fait les frais…

 

           Pitchou est arrivé la semaine passée en Ariège alors que l’Aude c’est si beau avec les vignes et la mer… Sûrement un mauvais coup du « réseau »… oui, mais lequel ? Et s’il n’était pas mineur ? et si on nous refaisait un petit coup de test osseux… Autant d’arguments fallacieux avancés comme pour mieux justifier le rejet…

 

           Pitchou est arrivé au mauvais moment, en plein « ras le bol » du Conseil général. Il a suivi le cursus décrit ci-dessus (Police, procureur, ASE) mais le Conseil Général, bravant la loi,  s’est insurgé contre cette nouvelle charge et a refusé d’appliquer la mesure de protection prononcée. Après l’errance dans les rues de Pamiers, Pitchou a fini sa course à l’hôpital où il séjourne toujours aujourd’hui bien qu’il ne soit pas malade, heureusement…

 

           L’administration de l’hôpital et les médecins responsables ne savent pas à qui remettre ce jeune mineur, ni d’ailleurs à qui envoyer la facture… Rappelons qu’une journée d’hôpital c’est au minimum 600 €. Il y aurait bien quelques possibilités d’hébergement en établissement ou en famille d’accueil mais ils n’ont pas été sollicités et ne pourront pas répondre favorablement connaissant le refus de prise en charge de l’Aide Sociale à l’Enfance…

 

           Pitchou du haut de ses officiels seize ans, n’est pas en souffrance, il est en danger… Qui portera le chapeau en cas de pépin ? A moins que, lassé du mauvais tour qu’on lui joue, il ne disparaisse comme il est arrivé… On entend déjà les « ouf » de soulagement « on vous l’avait bien dit : le réseau ! ».

 

           Il y a des jours où l’on se sent tout seul

           Mais peinard…

 

 

le 7 octobre 2009

Christian Morisse

 

 

 

Réseau Education Sans Frontière  (RESF 09)

Coordination Ligue des Droits de l’Homme de l’Ariège

(BP 20151   0903  Foix cédex  - tél : 05 61 65 65 98   ou  06 70 94 08 48)

 

 

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11 octobre 2009 7 11 /10 /octobre /2009 03:34


Quelques usages de l'embryon
Jacques Testart

Il y a 25 ans , le responsable des banques de sperme (cecos) annonçait l’imminence d’une médecine de l’embryon, l’œuf humain étant qualifié de "plus petit patient". Qu’en est-il ? En fait la biomédecine d’une part propose à certains couples une sélection parmi leurs embryons (diagnostic préimplantatoire=DPI), et d’autre part revendique de sacrifier des embryons sans "projet parental" à des recherches (lesquelles sont plus gratifiantes et "compétitives" que si elles étaient réalisées sur l’embryon animal…). Plutôt que bénéficiaire de la sollicitude médicale, le "plus petit patient" est donc seulement l’objet de sacrifices justifiés par la santé d’autres êtres humains…
Pour leur part, les défenseurs de l’embryon , qu’ils considèrent comme une personne, semblent croire à une future médecine de l’œuf dont on voit mal ce qu’elle serait : s ‘il s’agit de "soigner" un embryon déficient, par exemple par thérapie génique, le projet est absurde puisqu’il ne peut être que consécutif à la FIV (que les mêmes réprouvent) , laquelle conduit à concevoir plusieurs embryons parmi lesquels au moins un devrait s’avérer "normal"…

Mais certains fervents de la science salvatrice imaginent de modifier le génome humain au stade de l’œuf juste fécondé (par transgenèse) afin de créer des HGM (humains génétiquement modifiés) dotés de "qualités" naturellement absente dans notre espèce. Nul ne sait à quoi ressembleraient de telles constructions biotechnologiques, d’abord parce que personne n’a décrit ce qui manquerait à l’homme (à tous les hommes) pour être plus humain… à moins que l’humanité soit délibérément étrangère à ce projet utopique autant que totalitaire qui se dénomme lui-même "transhumaniste". Les transhumanistes ne constituent pas une secte ordinaire, ils ont pignon sur rue, surtout aux Etats-Unis où ils comptent des scientifiques réputés qui veulent cumuler la transgenèse initiale avec les technologies bioinformatiques et les nanotechnologies pour construire un homme "supérieur"…Bien des penseurs de par le monde se font peur avec "l’homme modifié" qui n’est encore heureusement qu’une fiction délirante, mais cette attention aux utopies spectaculaires contribue à exonérer la biomédecine des périls véritables auxquels elle expose déjà l’humanité !

Si la modification (thérapeutique ou démoniaque) de l’œuf ne semble ni souhaitable ni vraisemblable, restent les anciennes stratégies de sélection pour éliminer les indésirables, lesquels échappent désormais à l’infanticide (au moins en Occident). Il existe une voie quasi "écologique" pour créer de bons génomes sans passer par une véritable fabrication, il s’agit de saisir l’opportunité qu’offre la diversité naturelle des conceptions pour en extraire les meilleurs éléments. Alors que l’IMG(interruption médicale de grossesse) trouve ses limites eugéniques dans la violence de l’acte et sa focalisation sur de rares pathologies, le DPI (diagnostic préimplantatoire) autorise à la fois la multiplication des critères d’acceptation (pourvu que la couvée embryonnaire soit nombreuse) et l’observance des règles d’une éthique consensuelle (puisque l’acte "médical" porte sur des êtres qui nous sont presque indifférents). Je crois que le DPI est infiniment plus eugénique que l’IMG , par exemple : en permettant un tri plutôt qu’un choix binaire puisque plusieurs embryons sont présents simultanément là où le couple cherche un enfant ; en déléguant ce tri, techniques et épreuves confondues, au personnel biomédical entre les mains duquel se trouvent les embryons (la séquence DPN/IMG n’est pas reproduite par le DPI qui cumule diagnostic et élimination sous le même sigle technique) ; en ne différant pas la naissance d’un enfant souhaité, fin heureuse du processus technique ; en visant potentiellement, au delà de la "qualité" de l’enfant à naître, l’éradication de certaines caractéristiques dans l’humanité à venir.

C’est le caractère systématique du recours à l’IMG dans le cas de certaines pathologies (98% des trisomiques décelés par DPN sont éliminés) qui glace, comme si une machine avait pris en charge l’élimination de certains humains en appliquant un programme d’éradication impitoyable… bien que relativement inefficace. En effet, la survenue de telles pathologies est imprévisible et inéluctable si bien que la "solution eugénique" ne s’entend que par la répétition des mêmes programmes sacrificiels au fil des générations.

Je comprends l’opposition fondamentale à l’IMG mais je ne peux ni la partager ni l’identifier au refus du DPI pour les raisons évoquées ici brièvement (et développées dans Le désir du gène, Flammarion 1992 et Des hommes probables, Le Seuil, 1999). De façon évidente, et même pour ceux qui voient l’irruption d’une personne dès la fécondation, il existe une gradation subjective du respect dû au conceptus en fonction de son stade de développement, et la suppression d’un fœtus choque davantage que celle d’un œuf juste fécondé. C’est que le problème éthique posé par l’élimination du conceptus est concentré exclusivement sur le conceptus lui-même. Je crois pour ma part que l’humanité a davantage à perdre de la norme qui se construit (ou se perpétue) au fil des exclusions que des éliminations elles-mêmes. Et qu’il faut donc se préoccuper surtout des survivants…Ils sont de deux natures différentes : ceux (encore rares) qui ont traversé avec succès l’épreuve du tamis génétique du DPI et qui pourraient culpabiliser d’une victoire payée par la mort de leur fratrie ; ceux aussi (nous tous) qui appartiennent à une société où le meurtre des différents a été banalisé et où il deviendra insupportable de ne pas être "compétitif" selon les critères de la mystique génétique. Le pire est à venir quand ces deux catégories se recouvreront parce que toute conception sera soumise à évaluation génétique, ce qui devrait arriver dès que le DPI ne se payera plus des servitudes liées à la FIV, comme je l’ai développé ailleurs. Qui peut croire que nos laborieuses lois de bioéthique résisteront longtemps à l’exigence trompeuse de " l’enfant parfait" acceptée à Londres, Bruxelles ou Barcelone ?


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Biologiste et directeur de recherche honoraire à l'INSERM, Jacques Testart a réalisé en 1982 la fécondation du premier bébé-éprouvette en France. Il a écrit de nombreux ouvrages, au nombre desquels L'oeuf transparent (Champs Flammarion, 1986) et Des hommes probables (Seuil, 1999).
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8 octobre 2009 4 08 /10 /octobre /2009 03:59



Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Maxime VIVAS
Sur Le Grand Soir

Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies.

Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. A l’époque, tous les délocalisés (souvent des couples) étaient volontaires en raison d’avantages palpables : primes de mobilité, autre qualité de vie, de transport, de logement.

Cette direction nationale comptait environ 800 personnes à Blagnac et 6000 dans ses directions « régionales » dont les sièges étaient à Lyon, Metz, Nantes, Paris, Toulouse.

A Paris, la DG (direction générale), sous l’impulsion d’un DRH éclairé et de quelques collaborateurs convaincus, avait mis en place un service national comptant une centaine d’ergonomes ou assimilés pour 150 000 agents.

A quoi sert un ergonome ? En résumé, c’est un analyste du travail dont la tâche est de créer des situations où les opérateurs sont placés dans de meilleures conditions de confort, de sécurité et d’efficacité. Confort, on voit là le profit pour les agents. Efficacité, on voit celui de l’entreprise. L’intérêt commun est dans la sécurité, la diminution des accidents de travail.

En ces lieux de coopération et d’antagonisme que sont les entreprises, les ergonomes développent des opérations gagnant-gagnant, en collaboration avec les directeurs d’établissements, les cadres, les agents, les syndicats et les CHSCT.

Pour arriver à leurs résultats, ils pratiquent de minutieuses observations du travail, dialoguent avec les opérateurs, avec les cadres, étudient les locaux, les documents de travail, les matériels, les notes de service, les modes opératoires, etc. Ils interviennent sur les ambiances thermique, lumineuse, sonore, l’agencement des postes de travail, le contenu du travail, son rythme et son organisation même.

Leur formation emprunte entre autres à la psychologie, à la sociologie, à la physiologie. Dans le jargon des directeurs de France Télécom (essentiellement issus de l’école Polytechnique) adeptes des « sciences dures », il s’agissait là de « sciences molles », donc de théories fumeuses.

A l’époque (je doute que cela ait beaucoup changé depuis), un diplômé d’une grande école, pouvait entrer dans le monde du travail à moins de 30 ans et gérer illico des dizaines, voire des centaines de salariés, sans avoir reçu une seule heure de formation sur ces sciences méprisées. Le fait qu’elles ne soient pas enseignées à Polytechnique suffisait d’ailleurs à prouver qu’elles servaient tout juste à sodomiser les diptères.

Le DRH, fondateur de l’équipe d’ergonomie, parti (ou débarqué), France Télécom n’eut de cesse que de résorber cette niche de plaisantins dont l’activité faisait obstacle au management intuitif, ou dépoussiéré en surface par des bonimenteurs en costars croisés et cravates rayées, pseudos experts de cabinets de consultants dont les attachés-cases étaient bourrés de recettes magiques pour améliorer en un temps record la gestion des « ressources humaines », réduire les coûts du travail, améliorer la productivité.

Le ramage de ces individus faisait ouvrir un large bec à nos décideurs qui, ignorants du fonctionnement des hommes et surtout des groupes, gobaient les théories les plus débiles et les plus coûteuses (donc excellentes, sinon elles seraient bon marché).

J’ai vécu l’époque où les ergonomes de France Télécom, en rangs de plus en plus clairsemés, essayaient, non sans risque pour leur carrière, d’alerter les dirigeants de leur entreprise sur la dangerosité des solutions qui leur étaient vendues. L’une d’elle, je ne saurais l’oublier tant elle nous faisait hurler, était que pour améliorer la productivité, il fallait « introduire une dose de stress dans l’entreprise ». Quiconque doute de la véracité de cette information devrait consulter la presse de l’époque qui promouvait avec ravissement cette méthode de management.

La liste des futurs suicides s’est ouverte ainsi.

Les ergonomes savaient, parce qu’ils l’avaient étudié et que des expériences l’avaient scientifiquement démontré, que le stress inhibe une partie des capacités du cerveau, favorise les erreurs et les accidents. Ils savaient aussi qu’il provoque des maladies physiques et atteint la santé psychique.

En face d’eux, des docteurs Diafoirus prétendaient avoir inventé la pipette pour instiller le poison à doses millimétrées. Leur geste médical n’étant pas sûr à 100%, des agents overdosés commencèrent à se jeter par les fenêtres.

L’actuel patron de France Télécom a sans doute sa part de responsabilité dans la vague de suicides, mais il n’est pas le seul. Il est celui qu’on peut attraper quand les autres, ayant dirigé une entreprise nationale naguère prospère, sont partis en laissant derrière eux une machine commerciale cotée en bourse, endettée jusqu’au cou, avec un personnel désemparé. Il a suivi la voie mortifère où les salariés sont vus comme des citrons ou des fourmis à affoler à coups de pieds pour qu’elles s’agitent. Les personnels, sans qui l’entreprise n’est rien (pardonnez cette banalité, écrite au cas où un directeur général me lirait), figuraient et figurent dans des dossiers noirs étiquetés : « sureffectifs », « coûts à résorber », « postes à supprimer », « mutations d’office », « commercial ».

Quand, il y a une quinzaine d’années, un Ingénieur en Chef, chef d’un service où je travaillais s’est jeté du haut de l’escalier de la direction de Blagnac au sortir d’une réunion où il avait appris que son service était délocalisé à Nantes, ordre fut donné de nettoyer le sol de marbre rose où il s’était écrasé et de ne pas alerter la presse, de ne pas écrire un mot dans le journal d’entreprise.

Casser le thermomètre…. Feu vert pour les suicides à venir.

Puis, débarquèrent les marchands de « Cercles de qualités » attrape-nigauds qui nous vinrent du Japon après avoir été validés aux States. Une autre fumisterie abêtissante devant laquelle les ergonomes tordirent le nez mais qui s’imposa à raison de dizaines de milliers d’exemplaires dans l’entreprise. Coûteuses bulles de savon qui éclatèrent toutes à la vitesse de la lumière. Il n’en subsiste plus aucune. Plus durable fut l’infantilisation manoeuvrière par les pin’s dont l’accrochage au revers de la veste des sans-grades et des décideurs donnant l’exemple, était preuve d’intégration dans la grande famille de France Télécom, donc de sa cohésion sociale. Et de la supposée capacité des bons sauvages du bas, à qui on allait voler leur Statut, à se laisser éblouir par de la bimbeloterie.

Vinrent aussi les promoteurs de séminaires sans cravate, voire en short. Et en avant pour les jeux de rôles, les brainstormings, les papers-boards savamment constellés de gommettes de couleurs variées, les tableaux blancs égayés de cercles, de carrés, de flèches, de post-its, d’arbres d’Ishikawa, de diagrammes de Pareto, autant de méthodes dont la possible valeur intrinsèque était instrumentalisée pour avaliser l’idée erronée qu’il n’est pas besoin d’un savoir sur l’homme pour résoudre les problèmes de l’homme au travail. Le « bon sens » dont mon maître en ergonomie disait crûment qu’il est « la connerie unanimement partagée par un groupe homogène » suffisait. Les médias ne juraient-ils pas qu’en d’autres lieux, des « chirurgiens aux mains nues » opéraient de l’appendicite sans ouvrir les ventres et sans avoir fréquenté l’Académie de médecine ?

Des escrocs enjoués promettaient la lune, les décideurs naïfs regardaient le ciel, les ergonomes essayaient de mordre le doigt. Nous avons échappé de peu aux sauts à l’élastique et aux marches pieds nus sur les braises. J’ai quitté cette maison quand le triomphe des charlatans planétaires était si patent qu’il me fallait partir ou me compromettre. D’autres ont dû rester qui ont étouffé leur spleen dans un nœud coulant.

J’extrais de mes archives un numéro spécial du journal « L’Autan » que le syndicat CGT des télécommunications de la Haute-Garonne avait édité pour dénoncer ces dérives en octobre 1990 (19 ans, déjà !). On y lit que la direction sise à Blagnac venait de signer un contrat qui lui coûta de 2 millions de francs (304 898 euros) avec deux joyeux drilles, beaux parleurs qui se faisaient fort de modifier l’état d’esprit de 6000 agents en deux jours de stage. En fait, les malins allaient former 20 animateurs de France Télécom qui auraient ensuite à appliquer la méthode aux autres avec les documents fournis (vendus !) : cassettes vidéo, transparents, stylo spécial (sic), un livre écrit par les deux génies et un test permettant en quelques réponses de se classer soi-même dans un des 4 types de personnalités existants (4, pas un de plus). Un syndicaliste curieux découvrit que cette merveille d’introspection moderne était déjà utilisée dans l’armée états-unienne en 1928. Pour France Télécom, elle avait été rajeunie par l’adjonction d’un procédé de grattage, style « Tac au tac ».

Le contrat comportait une règle idiote à laquelle il était pourtant impossible de déroger, le directeur national, ayant grade d’Ingénieur Général, y veillant personnellement : les formations devaient avoir lieu hors de la région d’affectation des personnels. Des milliers d’agents, souvent « volontaires-désignés-d’office », parcoururent la France en tout sens, les Marseillais visitant Brest, les Bordelais fonçant à Strasbourg, les Lillois découvrant Bayonne. Le chassé-croisé entraîna la perte de dizaines de milliers d’heures de travail et des millions de francs de dépenses supplémentaires, nullement inutiles pourtant, auraient dit ceux qui pensaient que la mobilité forcée doit s’apprendre assez tôt afin que chacun accepte demain une mutation tous les trois ans avec un minimum de pendaison sur les lieux de travail.

Pendant ce temps, les ergonomes reculaient, toujours moins nombreux, toujours moins écoutés, toujours moins promis à une belle carrière.

Le management camouflait sa brutalité croissante sous des gadgets clinquants, ruineux et superflus. Puis, le plus gros de l’opération de décervelage étant fait, on managea sans masque. A la hussarde.

Il me souvient de ce jeune chef d’un service d’une cinquantaine d’agents et de cadres, bardé de diplômes, qui ne comprit pas qu’à son pot de début d’année, seules trois personnes étaient présentes : sa secrétaire et deux fayots (ou pétochards). Il alla pleurer dans le bureau de la psychologue affectée au management qui découvrit en l’interrogeant qu’il ne lui venait jamais à l’idée de saluer son personnel le matin. Il apprit par elle que cette perte de temps était malheureusement d’usage, ailleurs.

Je tiens de source sûre cette histoire d’un jeune cadre sup, arrivant en retard, essoufflé mais radieux dans la grande salle où se tenait un conseil de direction. Il s’excusa en annonçant qu’il rentrait de la maternité où sa femme venait d’accoucher. Un ingénieur, éleveur de chevaux à ses heures perdues, lui rétorqua : « Et alors ? Quand une de mes juments met bas, je n’arrive pas en retard. ». La réplique était assez vile pour que le directeur national lui lance un «  Je vous en prie ! » outré.

Mais personne ne lui a sauté au collet pour le sortir de la pièce. Les futurs suicides s’alimentent de ces arrogances impunies et donc répétées.

Un temps, regrettant mes anciens collègues, j’allais déjeuner avec eux au restaurant d’entreprise. Je n’entendais que lamentations, annonce de mutations non voulues, obligations de performances, tableaux d’activités à remplir, fiches d’évaluation individuelles, objectifs chiffrés, affectations de techniciens supérieurs à la vente de téléphones portables, craintes pour leurs primes, bon vouloir du N+1 pour l’avancement, détestation des décideurs. Accablement et rêve de retraite.

Il me souvient aussi de ces cadres sup se croyant intouchables, jamais une grève, pas syndiqués, très impliqués, à qui la direction annonçait un beau jour que leur poste était supprimé, qu’ils devaient se trouver un « point de chute » et qui vivaient alors des mois entiers d’inactivité sur le lieu de travail, niés, humiliés. Chacun d’eux s’employait fébrilement à « se vendre », tremblant qu’on lui impose un poste à Hazebrouck ou à Triffouilly-Lez-Engelure, charmante localité qui n’offrirait pas d’emploi à son épouse et de lycée à ses enfants. Partir ? Mourir ?

J’ai connu un cadre supérieur de 55 ans, chargé de famille, bien décidé à travailler encore 5 ans, acharné à donner satisfaction jusqu’à sacrifier des soirées et des week-ends, qui accompagna tous les changements sans lever un sourcil, qui ne broncha pas quand les premières victimes se plaignirent et que son chef convoqua un vendredi pour lui dire qu’il avait le droit de partir en préretraite et que ça serait bien qu’il le fasse. Sur l’air de : « Me suis-je bien fait comprendre ? ». Viré ! Fissa ! Car son allégeance ne suffisait pas à effacer l’essentiel : sur un listing, il était un pion sans visage, sans famille, sans âme et sans chair, une « unité » gonflant un total.

France Télécom aujourd’hui, c’est vingt ans d’incompétence hautaine, sûre d’elle et dominatrice, de cruauté, de morgue, d’ignorance crasse et revendiquée dans la gestion de femmes et d’hommes qui étaient fiers d’œuvrer pour le public. Pour le pays.

Au bonheur de préserver le tissu rural en s’enfonçant dans la montagne pour aller installer un téléphone à « la petite mémé de l’Ariège » qui enlève la housse protégeant l’appareil quand les enfants pensent à l’appeler de la ville, s’est substituée la tâche roublarde de fourguer des contrats incompréhensibles, des forfaits téléphoniques non souhaités à de pauvres gens dont le pouvoir d’achat est en chute libre.

Parfois, des agents de France Télécom se lavent de ces souillures en se jetant dans un torrent.

Didier Lombard, le PDG, peut bloquer quelques-uns des engrenages meurtriers, embaucher des psychologues, dire à tous qu’il les aime. De son vivant, il ne réparera pas les dégâts.

Par effet d’hystérésis, le paquebot dont les machines sont stoppées continue sur sa lancée. Pour l’empêcher d’échouer, pour éviter le choc qui jettera des poignées de passagers par-dessus le bastingage, il faudrait faire machines arrière, toutes.

Et cela ne se fera pas, foi de Nicolas Sarkozy ! Foi de Martine Aubry ! Foi de privatiseurs ! Foi d’Union européenne ! Foi de Traité de Lisbonne ! Foi de Concurrence libre et non faussée ! Foi de CAC 40 ! Foi de FMI !

Ah ! qu’accède aux commandes une vraie gauche décidée à tenir tête aux susnommés, une gauche ayant dans son programme le respect de chacun, la reconnaissance des services rendus à la population et un chouïa d’amour, si le mot n’est pas devenu choquant dans les conseils d’administration et dans les ministères.


Maxime VIVAS

Ex cadre de France Télécom, ex ergonome européen®, Maxime Vivas a été concepteur de formations en ergonomie et sécurité.


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http://www.legrandsoir.info/Hier-j-ai-surpris-France-Telecom-semant-des-graines-de-suicide.html
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5 octobre 2009 1 05 /10 /octobre /2009 03:12



Le G Vain : Un nouveau coup d’épée dans l’eau
Chems Eddine CHITOUR
Sur Le Grand Soir
« La maison brûle et on regarde ailleurs »
Jacques Chirac


Le 24 et le 25 septembre s’est déroulé à Pittsburg le sommet du G20. Dans la déclaration finale on lit : « Les pays du G20 se félicitent d’avoir bien répondu à la crise et annoncent une nouvelle étape de la gouvernance économique et financière mondiale. Ils souhaitent que le G20 remplace à l’avenir le G8 en tant que principal forum de la coopération économique internationale. Les pays du G20 veulent aussi « rééquilibrer la croissance » de l’économie mondiale. En clair, il s’agit de réduire le poids du consommateur américain dans l’économie mondiale au profit de son homologue chinois ou indien. Le G20 s’engage également à « mettre en place un système financier international plus solide, pour réduire les déséquilibres de développement ». Le G20 va imposer aux banques des normes plus élevées sur leurs fonds propres assurant leurs activités. Voilà pour les manants que nous sommes, ce que nous devons savoir.

Le G20 nous dit-on, va remplacer le G8 pour gérer les problèmes économiques de la planète et les pays émergents vont monter en puissance au sein du Fonds monétaire international (FMI) au détriment des Européens. La crise financière et la crise économique avaient conduit les grandes économies du monde à élargir aux économies dites « émergentes » leur cénacle de discussion et de décision afin de se rapprocher d’une gouvernance mondiale. Les pays émergents vont également prendre plus de poids au sein du FMI : 5% des parts de cette institution devraient changer de main, après une première réallocation de 2,7% décidée en 2008. La répartition actuelle des droits est jugée inéquitable : la Chine (3,7% des droits de vote) pèse nettement moins lourd que la France (4,9%) avec une économie une fois et demie plus grande selon les chiffres du FMI. (...) Le rééquilibrage des droits de vote au sein du FMI est jugé décisif pour rétablir la confiance des pays du Sud dans une institution appelée à surveiller la coordination macroéconomique des pays de la planète en association avec le G20.(1)

Le géant chinois

Lors du précédent G20, le 2 avril 2009 à Londres, la Chine avait marqué son retour sur la scène mondiale par une déclaration fracassante contre le dollar et pour une monnaie réellement internationale, « déconnectée des nations individuelles » Cette fois, c’est l’Amérique qui pointe du doigt la Chine, accusée de pratiques commerciales déloyales. M.Barack Obama, accusant les firmes chinoises de dumping, a même décidé d’imposer des droits de douane de 35% sur les pneus en provenance de Chine. Les dirigeants chinois menacent donc à leur tour de taxer les véhicules américains, alors que leurs propres fabricants connaissent des déboires à l’exportation (- 22% de janvier à août 2009). L’affaire se réglera devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC)... Mais, pendant les escarmouches, les affaires continuent : Washington fait marcher la planche à billets pour financer ses énormes déficits, tandis que Pékin achète des dollars, une arme de dissuasion financière que les dirigeants veulent garder en main... en espérant qu’elle ne leur explose pas à la figure. Ainsi, Pékin multiplie les accords financiers contournant le dollar et augmente ses réserves d’or, qui atteignent 1 054 tonnes actuellement contre 400 en 2003. En tout cas, Pékin arrive au G20 avec des performances économiques à faire rêver les Occidentaux. Le nouveau Premier ministre japonais Hatoyama Yukio entend redéfinir ses relations internationales pour que le Japon soit moins dépendant des Etats-Unis et plus serein dans ses rapports avec la Chine. Lors de sa rencontre avec M. Hu Jintao, le leader japonais a proposé que les deux géants asiatiques soient les promoteurs d’une « Communauté est-asiatique sur le modèle de l’Union européeenne. » (2)

Une fois que les lampions se sont éteints aux déclarations d’autosatisfaction, est venue la réalité des faits. « On a vraiment hâte, écrit Pierre-Antoine Delhommais, que la croissance revienne et que la crise se termine. Hâte de revenir au bon vieux train-train et au doux ronron des sommets internationaux dont on n’attend rien et où rien ne se passe. Hâte de ne plus être happé, comme à Pittsburgh, par le tourbillon médiatique de ce « G vain », selon le mot de Jacques Attali. Vingt dirigeants des principales puissances économiques de la planète, représentant 85% du PIB mondial, se rencontrent et se parlent. Au G20 de Londres, en avril, au plus fort de la dépression économique et financière, les leaders mondiaux avaient réussi l’essentiel : ils avaient contribué, en affichant leur détermination commune et sans précédent à lutter contre la crise. Mais six mois plus tard, l’économie mondiale, dont la croissance est repartie, avait moins besoin de paroles rassurantes que de réponses concrètes aux immenses défis qui l’attendent (3).

« Les dirigeants du G20 ont préféré se consacrer au symbolique (bonus, paradis fiscaux) et à l’institutionnel (réforme des quote-parts du FMI). Plutôt que d’essayer, pendant qu’il est encore temps, de prévenir l’éclatement des nouvelles bulles qui sont en train de se former sous nos yeux, et d’empêcher le déclenchement des guerres monétaires qui se profilent. Intraitables et intarissables sur l’accessoire, inconsistants et muets sur l’essentiel. A commencer, donc, par le marché des changes. Tout indique que cela risque d’y swinguer pas mal au cours des prochains mois. Comme l’explique l’économiste Patrick Artus, les pays industrialisés, faute de demande intérieure, ne peuvent guère aujourd’hui miser pour stimuler leur croissance que sur leurs exportations vers les pays émergents. (...) Ce qui signifie la persistance d’énormes déséquilibres commerciaux avec l’Occident et l’accumulation à l’infini de réserves de change autrement plus déstabilisatrices, pour le système financier mondial, que les subprimes » (3).

« Selon le compteur mis au point par The Economist, la dette publique mondiale s’élevait à 35 117,897 milliards de dollars au moment où ces lignes étaient écrites. Le FMI a calculé que le ratio dette publique/PIB - dont la bible maastrichtienne stipulait pourtant que c’était pécher que de dépasser 60% - des dix pays les plus riches de la planète passera de 78% en 2007 à 114% en 2014, soit 50.000 dollars par habitant. A ces niveaux-là, même les keynésiens de stricte obédience commencent à s’accrocher à leur siège. (...) Qu’arrivera-t-il le jour où la Fed cessera de soutenir artificiellement par ses achats massifs le marché des treasury bonds ? Déjà étouffante, la charge de la dette pourrait bien alors devenir irrespirable. » (3)

Les annonces du G20 sont-elles à la hauteur des ambitions affichées par les dirigeants des principales économies de la planète ? Ouvrent-elles la voie à un nouvel ordre économique et financier ?. Pour Jean Pisani-Ferry, directeur du think tank Bruegel et ancien trader : « Echec ou succès ? (..) un peu des deux. Sur les sujets de régulation financière, l’encadrement des bonus et les fonds propres, il n’y a pas eu d’annonce bouleversante. Le G20 de Pittsburg a refermé les dossiers financiers ouverts au G20 de Londres en avril dernier. En revanche, il a ouvert un nouveau dossier : celui de la coordination internationale des politiques économiques et de la gouvernance mondiale. »

Marc Fiorentino, président d’EuroLand Finance, pense quant à lui que « le G20 a tenu ses promesses : il ne s’est rien passé. Les Américains et les Anglais ont obtenu ce qu’ils voulaient, c’est-à-dire aucune mesure concrète. Sur l’encadrement des bonus, la liberté est laissée aux Etats et aux régulateurs. Sur les ratios de fonds propres des banques, les Etats-Unis ont accepté de rentrer dans Bâle II pour faire pression sur les Européens. Depuis la crise, rien n’a changé sur les marchés financiers. L’année en cours sera d’ailleurs l’une des plus florissantes pour le secteur. Si les banques commencent à rembourser avec de l’avance les prêts des Etats, c’est parce qu’elles ont réalisé d’importants bénéfices grâce aux activités de spéculation sur les marchés ».(4)

A peine terminé, le G20 est donc déjà sous le feu des critiques des défenseurs des pays pauvres et des écologistes, qui estiment que ces deux enjeux fondamentaux ont été négligés par le sommet de Pittsburgh, vendredi 25 septembre. En dépit de l’élargissement du G7 en G20, plusieurs ONG soulignent que les pays pauvres n’ont pas gagné grand-chose au sommet du G20. « Les dirigeants du G20 se sont concentrés sur des sujets comme les bonus et la rémunération, et non sur les besoins de 1,4 milliard de gens qui vivent avec moins de 1,25 dollar par jour dont la vie même est menacée par la crise économique », a déclaré Salil Shetty, directeur de la Campagne du millénaire. « On ne voit nulle part dans le projet de communiqué la moindre mention des 50 milliards de dollars que ces dirigeants avaient promis aux pays pauvres (lors de leur précédent sommet) en avril - dont moins de la moitié a été effectivement déboursée », a-t-il regretté. La Campagne du millénaire estime à 33 milliards de dollars le manque à gagner sur l’aide promise aux pays pauvres jusqu’à la fin 2010. (5)

Les pauvres et le climat, les grands oubliés

A deux mois de la réunion cruciale de Copenhague sur le climat, les dirigeants du G20 se sont contentés vendredi de se prononcer en termes généraux contre les subventions « inefficaces » aux énergies fossiles, en promettant de rester en contact. Dans leur communiqué final, les dirigeants des principaux pays industrialisés et émergents ont convenu « d’éliminer progressivement et de rationaliser à moyen terme les subventions inefficaces aux combustibles fossiles, tout en apportant une aide ciblée aux plus démunis ». Au grand dam des organisations écologistes, ce texte ne fixe cependant ni échéance ni objectif chiffré pour cette déclaration de bonnes intentions. (5)

Naturellement, les changements climatiques ont fait l’objet de déclarations vagues. A côté de l’horloge démoniaque de la dette mondiale, il est une autre horloge dont personne ne s’occupe, celle de l’inéluctabilité des changements climatiques. L’horloge de la fin du monde ou The Domsday Clock (l’horloge de l’Apocalypse) est une horloge conceptuelle sur laquelle « minuit » représente la fin du monde. Elle fut créée en 1947. Basée à l’Université de Chicago, l’horloge utilise donc l’analogie du décompte vers minuit pour dénoncer le danger qui pèse sur l’Humanité du fait des menaces nucléaire, écologique et technique. Elle indique depuis 2007 minuit moins cinq (23:55).

L’être humain, écrit l’ONG Global Footprint Network GFN, est l’espèce qui rencontre le plus de succès sur la planète. Mais il utilise plus de ressources que la Terre ne peut en fournir. Nous sommes dans un état de dépassement écologique globalisé. Partant de ce constant alarmant, l’ONG GFN a décidé d’instaurer une « Overshoot Day », pour marquer le jour de l’année où notre consommation globale de ressources dépasse le « budget » disponible de la nature. Cette année, cette journée tombe le 25 septembre. Pour calculer cette journée, l’ONG s’appuie sur le calcul de l’empreinte écologique. Liée directement aux émissions de CO2, l’empreinte permet donc de savoir si nous respectons notre « budget écologique » ou si nous consommons les ressources de la nature plus vite que la planète ne peut les renouveler. Le dépassement de cette année montre donc que nous mettons 10 mois à épuiser des biens que la Terre régénère en 12. Et les choses ne vont pas en s’améliorant : alors que nous utilisions plus de la moitié de la capacité biologique de la Terre en 1961, nous avons besoin aujourd’hui de l’équivalent de 1,4 planète pour satisfaire nos besoins. Si tous les habitants de la planète avaient le même mode de vie qu’un habitant des États-Unis, il faudrait 4,6 planètes pour subvenir à nos besoins. Rappelons que pour un Sahélien, il faut à peine 0,1 planète pour subvenir à ses besoins de... survie

Pour le site altermondialiste Attac, « les services publics, l’assurance maladie et les retraites continuent d’être privatisés dans les pays du G20. Les revenus du capital ne seront pas limités et ceux du travail attendront d’être revalorisés. Le G20 ne dit rien sur cette question d’autant plus cruciale que la montée extraordinaire des inégalités est l’une des principales raisons du caractère systémique de la crise. L’association Attac est opposée à un système économique et financier prédateur et inégalitaire et son engagement en faveur : d’une socialisation du secteur bancaire et financier avec un contrôle citoyen ; d’une taxation internationale des transactions financières ; d’une limitation stricte des revenus financiers ; du placement hors marché des biens publics mondiaux ; d’une régulation mondiale de la finance, de l’économie et de l’écologie (en particulier du climat) sous l’égide de l’ONU, le grand absent de ce sommet. Bref, un vaste programme aux antipodes des préoccupations des grands de ce monde.

Je laisse le lecteur apprécier cette conclusion qui résume la comédie humaine « Le G20 restera vain. On le sait. On y parlera morale... Bref, on opérera un « déplacement » comme on dit en psychologie : le déplacement consiste en un mécanisme dans lequel une émotion, une peur « comme peur que quelque chose arrive et vous précipite dans le déclin », sont déplacées de leur objet initial sur un objet substitutif acceptable. Cet objet substitutif, ce fantasme collectif, peut-être la « moralisation » de la finance, construire un indice du « bonheur »(sic), l’ethnicisation des rapports sociaux en lieu et place des classes sociales ou bien encore l’angoisse de la pandémie comme pandémonium, suscitera quelques sacrifices de masse expiatoires.(...) L’important est que ce déplacement organise l’impératif du désarroi et aveugle la conscience : sans cesse mettre au pas toute critique radicale... (...) Cette systémie du « déplacement » est d’autant plus nécessaire en ces temps de « crise permanente » qu’il s’agit de sauver le capitalisme, ce brave soldat. (...) Pourtant, les remèdes sont connus ainsi que la genèse du mal. La crise n’est pas née de la dernière pluie. Elle est l’enfant incestueux de la révolution conservatrice des années 80, au milieu des « trente piteuses » : les années fric, les années de la dérégulation, ou tout ce qui est humain ou bien marchand utile est considéré comme un coût... Ou l’être-ensemble devient une scorie, un résidu négligeable, car non calculable.(6)

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechniqu Alger enp-edu.dz

 

1.Arnaud Leparmentier. Vers un poids plus grand des pays émergents. Le Monde.fr 25.09.09

2.Martine Bulard. Duel au sommet entre Pékin et Washington www. L’expansion.com24.09.2009

3. Pierre-Antoine Delhommais. Les G20 passent, l’horloge tourne. Le Monde 26.09.09

4. Interview. Propos recueillis par Julie de la Brosse L’Expansion 25/09/2009

5.G20 : les pays les plus pauvres et le climat, oubliés du sommet. Le Monde.fr 26.09.09

6.G20 : Du « déplacement » comme dispositif. Agoravox samedi 26 septembre 2009

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4 octobre 2009 7 04 /10 /octobre /2009 03:31

Rodho

Sortie de crise : le retour du baratin
Philippe Cohen - Marianne
C'est en tout cas l'avis du Gobal Europe Anticipation Bulletin, une publication d'experts européens qui ne se payent pas de mots : pour eux, les indices souriants publiés un peu partout depuis cet été tiennent de la poudre de perlimpimpin. En réalité, expliquent-ils, on ne prend pas le problème par le bon bout, celui de la monnaie et de l'appauvrissement des classes moyennes.



Wishfool thinking! L'autopersuation au poste de commande. Le G20 nous a été vendu comme un formidable succès mettant fin aux bonus et aux paradis fiscaux. On sait ce qu'il faut en penser.
Voici à présent que la croissance française rebondit. Osannah! L'INSEE a parlé, le gouvernement est soulagé : le PIB de la France a crû de 0,3% au second trimestre et ce rebond devrait se poursuivre au troisième trimestre. In fine, la récession en 2009 devrait finalement se limiter à 2,25% (contre une estimation antérieure de 3%).

Dans les jours qui viennent Christine Lagarde, ministre de l'Economie et même le Président ne devraient pas manquer de souligner que ces performances, meilleures que celles de nos pays voisins, doivent quelque chose à l'action du pouvoir et notamment au plan de relance mis en place dès le début du cycle de récession.
Ils ont raison et tort à la fois. Raison parce que le rebond actuel doit beaucoup en effet à l'injection massive de capitaux publics, comme dans la plupart des pays du G20. Mais ils ont tort parce que cette reprise est, justement pour cette raison, très artificielle.
Comme d'habitude, chacun veut croire à un horizon dégagé avec une reprise progressive de la croissance, agrémenté de discussions à n'en plus finir sur la lettre de l'alphabet la plus apte à décrire la conjoncture : le V, le L ou le W ?. Du coup, ni les économistes, ni les médias ne relayent certaines analyses plus pessimistes, mais aussi plus réalistes, comme la dernière note du Global Europe Anticipaion Bulletin. Que disent ces experts indifférents aux actuels « smily » boursiers ?

1°) Les bonnes nouvelles économiques ne proviennent que du soutien financier des Etats. Chacun sait que lorsque l'on injecte dans les économies des sommes correspondant à 1 ou 2% du PIB, on relance forcément la consommation et les investissements. Pour combien de temps ? La décision du récent G20 des ministres des Finances d'encourager à poursuivre ces politiques de soutien sous des formes diverses montre que nous aurions assisté à un véritable effondrement des économies développées sans ces mesures étatiques. 
 
2°) Rien n'est entrepris pour modifier le système monétaire qui, selon le GEAB, est au coeur de la crise systémique actuelle. Les autorités chinoises sont en train de creuser des galeries, voire des tunnels qui leur permettront bientôt de s'évader du piège dollar. Si rien n'est entrepris par les Européens pour bâtir une alternative au roi dollar, ce sera le règne du chacun pour soi dès que la Chine se sera débarassée de ses bons du Trésor. En attendant, les exportations européennes sont durement pénalisées par la surévaluation de l'euro.

3°) Les indicateurs utilisés par les dirigeants du monde sont de plus en plus disjoints de la réalité économique. De ce point de vue, la baisse estivale du chômage aux Etats-Unis et en France constitue, selon le GEAB, une véritable aberration : « Quant aux multiples indicateurs ressassés à longueur de médias financiers pour indiquer que la reprise est proche (sinon déjà là, comme diraient les banquiers), souvenons-nous que ces mêmes indicateurs (fournis par les FED, BCE, FMI et autres OCDE…) étaient tous au beau fixe à l'été 2008. On connaît la suite. Leur capacité de prédiction de l'avenir a donc déjà largement été testée au cours des deux dernières années : ceux qui ont perdu leur emploi et leurs économies ont pu l'évaluer douloureusement. »
Un autre exemple, très éloquent : comment la Chine peut afficher une croissance de 8% du PIB avec un écroulement de 25% de ses exportations et une stagnation de la consommation ?

Le G20 montre le doigt mais le GEAB montre la lune, avec, par exemple, cet indicateur étonnant sur le commerce mondiale :



Sortie de crise : le retour du baratin

4°) Il faut donc, conclut le GEAB, se focaliser sur des indices qui traduisent la réalité économique. Le taux de chômage américain se rapproche de 20%, et le pouvoir d'achat des consommateurs américains, qui a déjà connu une baisse historique en 2008, risque fort de baisser de 50%, comme en témoigne l'énorme chute, en un an, des crédits à la consommation, soit 26 milliards de dollars !

Bien sûr, cette atonie de la consommation ne stimule guère les investissements : « Aux Etats-Unis, conclut la note du GEAB, un retour à la situation ex-ante demanderait environ 2.500 milliers de milliards de liquidités dans l'économie chaque année. Le stimulus de Barack Obama, avec ses moins de 400 milliards par an sur deux ans, est assez loin du compte s'il doit pallier simultanément la défection des ménages et des entreprises ». Un autre indice-clé cité par le GEAB montre que le taux d'utilisation des capacités de production des entreprises américaines pique du nez à des niveaux inédits depuis la guerre.

5°) Pour finir, concluent les experts du GEAB, la seule reprise prévisible est celle des hausses d'impôts, dont on ne voit pas comment on pourra les éviter, compte tenu du niveau d'endettement auquel les grandes puissances sont en train de parvenir. L'augmentation considérable de la taxe foncière (28%!) n'est, à ce titre, que le premier prémice de ce qui nous attend. L'incroyable proposition d'imposer à 500 000 infirmier(e)s français une cotisation annuelle de 75 euros à un ordre  professionnel, si elle n'a rien à voir avec la crise, illustre bien l'inconscience des dirigeants sur la situation réelle de ces catégories sociales.

Bref, tout se passe comme si les bons indices, les bonnes nouvelles, la reprise boursière brouillaient notre lucidité et détournaient notre regard de ce qui se prépare : une formidable rechute débouchant sur une situation économique chaotique qui, selon le GEAB, durera près de dix ans.
Un conseil donc, aux économistes (Jean-Marc Sylvestre, Dominique Seux, Martial You et les autres) : lisez cette note, et posez les bonnes questions aux ministres qui multiplient les séances d'auto-congratulation, à l'instar de Christine Lagarde hier sur RTL

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1 octobre 2009 4 01 /10 /octobre /2009 03:43
 
   

Nicolas Sarkozy et son gouvernement ont décidé de transformer la Poste en société anonyme afin de permettre sa privatisation.

Cette décision témoigne d’abord d’un acharnement aveugle et systématique contre les services publics. De telles politiques ont déjà été mises en oeuvre à EDF, GDF, France Télécom… Le gouvernement les applique aussi à la SNCF, en cassant notamment le fret, jetant les camions sur les routes au mépris de l’environnement et de la sécurité routière, dans l’Education nationale, en encourageant par exemple les établissements privés au mépris de la laïcité. Défendre La Poste, c’est donc défendre le service public tout entier.

C’est ensuite une politique désastreusement inefficace. Dans plusieurs pays européens, le service public postal a été ainsi privatisé. A chaque fois les conséquences sont les mêmes : les profits réclamés par les nouveaux actionnaires privés sont obtenus au détriment des usagers et du service public. Par exemple, de 1993 à 2003 en Suède ce sont 1800 bureaux de poste qui ont fermé sur 2200 tandis que le prix du timbre augmentait de 90 %. Et ce n’a pas suffi : l’avidité des actionnaires privées est telle que La Poste suédoise a évité la banqueroute de justesse en 2003 ! En France, les décisions prises par la direction de La Poste pour préparer la concurrence et la privatisation sont révélatrices : fermetures des bureaux «non rentables» situés dans les zones rurales et les quartiers populaires, suppressions d’emplois, réduction des horaires, des services proposés et de leur qualité… Défendre la Poste, c’est donc défendre l’intérêt général.

Pour se justifier, Nicolas Sarkozy a déclaré «Ce sont les règles européennes, ce n’est pas moi qui les ai négociées, c’est ainsi». Ce n’est pas la vérité. Car c’est bien lui qui a négocié le traité de Lisbonne qui prône la concurrence «libre et non faussée». C’est lui qui a fait décider sous la présidence française, les 1er et 2 octobre 2007, l’ouverture du marché postal à la concurrence.

C’est sous sa présidence qu’a été adoptée la directive libérale du 8 novembre qui va dans le même sens.

Pour l’instant la Poste n’appartient pas aux actionnaires privés. Elle n’appartient pas non plus au gouvernement. Elle est le bien de la nation tout entière. La Poste est à nous ! Seuls les citoyens peuvent donc décider par référendum de l’avenir de La Poste. C’est pourquoi les syndicats, les partis de Gauche et les associations d’usagers créées partout en France, pour la défense du service public postal et pour le maintien de la Poste de proximité dans les quartiers populaires et dans les villages, réclament un référendum sur la Poste. Et puisque le gouvernement refuse de l’organiser, ils ont décidé de tenir d’ici le 3 octobre prochain un grand référendum citoyen dans tout le pays. Défendre la Poste, c’est donc défendre le bien de tous.

Défendez le bien commun. Demandez à vos élus d’ouvrir leurs mairies pour la tenue de ce référendum. Votez et faites voter pour la défense du service public de la Poste !
   
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26 septembre 2009 6 26 /09 /septembre /2009 03:23
Se défier des modèles, réinstaurer l’économie politique

par David Colander


Sur ContreInfo


Les modèles macroéconomiques, pour utiles qu’ils soient, sont par essence amenés à faire l’impasse sur la trop grande complexité du réel, qui dépasse toutes les capacités de calcul et de formalisation. De ce fait, leur place ne peut être que celle d’outils d’aide à la décision, et on ne doit pas leur attribuer le rôle de prescripteurs politiques omniscients. Pour avoir oublié cette évidence, pourtant clairement énoncée par les fondateurs de la discipline, qui avaient établi une nette distinction entre science économique et économie politique, les économistes modernes, convaincus de l’excellence de leurs formalismes, n’ont pas vu venir une crise qui n’avait pas de place dans leurs constructions théoriques. L’économiste David Colander, consulté par le parlement américain, retrace l’histoire de cette faillite de la pensée et suggère de revenir à un peu plus de modestie, de pragmatisme, tout en insistant sur la place du politique, qui ne saurait se dissoudre dans les certitudes scientifiques. Non sans humour, il suggère que les formalismes soient accompagnés d’une étiquette imprimée en caractère gras, avertissant que « ces modèles sont fondés sur des hypothèses qui ne correspondent pas au monde réel, en conséquence ils ne devraient pas être utilisés de manière trop intensive. »


Témoignage de David Colander devant la Commission des Sciences et des Techniques du Parlement américain, 10 septembre 2009

Il y a un an, presque jour pour jour, l’économie américaine a été victime d’une crise cardiaque financière, et elle est toujours en convalescence. Cette crise cardiaque, comme toutes les crises cardiaques, a provoqué un choc, et elle suscité nombre de discussions, pour savoir qui est à blâmer, et comment pourrions-nous éviter de telles crises à l’avenir. À mon avis, une grande partie de ce débat est hors sujet. En filant la métaphore de la crise cardiaque, on peut dire que les États-Unis ont eu une crise parce qu’ils sont l’équivalent d’un homme pesant 225 kilos, souffrant de troubles graves, trop nombreux à énumérer, qui essaie de vivre comme s’il était encore un jeune homme de 20 ans pouvant faire la fête 24 sur 24, 7 jours sur 7. Il n’est pas nécessaire d’être un économiste de génie pour comprendre que cela va probablement causer des ennuis. Les questions que je vais aborder dans mon témoignage sont celles-ci : pourquoi les grands économistes ne l’ont-ils pas compris et n’ont-ils pas averti le pays ? Quels changements peuvent être apportés pour éviter que cela ne se reproduise à l’avenir ?

Certains non-économistes ont désigné les modèles économiste hautement sophistiqués comme étant la cause de cette attaque. À mon avis le problème n’est pas celui des modèles, le problème est celui de la façon dont ces modèles économiques sont utilisés. Trop souvent, les modèles sont utilisés en lieu et place du bon sens étayé par la connaissance, alors qu’en fait, les modèles ne devraient être utilisés que comme une aide à ce sens commun éclairé. Lorsque des modèles se substituent au sens commun, ils constituent un obstacle plutôt qu’une aide.


Modéliser l’économie en tant que système complexe

L’utilisation de modèles au sein de l’économie, ou dans toute autre science sociale, est particulièrement dangereux. Car les sciences sociales font face à un degré de complexité plus élevé que celui des sciences naturelles. La raison pour laquelle les sciences sociales sont si complexes, c’est que l’unité de base en sciences sociales, que les économistes nomment « agent », produit un effet au plan stratégique, alors que ce n’est pas le cas pour l’unité de base des sciences naturelles. L’économie peut être pensée comme une physique où les atomes ont un rôle stratégique, pouvant déjouer toute tentative de les comprendre et de les contrôler. La présence d’agents ayant un rôle stratégique complique énormément la modélisation. Cela n’autorise pas la création d’un modèle parfait, car l’existence de ces agents augmente le nombre de calculs qui seraient nécessaires pour valider le modèle au-delà des de la capacité de calcul en un temps fini de l’ordinateur le plus rapide que l’on puisse imaginer.

Pour le dire simplement, l’étude formelle des systèmes complexes est vraiment, vraiment très ardue. Inévitablement, les systèmes complexes contiennent des dépendances séquentielles, des systèmes imbriqués, des variables pourvues de vitesses multiples, une sensibilité aux conditions initiales, ainsi que d’autres propriétés dynamiques non-linéaires. Cela signifie qu’à chaque instant, au moment même où l’on pense avoir obtenu un résultat, tout peut s’effondrer. Formellement, l’étude de systèmes complexes requiert une formation rigoureuse aux mathématiques et statistiques les plus avancées. Ce n’est pas une discipline convenant aux néophytes.

Cette prise de conscience de la complexité de l’économie n’est pas une découverte récente. Les premiers économistes, comme John Stuart Mill, ont perçu cette complexité de l’économie et sont restés très modestes dans leurs affirmations quant à l’utilité de leurs modèles. Ils ont prudemment décrits leurs modèles comme étant destinés à venir en aide à l’exercice du bon sens armé d’une connaissance étendue. Ils ont intégré cette modestie dans leurs conseils de politique économique et ont averti les responsables que ce que nous pourrions attendre de ces modèles, ce serait au mieux de demi-vérités. Afin de s’assurer qu’ils ne demanderaient pas trop à leurs modèles scientifiques, ils se partagèrent le domaine de l’économie en deux branches : d’une part une branche scientifique travaillant sur des modèles formels, et d’autre part l’économie politique qui était la branche de l’économie traitant des moyens d’action politiques. L’économie politique a été considérée comme un art n’ayant ne s’appuyant pas la science mais sur les enseignements des modèles développés dans la branche scientifique, en les complétant par un sens commun largement informé, afin de guider les politiques.

Au début des années 1900 cette division en deux secteurs a été abandonnée, et les économistes sont devenus un peu moins modestes concernant les prétentions des modèles, et plus résolus à appliquer ces modèles directement aux questions politiques. Les deux branches ont été fusionnées, avec pour résultat une tragédie à la fois pour la science économique et pour la branche de politique appliquée.

Ce fut une tragédie pour la science économique, car elle a éloigné les économistes du développement d’une grande variété de modèles qui auraient exploré de façon créative les questions extraordinairement difficiles que la complexité de l’économie soulève. Questions pour lesquelles les nouvelles technologies d’analyses et de calculs ouvraient de nouvelles voies de recherche. Au lieu de quoi, la profession a consacré beaucoup de temps à affiner ce que l’on a appelé le modèle d’équilibre général de Walras, qui était le modèle le plus apte à relever de l’approche analytique. Au lieu de prendre en compte le modèle de l’offre et la demande et son homologue macro-économique, le modèle d’équilibre général de Walras - qui appartient aux modèles intéressants et pertinents pour quelques phénomènes limités, mais qui ne sont, au mieux, qu’une étape pour une formalisation de l’économie - les économistes ont réuni les deux modèles, et ont agi comme si cela permettait de tout expliquer. Les complexités ont été tout simplement ignorées, non pas parce qu’il était logique de le faire, mais pour faciliter l’analyse. Le résultat fut qu’une série de modèles qui ne passeraient même pas un test de bon sens superficiel sont pourtant étudiés sans retenue. [1]

Initialement la macroéconomie est restée à l’écart de cette approche plus totalisante, et elle s’appuyait sur un ensemble de modèles rudimentaires n’ayant que peu de fondements scientifiques. Mais dans les années 1980, la macroéconomie et la finance sont passées à cette approche du « modèle unique ». Avec pour résultat, le fait que les économistes ont perdu de vue les enseignements que la complexité apporte - dans un système complexe, on peut s’attendre à voir les modèles s’effondrer sans arrêt. L’adoption par les macroéconomistes d’une approche basée sur un modèle unique est l’une des raisons pour lesquelles les économistes n’ont pas alerté la société sur la crise financière, et que certains d’entre eux aient affirmé qu’une telle crise ne pouvait se produire. Obnubilés par ce modèle unique, les économistes ont tout simplement omis d’étudier et de prévoir l’effondrement inévitable du système auquel ont peut s’attendre dans un système complexe. Ils étaient devenus si épris de leur modèle qu’ils en ont oublié de le soumettre au jugement du bon sens.


Modèles et macroéconomie

Permettez-moi d’être un peu plus précis. Le modèle dominant en macroéconomie est celui de l’équilibre général dynamique stochastique (DSGE). Il s’agit d’un modèle qui suppose qu’il existe un agent rationnel unique globalement représentatif, disposant d’une information exhaustive, et qui cherche à maximiser sa situation tout au long d’un futur infini. Dans ce modèle, par définition, il ne peut y avoir aucun problème de coordination stratégique, qui est la cause la plus probable de cette récente crise. De tels problèmes sont tout simplement ignorés. Pourtant, ce modèle a tenu un rôle central dans la recherche en macroéconomie durant ces trente dernières années.

Si le modèle DSGE avait été considéré comme une aide au sens commun, il aurait pu être un modèle utile. Lorsque les premières versions de ce modèle ont été développées au début des années 1980, il a été utile en permettant de résoudre quelques problèmes intertemporels que les anciens modèles macroéconomiques avaient manqués. Mais alors, pour diverses raisons sociologiques que je n’ai pas le temps de développer ici, la majorité des économistes a commencé à croire que le modèle DSGE était utile non seulement en tant qu’aide à notre compréhension, mais aussi comme étant le modèle de la macroéconomie. Cela ne plaide pas en faveur du bon sens commun des économistes de pointe. Une fois le modèle DSGE devenu dominant, on a omis de mener d’importantes recherches sur des modélisations de l’économie dynamiques non-linéaires qui auraient été des plus utiles pour comprendre comment une économie serait susceptible d’avoir un accident et sur ce que le gouvernement pourrait faire en tel cas. [2]

De tels développements se sont également produits pour les modèles de la finance et des marchés efficients, qui font des hypothèses semblables à celles des modèles DSGE. Lorsque les modèles des marchés efficients ont été développés, ils ont été utiles et ont permis des avancées dans la gestion des risques et des marchés financiers. Mais, comme cela s’est produit avec la macro, les utilisateurs de ces modèles financiers ont oublié que les modèles fournissent au mieux des demi-vérités. Ils ont cessé d’utiliser les modèles avec bon sens et en faisant appel à leur jugement. Les modélisateurs savaient qu’il y avait une incertitude et des risques sur ces marchés allant bien au-delà des risques retenus dans les hypothèses de ces modèles. La simplification appartient à la nature même du processus de modélisation. Mais cette simplification implique que les modèles ne peuvent pas être utilisés directement, mais doivent l’être en faisant preuve de jugement et de bon sens, en ayant connaissance des limites d’utilisation que ces simplifications induisent. Malheureusement, ces modèles ne portaient pas les étiquettes d’avertissement qui auraient du apparaître en caractères gras : « ces modèles sont fondés sur des hypothèses qui ne correspondent pas au monde réel, en conséquence ils ne devraient pas être utilisés de manière trop intensive. » Elles auraient pourtant dû être présentes, et c’est pourquoi dans le rapport Dahlem nous avons suggéré que les chercheurs en économie qui développent ces modèles soient soumis à un code de déontologie qui les oblige à avertir la société des risques encourus lorsque les modèles économiques sont utilisés à des fins pour lesquelles ils n’ont pas été conçus.

Comment quelque chose d’aussi stupide a-t-il pu se produire en économie ? Cela ne s’est pas produit parce que les économistes sont stupides : ils sont très brillants. C’est arrivé à cause de mesures qui incitent la profession à promouvoir les chercheurs qui affinent les modèles existants, plutôt que d’explorer un large éventail de modèles alternatifs, ou de concentrer leurs recherches sur l’interprétation des résultats, sur le fait que les modèles soient utilisés avec bon sens en politique. Le bon sens ne fait pas avancer très loin dans la profession d’économiste. La trop grande dépendance sur un modèle unique, utilisé sans jugement, est un problème grave qui s’est cristallisé dans la structure institutionnelle des établissements universitaires produisant des chercheurs en économie. Ce système produit des chiens de concours alors que dont nous avons besoin, ce sont des chiens de chasse.

Cet enseignement inadapté commence dès le premier cycle, lorsque dans les matières fondamentales les étudiants sont essentiellement formés dans les techniques d’analyse utiles pour développer des modèles, mais pas dans la façon d’utiliser les modèles de manière créative, ou à l’exercice de leur jugement, afin de savoir en tirer des conclusions dans le domaine des prescriptions politiques. Ces questions de politique ne sont en général même pas abordées dans tout le cursus de base de la macroéconomie. Comme l’a dit un des élèves d’une université réputée : « la politique monétaire et budgétaire n’est pas suffisamment abstraite pour être une question qui soit traitée dans un cours de macro » et « nous n’avons jamais parlé de la politique monétaire ou budgétaire, même si cela aurait pu être introduit comme variable dans un modèle donné. » (Colander, 2007, p. 169).


Suggestions

Permettez-moi de conclure par une brève discussion de deux propositions, portant sur des questions relevant de la compétence de ce comité, et qui pourraient diminuer la probabilité de tels événements dans le futur.

Inclure un éventail plus large dans les comités de lecture scientifiques

La première est une proposition qui pourrait aider à ajouter une vérification de bon sens sur les modèles. Un tel contrôle est nécessaire parce que, actuellement, la nature des revues scientifiques, qui sont menées par des pairs appartenant au même sous-domaine, permet un renforcement mutuel des vues des chercheurs qui est presque incestueux, sans qu’aucun filtre de bon sens ne soit appliqué sur ces travaux. La proposition consiste à inclure un éventail plus large de pairs dans le processus de revue dans le domaine des sciences sociales. Par exemple, des physiciens, mathématiciens, statisticiens, et même des hommes d’affaires et des représentants du gouvernement, pourraient statuer à coté des économistes sur l’examen des propositions en matière d’économie. Un tel processus d’examen par des pairs plus nombreux aurait probablement pour effet à la fois d’encourager la recherche sur un éventail beaucoup plus large de modèles, et contribuerait en outre à un travail plus créatif.

Augmentation du nombre de chercheurs formés à l’interprétation des modèles

La seconde proposition, c’est une augmentation du nombre de chercheurs formés dans l’interprétation de modèles plutôt que dans le développement des modèles, augmentation accompagnée de subventions de recherche. En un sens, ce que je propose c’est la création d’un département des sciences appliquées à l’intérieur du département des sciences sociales de la National Science Fondation [3] . Ce département permettrait de financer les travaux sur l’utilité des modèles, et serait responsable de l’ajout des étiquettes d’avertissement qui auraient dû être présentes sur ces modèles.

Cette recherche appliquée ne serait pas très technique et ferait appel à un ensemble tout à fait différent de compétences par rapport à la norme en recherche scientifique. Elle aurait besoin de chercheurs ayant une connaissance profonde des utilisations des théories, mais à l’opposé de celles d’un concepteur de modèles. En outre, il faudrait connaître les institutions, la méthodologie, les recherches antérieures, et faire preuve de sensibilité sur la façon dont le système fonctionne. Ce sont toutes des compétences qui ne sont pas enseignées à l’heure actuelle dans les programmes de troisième cycle en économie, mais ce sont des compétences qui sous-tendent le jugement et le sens commun. En attribuant des subventions de la NSF pour ces travaux, la NSF pourrait encourager le développement d’un groupe d’économistes qui soit spécialisé dans l’interprétation de modèles et dans leur application dans le monde réel. Le développement d’un tel groupe ouvrirait le chemin pour que soient mises en place sur les modèles les étiquettes d’avertissement nécessaires, et il diminuerait la probabilité que se produisent nouveau des fiascos tels qu’une crise financière.

 

 

 

Bibliographie

Colander, David. 2006. (ed.) Post Walrasian Macroeconomics : Beyond the Dynamic Stochastic General Equilibrium Model. Cambridge, UK. Cambridge University Press.

Colander, David. 2007. The Making of an Economist Redux. Princeton, New Jersey, Princeton University Press.

Solow, Robert. 2007. “Reflections on the Survey” in Colander (2007).

Sur le Web

Auditions du Parlement The Risks of Financial Modeling : VaR and the Economic Meltdown
-  10 septembre 2009

Invités : Richard Bookstaber, Nassim Nicholas Taleb, Gregg Berman, David Colander, James G. Rickards, Christopher Whalen

Annexe du témoignage de M. Colander :

The Financial Crisis and the Systemic Failure of Academic Economics

David Colander, Department of Economics Middlebury College

Hans Föllmer, Department of Mathematics, Humboldt University Berlin

Armin Haas, Potsdam Institute for Climate Impact Research

Michael Goldberg, Whittemore School of Business & Economics University of New Hampshire

Katarina Juselius, Department of Economics University of Copenhagen

Alan Kirman ; GREQAM, Université d’Aix-Marseille lll,

Thomas Lux, Department of Economics, University of Kiel

Brigitte Sloth, Department of Business and Economics University of Southern Denmark

The economics profession appears to have been unaware of the long build-up to the current worldwide financial crisis and to have significantly underestimated its dimensions once it started to unfold. In our view, this lack of understanding is due to a misallocation of research efforts in economics.

We trace the deeper roots of this failure to the profession’s focus on models that, by design, disregard key elements driving outcomes in real-world markets. The economics profession has failed in communicating the limitations, weaknesses, and even dangers of its preferred models to the public.

This state of affairs makes clear the need for a major reorientation of focus in the research economists undertake, as well as for the establishment of an ethical code that would ask economists to understand and communicate the limitations and potential misuses of their models.



[1] Parmi les méthodes de travail hors du cadre de l’équilibre général de Walras que j’estime prometteuses, se trouvent les approches utilisant l’analyse de réseaux adaptatifs, la modélisation basés sur les agents, la théorie des graphes aléatoires, l’ultramétrique, la combinatoire des processus stochastique, les autorégressions de vecteurs cointégrés, et l’étude générale des modèles dynamiques non-linéaires. Note de l’auteur

[2] Parmi les économistes réputés, Robert Solow s’est distingué en ayant mis en garde contre l’utilisation de modèles DSGE pour déterminer les politiques. (Voir Solow, in Colander, 2007, p. 235.) Il les appelle des « escroqueries rhétoriques. » D’autres économistes, tels que les Post Keynésiens, et les méthodologistes ont également mis en garde contre l’utilisation de ces modèles. Pour un examen de ces approches alternatives, voir Colander (2007). Ainsi, ces approches alternatives ont été envisagées, et des inquiétudes au sujet de ce modèle ont été exprimées, mais ces voix se sont perdues au milieu de l’enthousiasme que la plus grande part de la communauté des macroéconomistes manifestait pour ces modèles.

[3] Organisme de financement public de la recherche américaine - ndt

Référence : http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2796
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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 03:00


Honduras : Pourquoi le coup d’État

Cécile Lamarque, Jérome Duval


Près de trois mois après le coup d’État et malgré les fermes condamnations venant de l’Organisation des États américains (OEA), de l’Organisation des Nations unies (ONU), de l’Union européenne et du président des États-Unis Barack Obama, les putschistes tiennent toujours les rennes répressives et meurtrières du pouvoir. Ceux qui s’attendaient à une évolution positive de la diplomatie étasunienne sous le mandat du président Obama reçoivent là un bien mauvais signal...

Le 28 juin, le président Manuel Zelaya est séquestré puis expulsé du pays par les militaires honduriens, formés dans la tristement célèbre École des Amériques, rebaptisée en 2001 « Institut de l’hémisphère occidental pour la coopération sur la sécurité ». Washington nie toute implication dans le coup d’État militaire. Au fil des jours, les sources diplomatiques viendront pourtant confirmer que l’administration américaine connaissait dès le début les intentions des putschistes. Le coup a été préparé depuis la base états-unienne de Soto Cano, à 97 km au nord de la capitale Tegucigalpa, où opère l’unité états-unienne, la Joint task force Bravo, sous le commandement de l’U.S Southern Command, en charge des intérêts états-uniens en Amérique centrale, méridionale et caraïbe. Entre autres instigateurs du Coup, on trouve plusieurs « faucons » de Washington : Hugo Llorens, ambassadeur états-unien en poste à Tegucigalpa ; John Negroponte, ancien diplomate au Honduras de 1981 à 1985 (pour organiser la lutte armée contre le Nicaragua sandiniste) et actuellement conseiller à la secrétaire d’État Hillary Clinton ; Otto Reich et Roger Noriega, deux sous-secrétaires d’État pour l’hémisphère occidental (Amérique latine) sous le gouvernement Bush |1|, etc.

Le coup d’État est réalisé le jour où Manuel Zelaya organise une "consultation" à caractère non contraignant demandant aux Honduriens s’ils désiraient, ou non, la convocation d’une Assemblée nationale constituante, après les élections prévues le 29 novembre 2009 |2|. Si cette consultation avait recueilli une majorité de "oui", le président aurait soumis un décret à l’approbation du Congrès pour que, le 29 novembre, les Honduriens se prononcent formellement sur la convocation d’une Constituante, dans une "quatrième urne" (les trois premières étant réservées respectivement à l’élection du président, des députés et des maires). Pour donner un semblant de légalité au coup, le Congrès et la Cour Suprême, associés au putsch, ont jugé ce scrutin illégal et ont fait valoir que le président Zelaya a « violé la Constitution » en prétendant la modifier « pour pouvoir briguer un nouveau mandat », à la manière d’un « apprenti dictateur chaviste ». Or, Manuel Zelaya ne cherchait pas, via cette consultation populaire, à reconduire son mandat présidentiel lors des prochaines élections puisque celles-ci se tiendront dans le cadre de l’actuelle Constitution qui prévoit des mandats présidentiels de quatre ans non renouvelables. Zelaya ne pouvait donc pas être candidat à sa propre succession.
Revêtus d’oripeaux légaux, les usurpateurs ont alors pu décorer du ruban présidentiel Roberto Michelleti, rival de toujours de Zelaya au sein du parti libéral et président du Congrès national, sous l’œil complice et bienveillant des principaux médias et observateurs internationaux |3|. La notion de légalité est apparemment malléable : les gouvernements et institutions internationales sont restés silencieux ces dernières années quand certains chefs d’État africains et latino-américains, soumis aux intérêts des grandes puissances capitalistes, ont levé la limitation du nombre de mandats présidentiels. L’exemple du président colombien Alvaro Uribe, proche allié de Washington, est éloquent : À l’arrivée au pouvoir en 2002 de Uribe, toute réélection était interdite par la Loi fondamentale. Une révision de la Constitution avait permis la première réélection du président conservateur en 2006. Le Congrès colombien a approuvé le 2 septembre la convocation d’un référendum sur une réforme constitutionnelle qui doit permettre à Alvaro Uribe de briguer un troisième mandat l’an prochain |4| Les médias ne semblent pas s’en offusquer.

On l’aura compris, le véritable motif du coup est ailleurs. Quelle menace représentait le pion hondurien, quasi-colonie étasunienne, sur l’échiquier latino-américain pour que l’administration Obama recoure aux vielles méthodes qu’elle faisait mine d’avoir abandonnées ?

Le Honduras commençait à s’émanciper

Manuel Zelaya a commis plusieurs pêchés capitaux. Pourtant issu de l’oligarchie et membre du Parti Libéral, Zelaya a essayé de rompre avec les élites politico-économiques qui règnent sur la « république bananière », toute tournée vers les intérêts nord-américains, pour le plus grand profit de quelques oligarques nationaux. Il a pris une série de mesures progressistes en faveur des classes populaires, par exemple l’augmentation de 60% du salaire minimum, ce qui a provoqué l’ire des entrepreneurs nationaux et des firmes américaines, qui exploitent à moindre coût les ressources naturelles – bananes, pétrole, etc. - et les travailleurs. Sur fond de crise économique, en août 2008, il rejoint l’ALBA, l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), l’alliance constituée par le Venezuela, Cuba, la Bolivie, l’Équateur, le Nicaragua et la Dominique. En décembre, Zelaya adhère à PetroCaribe, une initiative lancée par le Venezuela pour fournir aux pays de la région non exportateurs d’hydrocarbures du pétrole à un prix inférieur au prix du marché mondial.
Par ce « virage à gauche », Manuel Zelaya s’est attiré les foudres des classes capitalistes honduriennes et états-uniennes. Les grands titres de presse écrite hondurienne (El Heraldo, La Prensa, La Tribuna) et les principales chaînes de télévision, contrôlés par une poignée de familles puissantes qui règnent sur le Honduras préparent le terrain au putsch : ils crient à la « dérive » chaviste et font systématiquement l’impasse sur les mesures qui bénéficiaient aux secteurs les plus pauvres de la population en termes de salaires, d’éducation, de santé et d’accès aux services de base, etc. Pour rétablir l’équilibre médiatique, Zelaya lance un hebdomadaire fin 2007, El Poder Ciudadano, et rend public le Canal 8, une chaîne de télévision qui n’émettait plus |5| . Scandalisés, les médias parlent de « totalitarisme » et de violations à « la liberté d’expression ».
Le 31 mai 2008, à cause des risques de sécurité que présentait l’aéroport international de Tocontín, le président Zelaya annonce que la base américaine de Soto Cano, installée depuis 1981 à l’époque de la Guerre froide quand Washington se préparait à miner les ports nicaraguayens et à armer la Contra qui allait bientôt opérer contre les sandinistes à partir du territoire hondurien, sera utilisée pour des vols commerciaux internationaux. Alors que l’Équateur n’a pas renouvelé la base militaire de Manta, le projet de mettre fin à la présence militaire US au Honduras, point d’appui aux ingérences en Amérique latine, a vraisemblablement décidé Washington. Le Coup liquide le maillon le plus faible de l’ALBA, mais a des implications bien au-delà des frontières du Honduras...

Un coup d’État peut en cacher un autre

Le Coup d’État au Honduras a pour objectif de fragiliser l’ensemble des processus démocratiques et sociaux qui ont porté au pouvoir ces dernières années des gouvernements « progressistes », en rupture avec le modèle néolibéral et avec la traditionnelle domination des États-Unis. Il vise tout particulièrement les pays de l’ALBA, notamment ses poids lourds - Cuba, la Bolivie, le Venezuela, l’Équateur- qui prônent un socialisme du XXIème siècle.
Après le retour au pouvoir de Daniel Ortega au Nicaragua en 2006, l’élection en 2008 du président Alvaro Colom au Guatemala et de Mauricio Funes du Front Farabundo Marti de Libération Nationale au Salvador (ex-guérilla des années 80), le coup vise également à contenir un risque de « contagion chaviste » en Amérique centrale, un corridor stratégique permettant d’assurer le contrôle de l’Amérique latine. Et afin d’augmenter la menace contre les pays de l’ALBA, les États-Unis entendent renforcer leur présence militaire : en juillet 2009, Washington a obtenu du président Alvaro Uribe l’octroi aux militaires états-uniens de sept bases colombiennes.

La diplomatie de la nouvelle Amérique

Obama avait promis un grand changement. Force est de constater qu’en matière de politique étrangère, le changement est surtout dans le style. Le discours officiel n’est plus hégémonique et guerrier, mais les intérêts de Washington sont toujours défendus par tous les moyens.
L’administration d’Obama ne peut ignorer la légitimité du Président Zelaya, mais elle ne peut pas non plus condamner catégoriquement le putsch car il mettrait en danger ses intérêts économiques et géopolitiques et ses relations avec l’oligarchie hondurienne. Pour enterrer l’esprit des résolutions de l’OEA et de l’ONU visant le retour « sans conditions » du président Zelaya, elle réussit à imposer la médiation du président costaricain Oscar Arias, fidèle allié de Washington, et, sans renoncer d’un pouce à la défense de ses intérêts, parvient à entretenir l’illusion d’un discours légaliste.
Cette stratégie de négociation avec le régime du coup d’État vise à imposer un compromis inacceptable, comprenant : le retour du président Zelaya mais avec des pouvoirs réduits et partagés avec les putschistes dans le cadre d’un gouvernement de "réconciliation et d’union nationale" en attendant les prochaines élections présidentielles de novembre 2009 ; une amnistie générale pour les délits politiques en relation avec le coup d’État ; l’interdiction de toute consultation populaire appelant à une Assemblée constituante.

Le bal des hypocrites

Face à l’intransigeance du gouvernement illégitime |6| qui n’accepte pas l’un des points de ces accords de San José (celui prévoyant le retour sous conditions de M. Zelaya au palais présidentiel), début septembre - soit plus de deux mois après le coup !-, Washington a révoqué les visas du président proclamé Michelleti, de son ministre des Affaires Etrangères Carlos Lopez et de 14 magistrats, annoncé la fin d’un "large éventail d’aide" |7| et déclaré qu’elle ne légitimerait pas des élections sous le patronage du gouvernement issu du coup |8|.Washington durcit le ton pour ramener les putschistes à la raison : accepter la « solution Arias ».
En définitive, les élections du 29 novembre prochain semblent être un processus vicié d’avance. Alors que le régime illégitime a donné le coup d’envoi de la campagne électorale, l’ONU, l’OEA et certains gouvernements ont annoncé qu’ils ne reconnaîtront pas les résultats de l’élection si le processus électoral se déroule en dehors de l’accord de San José. Or, si la proposition Arias, qui légitime les putschistes, est acceptée, un blanc-seing sera donné pour de futurs coups et "dictablandas" (dictatures militaires avec des façades "légales"), ce qui provoquerait un précédent grave et dangereux pour tout le continent latino-américain.

Si l’administration Obama, avec son offensive diplomatico-guerrière, est en passe de réussir son « expérience-pilote » pour réinstaller des gouvernements inféodés à Washington, elle n’a cependant pas pu épuiser la résistance du peuple hondurien, qui lutte de façon pacifique et déterminée contre le régime de Micheletti. « C’est l’aspect positif de cette situation : la transformation de la culture politique de la majorité des Honduriens, explique le syndicaliste Carlos Reyes, porte-parole du Front de Résistance contre le coup d’Etat et candidat de longue date au scrutin présidentiel du 29 novembre |9|. On atteint un niveau de lutte de classe qui n’avait jamais eu lieu au Honduras, à laquelle il aurait été difficile d’arriver à travers des manuels. Aujourd’hui, les gens ont compris dans la rue, à travers la résistance et la lutte. C’est pour cela que les gens ne se préoccupent pas tellement de savoir si nous allons perdre ou gagner, on continue ! Jamais je n’ai pensé qu’on arriverait à cela, c’est un véritable soulèvement populaire, et jamais je n’aurais imaginé que cette bourgeoisie nous aiderait autant ! Aujourd’hui, le système bi-partite |10| est en échec, et ils [les putschistes] ont contribué à cela » |11|.
Les paysans, syndicats, groupes de femmes, étudiants, organisations sociales et politiques, intellectuels et citoyens issus de tous les horizons sont tous montés au front, et le mouvement de résistance se renforce, se structure, malgré la répression. Au delà du retour du président Zelaya, ce puissant mouvement populaire affirme d’ailleurs que la tenue d’une assemblée constituante est devenue l’objectif même de la résistance actuelle. Le mot-d’ordre est clair : « Avec ou sans Zelaya, pour l’Assemblée Constituante ! ».


Afin de participer au soutien à la lutte de résistance du peuple hondurien, le CADTM a envoyé, en concertation avec la coordination internationale de soutien à la lutte au Honduras, une mission de deux personnes sur place, Jérôme Duval et Cécile Lamarque. Il s’agissait d’accompagner les manifestants, de faire connaître à l’étranger leurs actions et leurs opinions. Il s’agissait aussi de leur amener une aide financière. Après trois mois de lutte, malgré la répression, le mouvement de résistance se poursuit et s’accroît. La solidarité avec le peuple du Honduras doit être renforcée.

Le CADTM appelle tous les mouvements sociaux, les partis politiques, les syndicats, les citoyens, à s’opposer à cette attaque contre les droits humains, et à se mobiliser pour affirmer leur solidarité avec le peuple hondurien et exiger le retour à un état de droit. NON au retour des dictatures !
Le CADTM appelle tous les gouvernements à rompre les liens diplomatiques et économiques avec le régime illégitime et à refuser toute légitimation du processus électoral lancé par la dictature de Micheletti.
Faites un don pour soutenir la lutte au Honduras ! Le CADTM lance un appel à toutes et à tous pour soutenir financièrement la résistance au Honduras. Faites un don au CADTM avec la mention « Honduras » via son site internet (http://www.cadtm.org/spip.php?article69), par virement bancaire (IBAN BE06 0012 3183 4322, code Swift BIC : GEBA BE BB) ou en envoyant un chèque à l’ordre du CADTM

Notes

|1| Lire Washington et le coup d’État au Honduras : Voici la preuve, par Eva Golinger. http://www.mondialisation.ca/PrintA...

|2| a question était : « Êtes-vous d’accord qu’aux prochaines élections générales de 2009, une 4e urne soit installée pour permettre au peuple de se prononcer sur la convocation d’une assemblée nationale constituante ? OUI ou NON  ».

|3| Les principaux médias, complices des putschistes, ont trés vite dissimulé une information majeure, tant l’escroquerie était patente : la prétendue lettre de démission de Manuel Zelaya présentée par les députés putchistes, que Manuel Zelaya affirme n’avoir jamais rédigée.

|4| L’initiative doit encore être entérinée par la Cour Suprême. http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/200909/02/01-898094-colombie-uribe-fait-un-pas-de-plus-vers-sa-reelection.php.

|5| Bien sûr, depuis le coup d’État, El Poder Ciudadano n’existe plus et Canal 8 est en passe de revenir aux mains de Elias Asfura, son ancien propriétaire.

|6| Lors de ses négociations, la délégation du gouvernement de facto est accompagné de deux conseillers américains, ardents défenseurs des Clinton : Bennet Ratcliff, qui a travaillé pour Bill Clinton (1993-2001) et Lanny Davis, porte-parole le plus virulent d’Hillary durant la campagne des primaires contre Obama pour la candidature démocrate à la présidentielle, et membre du Conseil Hondurien de l’Entreprise Privée, un concentré de l’oligarchie locale putschiste.

|7| http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2009/sept/128608.htm

|8| http://www.telesurtv.net/noticias/secciones/nota/57528-NN/eeuu-cancela-visa-a-micheletti-y-a-otros-miembros-del-gobierno-de-facto-hondureno/

|9| Dans la situation actuelle de dictature, aucun secteur du Front ne participera aux élections. Carlos Reyes retirera sa candidature si le président renversé n’est pas réinstallé dans ses fonctions.

|10| Dominé par le Parti national (droite) et le Parti libéral (centre). Ce dernier, dont est issu Manuel Zelaya, est aujourd’hui divisé entre légitimistes et pro-putsch.

|11| Honduras : « En voulant sauver le système, le putsch a fini de le discréditer », par Sabine Masson, http://www.michelcollon.info/index.php?option=com_content&view=article&id=2247

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22 septembre 2009 2 22 /09 /septembre /2009 03:45


 

L'essor des armées de mercenaires : une menace à la sécurité mondiale

par Sherwood Ross

 

 

En plus de soumettre les populations ciblées à une guerre sauvage, l'utilisation croissante d'armées privées facilite également la subversion de l'opinion publique nationale et la conduite de la guerre pour la Maison-Blanche.

Les États-uniens sont moins enclins à s'opposer à une guerre menée par des mercenaires étrangers, même lorsque leurs propres impôts sont gaspillés pour la financer.

« L'usage croissant de contractuels, de forces privées, ou, comme diraient certains, de “mercenaires” rend les guerres plus facile à commencer et à mener : on a seulement besoin d'argent, pas des citoyens », affirme Michael Ratner, du Center for Constitutional Rights de New York. « Dans la mesure où une population est appelée à aller en guerre, il y a de la résistance, une résistance nécessaire à la prévention de guerres d'autoglorification, de guerres stupides et, dans le cas des États-Unis, de guerres hégémonistes et impérialistes. »

En effet, le Pentagone a connu les dangers de la conscription lors des manifestations populaires massives qu'elle a provoqué durant la guerre du Vietnam. Aujourd'hui il préférerait un champ de bataille électronique – et y travaille – où des robots guidés par des systèmes de surveillance sophistiqués mènent le combat, minimisant ainsi les pertes étatsuniennes. Entre-temps, il tolère l'emploi de contractants privés pour l'aider à livrer ses batailles.

L'Irak offre l'exemple crève-coeur d'une guerre dans laquelle des combattants contractuels ont tellement indigné le public qu'ils devaient “libérer” que lorsque le combat a éclaté à Fallujah, la foule enragée a désacralisé les cadavres de quatre mercenaires de Blackwater. Cette scène atroce a été télévisée à travers le monde entier et a incité les États-Unis à lancer une agression militaire de représailles vindicative à Fallujah, provoquant la mort et la destruction sur un vaste territoire.

Tout comme les colons étatsuniens méprisaient les Hessois lors de la guerre d'indépendance, les Irakiens en sont venus à détester davantage Blackwater et ses contractuels sympathisants que les soldats étatsuniens, qui leur témoignaient souvent de la gentillesse, selon un journaliste ayant vécu dans la zone de guerre.

« Il n'était pas inhabituel pour un soldat étatsunien, ou même pour une unité complète, de développer une relation très amicale avec une communauté irakienne. Cela n'arrivait pas tous les jours, mais ce n'était pas inouï », écrit Ahmed Mansour, un reporter égyptien et animateur d'une émission-débat au Qatar pour al-Jazeera, le réseau de télévision du Moyen-Orient.

« Il n'était absolument pas singulier non plus de voir des troupes étatsuniennes faire des top là aux adolescents irakiens, de tenir le bras d'une vielle dame irakienne pour l'aider à traverser la rue ou d'aider quelqu'un à se sortir d'une situation difficile […] Ce n'était pas le cas avec les mercenaires. Ils savaient qu'ils étaient vus comme des voyous malfaisants et voulaient que cela reste ainsi. »

Dans son livre Inside Fallujah (Olive Branch Press), Mansour dit que « les mercenaires étaient vus comme des monstres, principalement en raison de leur comportement monstrueux. Ils ne parlaient jamais à personne avec des mots : ils utilisaient uniquement le langage du feu, des balles et de la force létale absolue. Il était assez courant de voir un mercenaire écraser une petite voiture irakienne dans laquelle se trouvaient des passagers, seulement parce que ces mercenaires étaient coincés dans un embouteillage ».

Mansour, mieux connu pour son rôle d'animateur de l'émission-débat Without Limits, affirme que son auditoire était outré à la simple pensée qu'une superpuissance politique comme les États-Unis engage des mercenaires pour faire son travail déplaisant au lieu d'utiliser des soldats qui croient en leur pays et sa mission. Les téléspectateurs étaient de toute évidence également indignés par les épouvantables crimes de guerre que commettaient ces mercenaires.

Blackwater a finalement été critiquée après que ses forces ont fauché 17 civils le 16 septembre 2007 dans ce que les autorités irakiennes ont décrit comme une agression délibérée sur la place Nisour à Bagdad. Ces dernières ont refusé de renouveler leur permis d'exploitation. Le groupe de sécurité, dont le siège social est à Moyock, N.C., a changé son nom pour Xe Services. Selon le magazine The Nation, l'entreprise a tout de même pu renouveler son contrat au montant 20 millions de dollars jusqu'au 3 septembre, pour protéger les fonctionnaires du département d'État. Toutefois, une partie de son travail est assumé par Triple Canopy, de Herndon, Va., une autre firme au passé sombre.

Dans son livre Halliburton's Army (Nation Books), Pratap Chatterjee prétend que Triple Canopy emploie des « agents de sécurité privés ayant prétendument ciblé des civils irakiens pour le plaisir, tentant de les tuer, alors qu'ils travaillaient pour Halliburton/KBR ». En parlant des mercenaires comme d'un groupe, le brigadier général Karl Hors, conseiller du commandement de la force conjointe des États-Unis, a déjà constaté ceci : « Ces gars sont libres dans ce pays et font des choses stupides. Personne n'a d'autorité sur eux, donc on ne peut pas leur tomber dessus lorsque leur usage de la force dégénère. Ils tirent sur les gens et quelqu'un d'autre doit faire face aux conséquences. Ça se produit partout. »

Une journée avant de quitter Bagdad, le 27 juin 2004, le directeur de l'autorité provisoire de la coalition, le lieutenant Paul Bremer III, a émis la directive 17 interdisant au gouvernement irakien de poursuivre les contractants pour des crimes devant les cours irakiennes. Résultat : lorsque le gouvernement irakien a enquêté sur la place Nisour, ils ont rapporté qu'« à l'exemple de toute autre opération terroriste, le meurtre de sang froid de citoyens par Blackwater est considéré comme un acte terroriste contre des civils. ». Comme le révélait l'Associated Press le 1er avril dernier, « la compagnie ne fait face à aucune accusation. Toutefois l'incident de Bagdad a exacerbé le sentiment qu'ont de nombreux Irakiens que les contractants privés étatsuniens ont opéré depuis 2003 avec peu d'égard pour la loi et la vie irakienne ». Bagdad a également accusé Blackwater d'être impliquée dans un moins six incidents mortels durant l'année qui a précédé celui de la place Nisour, y compris celui ayant causé la mort du journaliste irakien Hana al-Ameedi.

Au printemps 2008, 180 000 mercenaires opéraient en Irak. On ignore combien d'entre eux sont morts : leurs décès ne figurent pas sur les listes des pertes du Pentagone. Comme ils sont nombreux à effectuer des tâches non reliées au combat, il est peu probable qu'ils aient subit autant de pertes et de blessures que les G.I. Selon certaines estimations, 1000 mercenaires auraient peut-être péri en Irak, environ un décès chez les mercenaires pour 4 chez les G.I.

Selon Mansour, un groupe irakien nommé Supporters of Truth (Sympathisants de la vérité) prétend que des hélicoptères étatsuniens volant à basse altitude ont laissé tombé des cadavres de mercenaires dans la rivière Diyala près de la frontière iranienne. Un autre groupe, Islamic Army of Iraq (l'Armée islamique d'Irak), « a découvert une fosse commune pour des mercenaires au service des forces étatsuniennes […] Le groupe affirme que la découverte de charniers pour mercenaires est devenue chose courante en Irak […] » On ne sait pas précisément si ces derniers étaient des mercenaires locaux ou des combattants venus d'ailleurs.

De nombreux soldats de fortune sur la liste de paie de compagnies privées ont auparavant été au service de dictateurs en Afrique du Sud, au Chili et ailleurs. « En Irak, les firmes privées de sécurité, qui forment le deuxième grand élément constitutif de la « coalition des pays disposés » (coalition of the willing), pigent dans des bassins de combattants qualifiés. On estime que presque 70 pour cent d'entre eux proviennent du Salvador », écrit Noam Chomsky dans son livre « Les États manqués » (Fayard). « Les tueurs qualifiés de l'appareil de terrorisme d'État dirigé par Reagan peuvent gagner de meilleurs salaires en perpétuant leur art en Irak qu'en demeurant dans ce qu'il reste de leur société. »

D'autres mercenaires ont été recrutés au sein même de la population irakienne. Dans son livre Rulers and Ruled in the U.S. Empire (Clarity Press), le sociologue James Petras écrit : « L'emploi de mercenaires locaux crée l'illusion que Washington remet graduellement le pouvoir au régime fantoche local. Cela donne l'impression que ce régime fantoche est capable de gouverner et propage le mythe voulant qu'il existe une armée locale stable et fiable. La présence de ces mercenaires locaux crée le mythe selon lequel le conflit interne est une guerre civile au lieu d'une lutte de libération nationale contre un pouvoir colonial.

L'auteur ajoute que « l'échec de la politique étatsunienne préconisant l'utilisation des mercenaires irakiens pour vaincre la résistance se voit dans l'escalade des forces militaires de combat des États-Unis au printemps 2007, 5 ans après une guerre coloniale : de 140 000 à 170 000 troupes, sans compter la présence de quelque 100 000 mercenaires d'entreprises étatsuniennes comme Blackwater ». Il affirme que la force mercenaire irakienne est en proie à de hauts niveaux de désertion.

Dans The Sorrows of the Empire ”(Metropolitan/Owl), Chalmers Johnson écrit : « On assume que le recours à des contractant privés est plus rentable, mais même cela est discutable lorsque les contrats ne vont qu'à des compagnies qui ont de bonnes relations et que l'appel d'offre n'est pas particulièrement compétitif. » Blackwater Security a obtenu un contrat de 27 millions de dollars sans appel d'offre de la part du lieutenant Paul Bremer III, le directeur de l'autorité provisoire de la coalition en 2003. Selon Joseph Stiglitz dans Une guerre à 3000 milliards de dollars (Fayard), le montant a augmenté à 100 millions de dollars un an plus tard et, en 2007, Blackwater détenait un contrat de 1,2 milliards de dollars pour l'Irak, où 845 contractants privés en sécurité étaient embauchés.

Stiglitz note qu'en 2007 les gardiens de sécurité privés travaillant pour des firmes comme Blackwater et Dyncorp gagnaient jusqu'à 1222 dollars par jour ou 445 000 dollars par an. Par comparaison, un sergent de l'armée gagnait entre 140 et 190 dollars par jour en paie et prestations, pour un total de 51 100 à 69 350 dollars par an.

Puisque ce sont les contribuables étatsuniens qui souscrivent les chèques de paie des « soldats privés », où sont les économies ? C'est l'argent provenant des poches des contribuables qui a fait la grandeur de ces armées de l'ombre.

Dans son succès de librairie Blackwater : The Rise of The World's Most Powerful Mercenary Army (Nation Books), le reporter Jeremy Scahill écrit : « Son installation de sept mille acres à Moyock, N.C., est devenue le centre militaire privé le plus sophistiqué de la planète, car l'entreprise possède l'une des plus grandes réserves privées d'armes lourdes au monde. Il s'agit d'un grand centre d'entraînement à la fois pour les forces militaires et les forces de sécurité locales et fédérales des États-Unis, et les forces étrangères et les particuliers […] On y développe des dirigeables de surveillance ainsi que des bandes d'atterrissage privées pour sa flotte d'aéronefs, laquelle comprend des hélicoptères de combat. » Les représentants de la société affirme avoir entraîné chaque année environ 35 000 militaires et « agents de la force publique ».

L'idée d'externaliser la plupart du travail du Pentagone, des corvées de cuisine au camionnage en zone de guerre, est venue en grande partie du secrétaire à la Défense Dick Cheney au début des années 1990, lorsque le Congrès lui a confié la tâche de réduire les dépenses du Pentagone après l'apaisement de la guerre froide. Puis, après avoir quitté son poste à la Défense pour devenir PDG chez Halliburton, Cheney a aussi géré l'emploi de contractants pour appuyer l'armée engagée en ex-Yougoslavie. Comme le rappelle Pratap Chatterjee dans Halliburton's Army (Nation Books), « [d]ans l'opération Tempête du désert en 2001 (sic 1991), environ une personne sur cent sur le champ de bataille irakien était contractant, alors qu'aujourd'hui, pour l'opération Liberté immuable, leur nombre est pratiquement égal à celui du personnel militaire ».

Et puisque les mercenaires peuvent travailler en civil, ils sont utiles au Pentagone quand il cherche à instaurer une présence militaire dans un pays sans trop attirer l'attention. Comme l'écrit Scahill, « au lieu d'envoyer des bataillons de l'armée active étatsunienne en Azerbaïdjan, le Pentagone a déployé des « contractants civils » de Blackwater et d'autres firmes pour mettre sur pied une opération servant deux objectifs : protéger la nouvelle exploitation rentable de gaz et de pétrole dans une région historiquement dominée par la Russie et l'Iran et possiblement mettre en place une importante base d'opérations avancée pour une attaque contre l'Iran.

Scahill affirme que « [l]'opposition nationale aux guerres d'agression réduit le nombre de volontaires prêts à servir dans les forces armées, ce qui a toujours calmé l'ardeur guerrière ou entraîné la conscription. Parallèlement, l'opposition internationale a compliqué la tâche qu'avait Washington de persuader les autres gouvernements d'appuyer ses guerres et ses occupations. Mais avec des sociétés privées de mercenaires, cette dynamique change dramatiquement, puisque le bassin de soldats potentiels disponibles pour une administration agressive n'est limité que par le nombre d'hommes sur la surface du globe prêts à tuer pour de l'argent. Grâce à l'aide des mercenaires, on n'a pas besoin de conscription, ni même du soutien de sa propre population pour mener des guerres d'agression, pas plus que d'une coalition de pays « disposés » à vous aider. Si Washington n'a pas suffisamment de personnel dans ses forces nationales pour une invasion ou une occupation, les firmes de mercenaires offrent une alternative privatisée, incluant la base de données de 21 000 contractants de Blackwater […] Si les gouvernements étrangers ne participent pas, on peut toujours acheter des soldats étrangers ».

En janvier 2008, le groupe de travail de l'ONU sur les mercenaires a décelé en Amérique latine une tendance émergente : « Des entreprises privées de sécurité protègent des sociétés extractives transnationales, dont les employés sont souvent impliqués dans la répression de manifestations des communautés, des organisations environnementales ou de protection des droits humains dans les zones où opèrent ces sociétés. » Pour sa part, le ministre sud-africain de la Défense, Mosiuoa Lekota, a qualifié les mercenaires de « fléau des régions pauvres du monde, particulièrement de l'Afrique. Ce sont des tueurs à gage, ils louent leurs compétences au plus offrant. Quiconque a de l'argent peut engager ces être humains et les transformer en machines à tuer ou en chair à canon ».

Sans mâcher ses mots Ratner fait une mise en garde : « Ces sortes de groupes militaires rappellent les chemises brunes du parti Nazi, en fonctionnant comme mécanisme d'application de la loi extrajudiciaire qui peut opérer en dehors de la loi et le fait.

Certes, les représentants des firmes de guerriers contractuels se voient sous un jour plus noble. Lors d'un discours, le vice-président de Blackwater, Cofer Black, a comparé son entreprise aux chevaliers de la Table ronde au service du roi Arthur, en affirmant qu'ils « se concentrent sur la morale, l'éthique et l'intégrité. C'est important. Nous ne sommes pas des escrocs. Nous ne sommes pas des filous. Nous croyons en ces choses là ». Malgré de telles affirmations, le jugement définitif sur la performance des entreprises militaires à contrat doit venir des populations que ces nobles chevaliers prétendent servir. Et si ceux de Blackwater sont un exemple, ils sont détestés.

 


Article original en anglais : The Rise of Mercenary Armies : A Threat to Global Security, Help White House Thwart Peace Movement, publié le 31 août 2009.

http://www.mondialisation.ca/index.php ?context=va&aid=15223

Traduction : Julie Lévesque pour Mondialisation.ca.

Sherwood Ross a travaillé pour de grands quotidiens et des agences de transmission, et a été directeur du mouvement des droits civiques. Il oeuvre actuellement pour le mouvement antiguerre et dirige une firme de relations publiques dédiée aux bonnes causes. Vous pouvez le joindre au sherwoodr1@yahoo.com

 

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11 septembre 2009 5 11 /09 /septembre /2009 03:12



11 septembre 2009 : mort de la médecine du travail ?

Conçue à l’origine comme un magnifique outil de prévention en matière de santé dans les entreprises, la médecine du travail a été délibérément dégradée, décimée, déconsidérée par les employeurs.

Le Medef juge le moment opportun de lui porter le coup de grâce puisque, après une négociation de février à juillet 2009, il propose à signature des directions syndicales, le 11 septembre, un texte brutal et définitif. Les médecins du travail n’assurent plus officiellement le service de santé au travail, remplacés par une nébuleuse « service de santé au travail » (SST).

La « pénurie » de médecins du travail ne sera pas combattue mais entérinée puisque infirmiers, personnel médical, médecins de ville, et des IPRP (Intervenants en Prévention des Risques Professionnels) au statut mal défini et non protégé, s’y substitueront. Les visites avec de vrais médecins du travail seront espacées tous les 4 ans « sur demande » et si « l’infirmier en santé au travail évalue le besoin de voir le médecin du travail ».

La visite d’embauche aurait un but de sélection et d’éviction. Actuellement, l’aptitude et l’inaptitude se définissent exclusivement en fonction des risques pour la santé du salarié à son poste de travail. L’aptitude deviendrait, comme sous Vichy, « l’absence de contre-indication physique ou psychique à la tenue par le salarié du poste de travail » et l’inaptitude comme « la contre-indication physique ou psychique entraînant une restriction pour le salarié de remplir une ou plusieurs tâches liées à son poste de travail ». Il n’y a même plus les mot « santé » ni « risques » dans la définition de l’aptitude.

Une « visite de prévention de la désinsertion professionnelle » pendant l’arrêt de travail serait systématique après 45 jours d’arrêt sous contrôle, bien sûr, de l’employeur. « L’obligation de recherche de reclassement de l’employeur débute avec cette démarche et se termine avec la visite de reprise ». Cela met fin de facto à la protection du salarié pendant son arrêt de travail. Les médecins ne feront plus que de la sélection et de l’éviction et perdront leur rôle de préventeurs. La possibilité de licenciement pour inaptitude serait réduite à une seule visite et le médecin ne pourrait plus formuler des préconisations pour l’adaptation du poste de travail (restrictions, aménagement, changement de poste…).

Les contrats de travail atypiques échapperont au suivi du médecin du travail : les saisonniers auront « possibilité de moduler les obligations relatives à la visite médicale », les itinérants et éloignés pourraient être « suivis par des médecins dûment habilités et formés » (sic) au plus prés du lieu de leurs fonctions ( ?). Le « tiers-temps » des médecins pour l’étude des conditions de travail est supprimé : il n’y a plus de liens entre la connaissance de l’état de santé de chaque salarié et celle de son poste et milieu de travail. Il n’y a donc plus besoin pour cela de médecin spécialiste connaissant le travail et ses effets sur la santé. Tout cela avec des SST ayant des conseils d’administration où les employeurs disposent des deux tiers des siéges :


quel syndicat osera signer un tel texte ?


Gérard Filoche, Siné Hebdo

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